Tête barbue qui sort des buissons. Droite ? RAS. Gauche, RAS. Tête qui redescend dans le buisson.

- "La voie est libre, lancement de l'opération Tygnon !"

Bah quoi, c'est valide comme nom fiston. On est sur une action coup de poing là fiston, aujourd'hui c'est du sérieux ! Et du coup, Tygnon. T'as compris le lien où il te faut un dessin grand format intérieur cuir ? Voilà, donc laisse le nom tranquille et concentre-toi, c'est le moment de passer à l'action. Sans bruit, je fais sortir Dante de sa pokéball, lui indique une direction de la main avec un air grave, et on est partis. L'ancre spectrale flotte en silence dans les airs jusqu'au point prévu, Bard monte la garde et Daelys est prête à fondre sur tout intrus qui viendrait pointer le museau au risque de faire capoter le plan.

En même temps, ça fait trois jours que je prépare le schmilblick, donc tout a intérêt à filer comme sur des roulettes ! Fini l’approximation, les prêches au petit bonheur la chance et tout le tintouin d'amateur. Ça fait des semaines que j'essaye la manière douce, et c'est clairement pas folichon. Autant te dire qu'avec l'Apocalypse qui nous attends au tournant, on est clairement loin du compte niveau préparations. Mais tout ça c'est fini : accroche ta ceinture, prépare ton sac à vomi et serre les fesses fiston : aujourd'hui on passe la seconde, et ça va décoiffer du steak.

"Allez, allez... Voilà, tu y est ! Fonce mon grand, fonce !"

Le Sinistrail arrive en effet près d'une grille métallique qui borde la zone sécurisée de la centrale, là où les visiteurs sont cordialement invités à aller voir ailleurs s'ils y sont. Pile là où je veux aller donc. Non parce que je veux un truc qui claque pour marquer le coup fiston, une frappe chirurgicale et percutante. D'où le panneau en carton que tient l'ancre spectrale d'ailleurs, et que j'ai transporté discrétos en pièces détachées dans mon gros sac à dos. Du bon scotch , une paire de ciseaux, un bon gros feutre indélébile et hop ! J'ai pu refaire une affiche géante comme à l'entraînement, et le but c'est que Dante va aller l'accrocher sur la grosse tour là, histoire que ce soit bien visible. Comme ça, tous pourront voir le message : "l'Apocalypse arrive, bougeons-nous ! Agir et non pas fuir !"

"Encore un peu... Encore un peu... C'est pas mal là fiston, accroche-le là et reviens... Non, tu veux encore plus haut ? Allez, fais pas le fou, accroche ce truc et reviens vite avant qu'on te grille..."

Oui, je parle tout seul dans mon fourré, mais c'est le stress, j'y peux rien. Et j'aime autant te dire cash que quand Bard se met à chantonner pour donner l'alerte, ça va clairement pas en s'améliorant. On a un intrus sur les bras, et je vais devoir le gérer. D'une façon ou d'une autre...

Vindiou ! Une fillette qui se pointe là comme une fleur au beau milieu de l'opération ! Alerte rouge ! *****, c'est quand même pas de bol, y'en a marre ! Elle pouvait pas aller faire du shopping ou taper dans un ballon comme tous les jeunes de son âge ? Ou je sais pas moi, genre attendre gentiment deux minutes que Dante ait fini le boulot ? Mais non, elle se pointe pile là où il faut pas au pire moment, mets les deux pieds dans le plat et saute à pieds joints histoire d'être bien sûre de ficher le boxon. Typique... Mais du quoi je fais quoi, le papy gâteux et perdu ? Le désagréable rabougri pour la ficher dehors ?

Attends... Mince, son piaf m'a vu ? Mais non, j'étais caché, il a pas le droit ! Non mais pouce, je suis pas prêt là, j'ai pas encore décidé si...

Fillette qui écarte les branches et le fixe. Elle me regarde. Je la regarde.

...

Soupir.

- "M'aider ? C'est pas super bien parti fillette. C'est même carrément loupé si tu veux mo... Baisse-toi !"

