Poum-Poum Tchaa-Tchaa !
Petit moment de féerie. La princesse est rattrapée au vol par son prince charmant… et puis elle le dégomme comme un véritable boulet de canon ! Patatra ! Avec un hoquet de surprise, Manon est couchée par l’impact ! Et en plus, elle se cogne durement la tête contre le rebord du bateau !

Manon est K.O. Elle ne peut plus se battre.
Voulez-vous envoyer un autre pokémon ?

— Oui
— Non <<<

Pendant plusieurs secondes, Astelle vit des petites étoiles. Le monde lui paraissait tanguer… ce qui n’était pas si improbable, surtout quand on s’écrasait lourdement au fond d’une barque. Franchement, dans sa tête, ce n’était pas exactement comme ça qu’elle avait visualisé la scène…
Ceci dit, vu la violence de l’impact, elle s’en tirait mystérieusement indemne.

Enfin… plus ou moins mystérieusement indemne :
— C’est mou… marmonna la petite postière avec un air un peu revêche.
Vraiment très mou. Le jour de la distribution de rembourrage, il y en avait une qui avait vraiment tout raflé, sans en laisser une miette pour les copines.

— T'es quand même une brute quand tu veux ...
— Oh ! Non… pardon, Manon ! Je t’ai fait mal… ? Je… je pensais que tu me rattraperais au vol, facilement, mais…
En se jetant dans ses bras à une telle vitesse…?
Dans son esprit, ç’aurait dû être beaucoup plus amusant qu’une grosse gamelle.
Elle avait vraiment été idiote… Toute confuse, la jeune fille se fit toute petite, et n’osa plus bouger.

Ceci dit, la soulevant effectivement comme si elle ne pesait rien, Manon la réinstalla doucement sur le banc, et avec un petit rire de gorge qui semblait se moquer de la douleur, son amie lui ébouriffa affectueusement la casquette. Comme elle le faisait toujours. Astelle sentit un sourire timide s’inviter sur ses lèvres. Manon s’était fait mal pourtant… mais elle prétendait que tout allait bien.
Elle faisait toujours ce genre de choses…

Astelle aurait bien voulu être aussi forte.

— Ceci dit, j'ai adoré comment qu'tu t'es appropriée le gage ! C'est réussi. C'était beaucoup plus cool et impressionnant que j'imaginais.
— On… on peut faire tellement de choses avec les Capacités des Pokémons… ! s’expliqua Astelle d’une petite voix pleine d’excitation. E-et… et Mini-senpai sait naturellement manipuler le feu, l’eau, la glace et la foudre ! J’ai commencé à m’entraîner avec lui pour… pour le Concours Pokémon, tu sais… ? Et j’ai tout plein d’idées à essayer !

Tout en parlant, la jeune fille agitait les bras, et ses vêtements dégoulinants faisaient « splocht-splocht ».
La douceur de la brise la fit frissonner.

— J't'avais prév'nu pour tes habits, maint'nant t'as plus qu'à attendre qu'ça sèche et choper entre temps la crève. Ahlalalala !

Le temps que le soleil sèche ses vêtements, Manon commença à fourrager dans ses affaires en proposant de prendre le goûter, mais la petite postière en profita pour faire demande insolite.

— Ah… Hum ! Ma-Manon… ? Avant ça… est-ce que tu voudrais bien te retourner…
...pendant que je retire mon uniforme… ? Tu ne regardes pas, hein !

Les joues brûlantes, la moue boudeuse, Astelle soutint le regard de son amie avec détermination.
Jusqu’à ce que celle-ci détourne les yeux, et se consacre à la préparation de leurs boissons.

— Tu… tu ne triches vraiment pas, hein ! Je te fais confiance… ! piailla la jeune fille en faisant difficilement descendre son pantalon d’uniforme mouillé.
Avec un grognement d’effort, elle essora le vêtement par-dessus bord, puis passa à sa chemise, qu’elle déboutonna en faisant les Groz’Yeux dans le dos de Manon.
A peine eut-elle retirée son haut que c’est avec la fulgurance d’une Vive-Attaque qu’Astelle s’enveloppa dans sa serviette de bain ! Elle s’assura ensuite de bien l’ajuster de manière à être couverte des épaules jusqu’aux cuisses, et essora également sa chemise et sa casquette, avant de bien étaler ses habits sur la poupe du navire pour qu’ils sèchent plus vite.

