Quand il s’agissait de soigner les blessures que j’avais pu me faire, je n’avais aucun problème et je trouvais automatiquement une solution, ce qui était le mieux à faire. Après tout, dans cet état, j’ai été habitué. Et puis, comme mon corps est devenu très sensible, j’étais carrément calé en termes de soins. Mais là, pour une raison qui m’étais totalement inconnue, je n’arrivais pas à réfléchir correctement – elle n’allait probablement pas en mourir, de s’être tordu la cheville, il n’y avait pas réellement de quoi trop stresser ; et pourtant, je n’arrivais pas à mettre mes idées dans le bon ordre, tout était flou dans mon esprit –. Je m’emportais, comme si c’était quelque chose de vraiment grave alors qu’il n’y avait pas lieu de réagir ainsi.
Et puis, je n’osais pas retire mes mains de sa taille, de peur qu’elle tombe. Mais je sentais que le rouge m’était clairement monté au joue – un des seuls avantages des bandages, c’est qu’au moins ce genre de choses n’étaient pas réellement visibles –. Je me retenais même de respirer – inconsciemment bien sûr –. Je fus rassuré en quelque sorte lorsqu’elle évoqua le fait qu’elle voulait aller s’assoir et que mon bras lui suffirait – je nous avais mis tous les deux dans l’embarras sans même le vouloir –. J’avais donc hoché de la tête, puis nous nous étions donc dirigés vers le plus proche, elle claudiquant, moi ayant drastiquement ralenti le pas afin de la soutenir. Elle s’était assise et se pencha aussitôt afin d’enlever sa chaussure et de se masser. Je m’étais accroupi devant elle, regardant sa cheville qui avait gonflée. Je me sentais tellement impuissant, c’était réellement un sentiment horrible. Oui, ce ne devait pas être si grave, mais sauter partout n’arrangerait pas la chose – et puis, elle aurait mal ; et toi, moi, je ne voulais pas qu’elle souffre –.
Je m’étais alors relevé afin de m’assoir à côté d’elle.
« T’as pas à t’excuser, ça arrive à tout le monde ce genre de choses ! Et puis, t’en fais pas, j’suis du genre malchanceux aussi, comme ça on est deux. » Petit rire qui ne s’accorde pas au sien.
Il faut dire que la vie – ah, cette sacrée vie – aime visiblement me mettre, nous mettre des bâtons dans les roues. Ça doit bien l’amuser, de nous voir galérer. Mais radoter encore et encore les mêmes choses ne menait à rien. J’avais commencé à voir des couleurs, alors il ne fallait pas faire machine arrière. Déprimer était inutile. Déprimer à deux encore moins. Et quand elle reprit la parole, j’hochai de manière négative la tête afin de répondre à ses dires. Hors de question que j’y aille sans elle, à quoi bon sinon ?
« Ne t’en fais pas ! Si on a pas le temps de tout faire ce soir, et bien ça nous donnera une occasion de revenir ! Et puis, comme t’es là pour un p’tit bout de temps encore, on aura tout le loisir de venir de nouveau se faire quelques frayeurs sur les manèges à sensations qu’on a pas fait ! Prend le temps de te reposer. » Avais-je commencé à dire avant de lui faire une toute petite pichenette amicale sur la joue. « Ehhh oh, hors de question que j’y aille sans toi ! Si je suis venu ici ce soir, c’est pour passer du temps avec toi, pas te laisser derrière moi et aller faire les attractions tout seul, c’est nul ! » Lançais-je avec un sourire sincère.
Nous étions restés une bonne dizaine de minutes au moins assis sur le banc, à papoter, quand je lui avais proposé de se rendre à la boutique. Ça nous ferait faire une pause et puis on pourrait regarder les souvenirs du parc en même temps. De nouveau, je lui avais tendu mon bras afin qu’elle s’y tienne et je m’étais adapté à son rythme. Une fois dans la boutique, nous avions commencé à faire le tour des différents objets. J’avais attrapé un mug avec l’effigie du parc dessus.
« Mes parents nous achetaient tout le temps des mug de partout, à chaque fois qu’on allait visiter quelque chose et qu’il y en avait. » Avais-je lancé avec un sourire – c’était la première fois que j’évoquais un souvenir avec ma famille avec un rictus positif sur le visage –. Je l’avais reposé et avais attrapé un tee-shirt tout rose avec, comme pour la tasse, l’effigie – un tee-shirt d’enfant –. Je l’avais alors tendu vers Kiana, un sourire malicieux aux lèvres. « Tu serais trop kiki là-dedans ! » Lançais-je tout en riant.
Enfin, après plusieurs minutes passées dans le magasin, nous étions ressortis. Regardant le parc, mes yeux s’arrêtèrent sur la grande roue. La pointant du doigt, mon regard se posa sur Kiana.
« On a qu’à aller faire ça, c’est tout tranquille ! J’te porte sur mon dos pour y aller. » Avais-je dit tout en bombant le torse et en faisant mine de contracter un biceps avant de rire.
Elle était toute petite, un véritable poids plume en soi, je n’aurai pas de mal à l’amener jusque là-bas.
C'était un réconfort égoïste de l'entendre affirmer que peu importait sa lenteur ou ses défauts, il voulait passer la soirée en sa compagnie. Kiana se sentit quelque part coupable de s’en réjouir : elle avait l’impression de se faire passer avant Isaac. Que ses propres envies étaient plus importantes que celles de son ami. Or la jeune femme avait pris l’habitude de faire des autres sa priorité, de s’oublier pour faire plaisir à ses cadets ou pour garder ses amis.
Inconsciemment notre insulaire pensait que sans cela, ils se lasseraient ; que si elle ne s’intéressait pas plus à eux qu’à elle-même ils la laisseraient. (de toute façon elle ne savait pas s’occuper de sa propre personne, ça tombait bien non ?) (tout était pour le mieux)
Ses lippes s’étirèrent avec un éclat qui cette fois-ci atteint ses yeux. Kiana donna un coup faible dans l’avant-bras d’Isaac pour se venger de la pichenette. “Ok alors, compte sur moi ! Si tu as si peur de faire les attractions tout seul je peux pas t’abandonner.” Le taquina-t-elle, avant de rajouter plus doucement (et sincèrement) “Merci.” De rester, de la rassurer ; même si c’était pour le moment, qu’il finissait par en avoir marre, cela lui suffisait.
Mais si Isaac était prêt à la supporter plus longtemps, s’il ne la lâchait jamais… Quel bonheur serait-ce ? La nova se baffa intérieurement pour chasser ces pensées. Ce n’était pas le moment, elle ne devait pas prendre la tendresse et l’attention du brun pour acquis ni chercher à se les accaparer.
