Il venait de loin.
Il était originaire « des îles » comme les brochures aimaient le rappeler. Il était l’enfant du soleil et des plages à perte de vue, des après-midis à l’ombre des palmiers et des soirées aux températures douces.
Mana’arii n’avait jamais imaginé la vie à l’extérieur d’Alola. Il ne s’était jamais demandé à quoi le monde pouvait bien ressembler en dehors du charme tropical et du sable fin sous ses pieds. L’enfant était heureux, heureux dans le confort et la chaleur de chez lui. Il n’avait jamais eu l’âme d’un aventurier, d’un voyageur. Il pensait et redoutait trop l’avenir pour se permettre de partir avec son pack sac et tout abandonner derrière lui. Qu’arriverait-il s’il ne trouvait pas de boulot stable, d’endroit pour se poser ? (Plus d’une fois, il avait craint que ses choix ne le guident sur les traces de ses parents.)
Mais sa crainte de l’avenir possédait un ennemi tenace dont il avait plus d’une fois sous-estimé la puissance : la rancune.
Ils étaient partis et lui pas.
Il était les restes qu’ils avaient abandonné derrière eux et pour qui ils n’avaient pas eu la moindre considération.

Alors il l’avait fait. Pour leur montrer à tous qu’il n’était pas l’esclave et le prisonnier d’une vie familiale dont personne ne voulait vraiment en dehors de lui. Il n’était pas le pionnier d’une structure quelconque, il n’était pas celui sur lequel les responsabilités allaient retombées lorsqu’il n’y aurait plus personne pour s’en soucier.
Le blondinet estimait être parti à temps. Il avait fui, comme eux. (Ils étaient tous fais du même bois pourri) Se sentait-il mieux ? (Poser la question, c’était y répondre.)
La seule certitude qu’il lui restait, c’était que des pages devaient s’écrire ici. Les cartes le lui avaient dit.
Elles s’étaient confiées à lui, avait attesté de la justesse de son initiative. Mana’ pouvait partir le cœur libre : son avenir était entre bonnes mains.

Bonne fortune oblige, c’était en se promenant entre son hôtel 0.5 étoile et la supérette de l’autre côté de la rue que Mana’ avait trouvé le ticket.  
Un ticket somme tout banal, sans grand artifice autant dans son design que dans les conditions de sa découverte… Mais un ticket qui avait le pouvoir de changer la tournure de sa vie. (Ou de sa journée)
Tel un vagabond, le jeune Ehu-kai avait bondi dans le premier bus direction « Le Parc Safari ».
Il ne le faisait pas pour lui. Enfin, pas que pour lui. Il le faisait surtout pour Kane-Hekili dont la vie était beaucoup moins verte et libre ici qu’à Alola.
Mana n’était arrivé que depuis quelques jours, il prenait encore ses marques dans la ville… Mais il avait remarqué la tristesse dans les yeux du voltoutou lorsqu’il l’avait sommé de ne pas s’éloigner de lui, de faire attention lorsqu’il traversait la rue et de ne surtout pas le quitter des yeux.
Sur la ferme familiale, rien de toutes ces conditions n’existait.
Kane était un voltoutou libre et affranchi de toute inquiétude. Il pouvait aller embêter les bourrinos sans clause à respecter et courir après les wattouat sans se faire étouffer. C’était si différent à Lumiris. Mana savait qu’il ne pouvait pas comprendre et lui ne pouvait pas lui expliquer. Alors il avait décidé de lui offrir cette journée.

Dans une réserve faunique de cette grandeur, Kane pourrait vivre. (Et Mana’ pourrait respirer.)