Mini-senpai vint paresseusement s’installer dans le creux formé par la serviette, sur ses cuisses.
Du bout de l’index, Astelle lui caressa le dos avec tendresse.

— C’est… c’est bon, lâcha-t-elle enfin.
Bras croisés, jambes serrées, les yeux mettant subtilement Manon au défi d’oser lui faire un commentaire : Astelle était prête à braver le regard de son amie.

Laquelle commença par lui demander quel serait son choix de boisson ; la jeune fille poussa un discret soupir de soulagement… mais elle ne devait pas se relâcher ! …peut-être que Manon faisait ça simplement pour qu’elle relâche sa garde, avant de…
Avant de…

…avant de quoi, au fait ? Elle n'en avait aucune idée.
Le comportement parfois provocateur et agressif de son amie demeurait pour elle un grand mystère. Et Astelle était fascinée par les mystères !

— Tu… tu sais bien que je te demanderais toujours le jus de Baie Mago, avec deux pailles ! répondit-elle avec un sourire, avant de continuer en aparté. Même si je connais une meilleure amie qui a cru que la deuxième paille était pour elle, et pas pour Mini-senpai !

Il n’y avait pas de pailles, mais Astelle accepta avec plaisir la canette de jus de fruit que son amie lui envoya. Elle la rattrapa maladroitement, par à-coups, en manquant de peu de perdre sa serviette et de laisser tomber la boisson au fond du bateau.
— Fiouu… soupira la jeune fille tout en jetant un petit regard boudeur à Manon, qui avait vraisemblablement voulu l’embarrasser.

La petite postière déboucha sa canette, puis fit prendre à Mini-senpai une mini-gorgée, avant d’y poser les lèvres à son tour. Réjouie par sa proposition de partager les boissons, elle releva la tête vers Manon.
— Je t’échange volontiers un peu de jus de fruit contre un peu de ta bibine ! Je serais curieuse de savoir ce que tu bois !

À l'annonce d'Astelle, mes sourcils se haussent. Ne pouvant pas rester mouillée, la demoiselle va devoir se dévêtir et il ne faut pas la reluquer au risque de la mettre mal à l'aise. Sans broncher, je me mets dos à elle en tirant sur ma cigarette avant de répondre avec mollesse :

« Ok, ok, j'mate pas. »

En attendant, j'ouvre ma canette en écoutant le doux son métallique et de l'air qui s'expulse. Soudain, la mousse jaillit comme un volcan ne manquant pas de tremper ma jupe.

« Rho merde ! »

Au point où j'en suis, ce n'est pas très grave : le soleil va sécher tout ça et la tâche est à peine visible. Juste à temps, je porte la boisson à mes lèvres en aspirant le liquide débordant.

« Tu … tu ne triches vraiment pas, hein ! Je te fais confiance … !
- Ouais ouais t'inquiètes pas. »

Un soupir s'échappe malgré moi de ma bouche. Je comprends qu'elle ne veuille pas dévoiler son corps mais insister sur ce fait me donne l'impression d'être une perverse indigne de confiance. Je bois un coup avant de questionner Astelle :

« Comment tu f'sais quand t'avais piscine à l'école ? »

Puis, en y réfléchissant, ma mine devient déconfite. Je lui demande d'une toute petite voix :

« ... On s'est déjà moqué de toi, de ton physique ? »

Mes yeux se dirigent vers le ciel, quelque peu pensive. Au même moment, mon pied rencontre le petit oeuf caché sous le banc bien à l'ombre. Après avoir posé ma canette sur le banc, j'embrasse le poupon avant de le caler entre deux plaids.

« Voilà, tu s'ras mieux là mon grand. »

Enfin changée, la brunette m'autorise à me tourner. J'énonce une nouvelle fois les différents choix qui s'offre à elle.

