C’était le maillot de bain que son amour lui avait choisi. Sa respiration s'était précipitée. Une pointe de nervosité lui chatouillait l’estomac. Seule dans la cabine d’essayage, Astelle se sentait toute chose.
Après tout ce temps qu'elle avait passé à en rêver…
...sa petite amie l’attendait derrière la porte.
Porte qu’Astelle maintenait fermée en y appuyant le dos de toutes ses forces.
La raison ? Manon n’avait pas arrêté de l’embêter, et cherchait encore à forcer l’ouverture de la cabine pour se rincer l'œil. ...à cause d'elle, la petite postière avait dû se changer dans la précipitation et la crainte de voir son amie réussir à la reluquer pendant qu’elle se déshabillait.
...non mais vraiment, si Astelle n'en était pas si férocement amoureuse : sûrement aurait-elle détestée cette peste qu’on appelait Manon Dubell !

— Je suis prête, annonça la petite postière en quittant la cabine d’essayage, les joues gonflées et la moue boudeuse.
Pour se venger, elle avait revêtu un t-shirt de plage et un paréo qui dissimulaient complètement ses formes. Et toc ! Manon n’aurait absolument pas le loisir de la reluquer, et c’était bien fait pour elle !
Cependant... tandis qu’elles sortaient ensemble sous le soleil. Échangeant sourires et regards timide... cherchant l’une et l’autre quel serait le meilleur moment pour se prendre par la main… Astelle réalisa qu’il était simplement impossible de continuer à lui en vouloir.

Ivre de bonheur, leurs doigts tendrement entrelacés...
...elles marchèrent toutes deux jusqu’au bord de l’eau.
De toute façon, ce n’était pas le moment de se disputer.
Elles étaient ici pour surfer !

Libérant son pokémon sur la berge, Astelle tourna un petit sourire timide à son amie.
— Je te présente Billabong. ...c’est le pokémon qu’une surfeuse de mon club a bien voulu me prêter. Il est robuste et docile, c’est le partenaire parfait pour une séance de surf en duo ! Et par duo, ce que je veux dire, c’est… en a-... amoureuses… toutes les deux...
Rougissant sous le regard de Manon, Astelle abandonna son t-shirt et son paréo, dévoilant le maillot de bain que son amie lui avait choisie. Elle ne lui laissa cependant pas le loisir de se rincer l'œil. En la tenant tendrement par la main, elle invita l'élue de son cœur à la rejoindre sur le dos du Démanta.

— Douuuuucement… conseilla Astelle. Pour surfer sans harnais, il est primordial de bien faire attention à la façon dont on transfère son poids. C’est le moyen principal de se faire comprendre de Démanta. Comme tu es une débutante, on va…

...leurs pieds posés sur la chair stable et ferme du Démanta, Astelle vint délicatement enlacer Manon. Leurs silhouettes s’épousèrent, tandis que d’ajustements subtils, la petite surfeuse modifiait leur position. Collées l’une à l’autre à partir du niveau des hanches, seuls leurs jambes restaient écartées.
Avec une pointe d’embarras, la jeune fille se surprit à déglutir. Astelle sentait la texture du maillot de bain de Manon sur sa peau, cette chaleur, qu’elles partagaient là où leurs corps se touchaient...
A l’origine, elle avait prévu cette session de surf pour séduire son amie, mais…
...c’était beaucoup plus efficace qu’elle ne l’avait cru !

Fermant les yeux, la jeune fille tâcha de rester concentrée.
Elle avait encore des explications à lui donner.
— ...pour conserver notre équilibre, il va falloir que tu me suives, d’accord ? Si je commence à me pencher d’un côté… dit-elle en s’appuyant progressivement contre Manon. ...voilà, tu accompagnes doucement le mouvement. C’est comme une valse, au-dessus des eaux…

Entièrement rouge, et la tête reposant contre la poitrine de son amie (en raison de leur différence de taille), Astelle releva timidement les yeux vers l'élue de son cœur.
— ...tu es prête, n’amour ? chuchota-t-elle avec une douceur infinie.

Et juste comme ça, elles étaient parties.

Les deux amies firent un pas sur le large dos du Démanta, et lui donnèrent l’impulsion qu’il attendait. Les muscles du pokémon se contractèrent. D’un mouvement souple des nageoires, ils fusèrent tous les trois ensemble à la surface des flots !

