Ne cours pas trop vite. Prends ton temps. Marche et ignore ce qui te fait peur. Calme-toi. Respire.

Toutes ces phrases envahissaient mon esprit, comme une ritournelle argumentative qui tentait de me convaincre que ces tourments que je m’imposais étaient factices. Pourtant, chaque chose en ces lieux me fait tourner de l’œil, entre la pénombre étouffante et la malicieuse humidité qui me fait sentir lourde et inapte à souffler convenablement, il n’y a rien pour me rassurer ni Alaric ni Altesse tous deux ont préféré se tenir loin du lieu. Le premier avait une croisière à gérer, la seconde s’était terrée dans sa Pokéball dès les premiers pas. Dès que la chaleur enivrante du soleil avait laissé sa place à la fraîcheur saisissante de cette caverne, dès que la chair-de-poule m’avait prise.

Je tâchais d’être discrète, d’aller contre ma nature. J’essayais d’éviter les attroupements de Pokémon autour de moi. Je suis de Kanto après tout, je connais le mythique harcèlement des Nosférapti, je connais cette aisance fort-aise qu’ils ont à constamment se ruer vers l’Homme dans les cavernes. C’est probablement pour cette raison que j’avais mis autant de temps à me décider à venir ici. Et pourquoi donc ? Parce que. C’est tout ce que j’avais pu dire. C’est tout ce que j’avais pu justifier. On avait tenté de me faire changer d’idées. Pour chaque argument en opposition à ma volonté, je pestais. Comme une enfant à qui l’on retirait son jouet. Tout avait découlé de cette croisière, de ce besoin de sortir des sentiers que j’avais précédemment battue. J’avais besoin de me faire confiance, de sortir de ma zone de confort, de sortir de ces préjugés princiers que l’on m’associait.

Et pourtant, j’étais venue bien habillée, vêtue d’une blouse et d’une jupe desquels le tissu s’approchait du velours. Changer les préjugés ne m’obligeait donc pas à me vêtir en roturière. À moins que ? C’était un dilemme que je n’avais pas. Être n’était pas paraître. Mon habit ne définissait pas ma personne et si j’étais d’une allure raffinée, ça ne voulait pas dire que j’étais une chouineuse sensible et fragile comme on avait pu le croire. Et si je l’oubliais, je me remémorais cette femme exacerbe qui avait brandi un couteau sous ma gorge. Ces mots qu’elles avaient dit, ce vocabulaire qu’elle avait employé pour me définir, cette sensation froide contre ma gorge, ces larmes chaudes pullulant contre mes joues, ces discours interminables sur ma valeur et ma popularité, ce lexique qui m’avait rendu si imprévisible ce jour-là. Qui aurait cru que la capricieuse et juvénile Miss Lumiris aurait agressé une autre femme avec autant d’agressivité ? Qui aurait cru qu’elle aurait monté le ton et sermonner la précédente Miss Lumiris ?

Personne. Pas même moi.

Mais je l’avais fait, j’avais volontairement blessé plus d’une personne ce jour-là… Pourquoi ? Comment ? Qu’avait-il fallu ? Qu’avais-je accumulé ? Je l’ignorais. Mais cet inconfort, cette incapacité à déterminer si j’allais vivre ou mourir était à l’origine de toute cette frustration et je m’évertuais à le recréer. C’était ma grande quête depuis notre retour. Maîtriser ce tigre qui sommeillait en moi, apprendre à le faire surgir quand j’en avais réellement besoin. Ça m’allait mieux, ça me semblait plus valide d’être survoltée qu’être un fragile pétale qui pleure et s’apitoie sur son sort à la première difficulté. Cela justifiait ce choix, cette caverne de roc… dure, rustre, obscure, virile… Le refuge de la parfaite petite brute. Le chenil qui me rendrait si imposante… du moins je le pensais, mais je me trahis.

Toc.

Un écho me glaça le sang. Aussitôt, je serrai mon sac dans mes mains, caressant du bout des doigts mes Pokéballs. « Il y a quelqu’un ? » laissai-je tomber, inquiète. Ma voix vacillait dans ses plus hautes octaves et, malgré moi, curieuse, je m’avançais vers ce son qui m’avait apeurée. Le silence était revenu. Du moins, ce silence. Il n’y avait plus rien trahissant la présence de ce tiers bruit, de ce souffle étranger et terrorisant qui avait froissé mon tympan. « Vous pouvez sortir, je ne suis pas là pour vous faire mal… » Ma voix tremblait, assaillie par ces larmes que je tentais de contenir. Cette noirceur m’inquiétait. Aveugle, je ne pouvais localiser cette source de bruit. Était-elle hostile ? Pourquoi ne fuyais-je pas, pourquoi continuais-je d’avancer vers cette chose inconnue ?