La conversation continua tranquillement quelques minutes avant qu’ils n’investissent finalement la boutique. Kiana se mit à déambuler lentement entre les étalages en détaillant chaque article, s’arrêtant parfois lorsque son intérêt était titillé. Elle adorait ce genre d’endroit et pourrait se ruiner en babioles si elle s’écoutait, heureusement une enfance peu riche lui avait appris à se retenir.
La demoiselle se retourna en entendant Isaac évoquer un souvenir avec sa famille. Son ton et son sourire la touchèrent. Il avait été très proche de ses parents et sa sœur, ça se sentait. Le fait qu’il en parle avec une telle chaleur, un tel apaisement, la confortait : il n’avait pas gardé que les mauvais souvenirs, ces êtres chers partis trop tôt avaient laissé en lui une lueur infaillible qui ne demandait qu’à lutter contre ses ténèbres. Comme elle.
Kiana attrapa le mug que le pulsar venait de reposer puis le fit tourner entre ses mains pour l’observer sous toutes les coutures, en répondant “Ils devaient vous aimer très fort. Je suis contente que tu gardes de bons souvenirs d’eux.” avec délicatesse. Elle glissa la tasse dans son panier juste avant qu’il ne lui présente un autre goodie. En posant les yeux dessus, notre métisse s’esclaffa joyeusement. “La couleur est ok, mais niveau taille je ressemblerais à un gigot là-dedans !” En soi, même la couleur n’était pas des plus jolies. Mais il fallait prendre les choses avec un soupçon de dérision.
Nos deux visiteurs passèrent à la caisse, où la vendeuse proposa de garder les sacs jusqu’à la fin de la nocturne pour eux. Ils acceptèrent bien volontiers, ainsi ils n’auraient pas à se les balader dans les attractions. En ressortant, Kiana ferma les yeux et inspira lentement pour s’imprégner de l’instant ; elle se sentait bien. Peu importait sa cheville ou l’épisode gênant, il n’y avait rien à changer dans cette soirée.
Isaac proposa d’enchaîner avec la grande roue, ce qui alluma des étoiles dans les iris de la brunette. “Je vote pour ! Mais t’en fais pas trop pour moi, je- aïe. tout en parlant elle avait fait deux pas, mais déjà sa cheville protestait. Elle resta immobile quelques secondes, hésitante. ... Si ça ne te dérange pas....” C’était intimidant. Gênant. Embarrassant. Tout ce qui terminait en ant.
Une fois installée sur son dos, Kiana avait calé le front contre son épaule pour que personne ne puisse deviner l’écarlate sur ses joues. D’autant plus qu’elle avait désormais cruellement conscience de la large carrure d’Isaac, de la manière dont ses muscles travaillaient pour la supporter et marcher, dont son souffle gonflait puis vidait son torse pour compenser l’effort.
Elle était hypocrite : l’étudiante savait intellectuellement qu’ils n’appartenaient pas à la même gente, mais le fait qu’il soit dissimulé sous des bandages lui avait jusque là permis d’évincer ce fait. Alors que Kiana voulait le comprendre et l’aider, l’accepter entièrement, elle se rendait compte que ses yeux la trompaient quelque part. Mais et si ce n’était pas si simple ? Et si sans le vouloir, elle avait cherché un moyen de l’appeler son ami sans se demander ce qu’il pourrait y avoir d’autre ? Son cœur battait trop fort dans sa petite cage (Isaac le sentait forcément).
Le trajet ne fut pas physiquement inconfortable, mais lorsque Isaac la posa, elle avait quand même l’impression d’être restée sur son dos plusieurs heures. La basanée bafouilla des remerciements sans savoir que dire ; par chance il n’y avait pas de file pour leur prochain manège, et la nacelle se présenta pile à ce moment. Elle s'engouffra dedans sans attendre. Le début de l’ascension lui permit de se changer les idées. Voir le monde rétrécir en-dessous, le paysage se dévoiler de plus en plus loin, les lumières se transformer en petites étoiles, tout cela captiva son attention durant les deux premières minutes. Elle avait le front à trois millimètres de la paroi.
Kiana avait fini par se redresser pour regarder Isaac. “C’est tellement beau ! De jour aussi ce doit être super, mais là voir les lumières se transformer en petites étoiles… C’est comme si les gens étaient des astronautes en pleine dérive.” Un petit rire lui échappa ; son idée était idiote. “En tout cas je suis contente d’avoir eu ces billets ! Ma famille… Se rendant compte de ce qu’elle allait dire, la demoiselle marqua une pause. Mais c’était Isaac, elle pouvait continuer. Ma famille est pauvre, et j’ai énormément de frères et sœurs. Alors avant de venir à Lumiris, j’aurais jamais imaginé participer à la nocturne d’un parc d’attractions.” Elle sourit timidement. “Et je suis contente que tu aies pu venir.”
Son regard se posa de nouveau sur les formes sombres découpées par les lampadaires, loin sous leurs pieds. Kiana n’aimait pas parler de sa situation familiale en temps normal, sa sérénité actuelle la surprenait. Elle se sentait plus légère.
Je suis bien content de voir de nouveau ses prunelles briller après avoir parler de la grande roue. Je préfère la voir ainsi plutôt qu’abattue, comme elle l’était tout à l’heure. J’souhaite jamais du malheur aux gens – j’y ai trop goûté ; je ne le connais que trop bien – mais j’ai réellement envie de la voir heureuse, de la voir sourire, s’égayer, s’illuminer. C’est un peu étrange, jamais je n’ai réellement ressenti ce besoin que de voir une autre personne heureuse – de ne pas avoir envie de la voir souffrir, pleurer –. Disons que le sentiment est exacerbé. Et puis pourquoi j’ai l’impression que mon cœur cogne un peu plus fort dans ma poitrine ; pourquoi j’ai cette impression qu’il s’anime un peu plus que d’ordinaire ? J’suis une bille en sentiments et tout c’qui tourne autour de ça. Ouai, j’comprends pas trop ce qui s’passe au fond d’mon âme actuellement.
Et j’suis bien rassurée qu’elle accepte que je la porte jusqu’à l’attraction suivante. Je ne voudrai pas qu’elle force de trop, qu’elle se fasse mal de nouveau. Forcément, je veux bien croire que cela puisse paraître un peu gênant, dérangeant – on ne se connait pas tant que ça après tout –. Mais c’est pour son bien avant tout. En plus, vraiment, elle doit peser tout autant qu’une plume. Alors, quand elle finit par accepter, je viens m’accroupir devant elle pour qu’elle puisse s’installer correctement, avant de me relever et d’attraper délicatement ses jambes – pour ne pas qu’elle tombe –.