— Le poids sur tes talons ! prévint Astelle, pour qu’elles retrouvent leur équilibre après ce départ un peu vif.

Mais voilà qu’enfin...
...elles y étaient.

Au-dessus des eaux bleutées.
Mains jointes, s’épousant l’une et l’autre, elles sillonnèrent les flots couronnés d’écume. S'élançant ensemble à l'assaut des vagues, le vent sifflait à leurs oreilles. Les embruns leur déposaient un goût de sel sur les lèvres. Leurs chevilles, ponctuellement éclaboussées, leur renvoyaient une sensation de fraîcheur glacée. Et Manon…
...Manon était lovée tout contre elle, sous ce soleil radieux.
...juste à elle.
A lui répondre, à chaque poussée.
A l’écouter et à la suivre, de tout son être.

Infléchissant sur ses hanches, Astelle initia un virage.
Et les blancs et les bleus virèrent avec eux ; l’horizon et la plage mixés dans un tourbillon d’azur. Un doux vertige vint peser sur leurs estomacs. Bilabong, sous leurs pieds, contractait ses muscles et enfonçait ses nageoires sous la surface... amenant ses surfeuses à fléchir sur leurs genoux pour garder l’équilibre. Les rafales s’intensifièrent et firent voleter leurs chevelures brunes.
Sur les flots et sur l’écume, les deux surfeuses tracèrent un sillon de blancheur. Et l’oreille posée sur la poitrine de Manon, la jeune fille entendait battre le cœur de son amoureuse. De plus en plus vite, de plus en plus fort.
Elle resserra son étreinte autour de la taille de sa petite amie.
D’une avide tendresse, elle chercha son regard.
Et avec les vagues et le soleil pour seuls témoins, lui murmura mille mots d’amour.

Le temps se dilate et se rétracte : j'ai l'impression que la vie s'accélère tout en allant au ralenti. Est-ce l'alcool ou l'amour qui me rend ivre ? Dans tous les cas, je me délecte de chaque instant avec Astelle. Nos mains timides qui se lient, nos sourires à la fois tendres et farouches, nos taquineries dans les cabines d'essayages, ... je me sens très bizarre. Il y a quelques heures, Astelle était mon amie et maintenant elle est ma mie. Nous changeons de comportement comme si de rien n'est, comme si nos sentiments ont toujours été là et n'ont cherché qu'à s'exprimer depuis tout ce temps.

« Je suis prête. »

La jeune fille sort de son cagibi pour dévoiler son maillot de bain, voilé par un paréo immaculée et un t-shirt quelconque. Finalement, cela ne me surprend pas d'elle : je sais qu'elle ne va pas me dévoiler ses charmes aussitôt. De toute façon, la demoiselle me plaît comme elle et pour moi, sa pudeur participe beaucoup à son charme.

« Tu sais Astelle ... »

Je balance mes pieds nerveusement, assise sur le banc, les joues rosées, le regard fuyant mais le sourire éclatant.

« Même avec un costume de grand mère, j'te trouverais toujours aussi belle. »

Pour ma part, ça sera un maillot de bain, une pièce noir et échancré. Couverte seulement par mon gilet de sport et mes tongs, nous partons toutes excitées vers la mer.

L'air iodé rafraichit mes narines et le sable chatouille nos pieds. Nos rires s'entremêlent au bruissement des vagues. Astelle, moi et la mer, plus rien d'autre ne compte dans ce monde. Mes soucis s'évanouissent, préférant profiter de l'instant présent que de ruminer. Je suis aveuglément ma dulcinée sur la plage, en songeant à quel point je souhaite vivre éternellement ce souvenir ; qui bientôt deviendra un fragment du passé.

La brunette me présente un tout nouveau pokémon nommé Billabong. Appartenant à une fille du club de Surf, cette dernière a gentiment prêté son Démenta à Astelle pour ses excursions nautiques. Une petite voix au fond de moi me méfie de cette jeune fille, persuadée qu'elle a des vues sur Astelle. Cependant, vu comment cette dernière peine à me dire « amoureuses » pour évoquer nous deux, je suis davantage convaincue qu'elle a des sentiments pour moi. Je pouffe un léger rire amusé, posant ma main sur sa caboche pour l'ébouriffer affectueusement.

