Arche inatteignable ; l'île flotte dans les airs, suspendue par un miracle innommable. La main tendue vers ce ciel intouchable, je l'observe qui s'offre en contre-jour à cette immensité grise qui ne tardera pas à déverser sur les mortels ses larmes venues des océans infinis. Lentement, je la laisse retomber au vide, le nez toujours levé vers ma destination.
J'ignore ce qui m'attend, là-bas – un autre défi, probablement. Mais, cette fois, j'aime à croire que c'est différent. Croire que quelque chose a changé, que je ne suis plus ici au nom des mêmes absurdités. C'était pour Lise que je faisais tout ça – pour lui prouver qu'elle n'avait pas perdu son temps avec moi, ce soir-là. Qu'elle n'avait pas fait fausse route – pas dit tu deviendras grand à quelqu'un qui la décevrait forcément.
Je crois que je n'ai jamais fait ça pour moi, avant.
Me tenir là, à l'aube de mon prochain combat.
J'ai toujours eu quelque chose à prouver au monde entier – que je n'étais pas le faiblard qu'ils prétendaient ; que moi aussi, j'étais capable de combattre à leurs côtés. Aujourd'hui…

Aujourd'hui, je suis simplement poussé par la curiosité de ce qui viendra ; animé par ce désir simple d'aller plus avant dans la voie que j'ai choisie – celle du dresseur, celle du Nova qui aurait peut-être pu grandir Pulsar.
Hanté par cette idée étrange qui me revient un jour sur deux qu'un jour, j'aurai peut-être des choses à apprendre à d'autres aussi.
Que ce jour n'est peut-être pas si loin que j'essaie de m'en persuader.

J'ai mené bien des combats et presque autant de guerres – à partir de combien peut-on affirmer en connaître assez pour se prétendre plus grand que d'autres ?

Et des boutades de Lauriane, des remarques insouciantes de Kaneo, des mots brûlants de Lise, des sensations volatiles d'un cauchemar terrifiant à la réalité grisante, quelle distance reste-t-il à parcourir ?

Que les jours me pardonnent mes audaces à rêver.

J'inspire, j'expire – j'écrase contre le mur en crépit ma cigarette achevée et jette le mégot dans une poubelle à proximité, avant de m'avancer en direction du Corvaillus qui m'attend. Immense et le regard perçant, il me toise l'air grave mais sans animosité. Animal noble et intelligent – sublime dans ses parures de jais le plus pur. Je flatte ses plumes, douces comme la soie et tranchantes comme les lames les plus aiguisées, puis j'use de mille précautions pour l'enfourcher. Rhapsodie, à mes pieds, attend que je lui tende les bras pour bondir s'y loger. Ultime vérification – sac à dos fermé sur les épaules, Pokéball solidement accrochées à ma taille, le responsable s'assure une dernière fois de la fiabilité du harnachement ;
la créature ouvre grand les ailes, et le premier battement, puissant, nous propulse dans les airs.

Le vent est froid, et la pluie fine commence à s'abattre sur mon visage tandis qu'on prend de l'altitude. Crispé sur le harnais, mon bras libre autour de Rhapsodie, je peine à laisser mon regard courir sur le paysage. Chaque coup d'œil est grisant – vertigineux. Peu à peu, je force mon souffle à s'apaiser, et mes mains à se relâcher. Le vol du Corvaillus est doux, les à-coups moins brusques que ce que j'avais craint. Ses battements d'ailes sont réguliers – je me laisse doucement bercer à mesure qu'on s'éloigne du sol et quand, enfin, j'ose regarder vraiment sous nos pieds,
je réalise ce qui plaît tant à ceux qui préfèrent le ciel à la terre ferme.
Le monde est plus beau vu d'en haut, prétendent les poètes – et je crois que tenter de les faire mentir serait blasphémer.

L'atterrissage est un peu plus soudain et, quand je pose le pied sur la terre ferme, je réalise que mains et jambes tremblent encore de cette adrénaline étrange qui ne redescend que par vagues infimes. Rhapsodie, lui, s'ébroue et observe d'un œil curieux ce grand oiseau à qui il doit cet étrange trajet – inédit pour une créature qui ne connaît rien aux cieux.
Il me faut de longues minutes pour que les tremblements cessent et que mes idées retrouvent le fil, que je me souvienne pourquoi je suis ici, et que ce vol n'était pas qu'un aller sans retour direction rien du tout.
Face à moi, l'arène.
Perchée là, à mille lieux de nos terres – ma prochaine bataille à mener.

Rhapsodie sur les talons, j'avance en direction de l'arène Vol. Des six Pokéballs à ma taille, aucune n'est celle de mon Noctali – pour la première fois, c'est sans lui que je mènerai ce combat. Parce que je l'ai compris, quand j'ai cru l'avoir perdu – qu'il serait toujours là, à mes côtés plutôt qu'au devant de moi. J'avais gagné sa confiance comme il avait acquis la mienne – et c'était plus fort et plus important qu'une histoire de première ligne.
J'ai besoin de ce combat et que sa force soit simple camarade ; son regard veille attentive. Ce combat sera le nôtre, mais d'une autre façon que tous les autres.
Un peu plus le mien, un peu moins le sien – c'est aussi comme ça qu'on apprend, je crois.