En arrivant à l’entrée du parc, il remit son ticket avec un brin de fébrilité. Fidèle à ses nouvelles habitudes, il remonta le col de son pull puis s’enfonça un peu plus profondément sur les sentiers.
La température était fraîche… Mais peut-être était-ce son cerveau qui lui jouait des tours. Depuis son arrivée à Lumiris, Mana’ nourrissait l’impression de s’apparenter davantage au bloc de glace qu’à l’être humain. Il sentait la fraîcheur humide pénétrer ses vêtements et attaquer ses os sans la moindre pitié pour sa maigre résistance aux températures plus basses. Lui venait d’Alola : « La région où le soleil ne meurt jamais. » Prospérité aux endroits où les palmiers pouvaient grandir à l’année. Malheureusement pour lui, Lumiris était beaucoup nuancée et moins tranchée de sa voisine à ce niveau. Il allait donc sans doute décéder dans son sommeil, transi par le froid.  

« Kane ! » Hurle-t-il soudainement en voyant le Voltoutou foncer telle une flèche vers un parfait inconnu pour aller lui jouer dans les pattes. Embarrassé, le dresseur (Quel mauvais dresseur il était.) accélère le pas jusqu’à arriver à leur hauteur.
Mana ne sait plus où se placer, mais il sourit. Il ne sait faire que ça, sourire. « Je suis vraiment désolé pour le comportement de Kane… Ça fait quelques jours qu’il n’a pas pu dépenser son énergie et il en perd visiblement un peu ses manières. » Bredouille-t-il avec une pointe d’amusement dans la voix.
Jamais Mana’ n’envisageait qu’on puisse être en colère contre lui. Les choses ne se passaient jamais comme ça.

Il ne voyait pas l’avenir.
L’avenir lui parlait, tout ou plus. Ce n’était pas un dialogue fluide, ce n’était pas une conversation au coin du feu, mais des concepts grossiers qu’il avait appris à interpréter au fil des années. Dans tous les cas, il n’était pas capable de prédire un événement précis dans une période donnée. Mana’ préférait prévoir des rentrées d’argent ou des faillites imminentes, c’était beaucoup plus simple à prophétiser que la mise au feu du parc safari.
Il aurait sans doute préféré faire des rêves prémonitoires (Il ne serait pas venu, s’il avait su) que de connaître les cartes de tarots sur le bout de ses doigts… Mais il s’était contenté d’exploiter le savoir qui était à sa portée. Mana’arii n’avait rien d’un devin. C’était un gosse normal, l'ange de rien. Il n’avait pas eu d’enfance privilège et il n’était pas né sous une bonne étoile. Il avait juste appris à se réconforter avec les armes à sa portée, avec le pouvoir qu’il détenait de moduler son avenir. (Mana’arii se réconfortait d’un rien et d’une promesse vide.)

Bref.
Les boucles blondes de l’enfant se dressent sur sa tête lorsqu’il admire la catastrophe naturelle dont il est l’épicentre.
Mana’arii n’était pas un grand habitué des conneries de Kane. À la ferme, le voltoutou n’avait jamais été une nuisance pour qui que ce soit excepté lui-même. Enfin, disons plutôt qu’il s’était calmé après avoir reçu un coup de sabot de la part d’un bourrinos … Mais la transition entre la campagne et la ville était sans aucun doute trop violente pour lui. L’électron libre s’était enchaîné à un atome, ça ne le rendait pas heureux. (C’était une sensation que son dresseur pouvait comprendre.)

« Fichtre ! A l’aide monsieur ! » Comment dire qu’il n’avait pas du tout imaginé que l’on puisse l’appeler au secours ? Décontenancé, le blondinet fixe son interlocuteur avec des yeux de merlan fris pendant quelques secondes. Ce n’était pas censé se passer comme ça. « Kane, reviens ! » Surpris, le canidé arrête instantanément sa course pour dévisager quelques secondes le diseur de bonnes aventures. Lui n’avait rien vu passer du magma en fusion qui jaillissait du corps de sa victime et des ravages qu’il était en train de causer à la réserve naturelle : lui s’amusait, c’était tout ce qui importait. Malheureusement pour lui, son dresseur et celui du chamallot n’étaient pas de cet avis. « Kan- » Il n’eut pas à terminer son deuxième rappel à l’ordre. La mine déconfite, le chiot (Mana n’avait jamais cessé de le considérer comme un chiot.) revient vers son dresseur, la queue basse et la mort dans l’âme. Mana se sentait un peu coupable d’avoir gâché son éclat de bonheur, mais il ne voulait même pas imaginer le dédommagement monétaire auquel il s’exposait si le parc était détruit par leur faute. (Impossible que les cartes aient menti et que Lumiris soit en fait sa tombe.)