« T'as vraiment tout prévu ma belle ! J'ai hâte ... »

La jolie brunette m'amène dans les flots,   sans me payer le luxe de mater sa tenue de baignade. Mais rien n'échappe à l'oeil attentif de Manon Dubell, apercevant un morceau de tissu juste avant de disparaitre dans les flots ! Taquine, j'hésite pas à faire un commentaire.

« Il te va vraiment bien, ce maillot d'bain ! »

Toujours les mains liées, Astelle m'amène vers notre accompagnateur marin en me proposant de grimper. C'est la toute première fois que je navigue sur le dos d'un pokémon. Étant très maladroite, je galère à monter dessus. Sa peau est tellement lisse que j'ai du mal à m'accrocher et avec tous les kebabs que je me suis enfilée, pas facile de contrôler mon poids concentré dans mon popotin. Mais grâce à l'aide d'Astelle et beaucoup d'acharnement, je parviens à dompter la bête.

« Enfin ! Ch'uis d'ssus ! Woouu ... »

Soudain, je commence à perdre l'équilibre. Bordel, j'ai failli basculer à l'eau. Aplatie comme une crêpe sur le Démenta, j'accroche péniblement ses nageoires tandis qu'Astelle me donne des astuces pour être à l'aise. Il suffit d'y aller doucement et être attentif à son équilibre corporel. Après avoir trouvé le bon appui, je me redresse légèrement jusqu'à trouver la bonne position.

« Ça y'est, ch'uis calée ! » j'annonce avec les membres tout contractés et tremblotant.

Lorsque la demoiselle vient s'installer à côté de moi, j'agrippe fermement son épaule. Nos corps collés l'un contre l'autre, les jambes écartées, les doigts accrochant les nageoires du pokémon raie, nous sommes parées à partir. Avant de décamper de la plage, Astelle me signale comment suivre le mouvement : je vais devoir accompagnée les gestes de la jeune fille, comme si nos corps ne font qu'un. Appréciant cette proximité, je ne peux pas m'empêcher de déconner en exagérant les mouvements. Alors que la postière cramoisie est blottie contre ma poitrine, je la mire avec des yeux remplis de tendresse.

« ... tu es prête, n’amour ?
- Je suis prête, ma belle. »

Le démarrage est si brutal que je vacille. Écoutant les conseils de pro de ma copine, je pousse sur mes talons afin de maintenir mon équilibre. Chaque astuces d'Astelle sont un miracle : il suffit de l'écouter pour que la technique fonctionne ! Maintenant, nous pouvons filer sur les vagues et profiter de l'air marin.

Je suis comme une gamine qui pousse des cris d'excitation et d'admiration à tout va. Chaque choses que je perçois et que j'expérimente deviennent exceptionnelles. J'ai déjà conduit un scooter des mers mais la sensation sur le pokémon est complètement différente. Les efforts que doivent faire nos muscles pour suivre le Démenta rend cet instant davantage intense et unique. J'ai l'impression que c'est moi qui nage, c'est moi le Démenta.

Je commence à prendre la confiance et à relever la tête. Cette brise marine ravive mon visage brûlant et mes orteils trempant dans l'eau rafraîchit mon corps sous le soleil qui tape.

« WOUHOOOOUUUU »

Je salue les Bekipans volant au dessus des flots puis je reviens étreindre mon petit bout de femme. Après un tendre câlin, je lui susurre des mots doux et sincères.

« J'apprécie vraiment ce moment avec toi. Si j'avais su qu'être ensemble me rendrait aussi heureuse ... je crois qu'le premier jour où on s'est rencontré j't'aurais fait ma déclaration. Directe. »

Même si le contexte de cette première rencontre ne s'apprête absolument pas à ce genre de scène. Dans tous les cas, c'est aujourd'hui et maintenant que nous pouvons manifester notre amour sans tabou. Astelle se pose contre mon cœur et sachant qu'elle peut l'écouter, mon rythme cardiaque s'accélère. Nous nous échangeons une infinité de tendresses comme pour rattraper le temps perdu. J'aurai voulu que ce moment ne s'arrête jamais.

Après un long moment à parcourir la zone, un îlot attire mon attention. Isolé dans cet océan immense, un rocher en forme de plongeoir trône sur la petite île. Ayant très envie de faire une baignade, je suggère à mon amoureuse une brève escapade.

« Ça t'dit on va s'poser sur la p'tite plage là bas ? J'ai grave envie d'y faire un plongeon ! »

Direction l'oasis ! Ici, personne ne viendra nous enquiquiner. Loin de la terre ferme, loin des regards malveillants, nous aurons enfin notre intimité dans ce lieu rien qu'à nous.