Me levant d'un bond du buisson comme si j'étais monté sur ressorts, je renverse la fillette et me jette devant elle pour éviter la catastrophe. Une catastrophe de type guêpe géante lancée à vive allure pour intercepter l'intruse. Non mais fais bien gaffe fiston, je lui fais pas de reproche en soi, c'est ce que je lui avait demandé. Pour une fois qu'elle m'écoute, je vais quand même pas me plaindre. C'est pas mal du tout, voir très bien. Ce qui serait moins bien, ce serait qu'elle embroche la fillette avec ses dards façon brochette par excès de zèle. Daely a toujours été un peu... excessive ?

...

Bon ok, elle est carrément tyrannique et mono-maniaque, j'avoue. Mais c'est l'intention qui compte, hein ? Voilà. Et puis y'a pas eu d'accident comme la midinette est par terre, donc tout va bien non ? Elle devrait être contente, je viens de lui éviter un aller simple pour l'hosto le plus proche, et gratis en plus. Cadeau de la maison. Enfin, il faut encore que je calme l'autre abeille énervassée...

"Daelys, tout doux, tout doux ! Calme-toi vindiou, tu vas pas me la trucider de sang-froid non plus ! Calme-toi je te dis ! Ventre Saint-Gris, mais c'est pas vrai ! Promis, je te file un pot de miel si tu redeviens raisonnable ! "

Abeille qui cesse de bourdonner et se tourne lentement vers moi. Regard avec une légère menace voilée. Enfin, pas vraiment voilée non plus hein. Ni légère en fait.

Vieux qui se fait soudain un peu plus petit et déglutit péniblement.

"Euh... Trois pots de miel ? Promis, c'est tout ce que j'ai ma grande. Trois pots et tu retournes à ton poste pendant que je gère l'autre cruche. Marché conclu ?"

Quatre longue secondes de silence, puis la reine insecte bourdonne brièvement, jette un dernier coup d'oeil mauvais à sa proie avant de reprendre de la hauteur. Vieux qui respire un peu mieux.

"Pffiou... J'ai bien cru que t'allais passer à la casserole, la miss. Ça va, rien de cassé ?"

Pour me faire pardonner, je lui sors mon sourire n°3, celui de papy gâteux devant une enfant de 5 ans. Ça marche bien en général, ça dissuade les gens de s'énerver... Ou alors ils pètent un câble en pensant que je me paye leur tête, ça dépend. Ça dépend et c'est pas faux non plus...

Ah ben ça... La fillette se relève limite avec un grand sourire comme si elle venait pas juste de manquer de se faire rouler dessus par une Apireine furibonde. Non mais remarque moi ça me va hein, je vais quand même pas me plaindre. C'est juste que... Ben c'est bête comme chou, mais j'ai pas franchement l'habitude ! Normalement, les gens se mettent à râler, se plaindre, dire que c'est inadmissible, qu'il faudrait dresseur ce pokémon avant qu'un accident n'arrive, que c'est intolé- Stop ! On a compris, je vais pas te faire une liste complète non plus, j'ai pas que ça à fiche.

- "Euh... Bah... Bah tant mieux. La fougue de la jeunesse j'imagine ! Tant que t'as rien, c'est déjà pas mal. Trois pots de miel ou un incident diplomatique au beau milieu de l'opération, le choix est vite fait... Mais j'espère que la supérette la plus proche aura du rab de miel bio, parce qu'à cette vitesse ça va vitre être la pénurie... Vindiou, faut vraiment que je prenne leur carte fidélité histoire de pas y laisser l'équivalent du PIB de Nemerya, et... Attends, quoi ? "

Sacripristouille, c'est vrai que fougue de la jeunesse ou pas, la miss risque de faire capoter toute l'opération Tygnon ! Mais dans ce cas... Pourquoi elle envoie son piaf aider Dante ? C'est une ruse, ou elle est juste un peu longue à la détente ? Sérieusement, j'ai l'air d'un militant écolo qui affiche des panneaux verts en carton sur les centrales électriques ??!

...

Bon, ok, je dois avoir l'air d'un vieux qui affiche des panneaux sur une centrale électrique. Du coup, c'est possible qu'il y ait une légère confusion.

...