Quand j'entre, l'averse frappe soudainement si fort qu'on l'entend résonner sur le toit jusqu'à l'intérieur. Quelques secondes, je me perds à observer le plafond, dôme de verre qu'on semble avoir fermé pour l'occasion – la faute au mauvais temps. Tout autour du terrain, statues élégantes aux détails si finement taillés qu'on les croirait prêtes à se mouvoir à tout instant.

J'inspire.

Un pas, deux, et je sors des ombres pour m'avancer dans l'arène.

« Zéphyr ! Je m'appelle Damien, et je suis venu prétendre à ton badge. »

Ma voix est sereine – pour la première fois, je fais face à un champion sans faillir. J'ose même un sourire – franc et déterminé.
Je sais pourquoi je suis ici – je ne pourrai plus trembler.

La jeune femme a l'air jovial ; le regard brillant et la voix douce, elle déborde d'une chaleur et d'une bienveillance qui achève de défaire le nœud de mes épaules, qui se relâchent doucement. Certains champions ont des réputations toutes faites et peu attirantes – l'ancien champion de feu ou l'actuelle championne de glace sont connus pour être des énergumènes peu commodes dans les on dit. D'autres, comme elle, sont plus discrets – et sans doute que ç'aurait dû suffire à me rassurer sur l'adversaire que j'allais rencontrer.

« Le paysage est suffisamment beau pour qu'on ne s'attarde pas trop sur les caprices de la météo, j'imagine... » Je souffle en glissant mes doigts dans mes cheveux humides pour dégager mon front.
Je suis du regard le geste de la championne, en direction d'un plafond qui, lentement, commence à s'ouvrir. La pluie, aussitôt, se met à frapper le sol du terrain dans un bruit sourd – pas désagréable à l'oreille.

Je recule, d'un pas, de deux, afin de m'installer à l'extrémité du terrain qui m'est dédiée. La championne siffle, et une ombre surgit du ciel pour venir s'installer à ses côtés, noble et paisible. Un Altaria duveteux, la tête haute et les plumes à peine moins gonflées que si elles étaient sèches.
La seconde d'après, il s'élance, et lève à chaque battement d'ailes des bourrasques qui me forcent à reculer d'un pas. Le claquement de mes vêtements mouillés contre ma peau m'arrache une grimace – ponctuée d'un frisson – et je ne peux réprimer le soupir agacé qui s'échappe d'entre mes lèvres.
Quelle que soit l'issue de ce combat, je n'aurais pas volé la douche chaude en rentrant chez moi.
Rhapsodie, lui, s'ébroue sans scrupule – et les gouttelettes qui jaillissent de sa fourrure viennent achever l'œuvre de l'oiseau-nuage.
Ce monde m'en veut.

« Pas très poli, ton Altaria, dis-moi... »

Mes doigts hésitent au dessus des Pokéball – l'impétueuse Abîme ou la docile Neptune ; choisir me demande quelques secondes supplémentaires avant que je n'envoie une Pokéball en direction du terrain, et que son faisceau rougeoyant libère une Lokhlass qui salue son adversaire d'un cri enjoué.
Son regard, aussitôt, se porte sur le ciel d'où tombe la pluie, puis dans ma direction – dans ses yeux, comme une demande de permission.
J'acquiesce, lentement.
Aussitôt, elle s'agite, et libère en direction des airs une vague glaciale qui s'en va geler les gouttes de pluie qui s'effondre au sol dans un bruit sec et qui résonne contre les murs de l'arène. La grêle s'abat à présent sur le terrain, cruelle et sans pitié.

« Je te présente Neptune ! Elle sera ma première camarade à t'affronter. » Comme en ponctuation, l'intéressée s'exprime à nouveau d'un cri joyeux – l'air bienheureux de retourner au combat après cette pause qui n'a que trop duré.
Quant à moi, je me perds un instant dans mes réflexions – j'ai l'avantage du type, mais elle a celui de la vitesse. Alors, cette faiblesse, je me dois de la changer en force à tout prix.
« Avalanche !  »

L'avalanche se heurte à une garde cuirassée, dressée au dernier moment par un Altaria plus vif que nos assauts. La neige s'en va se répandre sur le terrain en monticules lissés, tassée par les à-coups de la grêle impitoyable qui continue de s'abattre sur le sol et nos Pokémon. Par moment, les grêlons rebondissent jusqu'à mes pieds, petits cailloux gelés infernaux aux bords tranchants qui tâcheront d'avoir à l'usure ce piaf cotonneux qui n'en démord pas.

Colère.
Perçant les dernières chutes de l'avalanche, l'Altaria s'élance en direction de Neptune.
Je hausse un sourcil, pris au dépourvu par un tel choix. Une capacité de type Dragon, puissante mais avec un tribu si lourd à payer… Je plisse les yeux, sans bien comprendre – est-elle silencieusement en train de monter une stratégie dévastatrice dont je n'ai même pas idée ?
Les champions sont reconnus comme les experts sacrés de leur type dans leur région ; s'ils ne sont pas les plus forts (parce qu'un tas de dresseurs talentueux arpentent les terres sans que jamais l'idée de se consacrer à une arène leur effleure l'esprit), il n'en reste pas moins qu'ils ont suffisamment aiguisé leur art du combat pour parvenir à ce siège-ci.
Les sous-estimer, de fait, serait sans doute une grave erreur.
Mais j'ai beau chercher, je ne comprends pas ce qu'elle essaie de faire.