***

J'ai une drôle de sensation lorsque j'atterris sur le sable fin. Habitué aux vagues, le sol ferme perturbe mon système vestibulaire. Je me laisse donc tomber sur la berge, en riant aux éclats.

« J'pens'rai pas que ça s'rait aussi génial de surfer sur un pokémon ! »

Ce qui est incroyable, c'est que je n'ai même pas envie de fumer. J'ai juste envie d'embêter ma dulcinée en l'éclaboussant avec mes pattes qui trempent dans l'eau.

« Allez viens, on va se mouiller ! »

Je glisse délicatement dans la mer. Bien qu'elle soit fraîche, je sens mes muscles se raffermir et cela me fait du bien. Une vague de bien-être parcourt l'intégralité de mon être, me forçant au lâcher-prise. Entraînant doucement la brunette avec moi, je m'amuse à faire flotter mon corps.

« Tiens, tu peux t'accrocher à moi j'te servirai de planche. Mais attention t'appuie pas trop hein, faut pas qu'je coule ! »

Après cette baignade en amoureuse, nous allons effectuer notre deuxième baptême de l'air. Observant la pointe de la falaise, j'estime qu'elle doit être à 5 mètres des flots. Mes yeux se posent alors sur la jeune fille qui me contemple.

« Toi tu s'rais capable de sauter de là-haut ? » je la questionne en pointant mon index vers le sommet.

Allez Astelle, je sais que t'es pas une flippette. Si moi je peux le faire, alors toi aussi !

— WOUHOOOOUUUU
Enlacées, elles dansaient l’une et l’autre sur les flots bleutés.
Attentive au relief de l’océan, Astelle corrigeait soigneusement leur posture. Pour montrer l’exemple à sa compagne, elle déplaçait son poids d’un pied sur l’autre, puis basculait le bassin pour accompagner la glissade du Démanta. L’écume bouillonnait sur leur passage. La peau lisse du pokémon fusait à l’intérieur des rouleaux d’eau salée... et saluant leur performance, le sifflement du vent et le fracas des vagues sonnaient comme les vivats d’un public exalté.
La petite postière se sentait pousser des ailes. Une émotion vive et lumineuse gonflait sa poitrine.
Comblée de ravissement, de chaleur, de bonheur, elle joignit son cri à celui de Manon.

Tandis qu'elles surfaient de manière à rester à l’intérieur d’un creux entre deux vagues, zone plus calme, qui leur demanderait moins d’efforts et de concentration, sa petite amie se pencha davantage sur elle. La serrant tendrement dans ses bras, Manon lui murmurait des mots doux à l’oreille.
— J'apprécie vraiment ce moment avec toi. Si j'avais su qu'être ensemble me rendrait aussi heureuse ... je crois qu'le premier jour où on s'est rencontré j't'aurais fait ma déclaration. Directe.

Astelle se sentit rougir.
— Oh… si tu avais fait ça, je crois que… balbutia-t-elle.
...j’aurais appelé la police. Direct !

...ah bah vi, j’étais mineure, et toi pas. ...mais on se serait retrouvées à ta sortie de prison !

Rassurant sa compagne sur le fait qu’il s’agissait bien d’une plaisanterie, la petite postière resserra doucement son étreinte autour du corps de Manon. Laquelle, peut-être sensible à l’épuisement d’Astelle, lui suggéra.
— Ça t'dit on va s'poser sur la p'tite plage là bas ? J'ai grave envie d'y faire un plongeon !
Elle n'était pas contre le fait de prendre un peu de repos. L'exercice était amusant, mais coordonner Manon et le Démanta lui demandait beaucoup d'efforts et de concentration.

— T’as entendu, Billabong ? Direction l’île !



Libérant un long ululement de joie, le pokémon prit la direction de la plage.

***

L’île n’était pas très grande. A peine une crique ensablée, surplombée d’une falaise de rocaille noire. D'ailleurs, une fois crique et falaise mises bout-à-bout, la forme de l’îlot évoquait vaguement un croissant à moitié trempé dans du chocolat. Une remarque qu’Astelle se faisait car elle commençait à avoir faim.