Oui bon ben c'est du carton recyclé, ok ! J'avoue qu'elle a pu se tromper, là. Tu es content fiston ? Ben pas moi. Enfin, je sais pas trop en fait. Est-ce que la miss a comme qui dirait raté le message marqué en gros avec Apocalypse dessus ?! Vindiou, me dis pas qu'elle a compris de traviole avec le coup du changement climatique !


...


...


Oui, je sais, ça fait beaucoup de points de suspension. Mais je réfléchis coco, alors lâche-moi la grappe. C'est pas con du tout en fait, comme idée. Les jeunes, y sont bien impliqué dans ces thématiques là de nos jours, non ? Il me semble bien. Mais du coup, il y a peut être moyen de moyenner... Bon, je suis le seul à savoir que la Catastrophe arrivera bien plus vite que prévu par les climatologues de tout poils, mais si l'argument permet de faire bouger la jeunesse, il n'y a pas une seconde à perdre !

"Euh... Oui c'est ça, tout à fait ! Bon en fait non, c'est pas une asso, mais presque, donc on va dire que c'est pareil. On lutte contre l'Apocalypse qui se prépare ! Enfin, surtout moi, mais j'ai déjà convaincus deux gars de se joindre à moi !"

J'ai sorti ça d'un ton aussi enjoué que la miss en face, mais le côté ridicule de la déclaration me fait graduellement perdre le sourire. Ne reste ensuite que l’amertume du constat et une grimace mi-figue, mi-raisin :

"Ouais... Deux gars en 8 mois... "

Répéter le truc me coupe un peu les jambes, et j'ai soudain envie de m'assoir. Comme un léger vertige. Ça va faire 8 mois que je parcours la région de fond en comble, prêche dans tous les coins, tente de faire bouger les choses... Pour quel résultat au final ? Deux gars un peu paumés plus ou moins prêts à aider.

Assis dans le buisson, le retraité semble soudain plus vieux. Est-ce l'angle du soleil qui souligne soudain les rides et cernes de son visage ? Ses épaules qui se recroquevillent légèrement ? Sa main droite qui tremble un peu ? Peut être. Mais l'homme qui s'agitait jusque là avec énergie s'affadit peu à peu pour ne laisser qu'un homme âgé et fatigué, les yeux las et la mine sombre.

Plusieurs secondes de silence, puis le vieux relève la tête avec un sourire désabusé :

- "Le club de bridge, hein ? C'est sans doute là que je devrais être, oui. Profiter de ma retraite, aller voir grandir les potiots, voir du pays et planter des choux... Enfin, je veux dire claquer mes économies, faire ***** mes enfants pour qu'ils viennent en vacances de temps en temps, buller au soleil lors de croisières pépères..."

Nouveau sourire, enfoui sous la barbe mais un peu plus joyeux :

"En vrai, je crois que ça m'aurais plu, même avec les choux..."

Ignorant complètement la fillette à mes côtés, je caresse l'idée un instant comme pour la savourer. Elle est douce et soyeuse, aussi apaisante que le sable chaud. Tu sais, on dirait un peu une chouquette : léger, aérien, avec un goût sucré qui te reste un moment en bouche. Un souvenir de vacances alors que tu regardes par la fenêtre de la voiture sur le chemin du retour... Un moment de silence passe, et c'est finalement le contact d'une fine chaîne spectrale sur mon épaule qui me ramène lentement à la réalité alors que l'idée s'étiole au vent.

Et contrairement à d'habitude, je ne sors pas un vieux jeu de mot à deux francs cinquante, de calembours vaseux ou de râlage pour la forme. Non, je me contente juste de laisser le morceau de rêve partir, avant de sourire à Dante.

"Ouais, ça m'aurait bien plu... Mais tant pis."

Levant la tête, je constate que la pancarte est bien en place, et trône fièrement en haut de la grosse tour grise. Bon, un peu de traviolle, mais elle y est, donc c'est pas ce genre de détails qui posera problème.

"Bien joué fiston, elle est bien là. Avec ça, les gens pourront pas passer à côté."

Et en parlant de gens... Je finis par enfin regarder de nouveau la petite

"Désolé fillette, mais c'est probablement pas ce que tu espères... Je parle pas juste du dérèglement climatique là, mais de la Fin du Monde avec des majuscules. La Folie des Hommes et des Bêtes, qui conduira à notre perte à tous... "

Long soupir.

