「Gratte-ciels et gens pressés」.— Une description qui convenait parfaitement à la vision que le jeune homme avait de sa ville natale. Pollution sonore et cacophonie de la circulation, c'est cet incessant charivari qui marqua les premières années de sa vie : Volucité, buildings à perte de vue et quelques rares points de verdures.

Le plus jeune d'une fratrie de trois, Suh-joon était en quelque sorte l'ersatz d'aînés déjà diplômés. Vingt-et-unième étage, un appartement fastueux avec vue sur mer : il était le seul enfant restant du domicile familiale. Père ingénieur en électronique numérique, mère professeur de sciences physiques : leurs exigences auprès de sa personne étaient relativement haute, sans doute en raison de la réussite de ses frères aînés.

Instruction à domicile et enseignements en ligne rythmaient sa vie en autarcie et ce jusqu'à souffler les bougies de son seizième anniversaire. Décision catégorique imposée par sa mère, une question lui traversait souvent l'esprit : comment ses frères étaient parvenus à supporter cela ? Isolé du monde et reclus dans sa chambre du matin au soir, bien que dégoûté, Suh-joon endurait en silence par simple respect envers ses deux parents.

「C'est pour ton bien」. — Interdiction formelle de sortir, l'adolescent relativisait telle situation en se cantonnant à cette seule formule. Souvent délaissé, le jeune homme avait de nombreuses manières de tuer le temps une fois las d'étudier. Traîner sur son portable, errer sur son PC, gribouiller sur son cahier, le tout sur fond de playlists aléatoires... Se coller contre la vitre, contempler l'horizon et s'amuser avec son appareil photo était de loin son activité favorite - en dehors de manger et dormir, évidemment -. Enfant, il passait son temps à trafiquer le zoom de son instrument : un moyen pour lui d'observer le monde extérieur depuis son perchoir et la beauté qu'il renfermait ; ce moment marqua vraisemblablement le début de sa passion pour la photographie.

Ce n'était qu'en approchant de la majorité que notre ami eut une opportunité : l'opportunité de savourer pour la première fois une sorte de liberté. Avoir la possibilité de se débrouiller, seul, et se confronter à la société : en bref, devenir plus ou moins autonome. Suivre un cursus de droit ou des études en médecine, espérant de son fils une carrière des plus prestigieuses, son père pouvait jouer de ses contacts pour le faire rentrer dans la plupart des écoles privées. Kalos, Galar, Sinnoh : sans façon. Quelque peu fatigué, l'année de césure s'annonçait pour Suh-joon. Obstiné à l'idée de mettre un terme à ses études, son paternel finit par y céder ; à son corps défendant.


Lumiris n'égalait pas la notoriété de certaines régions, certes. Malgré tout, elle n'avait rien à déplaire : bien au contraire, un véritable petit bout de paradis sur Terre. Quelques photos, çà et là, et le voilà séduit ; désireux d'admirer les paysages de cette contrée et les immortaliser de lui-même.

Âgé d'une dix-huitaine d'années, valise à la main et ses économies en poche : le voilà parti, uniquement muni du strict nécessaire. Résolu à vivre par ses propres moyens, sans aucun soutien financier, Suh-joon s'installa dans un cabanon aux abords de Kishika. Le prix plus que raisonnable de ce logis se justifiait certainement par l'état de la baraque qui menaçait de s'écrouler à tout moment. C'était certainement une brusque transition par rapport au luxe de son ancien logement, toutefois le jeune homme n'était pas difficile à satisfaire - et puis, il en faut peu pour être heureux comme dirait un certain Ursaring -.

Une vingtaine de mètres carré, une unique chambre à coucher, salon et cuisine fusionné, les toilettes et la salle de bain paraissaient un poil étroit : mais notre ami était comblé. Quelques pas au sein de son nouveau "chez-soi" que quelque chose attira très vite son œil : un énorme trou dans le plancher, recouvert au trois-quarts par des débris reluisants.

Un simple coup d'œil autour de lui permis de réaliser que ce trou n'était rien d'autre qu'un simple détail dans la décoration : la boiserie grignotée par endroits, le sol jonché d'affaissements, et étonnamment certains meubles tenaient encore malgré les ravages d'une certaine bête sauvage. Des traces toutes fraîches témoignaient et pouvaient affirmer du passage régulier de ladite bête.

Mené par sa curiosité, il s'approcha lentement. L'ouverture était assez grande pour pouvoir entrevoir ce qui s'y terrait. Son visage penché au-dessus de ce dernier, le jeune homme fut plus que surpris de découvrir un aileron de requin, entaillé. Au bout de cet aileron, une drôle de créature dont le riverain n'avait jamais croisé auparavant. Corps bleu foncé avec des bandes d'une nuance plus claire, un ventre rougeâtre et une paire de dents acérées : mh, serait-ce une sorte de rêve éveillé peut-être ?

