Entouré par la quiétude qui gagne les heures les plus profondes de la nuit, le corps baignant dans la lueur blafarde de la lune et dans les draps immaculés, Ryoma se laisse aller.  Il se laisse aller à la chaleur réconfortante de ce corps lover contre le sien, à la douceur des doigts qui se baladent dans son dos, qui remontent les flots à l’instar du Magicarpe ancré dans sa peau. Il se laisse aller à la douceur qui suit la passion et la fièvre des étreintes enflammées.

La lueur orangée d’un briquet illumine un instant son visage alors qu’une flamme vient embraser une cigarette reposant sur le bout de ses lèvres. D’autres se baladent dans son dos, remplaçant les doigts, honorant le Léviator tatoué de mille et un baisers. Quelques frissons lui remontent le long de l’échine.

Il pourrait s’habituer à cette douceur, s’y perdre complètement, s’y noyer.

Toujours attentif et sur le qui-vive, il voit arriver de loin les doigts qui tentent de s’emparer de la cigarette et écarte le poison en barre, de sorte à ce qu’il soit hors de leur portée.

- Ton père me tuerait s’il apprenait que je te laisse fumer.
- Et que te ferait-il, s’il apprenait que tu viens de prendre ma virginité ?

Kaori ne recevra qu’une pichenette pour toute réponse. Mais elle connaît la réponse, tout comme Ryoma.

Seule la mort l’attend si cela venait à se savoir. Une mort atrocement lente et douloureuse…

Mais elle sait que Ryoma est prêt à l’accepter. Elle sait aussi qu’il serait capable de se tuer lui-même par honneur du code. Elle sait aussi qu’il prendra ses responsabilités, quoi qu'il arrive. Elle est la déraisonnable du duo. C’est elle qui l’a poussé sur ce chemin. Tout est de sa faute. Car elle n’est pas digne comme Ryoma. Elle n’est pas capable de se mettre entre parenthèses pour autrui, de faire passer le bien de la famille avant ses propres désirs.

- Je t’aime.

Il ne répond pas, pas verbalement du moins. Mais ses yeux parlent pour lui. Le baiser qu’il lui donne vaut mille je t’aime.

- Et si on  s’enfuyait tous les deux ? On n’aurait plus à se cacher.
- Tu sais que c'est impossible.

Les mots sont glissés avec douceur et tendresse alors que des lèvres se glissent dans le cou de Kaori, comme pour se faire pardonner ce refus. Elle soupire, la réponse lui déplaît bien qu’elle la connaissait d’avance.

Le clan, l’honneur et le devoir passent avant tout chose, même avant l’amour.

- C’est vexant de se dire que mon père passe avant moi.
- C’est différent. Tu comprendras avec l’âge, quand viendra ton tour. Lui souffle Ryoma tout en déposant un baiser protecteur sur son front.
- Pourquoi une telle dévotion ?
- Parce que  ton père m’a offert une raison de vivre, une famille, quelque chose à protéger.

A question idiote, réponse idiote. Kaori connaît pourtant l’histoire. Celle du gamin des rues de Céladopole, un peu hargneux, ramassé par les mafieux. La chanson n’est pas nouvelle. Ils sont des tonnes à rejoindre les rangs de cette manière. Mais l’air avait été quelque peu différent avec Ryoma.

- Tu te souviens de notre première rencontre ?
- Comme si c’était hier…
- Tu étais une vraie crevette à l’époque.

Il était chétif et malingre, comme nombre des mômes des bas quartiers mais ça ne l’avait pourtant pas empêché de la défendre contre des plus vieux qu’eux, alors que Kaori s'était attiré des ennuis, durant d’une énième fugue. Déjà à l’époque, il avait ce côté chevalier servant et avait tenu à la raccompagner jusqu’à chez elle, malgré ses yeux bouffis et son visage en sang. Il avait été fasciné par sa beauté au premier regard. Elle, elle l’avait trouvé encore plus laid qu’un rattata d'égout. Le destin a un drôle de sens de l’humour….
Quelques questions posées par Hiro Imagawa et le voilà devenu fier membre des Imagawa-gumi. Ca ne s’est pas fait en un jour, évidemment. Mais reconnaissant d’avoir reçu un toit, une éducation et un but, Ryoma a mis énormément de zèle dans sa “formation”. Petit à petit, il a grimpé les échelons, devenant un des Lieutenants de l’Oyabun - le chef de Clan -, le garde du corps de sa fille, son homme de confiance, l’un des membres les plus redouté du clan.