"Enfin, presque tous... Surtout vu comment ça avance. Mais bon, j'allais quand même pas me tourner les pouces après ce que j'ai vu... Et j'ai toujours été nul au bridge."

Sourire barbu un peu forcé, mais qui a le mérite d'être là.

"Bref, je ne veux pas t'ennuyer avec mes histoires. Tu as probablement mieux à faire que d'écouter Papy Castorno raconter sa vie. Tu es jeune, et on devrait encore avoir quelques semaines, peut être même un an... Tu devrais en profiter. Sortir avec tes amies, extorquer des sous à ton copain avec un ciné ou un resto, devient la meilleure dresseur et attrape-les tous... Je sais pas moi, c'est ta vie. La mienne est déjà bien entamée..."

Regard qui se durcit, sourcils qui se froncent.

"Mais je compte bien utiliser ce qu'il me reste, foi de Jericho... Jusqu'à la fin et au delà s'il le faut."

Et sur ce, je farfouille dans le buisson derrière moi pour en tirer mon sac puis mon appareil photo, et mitraille la pancarte histoire d'être sûr de mon coup.

- "Bah voilà, c'est bien ce que je dis, t'en as jamais entendu parler. Personne ne se penche sérieusement sur le problème à part moi, et ça va nous tomber sur le coin du museau avant qu'on ait le temps de dire pouce..."

Et autant d'habitude je me fais pas trop prié pour discuter avec les jeunes et leur expliquer le pépin cataclysmique qui nous attends, autant là je sais pas trop. Le grand sourire vaguement idiot ? La chevelure rose pétante ? Attention, j'invente rien, elle reconnaît elle-même qu'elle a surtout de l'air dans la caboche ! C'est quand même ballot que sur les trois jeunots qui prennent le temps de m'écouter, y'en ait pas un qui a inventé l'eau chaude ! Ou alors, y'a une corrélation, mais ça me donne pas envie d'investiguer bizarrement, ça va me refoutre le cafard. Ah, elle est belle la troupe de lutte contre l'Apocalypse ! On recrute tous les abrutis qui passent ! Venez comme vous êtes !


...


Bon, à la limite, Nénupiot-Man a l'air relativement futé, mais il a pas accroché à fond non plus. La faute à son obsession pour le réseau Dusk probablement. M'enfin, quand l'Apocalypse viendra toquer à la porte, on s'en tamponnera un peu l'oreille avec une babouche des téléphones portables...
Bref, tu m'en voudras pas de lever un sourcil face à l'océan de naïveté rose bonbon en face de moi. C'est bien beau l'enthousiasme, mais là il me faudrait limite des lunettes de soleil, et je suis plus franchement d'humeur. Surtout au beau milieu d'une opération coup de poing.

"Euh... J'ai une tronche à boire de l'eau chaude à 10$ la tasse fillette ? Non, ne réponds pas ! J'ai pas envie de savoir en fait. A tes yeux, je dois avoir 106 ans, donc je suppose que c'est logique. Aussi cliché que la camomille et la petite verveine-menthe du soir, mais logique..."

Alors certes, c'est pas dégueux la camomille en fait fiston, mais c'est pas le sujet. Et puis d...

Bard qui se remet à chantonner, plus fort cette fois.

Vindiou, encore des intrus ! Tout compte fait, il faudrait peut être opter pour un repli stratégique, non ? Je sais pas trop. Ou alors, je reste pour justement discuter avec les curieux ? Non, non, je vais encore finir au poste et ça va prendre des plombes. Les gardes à vue j'ai déjà donné, merci bien ! Mais du coup, je fais quoi... Je me barre juste avec la miss ?

...


Rhaa, et *****, va pour la tasse d'eau, j'ai pas envie de me prendre la tête avec les autorités. L'opération a marché après tout, la pancarte est en place et j'ai les photos. Autant se barrer en douce et voir comment le schmilblick prend, quitte à refaire différemment la prochaine fois...

