Mourir n’avait jamais été une option.
Tu t’étais toujours démené pour trouver une autre solution, pour te rebeller contre ce destin injuste. Et tu avais réussi. Même que c’était incontestablement la plus belle victoire de ton existence que de pouvoir vivre… Alors pourquoi ? Pourquoi devais-tu mettre ta vie en danger aussi souvent ? À quelque part, tu aimais croire et te convaincre que ton expérience au cimetière avec Hazel, Isaac et Kiana t’avait appris à ne pas forcer ta chance… Mais non. Parce que si tu avais retenu un centième de ta leçon là-bas, jamais au grand JAMAIS tu n’aurais décidé de ton plein gré de venir ici. Il aurait fallu t’y trainer de force, t’y contraindre sous la menace… Mais rien de tout ceci n’était arrivé. Tu avais décidé de le faire sur une base volontaire et c’était, de loin, le truc le plus incompréhensible que tu avais fait de ton vivant.

Parce que le cimetière, encore, on pouvait comprendre tu sais : tu voulais vraiment aider Jasper. Tu avais toujours été comme ça de toute manière, beaucoup trop extrême pour que ce soit sain. Avec le temps, on finissait par accepter que tu ferais toujours passer le bien être des autres avant le tien et on ne s’en formalisait plus vraiment… Parce que c’était un combat perdu d’avance, parce qu’il n’y avait plus à espérer que tu sois capable d’ouvrir les yeux sur l’importance de vivre pour toi avant de vivre pour eux. Même tes parents avaient fini par abandonner la guerre. Tu t’étais borné à croire que ce que tu faisais était la meilleure chose à faire au point de quitter le cocon familial afin de te soustraire à la pression constante qu’ils exerçaient sur toi : que pouvaient-ils espérer de plus désormais ? Rien.

Mais même si ce besoin d’aider avant d’être aidé était puissant chez toi, tu étais malgré tout censé posséder un minimum de jugeote. Alors pourquoi ? De tous les endroits où tu pouvais te rendre sur terre, pourquoi avais-tu choisi les bois hurlants comme destination vacances ?  
Il y avait une raison. Encore heureux, il y avait une raison.
Autre que le masochisme, autre que le désir inexplicable de permettre à la peur de s’emparer de chaque fibre de ton être.
Malheureusement, tu ne la connaissais pas encore. Voilà.

Tu sentais juste que tu devais le faire, que si les choses se passaient bien, ce serait une sorte de victoire sur l’accident du cimetière. Tu pourrais peut-être redorer un peu ton blason auprès de Kiana et des autres, que tu avais traité comme de vulgaires hallucinations pendant plusieurs minutes, heures pace que la crainte t’avait fait perdre le nord.
Et aussi auprès de Paradox, accusé à tort d’être le fruit de ce délire paranoïaque.
Bref, tu avais visiblement beaucoup à rattraper… Mais ta méthode était discutable.

Planté à l’orée de la forêt, tu fixes les arbres qui commencent à s’accumuler à quelques pas à peine de ta position. Tu rends une grande inspiration. On disait des bois hurlants qu’ils tenaient leur nom des cris que l’on pouvait entendre lorsque l’on se promenait à l’intérieur. Très rassurant, non ?

- Je peux le faire, non ? C’est trois fois rien, ça ne doit même pas être vrai ce qu’on dit… C’est probablement juste un stratagème pour faire peur aux enfants pour pas qu’ils y viennent.

Silencieux, Paradox te regarde en lévitant doucement à côté de toi. Pourquoi choisissais-tu toujours des pokémons silencieux ? C’était lourd à la longue que d’être entouré de tombes incapables de faire acte de présence.
Parce que oui, même s’ils étaient toujours là, c’était plus souvent qu’autrement comme s’ils ne l’étaient pas.

Sans rancune les gars.

Tu n’avais pas bougé.
Pendant d’interminables secondes.
Tu avais eu une prise de conscience suivit d’une rationalisation nécessaire à l’octroiement d’un semblant courage puis… Tu étais resté planté là. Parce que les choses finissaient souvent en queue de poisson avec toi. Ce n’était pas de la mauvaise volonté en soit, mais davantage une crainte viscérale qui prenait racine au creux de ton ventre et qui paralysait ton corps de la tête aux pieds. Tu étais si… Minable ?
Oui voilà. Minable. Tu aimais jouer les fiers, relever la tête lorsque cela était nécessaire, mais, plus souvent qu’autrement, tu n’étais pas capable de faire honneur au courage dont tu te parais. C’était une quête échouée d’avance que d’essayer de respecter tes attentes après tout… À cette idée, un sourire déchire les traits crispés de ton visage.