- Toi, par contre, tu étais déjà magnifique.

Kaori lui sourit tendrement. Mais… Quelque chose cloche. Son regard amoureux et espiègle perd soudainement de sa brillance. Il devient terne et vide alors que son corps se couvre de sang. Le décor se tord, change. Kaori n’est plus qu’un cadavre baignant dans une mer de sang, accompagné d’un monticule d’autres cadavres.

C’est tout le clan Imagawa qui baigne dans cette mer vermeille et visqueuse. Ryoma hurle, pleure, s’en arrache les cheveux, impuissant face à ce spectacle d’horreur.

Il se réveille en sursaut et en sueur. Son cœur bat si fort que c’est le seul son qu’il arrive à percevoir. Le lit n’a plus le moelleux de celui de la chambre d’hôtel, l’horrible odeur du charnier s’est dissipée, seuls les rayons blafards de la lune sont toujours présents, filtrant à travers la vitre barrée de sa cellule.

Un rêve… Ce n’était qu’un rêve. Toujours le même depuis trois ans.

Haletant, il se redresse et passe une main sur son visage, espérant retrouver un peu de contenance.

* Trois ans… Déjà…? *

A la fois une éternité et un battement de cil…

Cela fait trois ans qu’il est emprisonné ici. Trois ans que le Clan Imagawa, sa famille, a été massacré. Trois ans qu’il n’est plus qu’un fantôme. Trois ans qu’il croupit en prison pour meurtre. Il a vengé les siens mais pourtant la peine et la culpabilité ne l’ont pas quitté et l’empêche de trouver le repos.

C’est peut-être son châtiment, pour ne pas avoir pu protéger celle qu’il aimait, pour avoir failli à son devoir et laissé mourir son chef. Certains lui dirons qu’un homme seul ne peut empêcher la chute d’une Famille entière mais rien n’y fait… Il n’arrive pas à se débarrasser de ses regrets et de sa culpabilité…

Trois ans…

Il a été condamné à perpétuité et le voilà pourtant sorti au bout de trois années. Ça pourrait susciter une montagne de questions mais Ryoma n’en a que deux : “Qui ?” et “Pourquoi ?” Les Imagawa-gumi avaient des alliés mais personne n’a intérêt à le faire sortir de là, maintenant que le Clan n’est plus. Alors qui a mobilisé une somme d’argent assez conséquente pour qu’il puisse sortir d’ici ?



Pourquoi est-il venu ici ? Il savait pourtant que ça ne ferait que meurtrir encore un peu plus son âme torturée…

Fidèle à lui-même, Ryoma est complètement stoïque et imperturbable tandis qu’il est planté devant l’ancienne propriété des Imagawas. La demeure traditionnelle n’est plus qu’un tas de ruines et de cendres…

Il ne reste rien, plus rien…

Son cœur se serre douloureusement face à cette constatation. Les souvenirs remontent alors qu’il traverse les décombres d’un passé qui lui semble à la fois si proche et si lointain. Et, soudainement, les décors changent alors que les souvenirs prennent le pas sur la réalité. Les murs décrépis retrouvent de leurs splendeurs, l’odeur d’humidité est remplacée par les parfums floraux du jardin de Madame, le silence de mort laisse place aux bruits de pas, au rires d’enfants, aux voix graves des hommes qui ne cessent de patrouiller sur la propriété.

Une énième fois, Ryoma se retrouve prisonnier de ses souvenirs, pauvre spectateur ne pouvant qu’une énième fois faire le compte de tout ce qu’il a perdu.


Le bureau du chef, seul endroit où ce dernier se laisse aller à être un père aimant et non plus un Oyabun implacable et cruel. Hiro Imagawa est debout, les bras croisés dans le dos et même si je ne le vois pas, je sais qu’il sourit alors qu’il observe ses fils jouer en toute insouciance dans le jardin.