"Allez, on va pas prendre racine ici, sinon ça pourrait barder pour notre matricule. Bard, Daelys, fin de l'opération Tygnon ! Vous rentrez dans vos pokéballs vite fait. Mais oui, trois pots de miels, j'ai pas oublié ma grande. Voilà, c'est ça, allez hop. "

Histoire de me fondre dans la masse, je me force à reprendre ma tronche de Papy joyeux-gâteux, même si c'est pas de gaité de cœur. Enfin bon, si ça peut faire illusion et m'éviter trois jours de taule...

"Tu viens du coup, euh... Viviane ? Je te raconterais en chemin. Ouvre bien tes esgourdes, c'est important. Je vais te raconter pourquoi la Fin du Monde est à nos portes, et pourquoi on doit se bouger le popotin fissa. Pourquoi l'attaque Mistral à Windoria était le Premier Signe de l'Apocalypse, et l'arrivée d'Yveltal le Second. Une histoire en apparence lointaine, mais qui constitura bien assez tôt notre avenir... Ou plutôt sa fin."

Là, tout de suite, devant l'enthousiasme maladif de la miss, j'aurais presque envie de prendre le truc le plus cher de la carte, rien que pour voir sa tronche et la faire redescendre d'un étage. Bon, sauf que le cocktail au whisky à cette heure-ci c'est pas top, et que de toute façon il coûte pas trois pattes à un Canarticho. Du coup, je me rabats simplement sur le premier soda qui passe, histoire d'avoir une bonne petite injection de sucre. Enfin, petite je sais pas vu la couleur rose pétante du bouzin, mais le goût est pas mauvais en soi, donc c'est valide.

- "Hein ? Pourquoi l'Apocalypse va débarquer ? Bah... Euh... Mais je t'en pose des questions à la mords-moi le nœud moi ? Sainte Barbe Poilue, mais qu'est ce qu'on en a à fiche du pourquoi ? J'en sais rien moi ! Y'a pas de raison particulière pour qu'une tuile pareille nous tombe dessus fillette ! Les histoires de punition divine, d'épreuve pour la race humaine ou je sais pas quoi, c'est dans les bouquins et les films à gros budgets de l'été pour les pigeons ! Un peu de sérieux enfin, je te parle de choses graves là ! Pas du dernier Stephen Queen !"

Vindiou, c'est bien la première fois que quelqu'un me demande un truc pareil comme ça, cash, d'entrée de jeu. Non mais quelle idée, je te jure fiston ! Trop de science-fiction et de série ça, aussi sûr que le Doyen est cocu. Oh je dis pas, j'aime bien ça aussi, mais faut faire la part des choses. Décidément, je la sens pas celle-là... Enfin bon, elle a l'air quand même plus concentrée que tout à l'heure, donc on va dire que ça ira pour cette fois...

"Bref, oublie ça. Ce qui compte, c'est le Quoi et le Quand. Le Quoi, c'est le plus simple : là pour le coup tu peux ressortir ta culture geek. Une série de catastrophes naturelles qui sème la pagaille, les pokémons qui deviennent agressifs, la société qui s'écroule... Et on retombe sur la loi de la jungle : conflits pour les ressources, luttes armées pour la survie en milieu hostile, et tout le tintouin. Sauf que les catastrophes vont aller crescendo, jusqu'à tout balayer sur leur passage... Enfin, presque tout."

Quelques gorgées sucrées pour se remettre d'aplomb, une manche pour essuyer, et on repart :

"Le Quand est pas beaucoup plus dur : c'est pour bientôt, bien trop tôt. Ça a déjà commencé en fait : la destruction de Windoria, Yveltal qui se pointe, le changement glacial de climat au niveau du volcan... Tout ça, c'est des signes avant-coureurs. Je sais pas quand ça va nous tomber dessus exactement, mais à cette vitesse on aura clairement pas deux ans devant nous pour se préparer. Et c'est bien ça le problème..."

Regard dans les yeux pour bien accentuer le propos :

"Tout le monde se la coule douce et vis sa petite vie peinard alors que je me casse le dos à tenter de faire bouger les choses. Un vieux fou qu'y disent, et ils ont pas tord. C'est complètement dingue, ok, y'a pas photo. Sauf que le hic, c'est que ça va arriver, point final. Donc y'a pas 36 solutions : soit on réagit et on bâtit tous ensemble une solution pour limiter la casse, soit on fait le Doduo et on y laisse tous la peau. A prendre ou à laisser..."