« Tu … tu sais bien que je te demanderais toujours le jus de Baie Mago, avec deux pailles ! Même si je connais une meilleure amie qui a cru que la deuxième paille était pour elle, et pas pour Mini-senpai ! »

Je ricane de plus belle avant de lui balancer la canette.

« D'solée j'suis éco-friendly, j'achète pas de paille donc t'vas devoir faire des bisous indirects avec ton pokémon. »

J'offre un clin d'oeil malicieux à mon amie avant de me réinstaller confortablement dans le bateau. Je fume une dernière fois mon mégot avant de l'écraser dans mon cendrier et choper ma bière. C'est alors qu'Astelle me propose un échange amusant :

« Je t’échange volontiers un peu de jus de fruit contre un peu de ta bibine ! Je serais curieuse de savoir ce que tu bois ! »

J'accepte avec enthousiasme en trouvant le courage de quitter ma place cosy pour me pencher vers mon amie.

« Tiens bois ça ! Tu devrais apprécier, c'est aux Baies rouges, c'est frais et pétillant. »

Je saisis sa boisson en me délectant du nectar de Baie Mago. Son onctuosité et ses notes sucrées m'incitent à en reprendre mais il ne faudrait pas voler le jus de fruit d'Astelle et de Mini-Senpai au risque de les décevoir. Nous récupérons alors nos boissons respectives avant de retrouver nos places.

« Il est super bon l'jus Mago ! J'comprends pourquoi tu t'entiches pour cette boisson. »

Avant deux trois foulées de ma bibine, j'interroge ma copine :

« Et toi, t'as aimé ? »

J'esquisse un sourire des plus tendre.

— ... On s'est déjà moqué de toi, de ton physique ?

Le souci qu’elle perçut dans cette question la prit au dépourvu. Entendre cette petite voix, de la part de Manon, faisait jaillir comme un grand torrent de tendresse dans son cœur. Son amie lisait un petit peu entre les lignes, mais non, elle n’y était pas.
— Non, Manon. Les gens… sont gentils avec moi, rassura-t-elle la jeune femme, quoique sa voix parut un petit peu lasse.

Plutôt que de s’appesantir sur le sujet, c’est avec plaisir qu’Astelle goûta l’une et l’autre des deux boissons. La bière aux Baies Rouges chatouilla sa langue de son acidité, et lui piqua même un peu le nez. C’était un goût un peu fort pour son palais inexpérimenté, mais avant que Manon ne puisse lui reprendre la canette, elle chipa une deuxième gorgée du breuvage !
La petite postière sentit une douce chaleur se répandre dans son corps. C’était une sensation à laquelle elle pourrait bien s’habituer…

— Il est super bon l'jus Mago ! J'comprends pourquoi tu t'entiches pour cette boisson.
— Ooooh ? Je vois que toi-aussi tu aimes ça, persifla une Astelle polissonne en voyant les lèvres de son amie quitter la canette de jus de Baie Mago. Les bisous indirects...
La jeune fille lui sourit.
— …avec Mini-senpai.
— Pyon ! déclara avec confiance le dragon rose sur ses genoux.

— Et toi, t'as aimé ?
Voyant qu’on lui retournait immédiatement la question, Astelle se dégonfla un petit peu.
C'est qu'elle taquinait bien plus volontiers qu'elle ne se laissait taquiner elle-même ! Cette petite chipie.
— O-oui… répondit-elle en perdant un peu de son aplomb, avant de repartir à l'attaque ! …mais du coup, je ne sais pas quel goût ça a : sans le bisou indirect. C’est moins bon, tu crois ? Est-ce que tu serais un aussi bon exhausteur de goût que Mini-senpai ?

Toute rouge, et complètement empêtrée dans sa propre plaisanterie, Astelle se dissimula derrière sa canette, qu’elle vida cul-sec ! S’attirant un « pyon… » de protestation du Minidraco, qui en aurait bien bu une lampée ou deux de plus.