« Encaisse ! »

La plainte douloureuse qui s'échappe de la gorge de Neptune tandis qu'elle perd l'équilibre sous l'assaut me fend le cœur. Les poings serrés, pourtant, je ne bouge pas. Je sais qu'elle se relèvera – et ma prédiction ne manque pas. Elle se redresse, s'ébroue, et fait tonner dans l'arène un cri puissant qui appelle à la revanche.
À grands coups de nageoires, elle fait glisser son corps sur la neige et la grêle au sol qui, doucement, se change en verglas, afin de regagner sa position initiale, tandis que moi, je braque mon regard en direction de la championne.

Pourquoi je suis ici ?

Je lève les yeux en direction du ciel ouvert, à la limite de cette fine couche glaciaire où la pluie se change en grêle. Je cherche, dans cet infini de grisaille, un sens à donner à mes réflexions éperdues. « Je sais que mes Pokémon peuvent tenir tête aux tiens. Je m'en suis assuré, parce que je me suis renseigné. Mais je sais aussi que je ne dois pas être le premier challenger à tenter la victoire de cette façon-là. C'est la façon dont un dresseur émérite peut contrer un déséquilibre si évident qui m'intéresse. » Je laisse dévier mes prunelles jusque dans la direction de Zéphyr, à l'autre bout du terrain. « C'est qu'une façon pour moi d'apprendre par mimétisme, pour quand mon tour viendra. » Si un jour, il fallait que je me trouve à sa place, et qu'on vienne me défier avec la même facilité évidente qu'un avantage de type,
qu'aurai-je à apprendre à cet adversaire en position de force ?

« Neptune ! Montre-lui comme t'es pas en reste : Draco-Choc ! »

Quitte à sortir le grand jeu – tant que le Pokémon adverse est prisonnier de sa rage ancestrale aveugle. L'intéressée s'ébroue, relève fièrement la tête et charge, la gueule grande ouverte, une onde de choc au moins aussi ancienne que la colère avide de l'Altaria.

« Enchaîne avec Vent Glace ! » Son inspiration à peine retrouvée, voilà qu'elle emporte dans son souffle un torrent de grêle et de poudreuse dans une nuée opaque de froid et d'hiver condensé – droit sur l'oiseau-nuage qu'elle ne compte pas laisser s'en tirer.

Je ne peux m'empêcher de me fendre d'un rire léger. Pour autant, je ne réponds pas tout de suite à sa remontrance légère – trop préoccupé par le nouvel assaut aveugle lancé en direction de Neptune qui, combative, encaisse et répond à mes ordres pour faire payer sa rage insensée à l'Altaria furieux. Son cri se confond en une gerbe d'air glaciale, suffisamment puissante pour repousser son assaillant, qui s'en va rouler dans la boue du terrain frappé par la grêle.
Neptune, essoufflée, poussée dans ses retranchements par les assauts cruels de l'oiseau-nuage, observe d'un œil inquiet cet adversaire féroce mais qui ne se relève pas.

Une poignée seule de secondes s'écoule, avant que la créature ne soit finalement rappelée à sa Pokéball. Je balaie le compliment de la championne d'un léger mouvement de tête, sourire aux lèvres et bras croisés. « C'était que le premier. Il en reste encore trois. » Et ça lui laissait tout le temps nécessaire pour comprendre ma façon de combattre, ma stratégie et, selon ce qu'il se passait, la façon dont j'avais composée mon équipe pour venir l'affronter.

« Hm, oui. J'ai bien prévu d'aller affronter… Takeo, c'est bien ça ? Vous avez pris vos fonctions à peu près au même moment, il me semble ? » Je hausse un sourcil, attendant la moindre confirmation avant de poursuivre. « Mais je crois qu'on apprend beaucoup aussi en regardant faire les autres… Je me demande quelle est la stratégie qu'un champion est capable d'adopter, mis face à ses faiblesses. Capacités de statuts ? Boost de défense ? D'attaque ? Ou bien des changements de Pokémon sur le terrain, pour profiter de stratégies impliquant plus d'un Pokémon à la fois... » Un rictus s'étire sur mes lèvres, indéchiffrable, avant que je hausse les épaules. « Tu me demandes de ne pas inverser les rôles… Mais ce serait mentir de dire que tu n'as plus rien à apprendre, toi non plus, pas vrai ? Je crois qu'on rencontre toujours plus fort que soi, et que l'apprentissage n'est jamais unilatéral... » Oserais-je pour autant affirmer que moi, Damien Delaunay, avais quoique ce soit à lui apprendre à elle, championne d'arène revenue sur le trône ?

Avant que je parvienne à une réponse claire sur la question, mon prochain adversaire apparaît sur le terrain. Airmure à l'air impassible – difficile même de dire s'il a tout à fait envie de se trouver là, au centre de cette arène, tant il ne laisse rien déborder de son attitude désinvolte.

