Et toi, comment réagirais-tu si tu venais à perdre ton téléphone ?
Tu serais sans doute un peu désorienté, un peu embêté… Mais le monde continuerait de tourner n’est-ce pas ? Tu étais un peu monsieur tout le monde de ce côté : addict, mais capable de te sevrer rapidement en cas de malheureux imprévu. Mais tu avais aisément pu imaginer les sentiments de Hazel lorsqu’elle avait perdu le sien la veille. Toi aussi, tu flipperais un peu de savoir que quelqu’un avait ton portable entre ses mains. Pas que le contenu qui s’y cachait était particulièrement sensible (aucune information privée ou de nude à ton actif donc tout allait bien) mais ça restait une porte ouverte sur ta vie privée après tout.

Il ne fallait surtout pas que quelqu’un tombe sur l'une de tes conversations ultra secrètes avec ta maman parce que, seul, tu n’avais pas été capable de faire fonctionner la sécheuse la semaine dernière. Ton honneur ne tenait qu’à ça.

Dans l’attente de savoir si l’opération entre Ivy et Hazel s’était bien déroulée, tu tentais de t’occuper avec le montage de ta vidéo (Tu n’avais pas réussi hier. Finalement, Ivy avait monopolisé ta soirée et tu avais donc menti comme un sale à tous tes abonnés concernant la sortie de la vidéo.) avec le mince espoir de réussir à en tirer quelque chose d’intéressant. En vain, le contenu était aussi plat qu’à son habitude et l’inspiration se mourrait avant même d’avoir vu le jour. Il fallait vraiment que tu trouves quelque chose pour relancer la machine : une idée, un filon à exploiter, un concept à adapter, un mec à plagier ; n’importe quoi d’un peu plus acceptable que ton incroyable vlog à Lumiris. Les gens faisaient tous des vlogs quand ils voyageaient. Même toi, tu trouvais ça ennuyant de revoir les mêmes images en boucle et en boucle de tous les angles de vu différents. Alors, à défaut de sortir la vidéo promise, tu devais trouver quelque chose au risque de devoir dire adieu à ta carrière du Pokétube. C o o l.

Malheureusement pour toi, ton portable se met à vibrer à intervalle irrégulier sur ton bureau et il te déconcentre aussitôt de ton horrible tâche. Attrapant l’appareil, tu le déverrouilles d’un geste assuré puis tu ouvres l’application de messagerie. Sans surprise, c’est le contact de Hazel Hilton qui brille à nouveau de mille feux… Mais cette fois, est-ce vraiment elle ? Peux-tu vraiment t’en réjouir ou risques-tu de tomber de haut une deuxième fois ?  











Phrase la plus ennuyante du monde : ça va et toi ? Mais ce n’était pas très très grave.
Hazel Hilton venait de t’envoyer volontairement un SMS et ça, c’était un événement dont Lumiris se souviendrait très longtemps.
Ce marquerait sans doute l’histoire de la région. Bientôt on pourrait lire dans les livres d’histoire que à X date, Hazel Hilton t’avait envoyé un SMS et que ce n’était pas un vulgaire accident.

Pour toi, ce n’étaient que des blagues.
Hazel Hilton ne pouvait pas réellement s’adonner à des activités illégales comme le hacking. Tu avais répondu spontanément en prenant pour acquis que la jeune femme rigolait, mais ne t’avait-on jamais dit que derrière chaque blague se cachait une part de vérité ? Avec monsieur premier degré, c’était quitte ou double ce genre d’enseignement : sois tu prenais la vérité pour une vulgaire plaisanterie, sois tu prenais une vulgaire plaisanterie pour la vérité ferme. On disait de toi que tu n’étais pas toujours le crayon de le plus aiguisé de la boîte… Et ce n’était pas très loin de la réalité. Bourré de bonnes intentions, mais parfois un peu difficile à suivre.

Mais ça faisait ton charme, apparemment. On te l’avait promis : tu serais beaucoup moins agréable à côtoyer si ton sens de l’humour était à la hauteur.

Quittant finalement le confort de ta chaise, tu t’éloignes de ton bureau pour t’avancer dans le salon. De ton lit, Agony te jette un œil suspicieux avant de reposer sa tête sur les draps sans faire plus attention à ton existence. À croire que ce Pokémon passait la majeure partie de son temps à dormir lorsque vous n’étiez pas de sortie… Parfois, tu te demandais à quoi ta vie ressemblerait si tu avais eu droit à un cadeau un peu plus énergique de la part d’Ezekiel. Peut-être que vos aventures seraient plus palpitantes ? Non… Sans doute pas. Le problème ne venait probablement pas de ton compagnon de tous les jours, mais de toi : t’étais assez ennuyant comme dresseur.