Heureusement (pour elle !), l’échange de taquineries ne dura pas toute l'après-midi.
Le vent provoquait un léger mouvement de balancier sur le bateau, qui berçait ses occupantes, comme une invitation à se prélasser au soleil. Imitant la posture nonchalante de Manon, Astelle étendit ses jambes. En clair, elle se vautra.

Dans cette position plus confortable, elle dévorait le gâteau roulé au miel qu’elle avait découpé en deux, puis partagé avec son amie au préalable.

Achetée à la boulangerie ce matin, la pâtisserie utilisait du miel d’Apitrini et de la farine de blé qui provenaient tous les deux de Kishika ! (Et du moulin de son papa !)

Astelle avait demandé une nouvelle boisson à Manon, pour échanger de nouveaux bisous indirects avec Mini-senpai, qui devait avoir mal à la gorge après ces tirs de Laser glace et d’Ouragan.

Entourée par l’eau calme. Baignée par le soleil. Dévorant des sucreries en compagnie de sa meilleure amie, Astelle vivait un petit moment de paradis.
Et puis, elle ne sut pas vraiment ce qui lui prit.
Peut-être est-ce simplement le silence qui décida Astelle. Ou ce sentiment d’intimité, seule au beau milieu du lac avec la personne qui la connaissait le mieux. La personne à qui elle pouvait tout dire, sans hésiter, et sans peur d’être jugée. Peut-être est-ce parce que c’était Manon qui la regardait, et que dans ses yeux bruns brillaient une tendresse particulière, qui mettait son cœur au repos.
— …les gens me disent rarement des choses blessantes… volontairement, s’entendit-elle prononcer tout haut.

Les paroles restèrent en suspens dans l’air. Hésitantes, un peu fragiles.
Astelle s’adossa plus confortablement, et croisa les bras sur le corps de Mini-senpai.
— C’est normal. Ils ne se rendent pas compte que leurs compliments, leurs petites attentions, leurs gestes d’affection… tous ces traitements de faveur que je ne supporte pas… sont ceux qu’on adresse à une enfant.
Elle se mordit les lèvres. Une fois prononcées à voix-haute, ses préoccupations semblaient aussi enfantines qu’elle le craignait. Pourtant, elle rassembla son courage pour continuer.
Manon n’allait pas se moquer.

— Mais je ne suis pas une petite fille… ou même la nouvelle mascotte de la Dracoposte… Je ne veux pas m’entendre répéter que je suis petite, mignonne ou adorable. Pas à tout bout de champ…
Honteuse de se plaindre d’être « trop appréciée » par ses pairs, ses joues s’étaient enflammées.
Toutefois, la déclaration qui suivit sonna d'une voix claire dans le silence du lac.
— Je suis une femme, et j’ai dix-sept ans.
Mais il y avait toujours cette pointe d’amertume, dans les yeux et dans le pli des lèvres d’Astelle.
Sans cesser de parler, la jeune fille joua pensivement avec le revers de sa serviette. Comme si elle songeait à s’en débarrasser.
— …mais si je me déshabillais, là tout de suite, et que je me levais pour faire coucou à tous les visiteurs du parc qui longent le bord du lac… en nous voyant ensemble, ils se diraient simplement : « Oh ! Si c’est pas mignon de voir la sœur emmener son petit-frère faire un tour en bateau ! »

Astelle releva les yeux vers Manon. Son sourire avait un petit quelque chose d'amer, qui lui donnait du mordant.
— …mais eux, à la rigueur, ils peuvent penser ça. Ils en ont le droit.
…mais pas toi, déclara la jeune fille en resserrant la serviette autour de ses épaules, dans un geste presque agressif. Toi, tu n’as pas le droit.