Ses battements d'ailes, métalliques et menaçants, qui résonnent après que l'ordre ait tonné, m'arrachent une grimace. Familière aux intonations, Lokhlass comprend le danger qui pèse sur elle. Dans un hurlement puissant qui ferait trembler des dieux, elle soulève des bourrasques glaciales qui me forcent à reculer d'un pas. Les grêlons dévient de leur trajectoire, tentent d'atteindre la carapace d'acier de l'Airmure impitoyable. Le tumulte est assourdissant – détonations tonitruantes qui résonnent dans l'arène, désespérément vaines.
L'oiseau n'affiche pas la moindre éraflure lorsqu'il s'élève de nouveau dans les airs et qu'il abandonne Neptune au sol, tremblante dans un dernier effort de se redresser qui n'aboutit pas. Les poings serrés, je mords ma langue pour réprimer ces sentiments désagréables qui montent en moi à l'idée que mes compagnons de route puissent souffrir de mes décisions.
Mais mes phalanges blanchies par l'effort se relâchent l'instant d'après, et je me contente de rappeler ma fidèle amie à sa Pokéball. « Tu t'es bien battue, ma belle… J'suis fier de toi. » je murmure, avant d'interchanger la balle avec une autre, auparavant accrochée à ma taille.

Je l'observe dans ma main, quelques secondes, avant de relever les yeux en direction de la championne. « La vérité, c'est qu'on m'a répété un tas de fois que champion, c'était peut-être un futur envisageable pour moi. Mais que j'suis pas sûr d'arriver à me faire à l'idée. »
Je n'attends pas de réponse – je lance dans les airs la Pokéball qui s'ouvre avant même d'avoir atteint le sol, pour libérer de ses entrailles, dans un rugissement puissant, un imposant lion de foudre, qui s'ébroue pour chasser de sa crinière les grêlons qui s'en sont déjà allés s'y accrocher, puis pose sur son adversaire un regard défiant.

« Je te présente Zephiriel ! Il aime bien faire le grand méchant même si c'est un gros chaton. Pas vrai, Zeph' ? » Le fauve feule, battant furieusement l'air de sa queue. À mes pieds, j'entends Rhapsodie lâcher un grondement venu du fond de sa gorge, peu enclin à la concurrence. Je lui adresse un regard bref, avant de reporter mon attention sur le Luxray. « Fais le plein, chaton ! » Nouveau grondement, suivi de crépitements inquiétant et d'étincelles vives qui parcourent son épaisse fourrure en tous sens. « J'compte sur toi pour envoyer la sauce, quoiqu'il arrive. »
Le rugissement résonne comme un coup de tonnerre – la lumière vive qui éclate dans l'arène toute entière me force à protéger mes yeux d'un revers de poignet, les quelques secondes que les éclairs se prolongent.
Je n'entends ni ne vois plus rien de ce qu'il se passe – ébloui, je cherche à tâtons dans l'arène brusquement obscurcie la silhouette de mon fauve ombrageux, et de son adversaire à plumes d'acier.

Lumiris était une région jeune ; une région neuve. Ses meilleurs dresseurs n'atteignaient certainement pas le niveau des dresseurs moyens qui existaient par delà l'océan, et j'en avais bien conscience. Pour beaucoup, Lumiris n'était qu'une région de passage et, moi-même, je ne comptais pas y rester toute ma vie. Mon cœur me ramènerait tôt ou tard à Hoenn – d'une façon ou d'une autre, ce n'était pas à Lumiris que j'entendais écrire la fin de mon histoire. La plupart des champions prenaient leur place sur des trônes inoccupés – et même Kei s'en était allé, me laissant sans moindre rivalité pour me donner l'impression de mériter l'esquisse du projet que je commençais doucement à envisager. « Ouais… J'ai vécu à Hoenn, et à Unys. Et dans la famille, on est plutôt fervents de tournois, donc on a assisté à pas mal de combats depuis les gradins… C'est clair que ça n'a pas grand chose à voir. » Je n'en demeurais pas moins persuadé que la région avait de grands jours à venir devant elle – il lui fallait simplement le temps, le temps de grandir et d'apprendre.

D'ici là, c'était à moi de faire ce même trajet.

La lumière vive des décharges avait laissé sur mes rétines une multitudes de tâches sombres, auxquelles il fallut plusieurs secondes (et bon nombre de clignements de paupières) pour qu'elles se dissipent. J'eu à peine le temps d'apercevoir l'Airmure se désagréger dans sa chute – et de comprendre ce que cela signifiait – que, déjà, l'hôte du clone envolé fusait en ligne droite et meurtrière en direction de mon Luxray. J'avais saisi en un instant ce qui se déroulait sous mes yeux – l'énergie qui, brièvement, liait le Pokémon à son dresseur, la décharge d'adrénaline qui gonflait la puissance de l'offensive à venir.