Le geste agacé que je fais en me renfonçant dans le dossier de mon siège en bois laisse bien savoir quelle option les Wattwats qui nous servent de concitoyens ont choisi pour l'instant...

Bon, y'a du mieux chez la miss, je préfère ce genre de questions. Bon, le hic c'est que j'ai pas franchement de réponse en fait, donc c'est pas top no plus, mais... Mais c'est pas grave après tout ! Y'a pas marqué Encarta sur mon front, et c'est pas parce que je sais que l'Apocalypse arrive que je dois forcément sortir une solution parfaite de mon chapeau comme mamie sortait les tatins du four à bois !

- "Et ben... Bah j'en sais fichtre rien en fait" dis-je en un geste d'impuissance. "La solution miracle existe probablement pas, et j'ai beau y réfléchir... Enfin, faudrait déjà commencer par faire bouger toute cette masse d'inconscients béats, car si déjà la mayonnaise prend pas à ce niveau on est pas près de faire une omelette... Construire genre un super abri bardé de vivres ? Va les convaincre de raquer pour construire le moindre camping, et après on en reparle ! Honnêtement, un truc à la hauteur du schmilblick mais réalisable dans les temps, ça parait chaud topinambour, pour sûr."

La seconde partie de la question me gêne d'ailleurs davantage, et c'est pas la suite qui améliore les choses. Vindiou, elle était pas censé avoir du vent entre les oreilles, la miss ? Enfin, elle est un peu à côté de la plaque avec la team Mistral, donc je me raccroche à ça et esquivant d'un revers de main la fin de la première question.

"Les Mistrals sont une plaie oui, mais c'est pas le problème principal. Un peu comme un simple symptôme d'une plus grosse maladie, ou le Simularbre qui cache la forêt, tu me suis ? Ils montrent juste à quel point les humains peuvent vite partir en vrille... Alors imagine quand ce sera le boxon complet ! Non, y'a pire, regarde..." dis-je en réduisant ma voix à un mince filet chuchoté.

Petit droite-gauche de la tête, puis farfouillage dans mon téléphone jusqu'à retrouver les photos en question pour les montrer à Cheveux-de-Barbe-A-Papa. La scène qu'on y voit, bien que plongée dans l'obscurité, laisse toutefois entrevoir une sombre forêt torturée. L'herbe est desséchée par plaques entières, presque grise et poussiéreuse. Les troncs sont fendus et ternes, comme ponctionnés de toute sève jusqu'à n'être que de simples carcasses éventrées. Clairement, quelque chose s'est passé là... Ce que semble confirmer l'éclat étrange dans mon regard.

"Je l'ai vu, il était là... Au beau milieu des Bois Hurlants, à minuit ! C'est Yveltal qui a fait ça, fillette. Le pokémon Terreur, la légende vivante... Il était là ! Il était à Dusk ! J'ai bien cru qu'on allait y passer, Dante et moi... T'imagines ? Je tiens même d'une journaliste étrangère qu'il a provoqué de nombreux troubles dans d'autres régions du monde, avec des gens tués, une secte à sa gloire... Et maintenant, il est parmi nous ! Un signe je te dis !"

Sur la table, le soda rose m'est complètement sorti de l'esprit tant le souvenir de cette rencontre me prend aux tripes. D'ailleurs, ça doit se voir dans mon discours, car là je suis à fond dedans, agitant les bras tout en chuchotant de plus en plus fort.

L'agent Gordon passait une mauvaise journée.

Déjà, pour commencer, ses deux adolescents lui posaient bien des tracas à la maison. Discussions houleuses à propos des cours, remontrances et batailles rangées pour que Jules accepte de prendre une douche... Le quotidien n'était pas facile tous les jours avec leur mère en mission à l'étranger, et les tentatives de conversations normales de ce matin s'étaient comme d'habitude relativement plantées.
Vient ensuite le boulot, avec le sergent Bocudo sur les nerfs avec ses problèmes dentaires, les collègues peu compréhensifs et prompts à distribuer des conseils condescendants sur l'éducation des enfants, la machine à café qui tombe une énième fois en rade...