La brunette semble apprécier la boisson mais me pose une drôle de question :

« … mais du coup, je ne sais pas quel goût ça a : sans le bisou indirect. C’est moins bon, tu crois ? Est-ce que tu serais un aussi bon exhausteur de goût que Mini-senpai ? »

Prise d'un éclat de rire, je lui réponds en jouant son jeu :

« Sans aucun doute, c'est le meilleur extracteur de goût. C'est sûrement ça qu't'as aimé. »

Je tire la langue à mon amie avant d'engloutir quelques goulées de bière. En me réadossant à la barque en expirant un grand sourire de satisfaction. Le silence qui suit nous permet d'apprécier la tranquillité du parc tout en étant bercées par les flots. Mes yeux se ferment un instant et mon nez inspire profondément l'air pur du lac, un vrai bonheur depuis qu'il n'y a plus le Pijako pour gâcher notre moment de détente.

Ma canette se vide à une vitesse lumière et l'alcool réchauffe mon corps et mon esprit. Alors que je m'apprête à prendre une nouvelle bibine, Astelle me propose un morceau de gâteau. C'est l'heure du goûter sucré !

« Mmh bordel c'est trop bon ton machin ! Tu l'achètes au supermarché ? »

La salive au coin de la lèvre et les yeux qui brillent, je déguste ce biscuit moelleux imbibée de miel avec passion. Le goût de l'encas me rappelle étrangement mon enfance alors que je suis persuadée d'en avoir jamais goûté. J'offre à Astelle sa deuxième boisson de baie Mago avant de dévorer le reste de ma friandise. Soudain, mon amie brise le silence en se confiant.

« … les gens me disent rarement des choses blessantes … c’est normal. Ils ne se rendent pas compte que leurs compliments, leurs petites attentions, leurs gestes d’affection … tous ces traitements de faveur que je ne supporte pas … sont ceux qu’on adresse à une enfant. »

Mes bras et ma tête se posent sur la banquette en bois, les mirettes fixant avec attention la brunette. Cette dernière grimace, n'appréçiant définitivement pas être prise pour une mascotte ou une gamine par son entourage. Je comprends sa volonté de vouloir s'affirmer telle qu'elle est, ça n'a pas été facile pour moi aussi d'être reconnue par mes pairs. Plus jeune, mes airs d'enfant innocent m'ont décrédibilisé et j'ai dû me battre pour être reconnue telle que je suis.

«  Je suis une femme, et j’ai dix-sept ans. … Mais si je me déshabillais, là tout de suite, et que je me levais pour faire coucou à tous les visiteurs du parc qui longent le bord du lac … en nous voyant ensemble, ils se diraient simplement : « Oh ! Si c’est pas mignon de voir la sœur emmener son petit-frère faire un tour en bateau ! » »

Je ne peux m'empêcher de rigoler : l'image que j'ai de la situation est beaucoup trop marrante. Ceci dit, c'est triste de voir la jeune fille aussi complexée sur quelque chose qui n'a pas lieu d'être.

« … mais eux, à la rigueur, ils peuvent penser ça. Ils en ont le droit. … Mais pas toi, toi, tu n’as pas le droit. »

Mon rire devient provocateur et mes yeux aguicheurs. Je me redresse en m'appuyant sur l'assise les mirettes rivées sur mon amie puis son visage.

« Et si j'te prends là maintenant tu crois qu'ils vont t'considérer comme une gamine ? »

Maudis soit l'alcool qui me rend plus dévergondée et idiote que d'habitude. Je hausse les sourcils en prenant des airs faussement pervers avant d'éclater de rire. J'essaie de rattraper ma bêtise en espérant qu'Astelle ne pige pas le sens du verbe "prendre".

« J'rigole évidemment. Mais juste, t'inquiètes, à mes yeux t'es pas une gosse et j'comprends parfaitement tes sentiments parce que moi aussi j'ai dû m'affirmer pour m'faire respecter. »

Je chope enfin ma canette avant de la boire devant ma copine.

« Hm ... , je déglutis ma gorgée avant de parler, mais est-ce que tu as dis à ces gens qui t'infantilisent ce que t'ressens comme tu viens d'l'faire avec moi ? »

Je pose ma caboche sur ma main, en regardant le ciel.