Hypothèse vite rejetée lorsque la douleur se fit sentir. Vive et bel et bien réelle, la bête lui mâchouillait le mollet. Encore assoupis il y avait à peine quelques minutes, la créature avait sans doute flairé la présence de l'étranger près de son abri. Cette chose était probablement une espèce de Pokémon. Cela faisait un peu plus de seize ans que Suh-joon vivait retiré du monde. Seize longues années, qu'il en oubliait presque l'existence et l'omniprésence de telles créatures dans la société. L'adolescent avait bien eu moult occasion d'en apercevoir que ce soit de par la fenêtre de son ancien appartement ou bien sur les réseaux sociaux, ce dernier n'y avait jamais prêté grand intérêt.

Voilà bien deux semaines que son sofa lui était inaccessible. S'étant tout juste rétabli de sa blessure superficielle, il ne voulait en aucun cas réitérer l'expérience. Poussé par son désir de savoir, de connaître, Suh-joon avait commencé à étudier et filmer son colocataire, griffonnant l'évolution du comportement de ce dernier à son égard sur un vieux calepin. Souhaitant davantage s'informer, il avait sollicité l'aide d'un certain Professeur Baobab que le voisinage avait recommandé. Le jour de sa visite, son laboratoire était bien plus animé que la Place Centrale de Volucité et l'expert n'avait guère le temps de traiter avec son problème de nuisible. Pour l'heure, on lui fit présent d'une encyclopédie de poche en guise de soutien. Le professeur lui avait bien tendu son numéro de téléphone pour le rappeler ultérieurement, mais notre ami étourdi l'avait fait tomber dans la foule de dresseurs amassée devant le labo' - et puis s'retaper Nemerya-Kishika une nouvelle fois à pied, un peu la flemme quoi -.


Griknot, un pokémon terrequin qui se niche habituellement dans des cavités chauffées par géothermie et qui, selon l'encyclopédie, bondirait pour déchiqueter tout intrus - beh, pauvre mollet -. Tous les jours, Suh-joon en apprenait un peu plus sur son compagnon de chambre. Le jeune homme passait ses journées entières à observer et filmer les moindres faits et gestes de ce dernier. Une poignée de baies achetée à la localité "suffisait" à le nourrir - ce vorace en demandait toujours plus à chaque fois -.

Un mois s'écoula, puis un deuxième et s'ensuivit d'un troisième : c'était lors d'une journée au ciel dégagé que le Griknot s'approcha de lui pour la première fois. Sa caméra en mains, le pokémon se dandinait devant celui-ci : un intérêt pour l'appareil aux parties étincelantes, semblait-il. Sa main, d'abord hésitante, se posa délicatement sur la tête du petit garnement qui leva instinctivement les yeux au-dessus de lui. Le caresser ne semblait pas lui déplaire et sa réaction paraissait mimer une sorte de contentement notamment à travers ce léger rictus qu'il arborait à chaque frôlement contre sa peau.

— Au final, t'as pas l'air bien méchant..

Bête, créature... Un nom se devait d'être trouvé pour cet être malicieux. De ses petits bras potelés, le Griknot déroba la caméra des mains du jeune homme : un objet de plus dans sa collection. De nouveau recroquevillé au fond de son terrier, Suh-joon se mit à l'appeler.

— Yepee, Taeyang, Shiro ? Saja... strictement aucune réaction de la part du terrequin, ainsi il poursuivit Haru ? Wain ! Makki, Minki...

Le jeune Griknot pointa soudainement le bout de son nez, fixant le jeune homme de ses yeux globuleux.

— Eh bien, va pour Minki !


Voilà bien quatre mois que Johnny avait fêté son vingt-et-unième anniversaire - oui, Johnny, un surnom que les habitants locaux lui avaient collé -. Il avait, depuis l'an passé, entamé quelques travaux de restauration au sein de son logement, travaux qui se poursuivent encore aujourd'hui - faut s'dire que Minki aimait saccager l'mobilier -. Qu'en était-il de ses études, vous dites ? L'année de césure avait abouti à un arrêt total de ces derniers et le jeune homme ne comptait pas les reprendre dans ses projets futurs. Une résolution des plus irritantes pour ses deux parents, en effet, mais qui néanmoins finirent par l'accepter avec le temps.

Le riverain s'intéressait de plus en plus à ces drôles de créatures qui peuplaient son monde et avait eu l'occasion de s'entretenir à nouveau avec le Professeur Baobab.「Dresseur」 — mh, ce n'était pas le mot que Suh-joon avait en tête pour décrire sa situation actuelle, et plus particulièrement sa relation à l'égards de son jeune ami. Compagnon serait bien plus approprié, ouais, ça sonne plutôt bien :

— Compagnon.