Laissant son pokémon jouer dans l’eau, la jeune fille abandonna dans le sable le petit sac en tissu qui reposait contre sa hanche. Pour ne pas charger inutilement le Démanta, celui-ci ne contenait pas grand chose : juste une mini-serviette, une petite bouteille d’eau et… le cœur en chocolat qu’elle avait confectionné pour se déclarer à Manon.

Son amie, d’ailleurs, la pressait déjà pour qu’elles se aillent tout de suite se baigner. Timide dans son maillot de bain blanc, deux-pièces qui dénudait des portions déraisonnables de son ventre, elle se dépêcha bien vite de rejoindre Manon. Main dans la main, sa compagne l’entraîna dans l’eau.
— Tiens, tu peux t'accrocher à moi j'te servirai de planche, proposa celle-ci. Mais attention t'appuie pas trop hein, faut pas qu'je coule !
— Je sais nager, hein… rétorqua la petite postière d’une voix faussement boudeuse, avant d’en profiter pour passer délicatement ses bras autour du cou de Manon.
Pendant un long et un doux moment, Astelle se laissa porter. L’eau lui semblait un peu fraîche, mais la proximité câline de son amie réchauffait sa peau froide. Respirant lentement au rythme des vagues, la petite postière vint presser ses lèvres sur la joue de Manon, et y déposer un long baiser à la saveur d’eau de mer.  

Flottant ensemble, et doucement ballotées par les vagues, les deux amies observèrent le croissant au chocolat la falaise d’un œil rêveur.
— Toi tu s'rais capable de sauter de là-haut ? lui demanda Manon en pointant son index vers le sommet.

Cette question fit briller une lueur inquiète dans son regard.
Dans un geste possessif, Astelle resserra son étreinte sur le corps de Manon. Forçant soudainement son amie à nager avec beaucoup plus de vigueur pour les empêcher de se mettre toutes les deux à couler !

— ...bien sûr qu’on en est capables, déclara Astelle d’une voix ferme, mais on ne le fera pas !
La falaise n’était pas impraticable, mais cette pierre noire et lisse ne lui inspirait rien de bon. Léchée par les embruns, elle serait sûrement glissante, et y sauter ne paraissait pas sans danger.

— Si jamais on rate notre coup, on pourrait bien se casser la jambe. Ou pire. Ce n’est pas vraiment le souvenir que je voudrais conserver de ce premier rendez-vous.

Tandis qu’elle parlait, un mouvement à la périphérie de son champ de vision attira son attention.

— ...ceci dit, n’amour. Il y a un groupe de Krabby qui profite de l’occasion pour me chaparder mon sac, continua Astelle d’une voix mesurée, en guettant la petite armée de crabes qui se dirigeait vers l’océan. Et dans ce sac, il y a le chocolat que j’ai passé toute l’après-midi d’hier à préparer. ...si on ne fait rien, je sens que je vais me rappeler notre premier rendez-vous comme la journée où c'est un Krabby qui a volé le cœur que je m’apprêtais à te donner. C’est pas de très bon augure pour commencer une relation amoureuse, je trouve...

Je veux plonger du haut de cette falaise. Quand j'ai une idée en tête, rien ne m'arrête jusqu'à ce que j'ai réalisé mon désir. Ce caillou, je ne le quitte pas des yeux jusqu'à ce qu'Astelle tente de me faire couler. Appuyant son poid sur mon bidon, la planche qu'est mon corps se casse en deux, me forçant à nager avec énergie. Tandis que je galère à rester la tête hors de l'eau, la brunette répond à mon interrogation. Évidemment que nous pouvons sauter du haut du rocher mais la jeune fille refuse de le faire. Affichant une moue déçue sur mon visage, je rétorque :

« Maiiis pourquoi t'veux pas ?!
- Si jamais on rate notre coup, on pourrait bien se casser la jambe. Ou pire. Ce n’est pas vraiment le souvenir que je voudrais conserver de ce premier rendez-vous.
- Ouais j'comprends ... mais j'veux quand même y aller. Juste un p'tit saut ... »

Elle aura beau me mettre en garde, je ne comprendrai pas le message tant qu'il n'y aura pas eu d'accident. Ce n'est pas la première fois que je prends autant de risques après tout. Alors que je m'apprête à quitter l'eau pour jouer les casse-cous, Astelle attire mon attention.

« ... ceci dit, n’amour. Il y a un groupe de Krabby qui profite de l’occasion pour me chaparder mon sac.
- QUOI !?