Te laissant tomber de tout ton long sur ton sofa, tu déposes ta tête contre l’accoudoir avant de prendre une grande inspiration. Par SMS, Hazel ne se ressemblait pas du tout. La conversation était beaucoup plus fluide, beaucoup moins… malaisante que ne l’étaient vos rencontres IRL. Est-ce que cela te décevait ? Pas du tout. Tu étais simplement heureux de découvrir une nouvelle facette de la jeune fille et de pouvoir discuter avec elle aussi simplement. Au regard du résultat final, pouvais-tu aller jusqu’à dire que tu étais heureux qu’elle ait perdu son téléphone ? Oui. Absolument. Sans la moindre hésitation.


















Ce pavé. Tu ne pouvais pas te contenter d’un « Tout va bien. Mes aventures à Lumiris, bientôt sur vos écrans d’ordi ! » ? Pourquoi raconter ta vie ? Pourquoi prendre un tel risque ?

Tu allais avoir mal au cou, mais tu t’en moquais un peu.
T’aurais juste dû attraper un oreiller ou un plaid, ça aurait réglé bien des problèmes. Juste un truc pour amoindrir l’espace entre le bras du sofa et le coussin… Mais non.
Tu allais avoir mal au cou et ton esprit était malheureusement trop préoccupé pour s’en soucier. Hazel Hilton te parlait. À toi et à toi seul. -Enfin, rien ne garantissait qu’elle ne parlait pas à quelqu’un d’autre à côté, mais vous aviez tout de même un dialogue structuré qui ne vous concernait que l’un et l’autre- Ça valait bien tous les torticolis du monde.

Étendu de tout ton long, tes yeux ne quittent pas ton portable. Tu ne veux surtout rien manquer, rien louper. La faire attendre une seconde de trop serait un sacrilège dont tu n’es pas prêt à endosser les conséquences éventuelles…
Après tout, et si elle se désintéressait ? Tu n’étais pas quelqu’un d’extraordinaire, sans doute que ses yeux finiraient par se détourner de la fenêtre de chat si tu mettais trop de temps à lui répondre… Te le pardonnerais-tu ? Non. C’était la première fois que Hazel et toi entreteniez un dialogue digne de ce nom et même si ce n’était que via le biais d’un écran derrière lequel se cacher, c’était quand même un événement remarquable.


























Tu t’arrêtes, fixe la déferlante de messages avec embarras. Tu t’étais enflammé, tu avais décidément écrit trop de choses pour ce que tu avais à dire… Mais Hazel te poussait à cette spontanéité que tu ne connaissais normalement jamais. Tu n’aurais jamais pensé pouvoir dire ça d’elle, mais c’était si naturel que de lui parler… Au regard de votre conversation ridiculement trop longue, tu avais le sentiment illégitime de la connaître depuis une éternité alors que, dans les faits, vous n’aviez jamais été capable d’entretenir un dialogue de plus de quelques minutes sans qu’un profond malaise ne s’installe entre vous.
Pourquoi était-elle si différente sous le couvert de l’anonymat ?
Pas que ça te déplaisait, mais découvrir plus tôt cette facette de sa personnalité aurait complètement renversé la donne… Ainsi que ton opinion sur elle.

Tu remontes légèrement une jambe, tente d’atteindre une forme de confort en relevant des parties de ta personne et en abaissant d’autres, mais ton attention n’a pas pour cible la préservation de ton corps.
Tant pis.
La FAQ. Tu y avais souvent pensé. Enfin, "souvent" était un grand mot… "Parfois" serait un terme plus adéquat. Dans tous les cas, tu n’avais jamais osé t’y mettre. Parce que tu redoutais sincèrement les questions qui pouvaient résulter d’un contact aussi direct avec tes abonnés… Tu n’avais pas peur de ta communauté, mais étais-tu vraiment capable de les laisser entrer aussi directement dans ta vie ? Même en triant les questions, tu savais que certains sujets ne pourraient pas passer sous silence. Tu avais ouvert ta chaîne pour parler de la maladie, de ton quotidien avec une malformation cardiaque comme la tienne.
Ce n’était pas un objet de divertissement, mais un journal intime que tu avais mis en ligne… Puis, doucement, l’objet de tes vidéos avait évolué jusqu’à laisser parler l’artiste en toi. Depuis plus d’un an, tu n’avais pas reparlé du mal qui avait gangréné ton enfance. Mais il fallait être naïf pour croire qu’eux allaient oublier.
Depuis quand le sujet était-il tabou, Iza ?