« Je-… Je n’ai pas de pokémon eau pour arrêter tout ça moi. » Minaude-t-il dans sa grande panique. Mana avait rarement eu envie de disparaître comme aujourd’hui. Jetant un œil autour de lui, le jeune homme cherche désespérément une perche à laquelle s’accrocher, une solution toute préparée à un problème qui ne l’était pas.
Bingo.
Pointant du doigt une espèce de grenouille aux teintes bleutées qu’il était certain de n’avoir jamais admiré de ses yeux à Alola, le dresseur débutant troque la peur dans ses yeux contre sa plus belle mine suppliante. (Il avait parfois du mal à prendre les choses suffisamment au sérieux.) « Toi ! S’il-te-plait, je t’en supplie; arrête-le avant qu’il ne détruise tout ! » Difficile de dire si son appel du cœur avait une chance de réussir.

Mana’arii était un gamin que l’on venait de prendre la main dans le sac et qui ne savait plus comment corriger ses bêtises.
Comme n’importe quel enfant coupable, il cherche à se dédouaner : de quel genre d’inconscience fallait-il se porter garant pour apporter dans une réserve naturelle un pokémon feu qui ne se contrôle pas ? Mana, lui, n’aurait jamais fait cette erreur. (Il n’aurait jamais fait l’erreur de posséder un pokémon feu, déjà.)
Jamais.
(Mais il aurait sans doute pu faire pire… Comme amener Kane à la mer, par exemple.)
Sauf que, même en se lavant les mains du drame qui se déroulait sous ses yeux, Mana ne voyait pas comment corriger les erreurs qui avaient été commises… Et qui risquaient de lui coûter très cher. (Enfin, de coûter très cher au monsieur. Évidemment.)

Mais dans quel bordel s’était-il mis les pieds ? Lui n’était venu que pour permettre au voltoutou de courir et retrouver un peu de la liberté qui le rendait heureux lorsqu’ils étaient encore à Alola… Et voilà qu’il était devenu l’élément déclencheur d’un horrifique feu de forêt.
Il ne voyait pas comment toute cette histoire pouvait bien se terminer, comment ils pourraient éviter la facture bien salée qui les attendait une fois l’incendie calmée. Il n’avait pas les moyens de survivre aux coûts nécessaires pour défrayer une partie du paysagement de ce genre d’endroit. Ni d’aucun autre genre d’endroit.
Mana’ était un artiste de rue.
Le matin, il installait son stand au détour d’une petite rue touristique et il attendant que les gens viennent s’enquérir de leur avenir. On ne devenait pas riche à prédire le bon comme le mauvais temps.

Voyant l’inconnu (Il ignorait toujours son nom et se demandait même s’il finirait par le connaître.) reprendre le contrôle de son Pokémon, Mana pousse un soupir de soulagement. Il aurait aimé se sentir un peu plus d’humeur à s’émouvoir devant les liens capables d’unir la bête à l’homme… Mais il y avait comme une odeur de rôti dans l’air qui l’en empêchait.
Même le pokémon eau s’était barré comme un poltron après sa requête désespérée (Ce n’était pas très gentil de sa part, d’ailleurs. Si jamais leur chemin finissait par se recroiser, Mana n’hésiterait pas à lui expliquer sa manière de penser. Après tout, on leur répétait depuis des temps immémoriaux que les humains et les pokémons devaient s’entraider : le laisser en plan devant un feu de forêt n’était définitivement pas une magnifique preuve d’entraide.) emportant avec lui son dernier espoir de pouvoir éteindre facilement les braises ardentes du désespoir.

