Astelle était dans la panade. Littéralement.
Du bout d’un gros bâton, elle touillait dans la boue. Quoique dire qu’il s’agissait juste de boue était assez réducteur. Est-ce que le Tadmorv était juste une flaque de boue ? Le Miasmiasme, un tas de déchets ? Le Tropius, un simple régime de bananes ?

Non. De fait, Astelle ne touillait pas juste dans de la boue.
C’était plus compliqué. C’était plus tortueux. C’était beaucoup plus effrayant.
Il y avait un tel magma de matières composites à l’intérieur de ce trou qu’on aurait su dire s’il s’agissait vraiment de boue. Est-ce que la boue était verte parfois ? Et veinée de petites particules noires suppurantes ? Et de grosses bubulles foisonnantes ? Qui tournaient toutes ensemble dans un lent mouvement de vortex, tel le contenu du chaudron cauchemardesque d’une Sorcilence des enfers ?

Non, dans ce trou-là, il n'y avait pas que de la boue.
Le problème d'Astelle, c'est que ce qu’elle cherchait se trouvait quelque part à l’intérieur de ces abysses molles et dégoulinantes.
Ramenant son gros bâton, le sourire de la jeune fille vacilla un peu. Depuis le début, elle avait repêché une Vieille Thermos (elle n’avait pas voulu l’ouvrir, rien qu’une bouffée de l’odeur avait suffi à lui donner le vertige), une Canne-à-pêche (il paraît qu’on en trouvait un peu partout, à Lumiris), et même un Magicarpe agonisant (qu’elle s’était dépêchée de transporter jusqu’au petit lac, en bordure du chemin).

Son "butin" reposait sagement au bord du Trou.
Sauf le Magicarpe tacheté de boue, qui faisait énergiquement trempette dans le lac, un peu plus loin.

Ses efforts ayant été vains, Astelle commençait à se décourager, et à redouter de devoir en arriver à une solution plus extrême.
— …je devrais peut-être essayer de plonger ma main, là-dedans… ? murmura-t-elle d'une voix songeuse.
Au cas où vous ne vous en doutiez pas : c’était la plus mauvaise idée du siècle. Un coup à attraper la gale. Le Pokérus. Et qui sait quelle autre maladie exotique ! Si elle avait pu voir que son adorable petite nièce envisageait de mettre les doigts et de trifouiller dans ce trou immonde, Tata Ombline se serait sûrement évanouie sous le choc ! Heureusement, Tata Ombline n'était pas au courant, et tant que personne n'irait cafter, Astelle ne se ferait pas tirer les oreilles.

Par la grâce du destin, c’est à ce moment critique (Astelle commençait déjà à remonter la manche de sa veste d'uniforme) que d’un côté et de l’autre du chemin, deux visiteuses firent leur apparition. Avisant l’une et l’autre de ces jeunes femmes, la petite postière pataugea jusqu’au bord du gouffre pour les interpeller toutes les deux, en levant très haut son bâton.

— Excuuuuuusez-moiiiiiiii ! Est-ce que vous voudriez bien me donner un petit coup de main ? appela-t-elle d’abord à droite, puis ensuite à gauche. …quelque chose est tombé dans la boue, et, euh… c’est assez dégoûtant !

~ Demande d’apparition de pokémon ~

A sa gauche, une damoiselle de bonne famille en fauteuil-roulant, accompagnée d’une élégante Gardevoir.
A sa droite, une fille des îles cuivrée par le soleil telle qu’on en voyait dans les publicités PromoVacances pour Alola.  

Face à ce public inattendu (et soutien inespéré), c’est dans un grand geste circulaire qu’Astelle ramena son bâton tout englué de gadoue sur son épaule (forçant tout ce petit monde à baisser la tête au passage). La jeune fille toussa dans son poing pour se donner une contenance, puis, elle dressa d’autorité un index sous le nez des deux visiteuses.
— Ah non-non-non ! Cette fois, c’est pas ma faute ! (Je vous assure !) Moi, je n’ai rien perdu du tout ! Et je n’ai rien fait tomber non plus !