- Regarde-les… Ils grandissent si vite.
- Bientôt, ils seront des hommes.
- Ils ont encore le temps… Qu’ils profitent de la joie et de l’insouciance de l’enfance. Qu’ils jouissent pleinement de ce que toi et moi n’avons pas connu. C’est pour cela que je me bats.


La salle commune, endroit où tous les membres affiliés à la demeure familiale se réunissent. J’adore me rendre là-bas après avoir rondement mené une mission, boire un verre avec les Shatei sous ma protection. Les voir rire, jouer, fêter, s’enorgueillir de leurs exploits. Yuichi est jeune mais il a du potentiel. Il faudra juste tempérer ce caractère enflammé. Il se vexe bien trop facilement.

- Trois, j’vous dis ! Trois contre un et je les ai latté et bonne et due forme ! Les types du Towa-Kai sont que des lopettes !
- N’empêche… Sans notre Shatei-Gashira, tu serais sans doute dans le fond du caniveau, Yuichi !
- Ouais, la ramène pas trop gamin, tu dois ton salut à Takahashi !
- O-Oï !

La réaction du benjamin ne se fait pas attendre, il devient rouge comme une tomate. Je souris légèrement alors que je porte mon verre aux lèvres. La vantardise est un vilain défaut. Mais il faut laisser le mérite là où il y en a.

-  C’est mon rôle de vous protéger. Yuichi s'est battu pour protéger notre honneur aujourd’hui. Il a défendu mes arrières. Il a montré qu’il faisait partie de la famille.

Le gamin rougit de plus belle, d’embarras cette fois. Les rires s’élèvent, tout comme les verres. Ce soir c’est à la santé du petit nouveau qu’on boit.


Les jardins de Madame, si beaux et reposants.
J’aime m’y balader au claire de lune, les admirer par la fenêtre quand la pluie tombe. Mais ce matin, il fait beau et ensoleillé, je l’aide à réaménager une parcelle.

- Je te remercie pour ton aide, Takahashi. C’est bien aimable de ta part. D’autant que tu as sans doute autre chose à faire…
- Pas du tout. J’apprécie vous aider au jardin. C’est… reposant.
- Sais-tu quelle est la particularité des jardins de Kanto ?
- Non.
- Il faut les voir cinq fois. Une fois à chaque saison et une fois sous la pluie.


Ma chambre, petite pièce sobre où j’ai si souvent serré les dents tandis que je me faisais tatouer, selon nos traditions. Je suis assis au centre, le vieil Hida s’acharne dans mon dos. Les deux fils du chef sont là, observent avec attention et émerveillement le travail de l’artiste. Inspectent les pièces déjà présentes sur mes bras, mes cuisses, mon torse.

- Pourquoi un Magicapre Ryo-niisan ?
- La queue du deuxième est bizarre…

Je souris, leur innocence et leur curiosité n'auront de cesse de m’amuser.

- C’est parce qu’il va se transformer en Léviator, jeune maître.
- Et pourquoi un Leviator ?
- C’est facile, c’est parce que Ryo-Niisan est aussi fort qu’un Leviator !
- C’est pour ça que tu as choisi le Léviator ?!
- Je ne sais pas si je suis aussi fort qu’un Léviator, jeune maître. Mais cela signifie que mes colères et ma rage sont aussi terribles et destructrices que les siennes.
- Moi je suis certain que tu es aussi fort qu’un Léviator Ryo-Niisan ! C’est toi le plus fort de tous !
- Et le Léopardus, sur ta cuisse, c’est pourquoi ?

Ça a duré durant des heures, tout le temps de la séance d’encrage. Mille et une questions fusent. Et me voilà à leur raconter la légende du magicarpe remontant la rivière sacrée pour devenir un puissant Léviator. A leur expliquer les légendes et les significations des autres tatouages qui parsèment mon corps. Je tais juste la raison d’être du Léopardus. Lui, il est là car c’est le pokémon préféré de leur sœur, parce que c’est celui qui la représente le mieux, car c’est une façon de l’avoir toujours à mes côtés. Leurs questions auront eu le mérite de faire passer le temps et d'oublier la douleur. Ce jour-là, l’aîné à affirmer vouloir aussi se faire tatouer un Leviator plus tard.