Je tourne mon regard vers la plage, là où sont entreposés nos affaires. Elles ont disparu ! Je perçois juste à temps les quelques Krabbys chapardeurs s'enfonçant dans l'océan avec elles.

« Et dans ce sac, il y a le chocolat que j’ai passé toute l’après-midi d’hier à préparer. ... si on ne fait rien, je sens que je vais me rappeler notre premier rendez-vous comme la journée où c'est un Krabby qui a volé le cœur que je m’apprêtais à te donner. C’est pas de très bon augure pour commencer une relation amoureuse, je trouve ...
- C'EST MORT. »

Hors de question que ces saloperies volent le précieux cœur en chocolat conçu avec amour par Astelle. Personne ne doit gâcher ce moment de dégustation et de complicité. Illico, je me précipite vers le lieu du crime. Localisant la position des voleurs, un sourire se dessine sur mes lèvres. Avant de partir, j'ai pris soin d'amener Chouchou pour la baignade. N'étant toujours pas sorti de sa pokéball, il doit être frustré. Je prends alors une grande inspiration pour crier d'une voix aiguë et cassée :

« CHOUCHOOUUU TU PEUX SORTIR MAINT'NANT »

L'ouïe sensible, Choupet entend mon appel. La pokéball calée dans le sac en tissu, Ohmassacre parvient à s'en libérer, jaillissant dans l'océan. Les brigands, surpris, tentent de prendre la fuite avec leur butin en carapatant sous les rochers. Or, ils ne pourront pas échapper bien longtemps à cette anguille sanguinaire.

« Astelle, sors de l'eau ! Viens près de moi ! »

Je lève mon bras afin de l'accueillir. Prenant les précautions qu'il faut, mon pokémon va pouvoir attaquer sans nous heurter.

« Allez Chouchou ! Fais des étincelles et régale toi ! »

Les tâches jaunes du pokémon se mettent à luire. Commençant à s'exciter, son corps est animé par un courant électrique s'apprêtant à foudroyer les Krabbys. Ils n'ont aucune chance : l'eau conduisant l'électricité, ils se font électrocuter. Un éclair jaune éblouit la marée, dévorant chaque être vivant sur son passage. Même si l'attaque est visée, il y a des chances que les habitants des lieux soient un peu sonnés.

« Vite, allons récup' le sac ! »

Ni une ni deux, je plonge dans l'eau en direction des voleurs. Ouvrant les yeux dans la mer salée, j'aperçois la poche textile s'enfoncer doucement dans les abysses. N'ayant plus assez d'oxygène pour poursuivre mes recherches, je remonte à la surface pour respirer à pleins poumons. Chouchou observe sa maîtresse et prend lui même l'initiative de ramener l'objet tant convoité.

De retour sur le sable brûlant, j'ai la mine déconfite. N'ayant pas réussi à dégoter nos affaires, le cœur en chocolat est perdu à jamais. Alors que je pars annoncer la mauvaise nouvelle à Astelle, mon Ohmassacre débarque sur la plage avec un sac coincé dans sa bouche béante.

« Chouchou ! »

Il crache immédiatement son magot avec fierté. Heureuse de son accomplissement, je me jette sur lui et j'enlacer tendrement son cou visqueux.

« T'es pas croyable ! T'es vraiment le meilleur Chouchou, tu l'sais ça ? Meuh ui t'es le meilleur ! KOUJOUKOUJOU ... »

Les ronronements adorablement effroyables de la lamproie m'attendrissent tellement, que j'en viens à oublier mon amie, nouvellement ma petite amie. C'est donc glorieuse que je reviens vers ma promise.

« Regarde Astelle ! J'ai le sac ! Choupet a trop géré, il a foutu une raclée à ces Krabbys de mes deux et c'est lui qu'a récupéré le sac ! Le cœur en chocolat doit être encore là dedans ... »

En brandissant notre trouvaille, je remarque qu'il est assez léger. Trop léger. Soudainement prise de panique, je farfouille dans la sacoche en espérant tomber sur le chocolat. Puis, une texture un peu molle et graisseuse capte mon intérêt.

« Ah !! Il y est ! »

La serviette a disparu mais le cœur comestible est intact, enfin presque. Il est complètement ramolli, probablement imbibé d'eau salée.

« Il est tout mouillé mais je vais quand même le manger. »

M'approchant d'un pas décidé vers Astelle, je saisis délicatement son poignet l'invitant à se poser par terre avec moi. Le cœur en chocolat séparant nos visages, je le fixe avec un visage sérieux.