« T'sais parfois les gens y pensent bien faire alors que c'est tout le contraire, sauf que eux ils peuvent pas savoir puisqu'ils pensent bien faire ... Alors il faut leur en parler. Si ce sont des gens qui t'aiment, ils devraient pouvoir t'écouter sans jugement. »

J'avale une énième gorgée d'alcool, prête à écouter la réponse d'Astelle avec sérieux.

La question fit vibrer quelque chose en elle. Un malaise agréable lui contractait l’estomac.
Sur son visage, les rougeurs qui commençaient à s’estomper refleurirent de plus belle.

Le rire de Manon était une musique chaude et envoûtante.
Ses yeux, deux braises, qui lui mettaient le feu aux joues.

Mais en dépit de ces sensations inédites qui la faisaient trembler… Astelle était touchée.
Elle ne voyait que la gentillesse qui se cachait derrière ces paroles osées. Laissant Mini-senpai se prélasser sur le banc, la jeune fille se leva dans un mouvement mal assuré. A pas mesurés, elle franchit courageusement la distance qui la séparait de Manon. Chaque pas semblait vaincre une hésitation.

Debout face à son amie, drapée dans sa serviette, elle baissa sur la jeune femme un regard timide.
Était-ce son imagination si elle voyait soudain de l’inquiétude briller dans les yeux de Manon ?
Astelle se pencha délicatement vers elle.
D’une main, elle prit appui sur son épaule, et…
— Hop !
…s’installa en amazone sur ses genoux.

Elle prit la parole. Le rose ne quittait plus ses pommettes. Sa voix était un murmure suave.
— Si tu faisais « ça »… on écoperait d’une amende de 3000p$ pour tripotage en lieu public. Ni toi ni moi n’avons les moyens de payer autant !
Léger gloussement de poképoulet. Le sourire d’Astelle, déjà doux… se fit plus sucré encore en s’entendant dire qu’aux yeux de son amie, elle n’avait rien d’une enfant.
— Toi non plus, tu n'as pas à t'inquiéter, Manon. Je sais bien que tu plaisantais, chuchota-t-elle comme pour la rassurer, en lui caressant gentiment la joue. …mais ça me fait quand même plaisir.
C’est peut-être la première et dernière fois qu’on me dit une chose pareille…
…mais si ça n’avait pas été toi, j’aurais répondu d’une grosse gifle dans la figure !
En lieu et place d’une grosse gifle dans la figure, Astelle profita de l’occasion pour planter un baiser sonore sur la joue de son amie. Après quoi, elle reposa délicatement la tête contre son épaule.

C’était un autre souvenir qu’elle rangerait précieusement dans le secret de son cœur.
Elle n’imaginait toujours pas qu’on lui reparlerait de cette façon-là, un jour, mais…
Grâce à Manon, elle venait d’avoir un petit aperçu des feux d’artifices que cela vous provoquait dans l’estomac.
Pour le moment, c’était bien suffisant.

La conversation rebascula sur le sujet de son apparence.
Manon s’empara d'une deuxième canette de bière, et les yeux d’Astelle étincelèrent furtivement.

— Hm ... mais est-ce que tu as dis à ces gens qui t'infantilisent ce que t'ressens comme tu viens d'l'faire avec moi ?

La jeune fille regarda son amie boire, avec une pointe d’envie.

— Avant… je n’en aurais pas été capable. Je m’étais résignée de toute façon. Et maintenant…
Maintenant que je t’ai rencontrée.
— …maintenant, je pourrais le faire. Mais c’est moins important. …tout ce qui compte, c’est que toi, tu ne me regarde pas comme ça, répéta-t-elle avec un sourire. Et puisque tu me dis que je n’ai pas à m’inquiéter – entre autres choses – la prochaine fois qu’on ira se baigner : je ferais moins la prude avec ma serviette !

Et cette fois-ci, lorsque Manon ramena la canette vers ses lèvres...
...Astelle intercepta le mouvement pour lui chiper une gorgée !
— …miam !

Après le vin blanc sucré, la bière aux baies… !
Astelle Dumas devient une petite poivrote de niveau deux !

Soudain, Astelle quitte sa place pour me rejoindre. Je l'observe avec des grands yeux, perturbée par sa réaction.