La petite postière fixa intensément du regard l’une et puis l’autre de ses interlocutrices. Manifestement, il était vital à ses yeux qu’elles soient bien au courant que cette affaire ne relevait pas de sa responsabilité. Au cas où on les appellerait à témoigner, un peu plus tard.

— Figurez-vous que c’est une sacrée drôle d’histoire. Laissez-moi vous expliquer.
La jeune fille commença à rabaisser la manche de sa veste d’uniforme. C’était un signe qu’elle était bien décidée à embarquer les deux visiteuses dans cet embrouillamini… Elle n’était plus toute seule pour se salir les mains, après tout. Si Iris et Kiana avaient eu un tant soit peu d’instinct de survie, sûrement auraient-elles prétextées avoir du Lait Meumeuh sur le feu, afin de s'éclipser au plus tôt.
Si elles ne voulaient pas se retrouver empêtrées jusqu’au cou dans cette histoire… c’était leur tout dernier espoir.

Trop tard ! Véritable petite mitraillette, Astelle ouvrit le feu.
— Avez-vous rencontré le directeur du parc ? (Non ? C’est une chance. Vous allez comprendre pourquoi.) C’est le monsieur à la moumoute qui habite juste à côté de l’entrée. Comme je livre souvent le courrier ici, j’ai l’habitude de le saluer avant de commencer un safari. Et quand il rencontre une jeune fille, il a toujours cette habitude un petit peu dégoûtante de décrocher son dentier en or et de le faire claquer à la main, pile devant votre visage, comme pour vous faire peur ! (…j’avais prévenu. A l’avenir aussi, essayez de ne pas vous attarder devant sa maison quand vous entrerez dans le parc.)

Riche dans ses intonations, furtive dans ses apartés, rigolote dans ses mimiques. Il y avait un rythme doux et pétillant dans la voix d’Astelle. Les histoires filaient sur ses lèvres comme un fleuve suit son cours. Une fois happé, c’était toujours un petit peu difficile d’émerger avant la fin du voyage.

— Ce matin encore, il a recommencé ce petit manège cracra avec moi, grommela-t-elle en gonflant les joues. Sauf que ce qui devait arriver arriva ! A force de faire le malin, son râtelier doré a reflété les rayons du soleil, et une Cornèbre est passée en piqué pour lui chiper ses chicots d’or !

— C’est à ce moment-là qu’il m’a dit, je cite : « V’ai perlu mon fenfier ! Letloufe-le poul moi ! »

— Vu l’usage (pas très reluisant) qu’il fait de son râtelier au quotidien, je dois avouer que j’ai sincèrement pesé le pour ou le contre. Après tout, c’était l’occasion rêvée de mettre fin à son règne de terreur ! Mais ce pauvre monsieur Lamolof aime vraiment beaucoup manger, et quand il ne joue pas avec son dentier, il m’offre souvent du chocolat et des cookies ! Le condamner à ne manger que de la soupe et des milkshakes jusqu’à la fin de ses jours… ce serait vraiment trop cruel ! Et puis, s’il n’a plus de dents pour les mâcher, il n’aura plus de raison de les préparer, ces cookies ! Et alors, on est tous perdants dans l’histoire !

Le petit ventre-sur-pattes opina très sérieusement à ses propres paroles, certaine que ses interlocutrices comprendraient que dans la vie, la justice se trouvait toujours du côté des cookies. Question de principes.

— J’ai donc suivi la trace de la Cornèbre voleuse de chicots jusqu’ici, où dans sa précipitation à me semer, elle s’est cognée contre un Békipan qui revenait de sa pêche. Patatra ! Le Magicarpe qu’il avait gobé dans son bec est tombé pile dans l’étrange trou dégoûtant que vous voyez derrière-moi (…ah, mais je l’ai aidé à déménager depuis, ne vous inquiétez pas). Quant au Dentier en Or…

— …il était vraiment-vraiment cracra, alors pour ne pas le toucher avec les mains, j’ai ramassé ce bâton que vous voyez, expliqua Astelle en agitant son gourdin. Je cherchais comment le soulever du bout de la perche, quand la Cornèbre est revenue à la charge ! (Deuxième round !) Et dans un moment de légitime défense (et de panique), ben, euh, j’ai involontaire utilisé mon bâton comme un club de golf, et j’ai swingué dans le dentier… qui a tracé un joli arc de cercle… frappé la Cornèbre en plein bec… et tous deux ont plongé tout net dans le trou.