Les couloirs. Véritable labyrinthe pour qui ne connaît pas la demeure des Imagawa. Dédale pourvu de nombreuses cachettes. Il est tard, je fais ma ronde alors que la quiétude règne sur la propriété. J’avance dans l’obscurité, seulement éclairé par les rayons pâles de la lune. Je connais tant et si bien cette maison que je n’ai pas besoin d’éclairage pour y évoluer. Je connais cette demeure par cœur. Elle croit me surprendre en me laissant passer pour ensuite tirer sur ma chemise et m’entrainer à sa suite vers une des cachettes mais je l’avais repérée depuis un moment.

- Qu’est-ce que tu fais là ? Tu devrais dormir.

Elle ne répond pas et se contente de sourire, ses yeux amusés et ce sourire paresseux et si tentant lui donne des airs de félin s’amusant avec une souris. C’est moi la souris.

“Sale rat d'égouts" “T’es plus moche qu’un Rattata"  Ce sont les insultes qu’elle me lançait avec hargne quand nous étions adolescents et que je l’empêchais de faire ce qu’elle voulait. Aujourd’hui, elle dit me trouver attirant, quoique banal d’apparence. Moi… Je l’ai toujours trouvée aussi magnifique et gracieuse qu’un Léopardus. J’ai toujours été fasciné et subjugué par sa beauté. Constamment impressionné par son charisme, comme une pauvre souris impressionnée par le prédateur qui s’apprête à la dévorer.

Perdu dans ma contemplation, je reprends conscience alors que deux bras s'enroulent autour de mon cou et qu'un souffle chaud vient paresseusement s’écraser contre mes lèvres.

- Je n’arrive pas à trouver le sommeil. Je pensais que tu pourrais m’aider… Souffle-t-elle dans un sourire malicieux.

Je voudrais la repousser. Lui dire non. Que je ne peux pas céder à ses avances. Pas ici, sous le toit de l’Oyabun, son père, mon père d’adoption, qu’elle ne doit pas s’enticher de moi, qu’elle mérite mieux qu’un pauvre rat d’égout. Mais je suis faible face à Kaori. Je ne peux que répondre à son baiser enfiévré, frissonner au contact de ses doigts sur ma peau, laisser son parfum et ses soupirs enivrer mes sens alors que j’honore sa peau de mille tendresses. Je ne peux que me laisser consumer par tout son être.

L’honneur, la Justice, le Code. Je ne vis que pour ça. Mais face à Kaori, toutes mes convictions volent en éclats.

Les couloirs. Encore. Toujours aussi silencieux. Mais l’angoisse me gagne cette fois alors que je vois le sang, les cadavres. Nous avons été trahis. Nos ennemis ont profité de mon absence pour passer à l’assaut. Personne n’en est ressorti vivant. Je les appelle. Je hurle leur nom mais personne ne répond. Les cachettes n’auront servi à rien. Ceux qui ont attaqué connaissaient les lieux.

Nous avons été trahis.

Avec précipitation, je m’élance dans la salle principale. Un cri de douleur résonne. C’est moi qui vient de crier ainsi ? Je crois bien. Je tombe à genoux. Non… Pas elle. Je l’enlace, comme si ce simple geste pouvait la ramener. Kaori est froide, son corps couvert de sang, elle baigne dans une mare rouge. C’est son sang.

Elle est morte..

Son visage blême et ses yeux vides sont la dernière chose dont je me souviens. Après ça, j’ai écumé les rues de éeladopoles, massacrant à tour de bras, décimant nos opposants pour trouver les coupables. Quand j’ai retrouvé mes esprits, j’étais dans une cellule.


Tout se mélange dans son esprit. Les souvenirs heureux et malheureux. Les cauchemars se fondent dans la réalité alors que Ryoma tombe à genoux. Ils se tient la tête, pleure alors que sous ses yeux danse l’image des cadavres de sa famille. Il les entend l’appeler, lui reprocher leur mort.

Ryoma… Ryoma… Ryoma…

- Ryoma.