« Parce qu'il est hors de question que quelqu'un d'autre le mange. »

Je lève mes yeux bruns vers les siens.

« On l'mange en même temps ? »

Cette fois-ci, il n'y a plus qu'Astelle et moi. Je ne remarque même pas Chouchou éructer jusqu'à vomir son repas. Qu'est-ce qu'il a bien pu ingérer ?

— Astelle, sors de l'eau ! Viens près de moi !
— Oui, mais… s’inquiéta-t-elle, les yeux rivés sur le dos du Démanta.
Manon l'avait-elle vue ? Sa silhouette ondulée se confondait au bleu de l’océan. ...était-il en danger ?
— Allez Chouchou ! Fais des étincelles et régale toi !
L’énergie s’accumulait à l’intérieur du corps de l’Ohmassacre de son amie. Sur sa peau visqueuse, les marbrures jaunes irradiaient d’une lumière crue, signe qu’il s’apprêtait à se décharger. Panique. Confusion. Manon fonçait encore bille-en-tête et tout allait bien trop vite. En pleine course sur le sable humide, la jeune fille cria soudain.
— Waaaah ! Enfuis-toi, Billabong !

Propulsé d’un coup de nageoire caudale, le pokémon émergea dans un véritable geyser ! Juste à temps. Tandis que l’éclair de la justice s’abattait sur le gang de Krabby-voleurs-de-chocolat, Démanta déployait ses ailes, en pleine ascension. Apte à naviguer les courants, aussi bien marins qu’aériens, Billabong se laissa porter au-dessus de l’île - son corps ruisselant dessinant comme un arc dans le ciel - jusqu’à ce que la menace électrique soit écartée, pour se laisser retomber dans un magistral plongeon.
Poussant un soupir de soulagement, Astelle tourna un regard critique sur sa petite amie, qui effectuait son retour triomphant.

— Regarde Astelle ! J'ai le sac ! Choupet a trop géré, il a foutu une raclée à ces Krabbys de mes deux et c'est lui qu'a récupéré le sac ! Le cœur en chocolat doit être encore là dedans …
— Moui. Et t’as failli massacrer ma planche de surf, répliqua-t-elle en gonflant les joues. Tu réalises que je n’ai rien du tout pour nous soigner - nous, ou les pokémons - ici ? Si tu avais mis K.O. Démanta, on aurait même perdu notre seul moyen de repartir.

(Astelle Dumas, en pleine imitation de Rongourmand.)

Entre cet incident et la volonté qu’avait affichée Manon de se jeter de la falaise, un peu plus tôt, Astelle ne manquait pas de raisons de lui en vouloir. Le manque de prudence de son amie risquait un jour de causer un incident grave. Et ce jour-là, la jeune fille s’attendait très franchement à être celle qui devrait payer pour les pots cassés.
Cependant…
...aujourd’hui, le cœur d’Astelle était tout aussi mou que la confiserie que sa petite amie lui ramenait. Devant le regard de chien battu de sa dulcinée, la jeune fille sentait sa rancœur fondre comme neige au soleil.

Abandonnant les remontrances qu’elle voulait lui faire, elle accepta de s’installer aux côtés de sa chère et tendre.
— On l'mange en même temps ? lui demandait Manon, d’une voix qui sonnait si douce et si pleine d’un tendre espoir.
Presqu’agressivement, Astelle mordit dans le chocolat.
Lequel était tout mou, dilué et trop salé d’avoir trempé dans l’eau de mer.
...mais aussi délicieux. Parce qu’elles le partageaient ensemble, l’une à côté de l’autre, les yeux dans les yeux. Parce que Manon le tenait si proche qu’à mesure que le chocolat rapetissait... la probabilité que l’une ou l’autre ne commette une “maladresse” semblait augmenter. Les battements du cœur d'Astelle s’accélèrent... et le tout dernier morceau de chocolat déposa sur ses lèvres cette douceur à la fois nouvelle et familière, qu’elle associait désormais à l’amour...

“Smack.”

Mince, j'ai complètement oublié le Démenta. Trop focalisée sur ma prestation, j'ai zappé son existence. Heureusement, celui-ci s'est échappé de l'eau juste à temps : notre navire est sauvé ! Ouf. Face aux réprimandes d'Astelle, je fais les yeux de PP battu en tendant timidement le chocolat ramolli. C'est une chance qu'Astelle ne prenne pas rigueur de ma bêtise, sinon la journée se serait tristement finie.