Parce que j’étais stupide. Parce que plutôt que de fuir le risque, je l’accueillais les bras ouverts. La dernière fois, ça avait payé, j’avais été prise en otage, pourquoi pas une nouvelle fois ?

Je continuais de marcher jusqu’à ce que mon pied se dérobe à sa poigne. Jusqu’à que le sol disparaisse sous celui-ci. Jusqu’à ce que je m’enfonce, le nez d’abord sur cette surface poussiéreuse. J’hurlai ma douloureuse. Puissamment. Tout le monde m’aurait entendu.

Mais je ne pleurai pas. Il était hors de question que je pleure.

Une part de moi regardait cette femme avec énervement, une part de moi regardait si cette main qu’elle me tendait, métaphoriquement, était amicale ou si elle risquait de me poignarder dès que j’aurais le dos tourné. Si je l’avais sommée de sortir de sa cachette, une partie de moi ne pouvait que continuer de s’en faire. Était-ce les lieux ? Forcément. Je n’étais jamais bien hostile à l’humanité, mais ici, malgré ses mots, je m’inquiétais. Elle avait été surprise, c’est pour ça qu’elle avait crié… je tentais de m’en convaincre. Là, le visage contre le sol, j’étais vulnérable. J’étais la personne la plus vulnérable qui soit. Elle pouvait faire n’importe quoi. Elle pouvait m’éliminer si telle était sa volonté. Elle pouvait. « Ah cool. » Et ma stupidité me frappait. Cet élan récent que j’avais de bien m’en sortir, de prouver que j’avais ma place parmi les dresseurs influents de Lumiris, que je n’avais pas été invitée à tort sur la croisière Ariwa. Comme si ç’eut été ma seule préoccupation et que plus rien autour de compterait tant que je n’avais pas fait ravaler ses mots à Lise Gray.

Ah cool. Comme si j’eus été indifférente à sa déclaration, comme si elle ne m’avait fait ni chaud ni froid, comme si je n’avais pas su m’exprimer de mots dignes. « Je veux dire, enfin… j’ai cru qu’il y avait un agresseur qui venait de s’en prendre à quelqu’un. Pardonnez-moi. Je ne voulais pas paraître froide. » Pourtant, ç’eut été le cas. Pourtant j’avais été froide et austère. J’avais été condescendante. Si son intention n’était pas mauvaise, si elle n’était pas l’agresseur, alors je m’étais plantée sur ma première impression. Si elle le remarquait, je ne me ferais pas d’elle une amie et sachant à quel point je tolérais la haine et la méprise, il fallait qu’elle le soit.

Je me relevai retirant la poussière de mes jupes et j’eus un sourire. Un sourire discret, dissimulé par la pénombre de l’endroit. « Il faut dire que dans ces grottes, on s’attend rarement à croiser d’autres personnes. Vous êtes spéléologue ? » dis-je avec une interrogation des moins cachées. C’était évident que je m’interrogerais sur la raison de sa présence. C’était évident que je lui poserais des questions. Qui venait dans une grotte pour s’amuser et découvrir les lieux… outre les spéléologues, ces chercheurs spécialisés dans l’étude des grottes et des cavernes ? Mis à part moi, personne ne pouvait avoir cet intérêt peu commun de se présenter dans un lieu si cavalier. « Enfin, loin de moi l’idée de juger votre curiosité. » Chaque mot semblait m’enfoncer de plus en plus dans cette gêne que je m’occasionnais. Chaque mot que je prononçais me trahissait. En bout de ligne, j’étais ma propre ennemie, me rendant toujours si peu désirable aux yeux des autres… alors que j’étais connue, alors que mon visage était sur tous les écrans.

Et on ne l’oubliait pas.

Personne n’oubliait jamais qui j’étais… même si je le voulais.