« Ouais, vaut mieux éviter de trop le caresser quand il est… dans cet état. » Murmure-t-il en voyant les étincelles électriques parcourant le pelage de Kane. L’adrénaline avait de drôles d’effets sur le chiot. Il ne l’expliquait pas trop, mais, après s’être fait botter par un bourrinos, il avait passé 4h à faire des étincelles. Mana’ s’en souvenait ; il avait carrément craint d’avoir brisé son pokémon. Court-circuit ou quelque chose dans le genre.
Heureusement, cela ne semble pas déranger l’homme dont le regard s’illumine aussitôt.
Dans les yeux bleus du Ehu-kai, c’était toujours l’hécatombe. Il commençait à envisager la fuite à toute autre solution. (Il n’avait jamais prétendu être un homme courageux.)

« Il faut contenir l’incendie pour éviter la propagation des flammes ! C’est le plus important ! Première étape créer une barrière naturelle en détruisant le terrain autour de l’épicentre ou créer des petits départs d’incendie que l’on pourra gérer avec nos vêtements, autour pour le contenir deuxième étape empêcher les flammes de monter trop haut et de se propager par les cendres et les flammes sur les arbres sinon ça sera ingérables. Vous pouvez tous m’aider ? »  La peur devait lui siffler les oreilles, mais Mana était convaincu de n’avoir rien compris. Malgré tout, il acquiesce en silence. Il avait compris « vêtements » et, à ce stade de l’aventure, le blondinet était convaincu de ne plus avoir aussi froid : il pouvait se débarrasser de son pull et le jeter aux flammes s’il le fallait. (Il ne voyait pas en quoi cela aiderait, mais il pouvait le faire.)  
À la place, l’homme se déshabille tel un valeureux guerrier puis lui jette sa veste sans un mot. Du coin de l’œil, Mana croit même revoir l’horrible grenouille qui l’avait venté quelques secondes auparavant et il comprend alors à quel point la situation est absurde.
Immature, il lui tire la langue afin de montrer son mécontentement après un tel abandon.

« Ça n’a aucun sens. » Soupire-t-il avant de se mettre à battre l’air avec la veste prêté par l’inconnu, mais s’arrête sec quand il voit la flamme qu’il tentait d’éteindre s’embraser comme un feu de joie.
Ce n’était pas dans le plan de sa vie.
Cette aventure en entière n’était pas dans le plan de sa vie.

Il avait alimenté les flammes plutôt que de les éteindre.
C’était tout lui, ça. (En même temps, il n’avait jamais prétendu être pompier.)
Mana’arii était plein de bonne volonté, mais vide de talent à exploiter. Il était sympa et souriant : à l’image de son siècle dans tout ce qu’il y avait de bon et de mauvais à en tirer. Il avait à cœur tous les enjeux qui composaient le quotidien des hommes, mais manquait cruellement de débrouillardise devant l’inconnu. (Il était la preuve que la perfection n’existait pas.)
Cette situation n’était qu’un exemple parmi tant d’autres. Le pire restait sans doute son déménagement immature et son incapacité à trier son quotidien maintenant qu’il y était. Les erreurs impossibles à surmonter, c’était devenu le gros de sa vie. Et malgré tout, toujours, il trouvait le moyen de trouver ça drôle et de s’en amuser plutôt que de se laisser décourager par sa propre stupidité.
Mana était devenu maître dans l’art de nourrir le dénie qui le maintenant en vie.