Non vraiment, le pauvre agent des forces de l'ordre passait une très mauvaise journée. Toute une matinée à faire de la paperasse, et maintenant ça. Une action de vandalisme dans un secteur de la centrale électrique interdit au public. Encore un de ces hippies d'écolo qui a voulu faire le malin... Ou autre chose ? Le message sur l'affiche incriminée était relativement classique en soi, mais la formulation... Il y avait quelque chose, foi de Hugues Gordon. Mais quoi exactement ? Mystère. L'idée lui restait sur le bout de la langue sans vouloir venir, ce qui l'énervait particulièrement.

Épaulé comme souvent par l'agent Smith, le policier s'était donc résigné à procéder de manière habituelle à défaut d'avoir une épiphanie salvatrice. Se rendre sur place, prendre des photos du délit, faire enlever l'affiche, interroger le personnel de la centrale... Le temps d'obtenir les bandes magnétiques des caméras, l'agent Smith proposa d'aller interroger d'éventuels témoins. Proposition acceptée, et qui qui se révéla payante : les malfrats avaient été vus. Un vieux et une jeune fille, probablement des amateurs. De fil en aiguille, les deux policiers élargirent le périmètre, jusqu'à tomber sur un café à quelques minutes de là.

C'est là que l'agent Gordon Le vit. Leurs regards se croisèrent, horreur d'un côté, surprise amusée de l'autre. L'agent Gordon se figea, l'idée qui lui trottait dans la tête depuis une heure le frappant soudain comme la foudre. Le message, l'Apocalypse, la barbe... C'était le Vieux Hurleur.

- "Désolé les gars, c'est pas votre jour de chance on dirait..."




Rapport d'incident n°2859-12B, commissariat de Voltapolis Ouest

Le reste du rapport des deux agents de police reste à ce jour pour le moins confus. Le suspect le plus âgé aurait apparemment lancé un pot en verre en direction des deux représentants des forces de l'ordre. Pot qui, sous le choc, se serait brisé sur la tête de l'agent Gordon, le recouvrant d'une substance collante plus tard identifiée comme du miel. Hugues Gordon et Paul Smith auraient ensuite été sauvagement attaqué par une Apireine folle de rage.

Les détails  de l'affrontement restent encore inconnus, mais sa violence ne fait aucun doute au vu de l'état du café et des deux Machopeurs réglementaires des agents. Fort heureusement, l'incident n'a fait aucune victime, mais les deux policiers ont du battre en retraite "pour ne pas y passer". Les dommages matériels sont relativement importants, les témoins parlant de plusieurs Ultralasers qui auraient visé l'agent Gordon. Heureusement, il semblerait que la panique associée à l'aveuglement à cause du miel dans les yeux aient rendus sa trajectoire imprévisible, lui permettant d'éviter tout dommage subséquent à l'exception de quelques bleus lors de sa fuite. Les deux agent ont été placé en cellule psychologique suite à cette agression.

Le principal suspect, formellement identifié, serait le dénommé Edgar Barthalomas, retraité connu des services de polices pour des troubles répétés à l'ordre public. Plusieurs témoins affirment l'avoir vu prendre à fuite porté dans les airs par un Sinistrail, et accompagné d'une jeune fille. Celle-ci, non identifiée, aurait également disparue par la voie des airs, portée par un Draïeul.

A la demande de la Capitaine Gratintour, une enquête approfondie a été ouverte.

- "Habitué ? Ouais, faut pas s'emballer non plus, j'ai surtout l'habitude de finir au poste... Sauf que là j'avais vraiment pas la tête à poireauter trois jours en cellule. D'ailleurs, même si les deux flics ont pas passé un super quart d'heure, au moins ils auront pas à me supporter pendant tout ce temps. C'est du gagnant-gagnant en gros."

Non parce que c'est bien beau, mais j'ai autre chose à faire que me tourner les pouces en cage. Et puis ils savent faire maintenant, il me fichent directement dans une cellule insonorisée et tout seul. Même pas de quoi passer le temps en les faisant devenir chèvre ! En fait, je crois que celle là il pourrait même y avoir mon surnom dessus au point où on en est. Le Vieux Hurleur. Au moins, ça sonne pas si mal, c'est toujours ça de pris...