Malheureusement, ce n’était pas une crainte que tu pouvais partager à Hazel. Tu préférais parler de filles, d’amour, placer une blague pas vraiment drôle pour ponctuer la conversation d’un brin de légèreté… Parce que c’était agréable de parler avec la jeune Hilton sans ressentir le malaise qui rythmait chacune de vos rencontres. Elle se présentait sous un jour nouveau et toi aussi.
Au regard de votre conversation, on aurait pu dire que vous étiez amis de toujours…
Rien n’était moins faux, mais ça te plaisait sincèrement cette absence de complications.


































Tu avais planifié de faire une vidéo sur l’editing de photos depuis quelques semaines maintenant… C’était peut-être le bon moment ? Faute de mieux, ça pouvait toujours intéresser les gens.
Dans tous les cas, ta curiosité venait d’être détournée.
Hazel avait parlé d’elle, de ses passions. Et il n’en fallait pas plus pour accaparer toute ton attention.
Félicitation à elle, elle était parvenue à mettre aux poubelles l’angoisse légère qui te dévorait toujours une demie seconde plus tôt.

Est-ce qu’il y avait un sentiment pire que le syndrome de la page blanche pour un artiste ?
Enfin, un artiste.
Wow.
Le mot était beaucoup trop lourd pour ce que tu étais véritablement. Mieux valait reformuler. Un… « Mec qui fait des trucs d’origine créative ». Bref, un artiste quoi. (Qu’est-ce que tu détestais te foutre des étiquettes aussi aléatoires que « artiste ») DONC. Comme on disait, est-ce qu’il y avait un sentiment pire ? Tu ne pensais pas. Tu cherchais, cherchais, nageais à contre sens sans même connaître la finalité de ta quête.
Mais ce n’était pas très grave.
Car tu savais maintenant qu’il y avait des gens comme Hazel, des gens qui n’en avaient rien à foutre que tu repousses sans cesse la date de tes publications. Des gens prêts à t’aider… Et ça, c’était vraiment très cool. Cette conversation, dans toute sa simplicité, te faisait un bien fou. Tu apprenais enfin à connaître le personnage derrière les malaises et les instants de blancs, la personnalité qui se cachait sous la maladresse qui rythmait chacune de vos rencontres.
C’était… On ne peut plus agréable. Parce qu’en quarante minutes, tu venais de découvrir une Hazel complètement différente de l’image que les circonstances t’avaient donné d’elle. Une Hazel intéressante, agréable à cotoyer et avec qui la conversation coulait de source. Tu ne t’y attendais pas.

Maintenant ton portable à quelques centimètres au-dessus de ton faciès, tu étires ton pouce jusqu’à appuyer sur le lien de son CresseliArt que tu parcours avec attention pendant d’interminables minutes. Tu admires le coup de crayon de la demoiselle, te fait la réflexion que tu ne la croyais pas animée d’une telle fibre artistique… Mais au fond, que savais-tu vraiment de Hazel Hilton ?
Revenant à l’onglet de vos messages, tu relis une deuxième fois les derniers SMS qu’elle t’a envoyé. Jusqu’à ce que tes yeux accrochent sur la dernière phrase, une ligne que tu avais un peu ignorée par un vif intérêt pour son CresseliArt.
Mais avant tout…








































C’était un peu étrange à dire. « Je comprends pas trop les gens heureux. ».
C’était chelou.
T’étais chelou.
Rien de nouveau sous le soleil.



Même si l’idée paraissait banale en apparence, il n’en était rien. L’idée d’un feat, c’était probablement la meilleure proposition que tu avais eu depuis ton blocage… Et elle ouvrait un large, très large, éventail de possibilités. Pour toi, c’était le feu de dieu.



Tu te sentais un peu bête et peu trop emballé pour une idée très brouillon qui ne tirait toujours pas son épingle du lot… Mais il y avait tellement à faire.
Des interviews, ce n’était pas encore l’idée la plus originale du siècle… Mais s’il y avait un moyen de rendre l’exercice suffisamment « nouveau » pour que les gens te remarquent, serait-ce un moyen de relancer ta chaine ?
Bref.
Hazel venait de te remotiver.