« En route ! »
C’est ce que j’ai dit avec tout l’enthousiasme du monde. Bien entendu, mon hypothèse fut vérifiée : c’est à peine si je la sens sur mon dos – c’est un peu hyperbolique mais vraiment, je pourrai la porter pendant des heures que je ne me fatiguerai pas –. Et puis, j’ai cette impression, cette sensation qui nait au creux de mon âme ; nait dans mon esprit. De la sorte, l’insulaire sur mon dos, cela me donne comme l’envie de la protéger de tous les dangers qui soient – elle parait si fragile ; si frêle –. Mais, pourquoi donc ce genre d’idées viennent à me traverser l’esprit ? Je sens mes joues se réchauffer doucement – Dieu merci, elle ne verra pas le rouge se peindre sur mon visage –.
Enfin, nous finissons par arriver à la grande roue. La chance nous souriant un peu, il n’y a aucune file et à peine nous posons un pied à l’entrée que l’on nous fait monter dans une cabine. Nous nous installons avant que le manège se remette en marche. Les yeux collés à la vitre, j’observe les alentours devenir de plus en plus petits – cette impression d’être géant, plus grand, c’est assez jouissif, unique –. Un sourire se dessine lorsque Kiana me fait part de son ressenti. Et tandis qu’elle parle, je me concentre un peu plus, j’essaie d’apprécier le paysage de la même façon qu’elle. Elle vient ensuite à parler de sa situation familiale, du fait qu’avant de venir ici elle n’aurait jamais imaginé vivre ça. Avant de rajouter qu’elle est contente que j’ai pu venir. Je baisse légèrement la tête – si je n’avais pas été aussi abruti, nous aurions pu profiter de ça bien avant ce jour ; mais là n’est pas le moment de ressasser le passé, les actes manqués, les inactions passées –.
« C’est vrai que c’est beau. Je reste persuadé que le soir reste le meilleur moment pour la ville d’en haut. La vision n’est pas pareille, tout autre, et ça a vraiment un sacré charme. En plus, dit comme tu l’as fait, c’est vrai qu’on a vraiment l’impression d’être des astronautes. Ça fait rêver… »
Me voilà bien philosophique – ça n’a jamais été ma matière préférée et pourtant, me voilà à réfléchir comme il aurait fallu que je le fasse quelques années auparavant –. J’ai dit ça tout en laissant mon regard vagabonder çà et là tandis qu’un sourire planait sur mes lèvres. Puis mon attention s’est enfin totalement reportée sur l’insulaire, tandis que le rictus léger qui flottait jusque-là se transforme, se veuille un peu plus rassurant.
« Je comprends. Nous n’étions pas les plus riches, mais comme nous n’étions pas une très grande famille cela nous a permis de bouger un peu plus. »
C’est ce que j’ai continué de dire en essayant de lui montrer de par le ton de ma voix que je comprenais réellement ce qu’elle peut bien vivre, ressentir.
« Avant aujourd’hui, je n’aurai pas pensé retourner dans un parc d’attraction de toute ma vie. Alors merci. »
Merci de me faire sourire, rire. Merci de me donner de nouveau l’envie d’employer l’humour, même si ce n’est pas toujours drôle. Merci de m’avoir amené jusqu’ici. Merci de m’accepter tel que je suis.
« Combien tu as de frères et sœurs déjà ? Je ne crois pas que tu me l’aies déjà dit. » Demandais-je, l’air pensif, intrigué. « J’imagine que ça ne doit pas tout le temps être facile, mais ça doit quand même être sympa d’avoir une grande famille. » Avais-je lancé avec un sourire avant d’agiter mes deux mains devant moi. « Pardon, si tu as envie de parler d’autre chose je comprendrai ! »
Parce que je conçois tout à fait le fait que tu n’aies peut-être pas envie de parler de la situation financière de ta famille ou du moins, que parler de tes frères et sœurs puissent ramener le sujet sur le tapis. Je ne voudrai pas te déranger avec des questions trop indiscrètes ou du moins, qui pourraient en engranger. Enfin, je finis par passer ma main dans mes cheveux.
« Je suis vraiment content d’être venu aussi. Parce que c’est un jour qui s’ajoutera aux « journées les plus belles de ma vie » ! » Lançais-je avec un petit rire.
Mais c’est vrai. C’est l’une des plus belles journées que j’ai pu passer depuis quatre ans, si ce n’est la meilleure.
Ils s'extasient tous les deux face à la vue imprenable qui s'offre à eux. En cet instant le monde paraît si vaste et les autres, si petits ; Kiana y avait déjà songé mais l'Homme paraît bien insignifiant face à aux merveilles de la planète, à l'éclat des étoiles, à l'immensité de l'univers.
Insignifiant et si fragile, éphémère lueur qui lutte de toutes ses forces pour exister. Mais c'est ce qui en fait toute la beauté, n'est-ce pas ?
Et eux sont actuellement deux astronautes à la dérive, qui pour quelques minutes échappent à l'attraction de la Terre (mais pas à celle qu'ils s'exercent mutuellement). Deux explorateurs penchés sur les hublots de leur capsule, à s'extasier de la vue.
Dans cette ambiance sereine, ce moment où il n'y a qu'eux, il est facile d'oublier les pudeurs et les barrières. De s'oublier à l'autre l'espace de quelques minutes suspendues dans le temps, comme si d'un accord secret ils savent que tout ce qui sera dit dans leur cocon de verre n'en sortira pas.
Alors Kiana se confie, sans trop y réfléchir.
"Je comprends. Nous n’étions pas les plus riches, mais comme nous n’étions pas une très grande famille cela nous a permis de bouger un peu plus." Le sourire d'Isaac l'incite à élargir le sien - parce que son humeur l'influence, même plus qu'elle ne l'imagine - "Avant aujourd’hui, je n’aurai pas pensé retourner dans un parc d’attraction de toute ma vie. Alors merci."
Sur le coup elle est un peu confuse, surprise d'entendre cela ; la brunette n'a jamais songé s'approprier le moindre mérite en emmenant son ami au parc. Son seul but est de passer un bon moment en sa compagnie. Cela dit elle ne peut nier le plaisir qui naît au creux de son cœur en l'entendant. "Merci à toi. Réponse chaleureuse, avant de rajouter avec humour Tu m'as supportée toute la soirée !"
Isaac la questionne ensuite sur sa famille, avec une prévenance qui lui interdit de garder le silence. Et puis il s'est bien confié à elle, c'est l'heure d'en faire de même. Au moins, avec le pulsar, Kiana se sentait en confiance. "Non, ça me dérange pas de t'en parler Et puis ce serait un échange équivalent. Répond-elle pudiquement, et détourne le regard vers l'extérieur. J'ai dix frères et sœurs, et je suis l'avant-avant-dernière. Enfin ça dépend comment on compte, vu que les deux derniers sont jumeaux.