Il lui faut un instant pour comprendre que ce dernier appel n’est pas une illusion de son esprit. Il ne reconnaît pas son jeune maître, ni même Yuichi mais le vieil Hida n’a pas changé d’un pouce.


L’appartement est petit. Rien à voir avec la demeure originelle des Imagawa. Des Imagawa-gumi, il ne reste plus que les quatres personnes présentes dans le petit salon. Le vieil Hida, Yuichi, le Jeune Maître et Ryoma lui-même. Hida et Yuichi sont debouts, juste derrière le jeune homme qui fait face à Ryoma. Ce sont les deux seuls à être assis de part et d’autre de la petite table sur laquelle est posée une bouteille d’alcool et deux verres.

Le silence règne. Ryoma n’arrive pas à en croire ses yeux. La clan n’a pas complètement sombrer. L’aîné des fils de Hiro a survécu.

Comment ?

Cette question ne cesse de tourner en boucle dans son esprit malade et torturé depuis qu’il les a croisés sur les décombres de l’ancienne demeure familiale. Mais il n’ose pas demander. Jusqu’à maintenant du moins…

- Jeune maître comment av-

Une paume dressée lui intime le silence.

- Tu as des questions, je sais mais chaque chose en son temps. Laisse-moi donc te servir à boire.
- N-Non ce n’est pas à vous de…

Un regard dur le fait taire. Ryoma est déboussolé. Depuis quand le fils ressemble-t-il tant au père ? En trois ans, il est devenu un homme. Presque. Si la dignité et la prestance du père sont visibles, ses traits juvéniles trahissent encore une trop grande jeunesse et une candeur certaine.  Humblement, Ryoma accepte le verre que lui tend son jeune maître.

Tout cela semble si… Irréel…

- J’ai survécu grâce à Kaori. Quand les hommes du Towa-Kai ont investi la maison, elle m’a enfermé de force dans une des cachettes des couloirs avant d’aller à la recherche du petit Takeda et de notre mère. La suite…

Un silence de mort règne dans la pièce. Hida est celui qui reprend la parole et brise le silence.

- Le chef m’a donné pour mission de veiller sur Madame et les enfants. Je n’ai rien pu faire pour Kaori et Takeda mais j’ai pu sauver le jeune maître. Yuichi a couvert nos arrières et nous a aidé à fuir. Et ensuite…
- Mon père s’était préparé à cette éventualité. Hida a été désigné comme mon tuteur légal. Et il m’a laissé de quoi vivre dignement. Une partie a cependant été utilisée pour te faire sortir de prison.
- Vous n’auriez pas dû, jeune maître.
- Tu fais partie de la famille, je ne pouvais pas te laisser là-bas, Ryo-Niisan.

Le cœur de yakuza se serre à l’entente de ce surnom. Il n’est plus animé par la joie enfantine mais par une profonde tristesse. Le jeune maître, lui aussi, déplore les pertes et pleure le passé.

- Je… Je ne mérite pas autant d’égard. J’ai failli…. Mon devoir était de vous protéger et… je n’ai pas pu… Ryoma n’ose même pas regarder son jeune maître alors qu’il prononce ses mots. Il se sent si… honteux… pitoyable….Mais, en même temps il est heureux. Quelque chose à survécu à ce bain de sang. L’espoir n’est pas totalement mort. Alors… Alors… J’ai failli à mon devoir, jeune maître. J’avais juré de protéger le Clan, de mourir pour lui s’il le fallait et j’ai failli. Je ne mérite pas votre bonté. Je mérite juste la mort. Lâche l’homme alors qu’il s’agenouille et pose le front au sol, se mettant dans la position de soumission la plus absolue.

Les yeux fixés sur le parquet bon marché. Il attend sa sentence. Un cliquetis métallique résonne en même temps que des pas. Il connaît ce son, c’est celui d’une arme à feu. Il ne sait pas pourquoi mais des larmes lui échappent alors qu’il devine que l’héritier Imagawa se rapproche. Ryoma ressent de la joie et du soulagement pour la première fois depuis longtemps. Il est heureux de voir que quelques-unes des personnes qui lui sont chères ont survécu. Trois, c’est une bien maigre consolation mais c’est mieux que rien. Il est aussi soulagé. Soulagé de voir que le jeune maître a encore assez d’égard envers lui que pour lui accorder le dernier repos.