D’une manière je la comprenais, cet endroit était effrayant. Si l’on m’avait posé la question l’instant précédent mon entrée, j’aurais dit qu’il n’y avait aucune raison de s’inquiéter. J’aurais dit que la peur n’était pas justifiée. Pourtant, j’avais peur. Dès l’instant où j’avais constaté l’obscurité angoissante qu’était ce lieu. Dès lors que les ténèbres m’avaient enveloppée de leur étreinte froide et humide, j’avais senti un frisson me parcourir. Dès l’instant où je m’étais laissée entraînée dans les dédales de ce corridor rocailleux, j’avais commencé à craindre qu’il ne m’arrive quelque chose. Pauvre bête à l’opposé de l’intrépidité, j’avais avancé avec hésitation jusqu’ici, et même maintenant que j’avais trouvé de la compagnie, je n’avais de cesse de m’inquiéter, de jeter des regards furtifs au moindre éclat d’une goutte d’eau ou lorsque le sifflement du vent dans la bouche de la grotte me semblait trop puissant. J’étais angoissée, j’avais peur, j’étais prise d’une panique qu’on ne pouvait nier… même dans la pénombre.

Si ses mots étaient rassurants, si son ton m’était familier, rien qui ne venait de moi n’était naturel. Je sonnais faux. Ma voix vibrant aux pulsations de mon cœur donnait vie à des aiguës que je n’aurais jamais imaginé possibles en temps normal. La fragilité de mon ton laissait entendre les déraillements des frissons qui me parcouraient. « Vous avez entendu ? » Ce fut la seule réponse que j’eus pour sa présentation. Ni mon prénom ni la raison de ma venue n’étaient sortis. Je demeurais cette mystérieuse personne qui avait peur. Peur de son ombre, peur des échos de sa voix, peur du rythme auquel battait son cœur… J’avais peur de tout. Et si je n’expliquais pas la majorité de mes sursauts, celui-là me semblait justifié.

Le bruit du tonnerre. Le craquement puissant d’un rocher. L’éboulis qui s’en suivant. J’avais raison d’avoir peur. J’avais raison d’attraper la Pokéball à ma ceinture et de l’ouvrir. « Dauphine, pardon de vous déranger... j’ai peur. » geignais-je. J’étais minable. Quelle horrible dresseuse je faisais. Ma Cacturne se dressa tel un rempart entre la source du bruit et moi. Et nous. Elle était cette chose qui nous protégerait… parce que je n’avais pas vu le Brindibou, parce que je n’avais pas vu qu’elle aussi pouvait nous protéger toutes les deux. Parce que j’avais besoin de valider que je pouvais me défendre seule… ou du moins avec mes propres Pokémons.

Une sphère verte prit forme sur le poing de mon Pokémon, une sphère qu’elle relâcha et qui fusa en un instant faire les murs de la caverne laissant entendre un fracas étourdissant. J’avais réagi vite, tout s’était passé si vite. Absolument tout. Je n’avais rien vu. Qui était notre assaillant ? Qui de sa voix rauque nous avait sommées de nous taire ? Je n’avais pas la réponse. Pas encore du moins. Je m’approchai pour examiner l’endroit touché par mon Pokémon. Un hostile Racaillou se tenait, les yeux fermés, probablement étourdi par le choc, sur le sol. C’était lui, la source de tout ce tumulte ? « Pardonnez-moi. J’ai eu peur. Je suis Lyanora. C’était votre Racaillou ? » dis-je en me tournant vers mon interlocutrice, une teinte d’angoisse toujours mélangée à ma voix.

Ses mots m’avaient blessée. Il n’y avait ni insulte ni arrogance dans ces mots, mais j’avais ressenti ce picotement dans ma poitrine, celui qui nous rappelle que l’on est humain au final. Celui qui fait juste assez mal pour nos yeux se humectent de l’eau saline de nos larmes. J’avais beau me répéter d’être forte, j’avais beau tenté d’être forte de bien paraître. Je perdrais progressivement mon combat, aussi engagé fut-il. J’avais blessé un Pokémon sauvage. Un Pokémon que j’avais dérangé et qui ne m’avait rien demandé. Il avait protesté. Je l’avais sonné jusqu’à ce qu’il en soit inconscient. Jusqu’à ce que son corps lourd jonche le sol de tout son long. Terrassé. L’intention n’avait jamais été de déranger la nature, mon intention n’avait jamais été de blesser de façon désabusée un Pokémon, comme si c’eut été normal. Ça ne correspondait pas au genre de dresseuse que j’aspirais à être. « Désolée… » soupirais-je avec tristesse. La voix tremblante, névrosée par cette blessure que j’avais assénée involontairement.