La demoiselle s'agite un peu sur son siège, joue par réflexe avec ses cheveux. Effectivement on a parfois dû serrer la ceinture pour vivre mais nos parents ont toujours fait de leur mieux et on est soudés. L'inconvénient majeur, c'est que la maison est un peu petite pour les repas de famille du coup ! Surtout quand les aînés ramènent leurs enfants." Un rire tendre l'anime à cette évocation. Parler de sa famille, des grandes réunions, repenser à leur amour l'emplissaient toujours de joie.
"Mais à vrai dire j'avais besoin de changer un peu d'air. J'ai trop longtemps côtoyé les mêmes personnes en essayant d'être une autre pour leur plaire." aveu implicite ; ce ne sont pas les siens que la nova a fui. Isaac le saura tôt ou tard.
Quoi qu'il en soit la félicité qu'il exprime est parfaitement partagée. Ainsi Kiana glisse aussi en se tournant vers lui "Pour moi aussi, c'est une belle journée malgré les imprévus. Décidément on peut pas se voir une seule fois sans que quelque chose n'arrive." Elle le prend bien, pourtant. Ça s'entend à son ton. Les petits aléas font partie de la vie après tout… Comme certaines rencontres.
Pendant cette conversation, leur nacelle a quasiment atteint le point culminant. La basanée se dresse en s'en rendant compte, tout en lâchant avec excitation "Regarde, on arrive tout en haut ! Coucou Artiesta, coucou Vai, coucou Lumiris !" Elle est tellement excitée que Kiana manque de tomber. Pire qu'une enfant, vraiment.
Je ne suis pas du genre à dévoiler mes sentiments, ce que je ressens, facilement. C’est même dur pour moi d’en parler, de me confier. Ce n’est pas évident, après toutes ces années, celles passées à me faire rejeter. C’est à cause d’eux, si durant tout ce temps je n’ai fait que de me renfermer sur moi-même, créant maintes couches à cette carapace plus dure que de l’acier. Protection indispensable à ma survie -sans elle, j’aurai été complètement détruit –. Alors forcément, arrive un temps où il m’était carrément impossible de parler de mon passé, de moi, de ce que j’étais. Impossible pour moi de prononcer le moindre mot me concernant. Elle était dure, cette armure ; elle était résistante. Conçu intelligemment, le mur n’était pas censé être détruit – il était, pour moi, incassable, insurmontable, infranchissable –.
Et pourtant. Et pourtant.
Tout parait plus simple avec Kiana. Sûrement parce qu’il n’y a aucune once de jugement. Peut-être aussi parce qu’elle m’a accepté tel que je suis à la première minute où nos chemins se sont croisés. Je remercie grandement le destin et tous les dieux peuplant les cieux pour cette rencontre qui, comme quelques-unes seulement, aura probablement changée ma vie à jamais. Alors peut-être qu’elle trouvera ça un peu niais, ce que je lui aie dit en dernier, mais c’est ce que je pense, sincèrement. Et étrangement, je n’ai pas envie de me cacher, quand je suis avec elle.
Quand elle me remercie à son tour et qu’elle me dit que je l’ai supporté toute la soirée, je ne peux m’empêcher de rire. « Mais non, ne dit pas n’importe quoi ! » C’est vrai après tout, je n’ai pas eu à la supporter. Peut-être a-t-elle dit ça suite au fait qu’elle se soit foulée la cheville ? Mais ce n’est pas grave ça, ça arrive à tout le monde, comme je lui ai dit ! Enfin, la conversation retourne ensuite à la question que je lui ai posée. Elle ne m’a pas forcé tout à l’heure, quand j’ai parlé de ma famille. Alors je ne veux pas qu’elle se sente obligée, bien qu’au fond, j’aimerai bien en apprendre un peu plus sur elle – d’où vient ce sentiment naissant, ce besoin de la connaître un peu plus, un peu mieux ? –.
L’insulaire me dit alors que ça ne la dérange pas. Elle commence alors à m’expliquer qu’elle a dix frères et sœurs. J’écarquille légèrement les yeux à cette évocation avant qu’un sourire doux ne s’affiche sur mon visage. Effectivement, ça fait une sacrée troupe. Ça doit avoir ses avantages et ses inconvénients, tout comme lorsqu’on est seul. Elle parle ensuite du fait que ça n’a pas toujours été facile financièrement mais que ses parents ont toujours fait en sorte qu’ils ne manquent de rien. Et que l’inconvénient était que la maison était un peu petite pour les repas de famille. Je hoche alors la tête tout en gardant cette expression de douceur sur le visage, pour lui dire que je comprends bien que je n’ai jamais vécu ça.
« Et bien, ça en fait du petit monde, surtout quand tes aînés reviennent avec leurs bambins donc ! Mais effectivement, le plus important reste que vous êtes soudés, il n’y a rien de plus beau. » Lui dis-je avec un large sourire.
Et Kiana me fait part du fait qu’elle avait besoin de changer d’air, qu’elle avait trop longtemps côtoyé les mêmes personnes en étant une autre personne. Une autre pour leur plaire. Je fronce alors les sourcils, penchant légèrement la tête de côté avant de la secouer doucement. J’imagine bien qu’elle ne veut sûrement pas parler de ça. Après tout, elle est ici pour être celle qu’elle est réellement. Là n’est pas le moment de déterrer quelques monstres du passé. Je ne voudrai pas qu’elle soit embarrassée ou quoi que ce soit. Alors je ne rajoute rien. D’ailleurs, je suis bien content qu’elle change de sujet assez rapidement – je n’aurai pas trop su quoi dire –. Elle a raison, visiblement le destin s’amuse à nous mettre quelques bâtons dans les roues lorsque nous nous voyons.
« C’est vrai qu’on a pas de chance ! Mais bon, ce sont tous ces imprévus qui font qu’on se souviendra mieux de ces journées. Et puis, on ne pourra qu’en rire ! » Lançais-je avec un petit rire amusé.
Mon regard se porte alors de nouveau vers l’extérieur. Nous avons presque atteint le sommet et visiblement, Kiana en est toute réjouie. Quand elle se redresse d’un coup et qu’elle me dit que nous sommes presque en haut, qu’elle commence à dire coucou à tout le monde, je ne peux que rire. Et j’allais poser de nouveau mes prunelles sur les lumières à l’extérieur quand, d’un coup, je vois qu’elle manque de tomber – Dieu seul sait ce qui a bien pu la faire vaciller ; probablement sa cheville qui lui a fait défaut ? –. Elle se rattrape, mais j’ai quand même le réflexe de lui attraper le bras. Peut-être pour être sûre qu’elle ne tombera pas réellement. Et puis, je lui fais une petite pichenette sur la tête.
« Ehhh, ne va pas te refaire mal hein ! Assieds-toi et cesse donc te t’agiter, sinon ça va aggraver le cas de ta cheville ! » Lançais-je tout en l’aidant à se rassoir avant de lui tirer la langue. « Et j’voudrai pas que tu aies plus mal que ça. »
Puis je me rassois à mon tour, m’accoudant au rebord de la fenêtre de la nacelle.