J'esquissai un pas en avant, ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit. Muet, je reculai d'un pas, tandis que, brusquement, le sol tremblait. Déséquilibré, je ne pus qu'entendre la plainte surprise de mon fauve qui, malgré ses bonds, ne put éviter l'une des brèches qui s'ouvrit sous ses énormes pattes. Un rugissement furieux lui échappa tandis que, malmené par la gravité, il enfonçait profondément ses griffes à la surface, pour se tirer de la faille qui avait voulu l'avaler. Accroupi, une main au sol et l'autre sur Rhapsodie, j'attendais que les tremblements cessent – et de voir ce qu'il adviendrait de Zephiriel.

« Visiblement… La forte brute ne suffit pas toujours. » j'avais sifflé, un rictus goguenard au bord des lèvres, tandis que le fauve se tirait, victorieux, de la brèche vorace qui ne l'avait pas eu. Tremblant sur ses pattes, les muscles tendus par l'effort, il s'ébroua et gronda, crocs dévoilés, feulement menaçant qui montait des tréfonds de sa gorge et de sa rage. Loin du chaton que je minaudais, celui-là était un lion furieux, qui n'en avait pas fini de dévorer sa proie. « Zeph ! » j'avais tonné, et il s'était élancé. À grandes foulées féroces, qui soulevaient à chaque fois des gerbes d'étincelles qui se répandaient sur le terrain tout entier à mesure qu'il réduisait la distance entre son adversaire et lui. L'éclat persistent dégagé par le champ électrifié me força à plisser les yeux tandis que je me redressais, comptant les foulées qui le séparaient encore de l'Airmure.
Cinq…
Quatre…
Trois…

« MAINTENANT ! » Il avait brusquement dévié de sa trajectoire, et ses crocs, prêts à déchiqueter, s'étaient refermés dans le vide. Du même coup, un coup de tonnerre puissant avait retenti dans l'arène, faisant trembler jusqu'au sol sous nos pieds. L'éclair avait fendu le ciel, et déchiré le plafond de grêle pour s'abattre tout droit en direction de l'acier conducteur de l'Airmure.
De nouveau, la lumière vive brûla mes rétines – je ne discernai brusquement plus rien de ce qu'il se passait, de l'autre côté du terrain. Impossible, d'ici, de savoir ce qu'il en était des dommages subis ou infligés. Mes prunelles s'agacèrent, vainement, à chercher la présence de Zephiriel au milieu des décharges qui se prolongeaient.

Ç’aurait été mentir que de dire que je n’étais pas satisfait du spectacle qui s’offrit à moi lorsqu’enfin, la lumière vive du terrain diminua. L’Airmure fut rappelé et Zephiriel, la fourrure gonflée d’électricité, poussa un rugissement victorieux avant de s’ébrouer. Au dessus de lui, la grêle continuait de s’abattre sans pitié, et ce fut presque couché à terre dans l’espoir de lui échapper qu’il recula pour s’éloigner du terrain adversaire où, déjà, le prochain concurrent faisait son apparition. Entamant des allées et venues interminables, il se pourlécha les babines en avisant le Lakmécygne qui le saluait avant de prendre son envol.

« Ouais… Zephiriel a longtemps été sauvage. C’est peut-être pour ça. »

Il avait appris à combattre non pas pour le spectacle, mais pour la survie.
Il était déjà évolué, grand et puissant quand je l’avais récupéré. Il portait encore, par endroit, sous sa fourrure, les stigmates d’une histoire que je ne pouvais qu’imaginer – sans doute victime des hommes qui chassaient par plaisir des trophées. C’était tout du moins le récit qu’on m’avait raconté.
Il faisait partie de ceux à qui il avait été le plus difficile d’apprendre la correspondance des ordres que je lui donnais avec les capacités qu’il utilisait – parfois, encore, des erreurs se glissaient dans notre symbiose toute relative. Mais j’avais confiance en lui, suffisamment pour savoir qu’une erreur de communication de signifierait jamais qu’elle soit fatale ; je croyais en les instincts de mes Pokémon plus encore que je ne croyais en mes propres directives.
D’abord terrifié, Zephiriel avait lentement retrouvé ses aises en comprenant que plus personne, ici, ne viendrait plus lui faire le moindre mal. Solitaire et taciturne, il avait un quelque chose qui ressemblait à Rhapsodie – et c’était sans doute bien pour ça que ce dernier, à mes pieds, ne pouvait s’empêcher d’être nerveux lorsqu’il se trouvait à proximité du fauve. Ils avaient fini par me convaincre que qui se ressemble trop et n’a pas pansé ses plaies se déchire forcément.

Au dessus de lui, les bulles d’eau qui se formaient l’avaient rendu plus nerveux encore. Ses pas s’étaient pressés, et il avait tenté d’échapper aux assauts – en vain. Le laser de glace lui avait barré la route, et les bulles l’avaient atteint. Son bond, rendu maladroit par sa faiblesse soudaine, l’avait précipité sous le rayon mauvais. Son râle, furieux et impuissant, m’avait brisé le coeur mais, s’il restait au fauve toute la rage vaine dont il était capable, son corps, lui, semblait désormais refuser de le porter.
Déchiré par le spectacle du Luxray qui tentait misérablement de se redresser sur ses pattes tremblantes, assommé par la grêle et le froid, j’avais serré les poings. « Tu t’es bien battu, champion. Reviens, maintenant. » j’avais soufflé, en le rappelant à sa Pokéball, espérant que le repos l’apaiserait.