Emballé par la tournure de la conversation, tu bondis sur tes pieds afin de faire les cent pas sur la surface réduite de ton salon.
Ça t’aide à réfléchir apparemment. (C’est faux, t’as juste du mal à contenir ton excitation)
Ton portable dans une main, tu laisses tes yeux parcourir la maigre décoration de ton appartement. Tu te fais la réflexion qu’il serait temps pour toi d’investir un peu plus. Tu n’as jamais été quelqu’un avec une forte personnalité, mais tu as des passions que tu pourrais peut-être mettre un peu plus en valeur… Et la pièce vacante là-bas : elle était censée devenir ton studio de photographie/vidéo, mais tu n’avais pas été foutu de mettre   les pieds à l’intérieur plus de trois fois depuis ton déménagement. Est-ce que ça comptait se faire un jour ?

Tu ne comprenais pas comment une conversation d’apparence toute banale avait pu te redonner une telle hype. C’était hors de ton contrôle.
Hazel était inspirante.
En direct de ton lit, Agony relève la tête afin de mieux observer ton petit manège. S’il était un peu plus expressif, tu pourrais sans doute lire l’incompréhension au creux de ses yeux noirs… Mais en l’absence de réactions normales de sa part, tu te contentes de tirer des conclusions sur le vide qui règne en son crâne.
Ça n’a pas vraiment d’importance.

Puis baissant les yeux, tu fronces légèrement les sourcils…
















































Ça, tu n’y croyais pas vraiment, mais l’idée faisait rêver. Pas par besoin de reconnaissance, mais par curiosité pure et simple. Et si tu parvenais à te trouver par l’intermédiaire de ces rencontres ?
Ce serait le pied… Non ?
N’étais-tu vraiment qu’un mourant et un bénévole ou se cachait-il autre chose derrière le personnage ?



C’était sincère.
Maintenant, tu n’avais plus d’autre envie que de te poser devant ton ordi pour commencer à structurer un peu tes idées et brasser des solutions nécessaires à un peu d’originalité. Parce que, certes, tu venais d’avoir un coup d’inspiration… Mais il te manquait encore le détail. Celui qui te ferait passer de copieur à innovateur.
Mais ça viendrait. Pour une fois, tu étais plutôt confiant.

#IzanemoneFAQ avait atteint le succès escompté… Et encore plus. Beaucoup plus. Tu n’avais pas trop compris l’engouement, pour être honnête.
Par conséquent, tu t’étais senti dans l’obligation de remercier Hazel non pas une fois, mais deux ou trois fois.
Et alors que tu venais de finir le tournage la vidéo -les abonnés avaient posé moins de questions sur ta vie amoureuse que tu ne l’avais imaginé, t’étais content- tu te sentais aussi exténué que satisfait. Satisfait parce que tu allais pouvoir reprendre une activité durable sur la plateforme, exténué parce que tu avais passé la journée à trier/analysé/estimé la pertinence de chaque question.
On t’avait demandé ton adresse et la grandeur de ton organe reproducteur, t’avais pas bronché. Les gens étaient étranges, mais internet était un endroit aussi effrayant que fascinant. Il ne fallait pas trop s’y attarder.

Bref. Tu te sentais bien.
En sortant de ta chambre, tu prends une grande inspiration en t’étirant. Tu te diriges vers la cuisine, allume la bouilloire : si tu avais été dans un film d’animation, tu aurais sans doute commencé à chanter. Mais tu n’étais pas un chanteur… Ni le personnage principal de film de Disney. Quoi que, maintenant que tu étais dans la course, Flynn Rider n’avait qu’à bien se tenir ! (non)
Nonchalant, un peu distrait, tu sautes sur ton comptoir afin de t’y asseoir. Dans tes oreilles, le son de l’eau qui commençait à bouillir, devant tes yeux, ton portable.
Tu avais besoin de lui parler.
Votre dernière conversation avait été agréable et vraiment enrichis sante… Depuis, tu cherchais le meilleur moyen de remettre le couvert plus de quelques minutes.
Sauf que, comme à ton habitude, tu n’avais rien trouvé, tu avais abandonné. Jour après jour, tu t’étais avoué vaincu… Jusqu’à ce soir. Ce soir, les choses allaient changer.






En te relisant, tu retiens un soupire. Un très, très long soupire.
Un soupire long comme ta qu- wait. (Cette blague est dépassée.)
Bref, c’était quand même décourageant de t’y voir, d’admirer cette tentative de conversation beaucoup trop forcée. Pourquoi, Iza, pourquoi ?
Tu aurais pu avoir l’air intelligent et, tant qu’à dire n’importe quoi, balancer un fun fact qui, à défaut d’être utile, serait au moins intéressant.
Là, tu venais seulement d’évoquer tes goûts culinaires chelous et ton amour de la malbouffe.
Félicitation, tu détenais la palme d’or de la conversation la plus passionnante du siècle.