"T'en fais pas pour moi, je sais gérer ce genre de trucs. Ça pour le coup, les emmerdes, j'ai l'habitude... Et t'en fais pas pour toi, tu risques franchement rien. Bon, va pas danser la macarena juste devant le commissariat à 2h du mat' non plus hein, faut pas pousser Mémé dans les orties. Mais si tu fais pas trop de vagues pendant quelques jours, tu devrais pouvoir rester dans le coin si ça te chante. Au pire, s'ils viennent me chercher des noises, tu peux tout me mettre sur le dos sans vraiment mentir. Après tout, tu passais juste par là, et on a simplement discuté... La pancarte, c'est mon affaire."

Oui bon, y'a son piaf qui a aidé, mais franchement c'est un détail. Et je crois que personne d'autre n'a vu ça de toute façon, donc ça restera entre nous et puis c'est tout. D'ailleurs ça rime, c'est un signe.

"Et puis bon, j'y peut rien si ce pot de miel m'a malencontreusement glissé des mains au moment où j'allais justement partir... D'ailleurs, maintenant que j'y pense, on n'a pas payé nos boissons en fait..." dis-je avec un sourire malicieux. "Bah tant pis, c'est pas aujourd'hui que j'y retournerais... Et pour trois francs cinquante, ils vont pas nous faire un caca nerveux non plus."
Tout en me grattant machinalement la barbe, je tente de réfléchir à la suite du plan maintenant que l'opération Tygnon est terminée. Est-ce que je renouvelle de suite le truc histoire de marquer le coup ? Ou alors c'est mieux que j'attende ? Hum, le choix est pas évident... Et je commence à avoir la dalle.

"Bon, du coup tu comptes faire quoi du coup ? Je peux te déposer quelque part si c'est pas trop loin de ma route, car on est un peu au milieu de nulle part là. "

Elle est bien cette petite finalement. Un peu trop enthousiaste et naïve sans doute, mais bon, personne n'est parfait et elle encore jeune, c'est valide. Non vraiment, elle est quand même monté dans mon estime depuis tout à l'heure où elle débarquait pour ruiner l'opération Tygnon. Ce que confirme d'ailleurs sa réponse suivante.

- "Hein, c'est vrai ? Tu comptes vraiment mener l'enquête sur Yveltal ? C'est formidable ça ma grande ! Je peux pas être sur tous les fronts à la fois, donc si ça te botte d'aller creuser cette piste là ce serait vraiment chic de ta part ! Attends, je te file mon numéro de portable, comme ça tu pourras me raconter si tu tombes sur un truc intéressant ou si tu as besoin de renforts à un moment."

Les mains tremblantes d'excitation, je lui file mes coordonnées tout en la bombardant de remarques et de conseils. D'ailleurs, tu noteras aussi le passage de fillette à ma grande...

"C'était au cœur des Bois-Hurlants, juste après minuit ! J'avais fait un rituel pour attirer un Absol, tu sais le pokémon qui annonce les désastres. Je voulais lui poser quelques questions sur l'Apocalypse, et il y en a bien un qui s'est pointé... Juste à temps pour nous prévenir de l'arriver du bouzin ! D'ailleurs, fais-bien attention à toi, Yveltal aspire toute la force vitale aux alentours, ou un truc comme ça. On a failli y passer, donc si tu le croises planque-toi de suite ! Mais si t'arrive à le prendre en photo voir même une vidéo, ce serait énorme ! "

Une pause pour reprendre un peu mon souffle après avoir sorti le tout plus ou moins d'une traite.

"Tu me tiens au courant hein ? Voilà, on fait comme ça. De mon côté, je continue les prêches aux quatre coins de la région, ça finira par marcher. C'est comme pour les profs : enseigner, c'est répéter et répéter. Porte-toi bien, parle de l'Apocalypse et évite les épinards, d'accord ? Enfin, pas dans cet ordre, mais tu m'as compris. Allez, je file !"

Avec un dernier geste de la main, je dis au revoir à Viviane avant de remonter sur Dante qui s'élève doucement dans les airs après m'avoir attaché avec ses chaînes. La ceinture au volant fiston, c'est important ! Et sans plus tarder, on prend de la hauteur pour filer en direction de l'Est, vers la maison. Un petit passage pour prendre quelques affaires, puis on repart bosser !

The end: