Il pleuvait. Et pas pour n’importe quelle raison.
Adossé à un arbre touffu, Bunji contemplait le déluge. Ainsi battue par les eaux et le vent, la plaine avait une allure sinistre et méconnaissable. La brutalité de l'averse cinglait la boue, que les rafales soulevaient ensuite à la manière de grandes arabesques sombres.

C'était un spectacle impressionnant, mais en temps normal, se mouiller n’aurait pas dérangé le jeune céramiste. Aujourd’hui toutefois, il transportait un type d’argile blanche très précieuse, et son paquetage qui avait sérieusement morflé au cours de son dernier voyage n’était plus réellement très étanche.
De fait, Bunji était retenu en otage. Par la pluie.

Et obligé de supporter les pitreries de son ravisseur.

La raison:

Dansepluie. Tant que cette andouille de pokécanard-au-sombrero ne s’arrêterait pas de gigoter en rythme, la capacité ne cesserait jamais. Et Bunji resterait coincé là. Possiblement pour toujours. Ou au moins jusqu’à ce que malmenée par son rythme de danse endiablé, la hanche du Ludicolo ne cède sous la pression.

Le jeune homme savait qu’il n’avait plus le choix. Les Ludicolo étaient nés pour danser. Celui-ci ne s’arrêterait pas sans une bonne raison…
Bunji déposa délicatement son paquetage contre le tronc d’arbre.
…il lui faudrait donc le terrasser. Le vaincre sur le domaine en lequel il avait le plus confiance.
Briser toute l’estime de soi qu’il se portait, qu’il rentre chez lui tête basse, incapable de danser à nouveau.

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'Parc Safari' :

Un combat contre un rival inconnu commençait toujours par une bonne dose d’observation. Quels étaient les points forts de l’adversaire ? Ses points faibles ? Quel était le moyen le plus efficace de passer à l’offensive ?
Tournant autour du Ludicolo enfiévré, Bunji analysait soigneusement le déhanché endiablé du pokémon.
Oui, c’était sans nul doute son arme la plus redoutable. Ce fichu canard-au-sombrero avait d’ailleurs un sacré sens du rythme, et sa garde ne présentait aucune faille.

Impossible de le prendre par surprise. Il allait falloir mener une attaque de front. Pousser l’adversaire, un pas après l’autre, afin de se construire un avantage.
Du talon de sa botte, le voyageur commença à marteler le sol en rythme. A s’imprégner de la cadence. Au jugé, il accompagna également les moments-clefs de la chorégraphie, en claquant des mains.

C’était l’heure de la riposte. Bunji esquiva la glissade du Ludicolo d’un entrechat.
Faisant claquer sporadiquement sa semelle dans la boue, il tâcha de se caler sur le bon tempo.
Le rythme était celui d’une samba, non pas que le voyageur y connaisse quelque chose, mais les mouvements du pokémon étaient très complets. La gestuelle du Ludicolo sollicitait le corps dans son ensemble, sur une cadence rapide, ce qui, vu sa morphologie compacte : lui donnait l’air de valdinguer comme une barrique malencontreusement lâchée dans un escalier.

Le voyageur eut un sourire torve.
Si ce n’était que ça : il pouvait danser aussi. Comme une barrique.
Valdinguant de gauche à droite, le jeune homme se mit à tourner autour de pokémon. Il esquivait ses assauts tout en levant de grandes giclées de boue, claquait des mains, puis enchaînait aussitôt sur un passement de jambes : en clair, Bunji d’Izabe virevoltait sous la pluie, avec la grâce d’un tonneau.

C’était un spectacle incroyable.
Dommage que personne n’était là pour voir ça (sauf un pauvre Gringolem, s’abritant de la Dansepluie, à la lisière du bois).

Tout à coup, le combat était devenu incroyablement stratégique.
L’énorme pogne du Ludicolo lui empalmait toute l’épaule. Bunji était donc contraint de suivre son adversaire dans ces déhanchés brutaux et disloqués qui manquaient de tous deux les précipiter dans la boue. Le jeune homme craignait de finir au sol. Avec le physique de grosse barrique de son rival, s’il se faisait rouler dessus, c’était terminé.






Ils tournèrent ensemble, encore et encore. Charivari de membres entrelacés sous la pluie.
Et Bunji guettait une occasion. N’importe laquelle. Qui lui permettrait de retourner la situation à son avantage.

Honnêtement, à se dandiner avec pareille violence : ses hanches allaient bientôt le lâcher.

Okay. Ses hanches étaient mortes. Arg. Ses épaules aussi. Pitié. Que quelqu’un arrête la musique. C’était promis. Plus jamais il ne ferait de samba avec un Ludicolo. A l’aide. Bunji et son rival tournoyèrent ensemble dans une "triple-barrique-roulée" (oui, Bunji avait commencé à baptiser les figures du pokédanseur au petit bonheur), puis enchaînèrent sur la "chevauchée-sauvage-du-baril" (qui heureusement ne nécessitait pas réellement qu'on lui monte dessus à califourchon), ainsi qu’un exceptionnel "huitième-tonneau" (qui portait relativement bien son nom).

Croyant sans doute que son partenaire de danse se résignait à son sort, la poigne du Ludicolo perdit un peu de sa fermeté.
Il fit tourner Bunji sur lui-même, une fois, deux fois…
Tiens, le voyageur était curieusement docile.
…trois fois, quatre fois…
On aurait même dit qu'il accompagnait le mouvement.
…cinq fois, six fois…
S'éveillait-il aux plaisirs de la samba ?
...sept fois, et hop : huit tours pour un parfait "huitième-tonneau" !
…et maintenant que la figure était terminée, le pokédanseur se demandait bien pourquoi le jeune homme prenait encore plus de vitesse et continuait à tourner.


Comme une grosse quille qu’on éclate d’un Strike au bowling : Ludicolo s’effondra dans la boue. A cause de son profil en forme de tonneau, il ne tomba pas à plat, mais continua de rouler un peu. Puis de tanguer, d’une façon vaguement rythmée.

…et bientôt, la Dansepluie s’arrêta.
Dégoulinant, couvert de boue, et les hanches en feu : Bunji tomba à genoux et lança en direction du ciel un regard éperdu.
— Je hais la danse...

La pluie avait cessé.
Massant ses hanches endolories, le jeune homme se traîna péniblement jusqu’à l’arbre où il avait adossé son sac, un peu plus tôt. Puis s’effondra à demi contre l’écorce.
Les courbatures le feraient souffrir pendant au moins deux semaines.
— Aarrrr… saleté… gémit piteusement le voyageur.

Passablement épuisé, il s’assura de vérifier que la précieuse argile blanche était toujours indemne, dans son paquetage.
Chose faite, il releva le regard pour découvrir que le Gringolem l’observait encore.

Le Gringolem renifla le pain d'argile blanche... avant de le gober.
— Ah...
Observant le pokémon mâchouiller son précieux matériau de travail, le voyageur restait coi.
Il venait de s'infliger trois-quarts d'heure de samba des enfers afin de protéger ce pain d'argile. Il avait eu l'intention de tenter de nouvelles méthodes de cuisson, de le sculpter dans une coupe au motif lamellé du style Jômon. Un ouvrage qu'il espérait présenter à son maître, à son retour sur l'île d'Izabe.

Eh ben...
...c'était râpé.

— Burp, émit le Gringolem, indolent.
— ...j'espère que c'était bon, au moins, soupira Bunji.