- Relèves-toi, Takahashi Ryoma. La voix du jeune homme est des plus solennelles alors que sa main se pose sur l’épaule de l’homme qui fut jadis son modèle. Je ne compte nullement te tuer. Face à l'ordre du jeune homme, le criminel se redresse. Les regards se croisent. L’un brillant de larmes retenues, l’autre enflammé par une détermination à toute épreuve. Tu n’as rien à te reprocher Takahashi. Tu as fait ce que tu as pu. Tu n’as en rien, bafoué ton honneur ou celui du clan. Mais je comprends ta peine et ta culpabilité. Aujourd’hui, je t’offre la possibilité d’obtenir la rédemption. Ryoma se redresse, pose ses yeux sur les armes tendues vers lui. Ses armes. Son pistolet et son katana. Deviens mon bras droit. Sois mon Waka-gashira. Deviens mon bras armé et aide-moi à traquer ce traître de Nakamura.

La surprise envahit le visage de Ryoma. Lui qui est toujours impassible,calme, mesuré. La surprise et la rage envahissent ses traits. Nakamura. Le second de Hiro… Pourquoi aurait-il…? Après tout ce temps à servir l’Oyabun…

- Je l’ignore aussi. Mais je n’aurais de cesse de le traquer tant que je n’aurais pas le fin mot de l'histoire et sa tête.

La question était-elle si visible sur ses traits ? Ryoma se redresse et reprend contenance. Cette fois-ci il est assis, son sabre sur les genoux.

- Laissez-moi me charger de ça, Oyabun. Je m’occuperai de traquer et de châtier le traite. Votre père n’aurait pas voulu vous voir prendre ce chemin.
- Mais il n’est plus là. Et je compte bien faire respecter le code. Tu deviendras l’arme à travers laquelle sévira ma colère.
- Vous pouvez compter sur moi. Ma vie vous appartient. Je le jure sur mon sabre et mon honneur. Je mettrai tout en œuvre pour vous protéger et laver notre honneur bafoué. Dites-moi simplement où chercher.



Lumiris…

C’est donc là-bas que se cache le traître ? C’est cette contrée lointaine qui verra le renouveau du clan Imagawa ? Ça lui va. Il n’y a plus rien pour eux en Kanto, si ce n’est des souvenirs douloureux et des regrets. Ryoma regrette juste de ne pas avoir pu faire plier complètement le jeune maître. Au moins aura-t-il obtenu de lui qu’il continue ses études. Le jeune maître reste l’Oyabun. Hida devient celui qui s’occupe de l’administratif et de faire fructifier l’héritage de leur chef et Ryoma sera le soldat. Le chien destiné à traquer Nakamura, celui qui se frottera à la criminalité de Lumiris, qui fera couler le sang si cela est nécessaire.

Il n’a pas pu sauver sa famille et celle qu’il aimait mais il préservera le jeune maître quoiqu’il arrive, quoique cela en coûte. Ryoma était près à se damner pour Kaori, il en ira de même pour son frère.

Une violente bourrasque vient fouetter son visage alors qu’il est sur le pont du bateau et observe le grand large. Son regard se pose sur la pokéball qu’il tient dans ses mains. Satine. Son dernier lien avec Kaori. La dernière chose qu’il lui reste d’elle, avec le jeune maître. C’est un cadeau de ce dernier.

“ Elle aurait voulu que ce soit toi qui t’en occupe.” Lui avait-il le jeune maître en lui confiant la pokéball.

Ryoma a des doutes à ce sujet. S’il a été un dresseur formidable auparavant. Il ignore s’il est encore digne de posséder un pokémon alors qu’il a envoyé tous les siens à la mort…

“ Pas tous. Certains ont survécu. Je reste ici pour les retrouver.” Lui avait dit Yuichi quand le sujet avait été abordé.

Ses yeux sombres se posent sur le grand bleu tandis qu’il pense à ses vieux compagnons. Il espère que Yuichi dit vrai. Ryoma souris inconsciemment. Lui qui était mort depuis trois ans se sent partiellement revivre.

L’espoir lui est permis, ici en Lumiris.