Il avait arrêté de battre le vent de la veste. Ça ne lui parlait pas comme solution et les flammèches qui léchaient le tissu le rendaient plus nerveux que serein. Peut-être aurait-il dû s’obstiner, continuer de s’épuiser et offrir barrière contre le torrent de flammes qui s’amusait de ses tentatives.
Peut-être.
Mais il ne l’avait pas fait. À la place, il avait jeté un regard paniqué à l’homme qui se tenait à ses côtés puis… il avait souri. Un peu maladroitement, sans conteste, mais il avait souri. Un sourire ne calmerait pas l’enfer, n’éteindrait pas l’esprit malin, mais c’était tout ce qu’il savait faire. (Il trouvait toujours un peu de positif dans toutes les situations, même les plus désespérées. C’était genre son super pouvoir.)

Après ça, il avait tenté de trouver un sauveur. L’homme de la situation, comme on l’appelait plus couramment. (Ou la femme hein.)
Et maintenant, il fixait tout autour de lui dans l’attente d’un signe pour lui prouver que tout était sous contrôle.
Se mordillant la lèvre, Mana’arii prend une grande inspiration afin de calmer l’anxiété qui s’insinue en lui comme un funeste poison.
Et c’est à ce moment qu’un jet d’eau s’abat sur la zone, lui laissant une mine déconfite en retour. Surpris, il retourne son regard vers … l’homme (Il avait forcément un nom, non ?) pour savoir s’il est à la source de cette averse impromptue, mais comprends vite à son regard qu’il n’est pas le héros à qui ils doivent leur sauvetage. Il retourne sa tête un peu plus, mué par la curiosité.
Et c’est à ce moment qu’il revoit la grenouille qui l’avait superbement venté quelques minutes plus tôt. Sauf qu’elle n’est plus seule. Ils sont des dizaines à vouloir préserver leur environnement des flammes.

Libéré d’un poids énorme, Mana’arii sent ses jambes flancher et tombe à genoux, un sourire aux lèvres. « On est sauvé... J'y crois pas ! » Oui, ils l’étaient. Et même s’ils n’étaient légalement pas sortis d’affaires, ils avaient au moins la certitude que leur enveloppe charnelle n’allait pas s’embraser en même temps que le parc et, ça, c’était cool.
Il prend une grande inspiration malgré l’odeur de fumée qui s’insinue dans ses narines et qui passe près de lui arracher quelques larmes. Assis sur ses talons, il ne bouge pas. À ses côtés, Kane se contente de secouer la queue comme si toute cette situation n’avait jamais pris racine dans sa réalité.

« Qu’est-ce que c’est que tout ce bord-… » Brusque retour à la réalité. Tétanisé, Mana’ détourne doucement son regard des restes fumants de leur connerie pour le poser sur l’homme à l’air sévère qui vient d’apparaître dans la zone affectée.
Il ne l’avait pas remarqué, mais la trachée creusée par le chamallot de l’autre était presque aussi effrayante que les arbres et l’herbe calcinés sous leurs pieds. Avalant sa salive de travers, le gamin tente de calmer le jeu. « Ce n’était pas volontaire de notre part… Ce n’était qu’un vulgaire accident, je vous le promets ! » Il ne voyait pas comment plaidoyer sa cause plus efficacement. Malheureusement, ce n’était pas suffisant. Le visage rouge de colère comme si sa tête risquait d’exploser, l’homme toise le bond et le blanc avec toute la haine du monde au fond de ses grands yeux. « Mon parc ! » Ce n’était techniquement pas son parc, mais Mana’arii ne le soulignerait pas.  « Vous avez tout intérêt à payer de votre poche les dégâts et le mal que vous avez causé à cet endroit, jeunes hommes ! » Mana’arii n’avait pas l’argent pour acheter un arbre.
Abattu, il baisse légèrement la tête. Il s’y était pourtant attendu.
Aucun gestionnaire digne de ce nom ne laisserait deux idiots dans leur genre s’en sortir sans une amande salée. Il n’y avait aucun étonnement derrière son air abattu. Aucun.