…

…

…

Astelle détourna le regard avec un air coupable.

— Bon, d’accord ! C’est peut-être un tout petit peu de ma faute ! Mais vous avez déjà fait du golf ? Quand on commence un swing : la hanche, elle part toute seule ! C’est ça, la magie du sport !

Astelle Dumas, la fille du meunier de Kishika.
…était un vrai petit moulin-à-paroles.

— …mais je veux bien que vous essayiez de le récupérer, oui ! Le dentier, et pis… la Cornèbre aussi, parce que c’est inquiétant qu’elle ne soit toujours pas remontée… Si vous y parvenez, je suis sûre que directeur nous fera des cookies !

~ Tentative de Capture du Théfroi ~

Les yeux de Gardevoir étincelèrent du bleu très pur de l’attaque Psyko. Captivée, Astelle observa la damoiselle Pokémon, qui maniant cette curieuse force invisible, sondait les profondeurs du gouffre boueux. Des remous terribles agitèrent la surface du trou, qui recracha soudain une Cornèbre dégoulinante !

— Uwaaaah ! Vous êtes trop forte, madame Gardevoir ! s'exclama la petite postière avec entrain. Vous pourriez retrouver mes chaussettes égarées dans le lave-linge, aussi ? J’ai toujours la moitié d’une paire qui a tendance à disparaître…

Après un petit passage au Gobou-lavage, la Cornèbre fut propre comme un sou neuf. S’ébrouant les plumes, elle jeta un regard agacé à Astelle, qui leva sa perche en position de défense !
— Eho ! C’est toi qui m’a attaquée la première ! J’ai paniqué, et, euh… le birdie* était accidentel ! …mais je suis vraiment désolée… et vraiment-vraiment-vraiment contente qu’on ait pu te repêcher, termina la jeune fille d’une toute petite voix.  

*Birdie : terme de golf, quand on met la balle dans le trou. Ou la Cornèbre dans le trou.

Poussant un cri d’avertissement strident, le pokémon oiseau s’envola à tire-d’aile.
— Ouf ! soupira la golfeuse improvisée, en abaissant son bâton. J’ai bien cru qu’on était parties pour un Mulligan…

*Mulligan : terme de golf, possibilité de rejouer sans pénalité, si le coup est jugé médiocre. Ou si la Cornèbre ressort du trou.

Astelle se retourna vers le dentier en or, que la Gardevoir avait également arraché aux profondeurs. Il était absolument dégoûtant. Avec un sourire figé, la jeune fille parvint à lui ouvrir les mâchoires pour l’enfiler au bout de sa perche (ben, oui, s’il y avait moyen d’éviter d’y mettre les doigts…). Mais au moment de soulever le râtelier du sol… la boue s’y accrocha. Avec une main.
— Aaaaaah ! Elle est VIVANTE !

Non, c’était juste un Tadmorv d’Alola. Un peu mélangé aux matières composites (et verdâtres) du trou, qui devait lui servir d’antre. Et il semblait s’être pris d’affection pour cet affreux accessoire clinquant, car suspendu à la perche, le pokémon… avala le dentier en or, comme pour s’en chausser.

La situation devenait critique.
Voilà qu’émergeant du trou, un Tadmorv aux dents d’or faisait falloir son droit du « qui trouve garde ! » Mais sans récupérer le dentier pour le ramener au gardien, Astelle et ses vaillantes comparses pouvaient faire une croix sur les cookies de récompense !

Prête à réagir au quart de tour : Astelle se cacha derrière Kiana, puis cacha Kiana derrière Gardevoir !
— Astelle Dumas, stagiaire à la Dracoposte de Sunyra ! répondit précipitamment la petite postière, tout en attrapant Kiana par les épaules, pour l’abriter derrière le pokémon Psy.

Chose faite, et sans faire mine de s’impliquer dans un éventuel combat, la jeune fille lança des encouragements à distance prudente !
— C-courage, madame Gardevoir ! Ne vous laissez pas aveugler par ses chicots rutilants ! Nos cookies dépendent de votre victoire !