Malgré le goût âpre du chocolat, je mange goulûment la gourmandise avec ma chère et tendre. Plus vite ça sera avalé, plus vite je me rapproche du visage de ma dulcinée. Je sais ce qui m'attend à la fin de ce goûter et je m'impatiente. Accumulant tout le chocolat ignoble dans ma bouche, j'atteins finalement les lèvres de ma dulcinée. Nous nous échangeons un troisième bécot et j'insiste pour le faire durer, même si je n'ose pas avaler ce que j'ai dans la bouche. Ma main sur la joue d'Astelle, je profite de ce bisou sucré.

La scène aurait pu être très romantique avec le bruit des vagues et la brise venant caresser nos cheveux, sauf que Chouchou gâche tout avec un bruit immonde. Interrompant malgré moi le bécot, je me tourne vers la bête d'un œil inquiet.

« Bah alors Chouchou, ço vo pos ? »

A priori, ça va mieux. J'examine son œuvre d'art jusqu'à repérer une pierre brillante cachée dans le liquide verdâtre. La prenant sans être répugnée, je la trempe dans l'eau salée pour débarrasser les résidus de vomi.

« Oh, une pierre précieuse ! J'vais aller voir ce que c'est ... »

Sauf que le réseau n'est pas bon, alors je l'identifirai une fois de retour à Lumiris. Glissant le caillou glacé dans ma poche, j'offre une tendre caresse à Ohmassacre pour le féliciter de sa trouvaille avant de le ramener dans sa pokéball. Enfin, il est temps de repartir.

« Ça marche on y va, juste deux minutes ... »

Je retire mon t-shirt avant de foncer vers la falaise qui m'obnubile depuis notre arrivée sur l'île. Je sais qu'Astelle va faire la gueule mais je suis majeure et vaccinée, j'estime avoir encore le droit de céder à mes envies. Crapahutant à la vitesse de la lumière sur la roche grise, on pourrait me confondre avec un Flotajou. Rapidement, j'atteins le sommet, admirant le paysage qui s'étend à l'horizon et me délectant de la brise balayant ma tignasse mouillée. Me rapprochant du bord, j'observe le précipice en repérant la roche cachée dans les flots. Il y en a peu mais il va falloir sauter loin pour espérer ne pas être heurtée. Voilà qui me donne des picotements dans les orteils ! L'adrénaline prend le contrôle de mon corps, donnant une impulsion dans mes gambettes, sans réfléchir aux conséquences de mes actes. Finalement, je bondis de la falaise, volant un instant dans les airs avant de me recroqueviller avec la voix qui porte.

« WOUHOOOOUUUU »

SPLAF

Après un son assourdissant, le néant. La vie sous l'océan est si paisible. Mon corps remonte doucement à la surface tandis que mon visage savoure les quelques rayons de soleil traversant les flots. Je me sens heureuse, ici et maintenant.

La tête hors de l'eau, je prends une grande inspiration. Tout va parfaitement bien, je ne regrette absolument pas d'avoir sauté aussi haut. C'est super cool même ! C'est à la nage que je rejoins le Démenta et ma copine : une fois dans leur champ de vision, je tente de me faire discrète pour surprendre la demoiselle. Rôdant sous l'eau comme un Sharpedo, je finis par surprendre ma proie dans un cri ridicule.

« GROAR ! »

J'aggrippe ses épaules avant de lui chatouiller les côtes. Lorsque la brunette se retourne vers moi, je l'emprisonne dans mes bras.

« J't'ai eu ! »

Mon rire diffère de d'habitude : plus délicat et aiguë, ma bonne humeur se traduit dans mon comportement. Après mes bêtises, je décide d'être sage et de rentrer tranquillement aux côtés d'Astelle. Mon pif dans le creux de son cou, je lui murmure quelques mots doux :

« Tu sais Astelle ... je suis vraiment contente que tu m'aimes. Parce que moi je t'aime plus qu'une simple amie. Vraiment ... et j'suis ... contente de pouvoir te dire, te montrer enfin c'que j'ressens sans avoir à mettre de filtre. »

Ouais, je suis naze et maladroite lorsqu'il s'agit de faire de beaux discours. Mais le plus important, c'est qu'Astelle sache à quel point je suis attachée à elle.