« A-Astelle ? »

Mon esprit s'emballe tandis que mon corps est submergé par une vague de chaleur. Une drôle de tension s'installe dans l'air et mon cœur ne cesse de tambouriner dans ma poitrine.

« Hop ! »

La demoiselle au visage cramoisi me chevauche sans pudeur avant de rétorquer à ma bêtise.

« Si tu faisais « ça » … on écoperait d’une amende de 3000p$ pour tripotage en lieu public. Ni toi ni moi n’avons les moyens de payer autant ! »

Les bras appuyées contre la rembarde, je ris à gorge déployée comme une beauf en balançant ma tête vers l'arrière.

« C'est clair que ça vaut pas l'coup !! On risque de prendre plus cher. »

Je picole un bon coup tandis que mon amie susurre quelques mots dans mon oreille, impossible de les comprendre à cause de ses doigts fins qui se baladent sur ma joue captivant toute mon attention.

« ... mais si ça n’avait pas été toi, j’aurais répondu d’une grosse gifle dans la figure ! »

Je glousse joyeusement avant de fermer brusquement les paupières à cause du mouvement abrupt de la demoiselle m'offrant simplement un bécot sur la pommette. Alors que la jeune fille se repose contre mon épaule, mon minois devient rouge comme une pivoine.

Est-ce que ... est-ce qu'on est en train de flirter là ?

L'esprit troublée, je fais au mieux pour ne pas paraître déstabilisée. Malheureusement, ma déglutition et ma respiration bruyantes trahissent mes efforts, me figeant instantanément sur place. Après avoir hydraté ma gorge avec l'alcool, je reprends mon sérieux avant de questionner la brunette à propos de son physique et sa vision d'elle même.

« Avant … je n’en aurais pas été capable. Je m’étais résignée de toute façon. Et maintenant … maintenant, je pourrais le faire. Mais c’est moins important. … Tout ce qui compte, c’est que toi, tu ne me regarde pas comme ça. »

Un large sourire s'affiche sur mon visage. Astelle reprend du poil de la bête et cela me réjouit au plus au point, d'autant plus qu'elle semble de plus en plus confiante à mes côtés. D'un geste tendre, ma main caresse sa crinière brune.

Mais au moment où je porte la bibine à mes lèvres, Astelle la gourmande me vole une lampée.

« ... miam !
- Eh beh p'tite chipie, t'as pas honte de me piquer d'la bière comme ça ? »

Je bois une nouvelle fois avant de lui tendre la cannette.

« Tiens, s'tu veux on peut la finir ensemble. Faudrait pas qu'j'bois tout sinon j'vais me montrer bizarre ... »

Ponctuant ma phrase d'un rire gras, je chatouille un instant les côtes de la jeune fille avant de l'étreindre de plus belle. Silencieuse, ma caboche dodeline jusqu'à s'écrouler sur celle de ma copine. Quelques minutes plus tard, le contre-coup de l'alcool m'invite à somnoler.

« Astelle ... Ça t'dérange pas si j'me tape une p'tite sieste ? J'suis trop bien là ... »

MorphéeCresselia n'attend pas son autorisation pour me capturer dans le monde des rêves.

Entre éclats de rire et embrassades cajoleuses, Astelle termina de partager la bière de son amie.
La tension et les hésitations qui lui brûlaient l’estomac s’apaisèrent, peu à peu, pour n’émettre plus qu’une douce tiédeur. Les mots laissèrent place à un silence paisible, d’abord ponctués de regards tendres et pétillants, puis seulement de la présence rassurante d’une étreinte.
La petite postière soupira de bonheur. Cette complicité était son plus précieux trésor.
— Astelle ... Ça t'dérange pas si j'me tape une p'tite sieste ? J'suis trop bien là ...
— Repose-toi bien, Manon…
Manon n’attendit pas sa permission pour tomber dans les bras de Morphée, de Cresselia, d’Astelle. Ben oui ! Elle n’allait pas laisser ces inconnus lui voler son amie !