~ Deuxième Safari Ball sur le Théfroi ~

Nous nous refusons à décrire en détail les effets graphiques d'un Pouvoir Lunaire sur cet innocent Tadmorv.
(Utilisez votre imagination. Rappelez-vous, quand vous avez fait pour la première fois de la peinture en maternelle.)

— Ouch… pauvre Tadmorv... Atomisé par le pouvoir massacrant de l’amour.
Avec une grimace de commisération, la petite Astelle pria pour l’âme du pokémon édenté, tandis que celui-ci  s’écoulait sous la forme d’une rivière suintante en direction de l’affreux trou qui l’avait vu naître. Après quoi, récupérant le Dentier en Or au bout de sa perche, la jeune fille s’exclama dans un geste triomphant :

— …mais dans la vie, il y a des sacrifices auxquels il faut savoir consentir ! …du coup, merci Tadmorv pour ton sacrifice ! Et maintenant, à nous les cookies !

La damoiselle en fauteuil-roulant était néanmoins en pleine tentative de capture. Peut-être aurait-il été plus poli d’attendre que…?
…naaaaan…
Avec un sourire malicieux, Astelle s’élança en courant à la poursuite du Flabébé, qui esquivait les pokéballs et dansait au gré du vent. Avec de vrais réflexes de petite sportive (ne jamais sous-estimer la coordination d’une joueuse de baseball !) et tout son élan, la petite postière sauta dans les airs pour cueillir le pokémon au vol.

Retombant comme une fleur (et c’est le cas de le dire), la jeune fille se rapprocha d’Iris en rougissant d’un air embarrassé.
— …désolée, ce n’est pas très courtois de ma part d’interférer avec votre capture, mais… vous venez de m’aider à deux reprises, alors je me suis dit… que vous accepteriez peut-être que je vous aide –  au moins une fois – en retour… ?

Avec un sourire timide, Astelle offrit le Flabébé à Iris.
Les mains en coupe, comme on offre une fleur.

C’était adorable de sa part, n’est-ce pas ?

— …et puis comme ça, on peut commencer à rejoindre la maison du gardien ! C’est que les cookies ne vont pas s’enfourner tous seuls, vous comprenez ?

Ah, non… oubliez ce que je viens de dire…

— Au revoir ! Merci pour le coup de main !
Astelle observa le départ de la jeune insulaire avec un petit sourire triste. C’était un petit peu dommage.
Les cookies, c’était bon.
Mais quand on les mangeait tous ensemble, c’était encore meilleur.

— Mais j'ai été ravie de vous rencontrer ! J'espère qu'on se recroisera, un jour.
— Peut-être la prochaine fois que vous aurez du courrier ! répondit la petite postière, qui de loin, lui faisait de grands signes de la main.

Après quoi, c'est avec un petit sourire malicieux que la jeune fille se retourna vers la dénommée Iris et vers la Gardevoir qui l'accompagnait.
— Je crois bien que ça fera plus de cookies pour nous ! Allons rendre cet affreux dentier à son affreux propriétaire !

La perche sur l’épaule, Astelle cala son rythme de marche sur celui du fauteuil-roulant. Légèrement troublée, elle se demandait si elle devait proposer de le pousser, ou au contraire, la précéder sur le chemin pour lui faire de la place, ou alors, ne pas s’en soucier du tout, et juste cheminer à ses côtés.
Pour le moment, elle n’osait pas poser la question, mais la jeune fille lançait de petits coups d’œil furtifs à Iris, afin d’étudier sa réaction.

— …est-ce que vous savez comment vous aller appeler le Flabébé ? Je me demande quelle est la fleur qu’il chevauche… une marguerite, un cosmos ? C’est peut-être un Iris, qui sait ! s’interrogea tout haut la petite postière, qui avait simplement commencé à dire tout ce qui lui passait par la tête… avant de trouver l’occasion de faire une petite plaisanterie.
Les joues toutes roses, elle fit un clin d’œil à la demoiselle qui l'accompagnait, se demandant si son humour ferait mouche... ou ferait flop.