La suite…
La suite, je la connaissais.
La suite, je l’avais préparée.

Je m’étais saisi d’une troisième Pokéball, et avait relevé la tête en direction de la championne. Sa théorie avait au moins eu le mérite de m’arracher un rire, léger, et de forcer mes épaules à se relâcher. « Nan, nan… J’ai pas mal de diversité dans mes compagnons, à vrai dire… Tu l’auras remarqué. Mais je me spécialise plutôt dans le type ténèbres. Ce bonhomme à mes pieds, là… j’avais lâché, en désignant Rhapsodie qui, devinant qu’on parlait de lui, avait levé un regard curieux dans ma direction. Ce fut le premier d’une longue lignée… » Cependant, ce n’était pas lui qu’elle aurait l’honneur d’affronter en suivant.
Ni même l’un des trois autres compagnons ténébreux qui m’accompagnaient.

« Louve, à ton tour ! »

La Lucario était apparue sur le terrain, l’oeil enjoué et les gestes frénétiques. On devinait sans peine que, malgré son évolution, elle était encore jeune, joueuse et dissipée. « J’te présente Louve ! Elle adoooore faire des câlins… J’pensais qu’elle se calmerait en évoluant, mais non… Essaie de pas laisser tes Pokémon l’approcher de trop près. » J’avais laissé un rictus amusé s’étirer sur mes lèvres, et Louve, elle, avait salué son adversaire de grands gestes du bras, probablement parce qu’elle avait déjà vu des humains en faire de même.

« Allez ma belle, c’est à toi ! » Tu sais ce que t’as à faire.
Parce que cet enchaînement-là, on l’avait répété. On s’était entraînés. Et, à l’étincelle qui avait lui dans son regard quand elle avait constaté le champ électrifié au sol, il était évident qu’elle avait compris.
Son tour était venu de sortir le grand jeu.

Lentement, l’éclat du champ au sol s’était amplifié ; les crépitements étaient devenus assourdissants, et des arcs électriques s’était formés, à la manière d’arches ou d’éruptions. Toujours plus haut, toujours – à la poursuite du Lakmécygne qui serait bientôt à la merci de la foudre…

« Fais-le tomber ! » Le sol avait tremblé. Des roches, tirées des ravages de l’attaque Z qui avait ouvert des brèches dans le sol, s’étaient élevées, rassemblées dans un tourbillon poussé par les pouvoirs psychiques de la Lucario (qui s’amusait sans doute un peu trop à faire voltiger les débris). L’aura qui les entourait, assurant leur équilibre, s’était brusquement dissout, et la gravité avait précipité leur chute en direction du Lakmécygne.
Le condamnant, si rien ne les arrêtait, à plonger dans les foudres impitoyables du champ.

Moi aussi, j'avais fini par me demander quel genre de champion je pourrais être, et ce qui n'était au début qu'une pensée vague avait pris la forme d'une idée un peu trop présente, que je continuais de traduire en éventualités maladroites. Je ne me sentais pas les épaules de Kei Kirishima – je ne serai jamais lui, je n'aurai jamais ni sa prestance, ni son charisme ; je ne serai jamais celui qui, face à Lauriane, était resté invaincu, ni celui qui, face à moi, l'avait été aussi. C'était cette idée-là qui me terrifiait – me paralysait.
Mais, doucement, aussi saugrenue que l'idée puisse être, je m'étais rappelé qu'il n'avait sans doute pas commencé différemment de moi. Qu'il avait été maladroit et tête brûlée, qu'il avait sans doute déjà échoué, et puis qu'il avait appris… Par la force des choses. Il n'était pas né puissant et respecté – il l'était devenu.
Et moi, dans tout ça, je n'étais pas lui – ma pierre à l'édifice serait forcément différente. Mais c'était peut-être ce qu'il fallait… Écrire ma propre histoire, même si j'avançais dans ses pas. Peut-être qu'était venu le temps de se dire qu'une relève n'était qu'un nouveau récit.

Lorsque Zéphyr avait libéré son ultime Pokémon, j'avais compris dans l'instant, et avant même qu'elle ne le dise, que je faisais désormais face à son adversaire le plus coriace. Le challenge ultime – le dernier rempart à ma victoire qui marquerait le début d'un tout autre chapitre que ceux que j'avais écrits jusqu'ici.
La déferlante d'énergie qui avait secoué le terrain lorsque la méga-gemme s'était illuminée m'avait fait frémir, et j'avais observé le spectacle avec une admiration indéniable – cette puissance-là, lien sacré qui unissait un Pokémon à son dresseur, parvenait toujours à m'attirer le respect de ceux qui parvenaient à la maîtriser si simplement, avec la force de l'expérience.
Aussi nerveux qu'impatient, j'avais souri. « Je vois que tu me prends au sérieux, pour sortir le grand jeu... » Presque mot pour mot ceux que Lise avait eu à mon égard, lors de notre premier affrontement. C'était elle qui, avant tous les autres, m'avait donné mon premier élan – l'hommage était moindre, mais important. « Quelle que soit l'issue du combat, sache que ce plaisir aura été partagé ! »

Le premier assaut du volatile à la longue crète multicolore fut reçu de plein fouet, par une Lucario qui avait vainement tenté de se protéger en croisant les pattes devant sa figure inquiète, qui s'était défaite de ses espiègleries habituelles. « Prépare-toi ! » Elle m'avait adressé un regard anxieux, puis s'était concentrée sur les débris qui, portés par les bourrasques puissantes, fonçaient en piqué impitoyable dans sa direction. Il ne lui fallut qu'une seconde, avant que ses muscles se bandent – son regard s'était fait féroce, et elle avait esquivé. Débris après débris. Son poids avait basculé, d'un côté, puis de l'autre, et elle s'était même servie des roches qui s'échouaient sur le sol pour éviter les suivantes qui menaçaient de la frapper de plein fouet. Ses esquives avaient l'air d'un ballet macabre – d'une dernière danse pour contrer la mort.
Elle s'était arrêtée, haletante, couverte de poussière rendue collante par la sueur et la pluie mais indemne, le genoux à terre mais l'air de savoir parfaitement, désormais, ce qu'on attendait d'elle ici.

« Louve ! »
J'enclenchais la petite pierre turquoise que j'avais tiré de ma poche pendant qu'elle se démenait avec le Tranch'Air de son adversaire dans mon bracelet. Aussitôt, une vague d'énergie – bien plus infime que celle de la méga-évolution du Roucarnage – avait dessiné les arabesques gelées entre nous. Elle s'était redressée, dans un hurlement destiné à une lune aveugle et, sous ses pattes, le sol avait gelé. Elle s'était mise à courir, à grandes foulées qui l'avaient précipitée sur l'un des promontoires provoqué par les fissures et les débris. Son poing s'était chargé d'une énergie puissante, concentrée et destructrice.
« Laser Cryogénique ! »
Elle avait frappé du poing dans le vide.
La première fraction de seconde, il ne s'était rien passé.
Et puis, l'air avait gelé.
Comme au terme d'une de ces expériences à reproduire chez soi qui consistait à frapper sur une surface dure une bouteille d'eau qu'on avait laissé refroidir tout juste assez pour qu'elle soit encore liquide mais à deux doigts de geler. Le coup donné avait pour effet de la solidifier instantanément. C'était le principe de la surfusion – et c'était à peu près ce qui était en train de se produire sous nos yeux.
L'air, autour de l'onde de choc, semblait s'être solidifié d'un seul coup, traçant sa trajectoire tout droit en direction du Roucarnage.
Vitesse fulgurante – la glace s'était toute entière condensée autour du volatile, dessinant des motifs étranges à la manière de flocons de neige uniques en leur genre.
Et puis, la glace avait éclaté, en un millier de débris scintillants.

De l'autre côté du terrain, impossible de voir ce qu'il s'était passé. S'il se relevait, d'une façon ou d'une autre, tant pis.
Il me restait encore une carte à jouer.

Sans surprise, mon attaque Z fut – partiellement – contrée par un abri érigé au dernier instant contre la salve glaciale qui n'aurait fait qu'une bouchée du volatile si elle l'avait frappé de plein fouet. Un sourire léger s'étira sur mes lèvres. Jusqu'ici, tout se passait plus ou moins comme prévu. Toutes les cartes maîtresses de la championne avaient à présent été jouées. Le contre, le cristal et la méga-gemme étaient toutes entrées en action. Moi… Je n'en avais pas fini avec elle.
Louve reçut de plein fouet la bourraque fatale, sans que je ne tente rien pour la sauver. Elle avait posé le genou à terre, digne mais épuisé, m'adressant un regard désolé qui ne m'avait qu'arraché un acquiescement léger, signe approbateur de son combat durement mené.
Sans un mot, je l'avais rappelée à sa Pokéball, puis m'étais saisie de la dernière qu'il me restait à jouer.

Rhapsodie, à mes pieds, avait levé deux prunelles curieuses. Je devinais, aux petits mouvements agacés de ses griffes qui martelaient l'herbe, qu'il aurait aimé en découdre. Cette guerre, pourtant, se menait sans lui. Et je m'apprêtais à la remporter. « Eden ! » L'Absol, surgit hors de la Pokéball, avait bondit avec élégance sur le sol martelé par la pluie qui nous entourait. Sous les étincelles du Champ Électrifié, son pelage obscur s'allumait de reflets étranges et fascinants, qui semblaient teinter sa fourrure de fils d'or épars.
À son cou, dissimulé dans son épaisse collerette de poils, un œil attentif aurait pu apercevoir la méga-gemme luire sous la lumière, bien avant que je ne porte sa main libre à l'identique accrochée à mon poignet, au milieu du pêlemêle de bracelets emmêlés qui se chevauchaient.
Eden m'adressa un regard confiant, tandis que l'énergie, par vagues puissantes, balayait à son tour le terrain. La lumière qui l'enveloppa semblait monter tout droit du Champ électrique sous ses pattes et, lorsqu'elle se dissipa, la créature était splendide, noble et silencieuse. Simplement paisible – force tranquille de mon équipe.