Bien que ses yeux lui piquaient également, et qu’il n’aurait fallu que peu de choses pour qu’elle rejoigne son héroïne au pays des rêves, Astelle préférait rester éveillée. Et savourer pleinement ce moment. Tandis qu’elle retenait son aînée captive de son étreinte, pour l’empêcher de basculer, c’est à gestes prudents qu’elle allongea la jeune femme sur la poupe. Peu satisfaite à l’idée que la joue de Manon repose sur du bois dur, qui risquait de lui faire mal, ou de marquer sa peau, la petite postière se dégagea des bras si confortables ! de son amie pour récupérer la veste d’uniforme qu’elle n’avait jamais mouillée, et qui était toute chaude d’avoir pris le soleil. Elle plia le vêtement en quatre afin de confectionner un oreiller à la grosse dormeuse.

Avec Mini-senpai et Manon hors de course, Astelle était la seule éveillée dans la quiétude du lac.
Inclinant la tête d’un air attentif, elle écouta les petits sifflements adorables de l’un et l’autre de ces deux êtres qu’elle aimait le plus au monde. Musique à ses oreilles. Et puis, perdue dans leur contemplation respective, elle eut une bonne idée ! Du bout des doigts, elle repoussa délicatement les mèches châtain qui voilaient le visage de son amie, et s’emparant du pokématos en mode silencieux, elle captura l’image de la belle endormie, et en fit de même pour Mini-senpai, et pour le petit œuf de Manon !

Aujourd’hui encore, elle aurait fait de chouettes photos.
Et puis, la jeune fille se pétrifia ! Soudainement saisie d’un doute terrible ! Bidouillant sur son pokématos, elle lança frénétiquement une recherche sur le Réseau Dusk.

Les réponses qu’elle lut sur le Réseau la firent rougir un peu.
— Oups… désolée Manon… apparemment, je me comporte comme une de ces horribles pokéfans sans-manières… mais ils disent aussi que tant que je ne porte pas un t-shirt à ton effigie, il y a encore de l’espoir pour moi…
Un t-shirt à l’effigie de Manon…
…zut, elle était tentée d’en commander un.

Embarrassée mais heureuse de son forfait, Astelle retourna sur son banc, et reprit délicatement contrôle des avirons. Ses bras étaient encore fatigués, mais… elle avait une très bonne raison de s’activer. Figurez-vous qu'après trois canettes, elle avait terriblement envie de faire pipi.
— Vite, vite, vite… chuchotait-elle en ramant, bien contente que personne ne soit réveillé pour prendre la mesure de son trouble !
Cette fois-ci, sans se laisser distraire et bien concentrée sur son objectif : Astelle regagna la rive en un temps record !

***

Le soleil commençait à se coucher. Laissant Minidraco veiller sur le sommeil de son amie, Astelle était passée au petit-coin, et en avait profité pour rendre le matériel de location. Le bateau était échoué sur la rive du lac. Vidé de presque toutes leurs affaires, il ne contenait plus que le plus précieux de ses trésors.
La petite postière revint délicatement s’asseoir sur le bord du navire, et le couvant d’un regard attendri, patienta jusqu'à son réveil.
Aux premiers signes d’émergence de celle-ci, Astelle se pencha délicatement vers l’intérieur du bateau, sa silhouette rehaussée par les couleurs flamboyantes du crépuscule.
— C’est l’heure de rentrer à la maison, Manon… lui chuchota-t-elle tout bas. …mais peut-être que tu joues la Belle au Lac Dormant dans le secret espoir de recevoir un baiser de ton Prince Charmant ? Malheureusement, Mini-senpai, il se couche avec les poképoules, tu sais !

Un sourire radieux aux lèvres, elle attendit que son amie ouvre les yeux, et pour l’aider à se relever et à sortir de la barque : Astelle lui tendit la main.
— Petit passage à Pizza-Ludicolo et puis on va regarder la suite de la série d’Ophélia dans ma chambre ? Dans l’épisode 52, on devrait finalement savoir si Andrew le Corboss va succomber aux charmes de Jasmina l’Altaria ! J’ai hâte !