Ce… Drama.
Les yeux grands ouverts, Mana’ fixe l’homme avec incompréhension. Il ne s’était pas attendu à un tel revirement de situation.
Dans sa propre prémonition des faits, il s’était attendu à supplier le directeur/gestionnaire/? de les laisser s’en tirer à bon compte sans pour autant mettre à feu leur fortune familiale. De par leur simplicité, il avait vraiment cru voir ses attentes se réaliser. Après tout, il ne connaissait pas son vis-à-vis depuis très longtemps, mais ce qu’il avait pu entrevoir ne lui permettait pas de prévoir une telle crise de nerfs. Il l’avait crû calme et il s’était trompé. (Lourdement trompé.) Comme quoi il ne fallait pas toujours se fier à notre première impression…

Qui disait vraiment « Oui c’est de notre faute, mais vous n’avez pas de preuves ! » ? Beaucoup plus diplomate, Mana’arii se contente de sourire doucement sans rien ajouter à cette déferlante de sentiments. L’homme les enfoncent, il le sait, mais il ne peut pas se permettre de lui demander de se taire sans y mettre les formes.
Pas devant leur ennemi commun.
Alors il attend doucement que cela cesse. Que peut-il faire de plus ? (Si lui se jetait à genoux aux pieds du gestionnaire, il risquait de réduire à néant toutes leurs chances de finir cette épopée avec dignité.) La situation serait embêtante, limite gênante, qu’importe l’attitude qu’il déciderait d’adopter. Il était condamné.

« C’est ce qu’on verra gamin ! Fait le malin va tu vas moins rigoler quand vous devrez payer et que vous serez BANNI du parc safari ! Quoi qu’il en toute je mettrais un point d’honneur à fermer le clapet à de jeunes branleurs dans votre genre. C’est un parc d’élite ici, pas une station balnéaire… Je vais vous apprendre le respect les jeunes vous allez voir… Restez ici si vous voulez… Vous ne pourrez pas fuir vos actes ! » Peste-t-il en tournant finalement les talons. Laissé pour compte derrière, l’enfant jette un œil à son partenaire du jour puise hausse légèrement les épaules. Le mal était fait… Maintenant il n’existait en ce monde qu’une seule solution pour que son compte en banque ne soit pas dans le rouge pour les quatre prochaines années.
Sans attendre de réaction de la part du blanc, Mana’arii se jette à la poursuite de l’homme tout en cherchant ses mots. Il se creuse la tête, essaie de se souvenir de l’adresse que lui avait donné sa mère… Ah oui ! « Attendez ! » hurle-t-il. Curieux, quoi que toujours furax, l’homme s’arrête momentanément afin de jeter un œil au môme qui le suit.
Lui n’en perd pas son sourire. Au contraire. « Pardonnez le comportement de mon ami… L’émotion lui a fait perdre le contrôle... En gage de ma bonne foi et pour nous faire pardonner, laissez-moi vous donner mon adresse afin que vous puissiez m’envoyer ma part de la facture. » Il ne savait pas si cela allait fonctionner, mais il aurait au moins essayé. Il ne cache pas sa satisfaction lorsque l’homme se détend légèrement tout en lui faisant signe de continuer.

V i c t o i r e.

Glorieux, Mana’arii récite par coeur l’adresse que lui a donné sa mère avant de déménager. Celle de Vai’ata. « Vous n’avez qu’à adresser la facture au nom de Vai’ata Ehu-kai. » Aucun remord, juste un petit haussement d’épaules un brin nerveux lorsque l’homme le dévisage. D’accord, il n’avait pas vraiment une tête à se nommer Vai’ata, mais… « C’est le charme des îles. Mes parents trouvaient aimaient bien les noms en A, ils ont pas trop réfléchi. » C’est sans doute la pire excuse inventée par un homme, même désespéré, mais elle semble contenter son destinataire qui, malgré un soupire ridiculement outré, fini par tourner les talons.
Mana’arii ne retient pas un soupir de soulagement alors qu’il dépose ses mains sur ses genoux afin de reprendre son souffle. Trop de sentiments pour une seule personne.  