Dans le contexte, ça ne faisait pas de sens. « Ta Cacturne est puissante. » Désolée. J’étais désolée de l’avoir entraînée. Réellement. Pas à l’endroit de cette femme, mais pour ce pauvre Racaillou qui n’avait même pas pu se défendre. Ma quête pour me montrer pour me montrer forte et robuste était vaine. J’avais échoué une nouvelle fois… et je ne pourrais pas le nier… parce qu’elle avait raison. Je devais le ramener. Je devais me faire pardonner. Je devais accepter que j’avais commis une bourde et l’imposer à l’ensemble de mon équipe. « Vous permettez ? » J’ignorais pourquoi je l’avais demandé. J’ignorais par quel phénomène j’avais posé cette question. Pure politesse extravagante imposée par la doctrine fortement intégrée dans ma vie. J’avais lancé ma Pokéball comme si elle n’avait pas déjà donné sa permission. Avec regret, avec une conviction défaillante, mon bras avait valsé, laissant glisser de mes doigts l’un de ces foyers pour Pokémons que je possédais.

Celui-ci était vide.

« J’essaierai d’être digne et de me racheter. » chuchotai-je de ma voix cristalline. Écho qui se heurta au mur et qui ne s’endormit qu’après quelques secondes… À l’instant où elle alluma sa lampe de poche. À l’instant précis où une ombre géante de chauve-souris se réfléchit sur la paroi rocheuse.

Je sursautai.

Non pas par peur, mais plutôt parce que je n’avais pas eu connaissance de la présence de ce Pokémon. Parce qu’il m’avait surprise. Et je fus trop ébaubie pour oser m’opposer à son Brindibou. Je figeai lorsqu’il décocha sa propre attaque en direction du Pokémon sauvage. « Non ! » criais-je. « Non ! » la grotte répéta avec tout son mépris. « Vous ne devriez pas lui faire mal. Je l’ai fait accidentellement, mais ils sont ici chez eux, nous sommes les étrangers… la confiance naît rarement de l’imposition de votre puissance. » Et c’était vrai. Partiellement du moins. Plusieurs dresseurs capturaient leur Pokémon ainsi, c’était manière courante… mais pas moi. Ça ne rencontrait pas mes valeurs.

Et ç’aurait été pertinent si ça n’avait pas été un subterfuge, une diversion pour que le Pokémon ne voit pas venir la Pokéball. Quand je vis la silhouette disparaître, alors je le compris. « Pardonnez-moi… je ne me mêle pas de ce qui me regarde… je suis idiote… » dis-je dépitée. Avec le temps, je n’avais toujours pas appris que seule ma vie me regardait. Celle des autres leur appartenait. « Je ne voulais pas que le Pokémon souffre. » Ç’aurait été une bonne excuse si l’instant précédent je n’avais pas forcé le coma à un Pokémon. Ç’aurait été une bonne excuse si j’avais été crédible.

Je ne l’étais pas.

La douceur. Le changement de son approche. Je la regardais, perdue, perturbée. Non pas que j’eus douté de son bon sens, mais il était rare que la critique passe aussi bien, surtout lorsqu’elle venait d’une inconnue. J’eus un sourire. De mon inquiétude de plus tôt, il ne restait plus rien, sinon une rivière rouge sur mes joues laissée par les larmes qui y avaient sécher. Je m’approchai de la dame et lui pris le bras. « Je l’espère pour vous aussi alors. Vous le méritez. » Pourquoi ? Parce qu’elle avait changé d’opinion sans me parjurer et m’affubler de surnoms. Parce qu’elle avait cette douceur que je m’attribuais moi-même, qui me caractérisait, je me reconnaissais en elle, du moins, un peu. Elle était bien moins geignarde que moi, bien moins portée à s’en vouloir alors qu’au fond, elle n’avait pas fait grand-chose de mal.

Je lui souris à nouveau avant de lâcher son bras et de me tourner vers ce Racaillou toujours ébloui, abasourdi par l’action soudaine qui avait lieu dans gîte normalement obscur et calme. Je m’approchai de lui et me risquai à le soulever. Difficilement.

« Oui ? » répondis-je à la phrase laissée en suspens de ma comparse d’aventure. À ce sujet ? J’étais prête à entendre son questionnement.