« Je sais que tu m’as dit qu’après le lycée, tu ne savais pas trop ce que tu allais faire, mais est-ce qu’il y a un corps de métier qui t’intéresses plus que les autres ? » Demandais-je d’un coup d’un seul, comme si ces paroles sortaient tout droit de nulle part. « Je pense que je vais arrêter les études. »
Confession sortie toute seule, voilà bien longtemps que cette idée me trotte dans la tête. Je ne m’y plais pas. Pour autant je ne sais pas ce que je voudrai faire non plus – et surtout, où je serai accepté pour travailler –. Peut-être qu’il faudrait que j’aille faire gardien de cimetière, tiens – bruh, quelle drôle d’idée –. Je finis par secouer la tête tout en soupirant, un léger rictus placardé aux coins des lèvres.
« Pardon, j’crois que ça avait besoin de sortir. » dis-je avec un petit rire.
Peut-être est-ce parce qu'ils sont dans un espace confiné ; peut-être est-ce par leur désir commun de mieux se connaître. Mais Kiana a le sentiment que les barrières tombent une à une entre eux, que petit à petit ils passent outre les petits secrets et les grandes appréhensions pour se rapprocher.
La jeune femme est heureuse de ce partage avec Isaac. Heureuse d'en savoir plus sur lui comme de se sentir écoutée. Elle a l'impression de voir un puzzle s'emboîter parfaitement, sans aucun effort. C'est naturel.
Alors il serait tentant de parler de destin, charmant d'imaginer qu'une connexion forte entre eux les a poussés à se rencontrer. Mais avec le pulsar pour le moment, Kiana ne se pose même pas la question ; elle profite simplement de sa présence, de ce côté rassurant qu'il apporte, de leurs taquineries.
Rien n'est parfait évidemment, et Isaac a un tel bagage - dans son vécu, dans ses émotions - que la brunette sait qu'ils ne riront pas toujours dans l'insouciance totale. Mais il peut l'aider à garder un pied sur terre, et elle peut adoucir ses maux. Ensemble ils trouveraient l'équilibre.
D'ailleurs encore une fois, Kiana s'excite un peu trop - au grand dam de sa cheville - et Isaac réagit tout de suite pour la soutenir. C'est le fondement de leur relation, la source de leur rencontre : elle qui s'aventure sans réfléchir dans ce monde plein de périls, lui qui l'aide.
L'idée n'est pas de compter sur son ami en permanence ou d'en tirer profit, mais l'insulaire lui accorde toute sa confiance sans hésiter. En sa présence elle peut donc se laisser aller. Elle espère simplement lui apporter quelque chose en échange. Une présence solide, une oreille attentive, quoi que ce soit.
Alors que Kiana se rassoit - une main autour du poignet qu'Isaac a tenu comme pour prolonger ce contact aussi longtemps que possible - en observant l'extérieur, il aborda soudainement un sujet bien trouble : l'avenir. Un corps de métier qui l'intéresse ? Oui et non. "Mmmmh, disons que j'aime les pokémons, j'aime prendre soin d'eux ou des autres et j'aime bouger… Je me dis que ce serait bien de relier deux ou trois de ces points."
C'est une trame, un brouillon. Notre métisse n'a pas d'idée précise sur son futur, elle a vécu trop longtemps à vouloir profiter du présent puis se soucier de frivolités. Cependant l'aveu soudain du brun lui retourne la tête d'un coup. Arrêter les études ? "Carrément ?" Sa surprise est visible.
Ça avait besoin de sortir, explique-t-il en retour. Kiana lui sourit, essayant plus ou moins volontairement de le rassurer. Elle sait ce que c'est, d'hésiter. D'être perdu, sans savoir comment on aimerait se définir. "T'inquiète, si tu veux en parler ça me dérange pas." Parce qu'ils sont amis. Parce qu'elle veut l'aider.
Enfin cela ne fait pas de la nova une CPE qualifiée pour autant. Elle reprend donc sans trop savoir par où commencer. "Alors… Tu y penses depuis longtemps ? La psychologie ne t'intéresse plus, ou c'est plutôt qu'un autre domaine t'intéresse davantage ? tu sais ce que tu ferais, ensuite ?" Ça paraît être une bonne base.
S’il y avait un mur en face de moi, j’aurai probablement cogné ma tête dessus à de multiples reprises. Intérieurement, je m’insulte, je me frappe, je m’en veux. J’ai soudainement l’impression d’avoir brisé l’ambiance si joyeuse – hormis le fait qu’elle se soit fait mal –. La soirée se déroulant bien, pourquoi a-t-il fallu que je mette un sujet tel que celui-ci sur le tapis ? Ce n’est même pas moi qui ai choisi de dire ça ! A croire que les mots sont réellement sortis tout seul, comme si je n’avais plus aucun contrôle sur moi-même. J’ai peur de plomber l’atmosphère alors que devant nos yeux ébahis se dresse un spectacle merveilleux. Posant une main sur mon front, je le masse lentement. Vraiment, je n’ai été qu’un pauvre idiot – comme d’habitude quoi –.
Je risque un coup d’œil dans la direction de Kiana, qui m’offre aussitôt une réponse. Je l’écoute avec attention et au fond, je cherche un moyen de relancer une conversation un peu plus légère. Pourtant, un léger sourire s’esquisse sur mon visage. Je lui ai demandé ça, alors qu’elle n’est encore au lycée. Il lui reste du temps afin de trouver ce qu’elle veut faire. Et puis, dans tous les cas, si elle commence des études qui ne lui plaisent pas, elle pourra recommencer autre chose.
« Je vois ! C’est vrai que c’est toujours mieux de travailler dans des domaines qui nous plaisent ou, comme tu dis, en reliant certaines de nos caractéristiques. Travailler dans un Refuge par exemple, ça te tenterait pas ? »
Les conseilleurs ne sont pas les payeurs. Je dis ça, alors que moi-même, je suis complètement perdu. D’ailleurs, je regrette un peu d’avoir dit que je ne voulais pas poursuivre la fac. Peut-être parce que j’ai honte, au fond ? Évidemment, je ne peux que comprendre sa surprise à cette simple évocation – lourde de conséquences en soit –. Et puis, je lui ai dit que ça devait sortir, mais en même temps, si ces mots n’avaient pas traversé le pas de mes lèvres, ça m’aurait tout autant arrangé. Mais maintenant, nous en sommes là. Je baisse alors un peu la tête avec un petit ricanement – parce que j’ai clairement l’impression de faire pitié –. Pourtant, quand elle me dit de ne pas m’inquiéter, que si je veux en parler ça ne la dérange pas, mes yeux se posent de nouveau sur elle. Ce sourire qu’elle arbore a probablement l’effet escompté : ça me rassure. De ne pas l’embêter avec ça. Elle me demande ensuite si j’y pense depuis longtemps, si c’est la psychologie qui ne m’intéresse pas ou si c’est un autre domaine vers lequel j’aimerai me diriger, si je sais ce que je ferai ensuite.
« J’en ai aucune idée… »
Et c’est totalement vrai. Je ne sais pas. M’adossant un peu mieux contre le siège, je remonte mes pieds sur ce dernier afin de venir poser mes bras et ma tête sur mes genoux. Longue histoire.
« J’ai décroché du lycée après… l’incendie. Comme il m’a fallu un an avant de sortir de l’hôpital, j’ai redoublé ma première parce que j’avais pris trop de retard et j’ai pas pu passer mes examens à temps. Bref, ça m’a un peu découragé et depuis là c’est plus trop mon kiff les études. »
Avant, j’aimais bien. L’école, le collège, le début du lycée, j’y ai passé de très bonnes années. J’adorais venir en aide à tous ceux qui en avaient besoin, j’aimais donner de mon temps pour les faire réviser, faire mes exercices avec eux. Vraiment, c’était sympa. Mais tout a changé après.
« Je savais pas ce que je voulais faire et puis j’avais pas envie d’avancer. Alors la famille d’accueil dans laquelle j’étais m’a inscrite d’office en psychologie, parce que c’était, selon eux, une filière qui pouvait potentiellement m’ouvrir pas mal de voies. Mais j’en avais que faire… »
Un soupir, tandis que mon regard s’évade un instant sur les toits illuminés.
« Je sais pas ce que je veux faire. Mais disons que ce n’est pas le plus grand problème. L’ennui, c’est de savoir quel employeur va bien vouloir m’accepter. »
Ce n’est pas tout le monde qui veut d’une momie au sein de son entreprise. Enfin, je finis par plaquer mes mains contre ma tête et me laisser retomber en arrière.
« Raaah désolé de plomber l’ambiance, j’voulais pas… » Lançais-je tout en passant finalement une main dans mes cheveux, un rictus désolé aux coins des lèvres.
Heureux soient les bien voyants ; ceux pour qui l’avenir n’a pas de mystère, sur qui le doute et l’incertitude n’ont pas jeté leurs ombres. C’est un luxe que de savoir, à dix-huit ou vingt ans, ce dont sera fait demain. D’avoir déjà choisi sa voie et de se savoir capable de la suivre jusqu’au bout - ou de pouvoir s’en donner les moyens. Un luxe que Kiana ne connait pas encore ; un luxe qui avait échappé à Isaac.
Eux font partie de ces jeunes qui auraient encore besoin de temps. Et quoi de plus normal ? Ils sont à peine adultes. À leur âge la société nous considère comme responsables, alors on nous jette dans le grand bain. Mais la vérité c'est que pour eux, le moment n'est peut-être pas idéal pour décider comment ils occuperont les trente années à suivre. Qu'il leur faut tenir le bord encore un peu.
Dans le cas d'Isaac, il a déjà du chemin à faire pour s'ouvrir aux autres et s'accepter. C'est l'impression qu'il renvoie à Kiana en se recroquevillant sur son siège. Il lui paraît soudainement terriblement jeune et vulnérable, ainsi ; elle a l'impression de voir un garçon esseulé, un orphelin blessé. Celui que le jeune homme est quelque part au fond de lui. Cette part de lui qui sortait à peine de l'incendie.
Son silence pour preuve de son attention, la délicatesse de ses gestes pour témoin de sa compassion ; la demoiselle s'approche de lui en retenant ses larmes et pose un genou sur le siège, avant d'entourer Isaac de ses bras tandis qu'il prononce des excuses inutiles. Elle le serre à peine pour ne pas lui faire mal ni l'étouffer, en appuyant le menton sur son crâne à lui. "T'en fais pas." Murmure à peine plus utile qu'une promesse.
Kiana parle tant des aveux inattendus du pulsar que de ses craintes.
Pendant quelques secondes, seules leurs respirations résonnent à ses oreilles. Jusqu'à ce que la jeune femme s'éloigne, désormais consciente de son geste - pourtant les mains encore sur les épaules de son vis à vis, pour garder l'équilibre. "Désolée…" Sans attendre qu'il ne réponde, Kiana retourna à sa place et s'assit sagement. Puis revint à leur sujet de conversation initial pour détourner l'attention.
"Je ne peux qu'imaginer ta situation, mais si j'étais un employeur je ne refuserais pas d'embaucher un garçon intelligent et plein de bonne volonté. Alors contrairement à toi, je pense que tu devrais déjà réfléchir à ce que tu veux faire. Parce que plus tu seras motivé plus les patrons le sentiront, et plus ils pourraient te recruter. Après…" Instant de réflexion.
"Au pire, s'ils ne t'embauchent pas tu pourras peut-être devenir ton propre patron ? Comme ça tu leur montrerais en plus que tu n'avais pas besoin de leur aide !" Après avoir lâché son idée, Kiana affiche un sourire fier. Comme si c'était un très bon plan dont elle était fière. En soi, c'était surtout très idéaliste. Mais pas impossible, n'est-ce pas ? Du moins elle a confiance en Isaac.
C’est un sacré luxe qui m’est attribué dis donc. Tiens, mais voilà ce que je devrai faire : plombeur d’ambiance – et non pas « plombier » ; ahah –. Visiblement, je ne suis pas capable d’entretenir plus de dix minutes de bonne conversation – y a toujours quelque chose qui me pousse à mettre mes mauvaises pensées sur le tapis –. Et même si je ressens le besoin d’en parler, et même si j’ai l’impression qu’elle est l’une des seules personnes à qui je peux en parler, c’est d’un égoïsme sans nom, que d’empêcher Kiana de passer une bonne soirée et de lui faire part de mes problèmes existentiels de cette façon. J’aurai beau m’excuser, je continuerai de m’en vouloir.
Je ne mérite rien. Et encore moins cette délicatesse dont elle fait preuve.
Je sens les larmes me monter aux yeux lorsque ses bras viennent m’entourer, que son menton vient se poser sur ma tête, qu’elle murmure de ne pas m’en faire. Mais bien vite je chasse ces pleurs qui menacent de couler du revers de la main, avant de les poser doucement sur le dos à Kiana, comme pour prolonger le contact.
Si seulement le temps avait pu se figer à cet instant.
Mon cœur se serre étrangement lorsqu’elle s’éloigne ; et à la fois, le fait que ses mains restent posées sur mes épaules me rassure, m’apaise. Mais ce n’est que de courte durée ; bientôt, elle s’excuse avant de retourner s’assoir.
« Ne t’excuse pas pour ça. »
Au contraire. Reste près de moi, serre moi encore dans tes bras.
Mais au lieu d’en dire plus, je reste planté dans mon siège, mes prunelles l’observant retourner de nouveau en face de moi. Enfin, j’écoute avec attention ce qu’elle dit ensuite. Elle n’a pas tort en soi. Si j’y mettais un peu de bonne volonté, je devrai arriver à faire quelque chose de ma vie. Si je ne bouge pas, rien ne s’arrangera. Et je voudrai bien parvenir à changer. Mais j’ai l’impression qu’à chaque fois que je m’engage sur la voie de la progression, il faut toujours que d’innombrables obstacles viennent me barrer la route – avance d’un pas ; recule de deux –.
« C’est toi qui a raison sur toute la ligne ahah. Ou presque, je suis pas si intelligent que ça ! » Petit rire taquin. « Plus sérieusement, je vais essayer de me pencher sur la question. »
Il faudrait déjà que je sache ce que moi j’aime, n’aime pas ; en gros, que j’envisage toutes les questions concernant ma personnalité afin de déterminer ce qui me conviendrait le mieux – des tests de ce genre, il doit y en avoir à foison sur le Réseau –.
« Ohhh je sais pas si je serai capable d’être mon propre patron ! Mais c’est une solution à envisager, si jamais. » Haussement des épaules, sourire sincère. « Je sais ! Au pire, vu qu’on sait pas ce qu’on veut faire tous les deux, on aura qu’à monter notre propre boîte à tous les deux ahah ! » Clin d’œil, ton enjoué – enthousiaste même –. C’est une proposition qui peut à la fois être prise à la légère comme très sérieusement.
Enfin, voilà que le tour de Grande Roue se termine. Nous descendons de notre cabine – j’aide au passage Kiana, afin qu’elle ne se fasse pas plus mal à la cheville – avant de m’étirer une fois extirpé.
« Ahh, c’était cool ! Faudra qu’on se refasse ça ! » Grande Roue pointée du doigt, large sourire sur le visage. Puis je jette un coup d’œil à mon portable. « Ehhh ça va être l’heure de la parade je crois ! Tu veux qu’on y aille ? »
Peut-être voudrait-elle rentrer à cause de sa cheville ? Peu importe son choix, je la suivrai dans tous les cas.
« Si on y va et que tu vois pas bien, je te porterai sur mes épaules ! »
Rires. Mais c’est, pour le coup, une affirmation tout à fait sérieuse.
Au-delà des conseils, Kiana souhaitait d’abord encourager Isaac. Il n'était pas rassuré sur son avenir, et elle devinait que la source de ce trouble était son manque d'amour-propre. L'incendie lui avait ôté plus que sa famille (perte déjà immense à elle seule). Isaac y avait laissé autre chose.
Dans un monde où les autres nous attribuent une case dans les dix premières secondes après avoir posé les yeux sur nous, où les premières impressions sont primordiales, sortir la tête haute lui était difficile. De fil en aiguille il avait aussi perdu confiance en lui-même.
Les frayeurs et les idées sombres prenaient toute la place. Comment envisager l'avenir positivement avec ces bandeaux devant les yeux ?
Au moins le jeune homme semblait réceptif aux paroles de Kiana. Son rire ténu et sa voix enjouée la rassurèrent. Il fit même une proposition qu'elle ne sût réellement interpréter, mais qui la fit glousser. "Pourquoi pas oui ! Mais je suis pas super douée avec la paperasse, sois prévenu." Isaac aurait l'honneur de gérer cet aspect.
Non pas qu'ils pourraient faire quoi que ce soit depuis leur navette spatiale. Les deux jeunes gens retrouvèrent pied peu après. En descendant, la nova se retourna vers leur capsule. Un regret vague lui pinça le cœur : ça avait été trop court. Cependant la remarque très juste d'Isaac lui tira un sourire, un espoir : ils reviendraient. "Totalement ! De jour, pour changer ?"
Le pulsar proposa ensuite d'aller voir la parade, ce que Kiana approuva de suite. "Déjà ? On y va alors ! Et s'il y a beaucoup de monde je pourrais bien accepter de monter sur tes épaules, attention." C'était pour le taquiner, de base. Mais en arrivant près du circuit ils découvrirent qu'une petite foule s'était déjà réunie le long des barrières. Ils avaient bougé un peu trop tard pour être tout près.
La question était donc la suivante : comment avoir une bonne vue sans bousculer tous ces gens ? Tout en y réfléchissant, la brunette chercha des pistes autour d'eux. La réponse lui parut sous forme d'un muret sur lequel se tenaient déjà quelques personnes. Hourra ! Elle y entraîna immédiatement Isaac et ils escaladèrent tous les deux, Kiana avec l'aide de son ami.
Se retenant de sautiller (ce serait dangereux pour le coup), elle enroula un bras autour de celui d'Isaac et sortit son téléphone pour filmer. "On arrive juste à temps je crois !" La demoiselle montrait toutes ses dents ; tout était si beau, si magique. Maintenant, le clou du spectacle.
Ils ne parlèrent pas pendant la parade. L'un comme l'autre profitant simplement du spectacle et du moment ; le défilé était magnifique, les tenues sublimes, les figurants talentueux, mais tout cela signait aussi la fin de la fête. Kiana était déjà un peu nostalgique. (Elle garda les yeux grands ouverts jusqu'au bouquet final envahissant le ciel, pour enregistrer chaque seconde dans sa tête ; son téléphone n'enregistrait qu'une copie)
C’est ce que je lui ai répondu avec un rire et un large sourire lorsqu’elle a proposé de revenir de jour. Dans tous les cas, que ce soit lorsque le soleil est à son zénith ou lorsque la lune est pleine, je sais d’avance que ce sera un agréable moment que je passerai en sa compagnie. Parce que sans que je sache comment expliquer ça, j’ai l’impression qu’il y a quelque chose de différent avec Kiana – quelque chose qui diffère, que je n’ai pas ressenti en rencontrant toutes ces personnes qui ont pu croiser ma route ces derniers temps –. Et puis, que ce soit de jour comme de nuit, l’important reste, pour moi, que l’on se revoit. Oui, j’ai envie de passer plus de bons moments comme celui-ci avec elle, je veux graver à jamais dans mon esprit des souvenirs aussi merveilleux que celui-ci.
Enfin, voilà qu’il est l’heure de la parade – et oui, déjà, comme elle a pu si bien le remarquer –. Le temps passe terriblement vite lorsqu’on s’amuse – s’en est effrayant même –. Ne pourrait-il pas passer plus lentement, qu’on ait le temps d’en profiter, de s’imprégner au maximum de ce bonheur qui nous submerge ? Malheureusement, personne sur Terre ne pourra régler ces problèmes d’espace-temps. La fin de cette belle soirée approche beaucoup trop vite à mon goût – et j’ai ce goût amer en bouche ; que je dissipe bien vite en respirant un bon coup et me disant que ce n’est pas comme si c’était la dernière fois que l’on se voyait –.
« AH, pas de soucis, tu es aussi lourde qu’une plume, ça devrait le faire ! »
Rires, sourires. Bonheur qui emplit mon cœur.
Nous n’avons pas traîné – enfin, je crois ? – et pourtant, lorsque nous arrivons près du circuit, une foule a déjà pris place aux premières loges. Je serre les dents, fronce le nez. Ils ne pouvaient pas tous arriver après nous ? Bah, je n’ai pas vraiment le temps de réfléchir que Kiana m’entraine en direction d’un muret. Par-fait. Je passe en premier afin de lui donner un coup de main pour monter. Et puis, je pince mes lèvres quand je sens son bras s’agripper au miens avant qu’un large – énorme – sourire ne s’affiche sur mon visage, faisant écho au sien.
« Ouaip, on a eu chaud ! »
Dernières paroles, tandis que la parade commence. Le silence est de mise, et nous profitons tous les deux de ce délice visuel. Si quelqu’un m’avait dit qu’un jour, je retrouverai goût à ce genre de choses toutes simples, je ne l’aurai probablement pas cru. Et pourtant. Ce doivent être des paillettes qui scintillent au fond de mes prunelles.
Oui, je profite de cet instant magnifique, magique.
Quand vient la fin, mon cœur se serre. « Déjà ? » Ce simple mot est sorti tout seul de ma bouche, dans un souffle. Vraiment, c’est passé beaucoup trop vite – peut-être parce que c’était génial ? –. Enfin, attendant un peu que la foule autour de nous se disperse, je descends du muret avant de tendre une main vers Kiana pour l’aider à descendre.
« C’était coool hein ! Les costumes et tout, wahouu ! J’ai bien aimé les danses aussi, c’était sympa ! Et la musiiiiiique ! Enfin, je suis triste que ce soit passé aussi vite ! »
Petit rire, j’ai plus l’air d’un gosse qu’autre chose, à faire des grands gestes tout en m’exprimant, avec cette lueur de joie dans le regard. Mais voilà qu’une annonce est diffusée, signalant aux gens que le parc va fermer ses portes, nous demandant alors de quitter les lieux.
« AH, faut pas qu’on oublie d’aller chercher les souvenirs à la boutique ! »
Tranquillement, d’un pas lent, nous nous dirigeons alors vers la boutique. Déjà, parce que Kiana est blessée, mais peut-être aussi parce que l’un comme l’autre, nous voulons prolonger jusqu’à la dernière minute le moment passé en ce lieu ? Enfin, les souvenirs récupérés, nous finissons par sortir du parc. Dernier regard en direction de celui-ci, la lumière de certaines attractions s’éteignent déjà.
« Encore merci, pour ce moment passé avec toi. » Souffle s’envolant dans la nuit, teinté d’une sincérité sans égal. Mon attention se porte de nouveau sur la Nova. « Merci pour tout. » Murmure accompagné d’un sourire timide.
Merci de m’avoir écouté, merci de m’avoir fait rire, donné le sourire, merci de m’accepter comme je suis.
« Ahh par contre, par pitié, laisse-moi au moins te raccompagner jusqu’en bas de l’immeuble où habite ta sœur, s’il te plait. Je ne voudrai pas que tu te promènes de nuit toute seule, blessée qui plus est ! » Petit rire.
Histoire de m’assurer qu’elle rentre bien chez elle, sans encombre. Je sais que si je ne m’en assurer pas, je n’arriverai pas à trouver le sommeil. Et puis, au fond, c’est peut-être aussi parce que je veux passer le plus de temps possible avec elle ?
"Déjà." Un sourire traverse fugacement son visage - un sourire un peu triste, comme eux en ce moment. La soirée avait été plus que satisfaisante mais, mais (Toutes les choses ont une fin, bonnes comme mauvaises ; mais les seules qui nous laissent vraiment les yeux un peu vides sont celles dont on ne voulait pas savoir le dénouement)
Kiana a un moment de flottement, cet entre-deux dans lequel on sait que le rêve va se terminer et qu'on reste immobile en espérant profiter jusqu'au dernier carat. Elle a tout juste conscience de la foule qui se meut autour d'eux. Puis Isaac descend du muret et tend la main pour l'aider à en faire de même. La demoiselle s'exécute et le remercie jovialement, sa bonne humeur solidement ancrée dans sa poitrine.
"Tu as raison la parade était magnifique ! Rien à voir avec celle à laquelle j'ai participé haha. Et cette soirée était trop courte." Cette impression échangée, les deux jeunes gens passent par la boutique de souvenirs récupérer leurs achats avant de quitter le parc pour de bon. Tout cela le plus lentement possible (ne pas se séparer trop vite).
Ils stagnent devant l'entrée, observent l'extinction des lumières. Isaac en profite pour la remercier. "Tout le plaisir est pour moi, j'ai adoré cette journée !" Kiana s'exclame, lui envoie un petit coup de coude, étire les lèvres à se les fendre. Une réaction expensive sans doute ; tout pour ne pas céder à son tour à la timidité qui avait saisi le garçon.
Mais la gêne était bien là, petit bourgeon qui pourrait bien fleurir un jour et percer la couche d'innocence et d'ignorance qui entourait encore leur amitié. Isaac propose de la ramener jusqu'au pied de l'immeuble de Vai, Kiana accepte immédiatement ; elle ne réfléchit même pas au type de logement dont il s'agit, dans le feu de l'action la nova aurait répondu oui même s'il avait s'agit de la bicoque familiale.
Pour la première fois depuis longtemps, elle ne se soucie aucunement des dégâts que subirait l'idée qu'Isaac se faisait d'elle. Le retour se fait sur des échanges badins agrémentés de quelques rires. L'insulaire se met à claudiquer, Isaac la reprend sur son dos (encore une fois le cœur qui s'emballe et les joues qui se peignent) et n'accepte de la poser qu'une fois arrivés à destination.
Devant le bâtiment huppé qui abritait le loft de sa soeur, Kiana se place face au pulsar et écarte un peu les bras avant de les cacher dans son dos. "C'est là. Oh ! Elle fouille dans son sac de courses. Au fait je me suis permise de te prendre ça… Bon ça vaut pas les cadeaux de tes parents, mais voilà."
La métisse murmure presque ces mots, un peu embarrassée. Elle tenait entre ses mains la tasse qu'il avait repéré dans le store. Kiana espérait qu'au moins, ça lui plairait. Ce cadeau offert et un dernier au revoir échangé, elle recule jusqu'aux portes automatiques en agitant la main, sourire aux lèvres. Puis disparaît.
Dans l'ascenseur, Kiana espère que Vai ne la questionnera pas trop sur sa journée. Parce qu'elle ne saurait comment raconter la petite flamme qui venait de naître dans ses entrailles.