Mais au moins, c’était derrière lui maintenant.
Sans doute qu’il en réentendrait parler par Vai’ata… Mais il considérait que c’était un maigre tribut à payer à côté d’un abandon.

Non, vraiment, il ne regrettait rien.

Il n’avait pas vu le temps filer que la journée touchait déjà à sa fin.
Prenant une grande inspiration, le blondinet pose ses pupilles azurées sur Kane-Hekili à ses pieds. Il n’avait pas pris conscience de la duration du feu et, maintenant que la situation s’était calmée, il réalisait enfin que le soleil avait déjà bien progressé dans le ciel.
Presque autant que la fatigue dans son corps.
Rejetant finalement la tête vers l’arrière, il roule ses épaules deux trois fois. « On a eu chaud Kane… » La fin de sa phrase est étouffée par un petit ricanement d’épuisement et de désespoir. Il n’osait pas imaginer le drame dont il aurait été l’épicentre s’il n’avait pas réussi à convaincre le gestionnaire du parc d’envoyer la facture à sa sœur.
Nul doute possible : il aurait été dans l’obligation de retourner vivre chez ses parents ou, au moins, de trouver refuge chez un membre de sa famille jusqu’à se refaire financièrement. Il aurait sans doute sacré cette expérience comme la pire de sa vie et, pour cause, c’est probablement chez Vai’ata qu’il aurait dû expier ses péchés.
Mana’arii était prêt à beaucoup de sacrifices en venant à Lumiris, mais pas celui de déménager chez son aînée.

Il n’avait jamais réussi à digérer son abandon et jamais il ne lui offrirait le luxe d’alléger la culpabilité qui lui courbait l’échine à chaque fois que le blondinet était dans son champ de vision.
Ce n’était pas parce qu’elle avait sorti les Ehu-kai de la misère et qu’elle avait assuré la prospérité de la ferme qu’il en devenait systématiquement son petit chien. Il valait mieux que ça. Et il comptait bien le lui prouver.
Une fois qu’elle aurait payé son tribut et que le message de colère serait passé, il ne comptait plus jamais avoir d’interaction, même superposées, avec elle.
Ni avec les deux autres, d’ailleurs.

« Il est peut-être temps de rentrer … Qu’en penses-tu ? » Il ne savait pas si l’on pouvait considérer que le voltoutou avait vraiment dépensé son énergie… Mais la journée avait été si forte en émotions que lui se sentait exténué.
Il aurait probablement pu courir un marathon que son corps et son esprit auraient moins exigé de repos en retour. C’était pour dire.
« Est-ce que tu as bien vu tout ce que tu souhaitais voir ? Il sera trop tard pour faire demi-tour une fois que nous serons sur le chemin du retour… » Il s’inquiétait réellement pour Kane. Depuis son arrivée à Lumiris, Mana’arii n’entendait qu’à lui offrir le plus de confort possible, mais il savait que c’était un objectif difficile à atteindre lorsque l’on privait un Pokémon de la ferme sur laquelle il avait grandi pour lui imposer la rue et la ville.
Il avait longuement pensé à le laisser à Alola… Mais la perspective de déménager aussi loin de chez lui et d’être complètement seul lui était aussi insupportable que celle d’habiter chez Vai’ata.
Mana’arii était un être égoïste qui s’assumait.

Mais, au fond, n’était-ce pas également le souhait de Kane que de rester avec son dresseur et meilleur ami ?

Rassuré par ses belles pensées, le jeune homme s’étire une dernière fois avant de regarder les traces de son passage sur la verdure et les arbres. Certaines feuilles avaient brûlées et une bonne partie du terrain était dans un état lamentable après que le chamallot de son compagnon improvisé ait décidé d’isoler la zone…
Mais qu’importe. De toute manière, si tout se déroulait aussi bien qu’il l’avait imaginé, c’est Vai’ata qui payerait les réparations et qui rendrait à cet endroit sa splendeur d’antan.

Il pouvait partir avec l’esprit léger.