« Danse-Lames ! » Il s'était ébroué, puis élancé en avant. À chaque foulée, sa corne dessinait des arabesques aiguisées dans les airs. Son regard se fit plus assuré, plus ardent ; ses foulées plus puissantes. Il frapperait fort, et l'observer courir droit vers son adversaire suffisait à le comprendre. « Close-Combat ! » Pas une faiblesse. Rien qu'une attaque directe, puissance, rude et impitoyable.
L'impact serait sans merci.

Les mots moururent sur les lèvres de la championne à l'instant où mon ordre tonnait dans l'arène balayée par la pluie. À l'instant même où le sien s'étouffa, je savais. Elle s'était tue, et avait baissé la tête. Digne mais vaincue. L'entrechoc des griffes, des crocs, du bec et des serres avaient été sans merci – le tumulte avait presque couvert le bruit de l'averse qui n'avait pas diminué. Je n'avais pas esquissé le moindre geste – je n'avais pas desserré les poings. Je n'avais pas prononcé le moindre mot – j'avais même oublié de respirer, l'espace des quelques secondes qu'avait duré l'assaut impitoyable contre l'oiseau.

Il s'était effondré.
Les plumes gorgées d'eau, mis à terre par un Absol au regard fier. J'avais laissé filer d'entre mes lèvres un soupir fébrile, réalisant soudainement comme mon cœur s'était mis à battre une chamade folle. La tête me tournait, mes mains tremblaient – c'était comme un vertige qui se prolongeait. L'adrénaline brusquement secouée dans toutes mes veines m'avait propulsé loin du sol, et j'avais l'impression de me tenir debout sur un radeau à l'équilibre menacé.

Elle avait tendu une main flatteuse en direction du Pokémon, qui l'avait brièvement reniflée avant de s'offrir à la caresse bienvenue. Puis, ses pas l'avaient menée sous la pluie qui, lentement, diminuait. Pas après pas – c'était comme si Zéphyr entraînait l'éclaircie dans son sillage. Eden, qui la talonnait de près, avait repris sa forme initiale dans une lueur brève qui s'était fondue dans les rayons tièdes qui soulevaient déjà du sol une odeur de pétrichor qui m'aurait arraché une grimace si les circonstances n'avaient pas été ce qu'elles étaient.

Comme par mimétisme, je m'étais avancé, sous la pluie qui se dissipait peu à peu, pour ne m'immobiliser qu'à deux pas d'elle. De mon adversaire. De la championne que je venais de surpasser. De peu. « J’ai déjà perdu de nombreuses fois. Mais on m’a rarement mis au pied du mur comme ça. J’étais sûre d’avoir encore une chance avant ton close combat. C’était audacieux. T’as mérité ça. » Les nuages s'étaient écartés. La pluie avait cessé. Les rayons du soleil, eux, s'étaient échoués sur l'acier du badge ailé, jouant avec ses reflets colorés.
Je m'étais laissé le temps d'une profonde inspiration avant de tendre la main, pour m'en saisir doucement et l'admirer.
Mon troisième badge.

« Ça s'est joué de peu… » je murmurai, haussant les épaules dans une modestie maladroite. C'était pourtant vrai. « C'était un peu tout ou rien, ma dernière action. C'était un beau défi à relever. » J'avais plongé mon regard au fond du sien, et j'avais simplement souri. La gorge nouée ; trop heureux pour dire à quel point. « Si jamais je poursuis la même voie que toi… Je tâcherai d'offrir à mes challengers une épreuve à la hauteur de celle à laquelle tu m'as confronté. » J'avais encore un long chemin à parcourir, et mes prochains adversaires seraient certainement plus rudes encore que ceux que j'avais déjà affrontés… Mais j'étais préparé. C'était une promesse de moi, à moi-même : j'irai aussi loin que mes jambes et mes rêves sauraient encore me porter.
Le bout du monde ne serait probablement pas assez.

J'avais reculé, d'un pas, et puis de deux. J'avais incliné la tête, lentement. « Merci. » Et puis, refermant mon poing sur le badge, j'avais tourné le dos à la championne. La tête haute, Eden et Rhapsodie sur les talons, j'étais sorti de l'arène. J'avais offert mon visage au soleil timide, à la brise fraîche et vivifiante qui soufflait sur l'archipel volant.
La tête renversée en arrière, j'avais fermé les yeux, et m'étais laissé bousculé par le vent.

« J'ai réussi. » j'avais soufflé, pour moi-même et pour le vide. « On a réussi. » Lise, Kei, attendez-moi ; je ne suis plus si loin derrière aujourd'hui. Ils étaient partis – avec eux leurs promesses, avec eux des étincelles que j'étais parvenu à raviver à la force de mes déraisons insensées et de ceux qui m'avait bousculé. Regardez-moi, je suis là maintenant, j'ai cessé de vous courir après et j'ai grandi. Beaucoup de larmes, beaucoup de rage ; des éclats de colère indociles et tant de terreur plus tard – mon poing serré sur le symbole d'une nouvelle page à peine entamée…

Je crois que je l'avais trouvée, enfin.
Ma putain de raison d'avancer.