- … Et même si je mourrais, qu’est-ce que cela changerait après tout ? Tu viens Paradox ?

Pas de réponse.  

- Parad-… ?

Étonné de ne pas voir le spectre léviter autour de toi, tu tournes ta tête dans tous les sens jusqu’à apercevoir sa forme diffuse un peu plus loin… Dans le creux du bois. Frissonnant de dégoût, tu serres légèrement le poing et enfonce inconsciemment la pointe de tes ongles dans la paume de ta main. Tu ne savais pas depuis quand tu étais aussi superstitieux, mais c’était devenue une plaie que de craindre l’irréel, l’imaginaire à ce point. Non pas que cela te limitait dans tes actions quotidiennes, mais sortir de ta zone de confort pour t’enfoncer dans … un autre monde était définitivement une mission impossible pour ta pauvre personne. Le jour où tu prendrais enfin maison, aurais-tu atteins le stade de crédulité nécessaire pour vérifier qu’elle n’avait pas été construite sur un ancien cimetière indien, Iza ?

Prenant une grande inspiration, tu t’avances d’un pas de tortue vers les plus petits arbres à l’orée de la forêt. Tu t’armes de tout ce qu’il te reste de courage, te fais violence pour ne pas tourner les talons. Premier conifère, deuxième conifère… Une fois enfoncé dans la forêt, tu t’arrêtes brusquement en soupirant bruyamment. Sentant la pression redescendre d’un cran, tu rigoles face à ta propre bêtise. Ce n’était si compliqué, n’est-ce pas ?

- Haha, t’as vu ça ? Je l’ai fait !

Tu ne sais même pas pourquoi tu t’embêtes à discuter avec lui vu son manque d’intérêt pour toi. Ramenant ton attention vers le pokémon, tu remarques alors que celui-ci ne te regarde même pas… Fronçant les sourcils, tu réduis les mètres vous séparant avec méfiance jusqu’à constater la présence d'une autre forme près de lui. Tes talons s’enfoncent dans la terre fraîche et vierge de toute occupation humaine de la forêt, tu cesses net ta progression. Autour de toi, le soleil a perdu de ses droits. L’épais feuillage des arbres qui t’entourent lui servent de filtre, donnent tout son pouvoir à la pénombre grandissante malgré une journée encore jeune… Tu sens ta respiration se couper : à cette distance au regard du peu de lumière venant à se frayer un chemin dans votre environnement, tu n’arrives pas à voir ce qui s’amuse avec ton polichombr. Mais quoi que ce soit, ça semble monopoliser toute son attention au point où ta présence s’y retrouve complètement accessoire et évincée de son esprit.

Est-ce de la peur qui s’infiltre dans tes veines et qui coule le long de ton corps ? Oui.
Tu es tétanisé sur place, incapable de réfléchir convenablement. Tu voudrais ouvrir la bouche et sommer Paradox de revenir vers toi, mais ta gorge est trop serrée pour laisser s’échapper le moindre mot.

Tu devais apprendre à les connaître, à apprivoiser leur présence éthérée, leur corps brumeux, leurs yeux vides… Tu devais simplement apprendre et tirer satisfaction de leur présence.
Mais c’était si compliqué, si insurmontable que de t’imaginer en leur présence plus de quelques minutes. Oh, bien sûr, il y avait Paradox… Mais Paradox était différent. Votre relation -amitié ?- avait débuté sur un malentendu, sur un désir de ta part de le confronter pour ses "conneries" -Finalement, il n’avait fait aucune connerie. Il avait juste été au mauvais endroit au mauvais moment- et t’étais prêt à faire taire toutes tes peurs pour lui faire ravaler le fruit de ses moqueries. Dans d’autres circonstances, tu serais toujours à craindre les représailles du spectre qui partageait ton quotidien… Malheureusement, l’histoire avait prouvé que d’entre vous deux, c’était toi le vrai monstre. Paradox était inoffensif. Toi pas.

Mais qu’en était-il de… cette chose avec lui ? Inquiet, tu fronces légèrement les sourcils en gardant tes distances. Tu ne veux pas t’approcher, tu ne veux pas prendre le risque de côtoyer la forme avec laquelle ton pokémon s’amuse. Pour toi, il est inconcevable de faire un pas de plus dans leur direction. Ton corps est tétanisé sur place, tes pieds sont ancrés dans le sol et tes yeux n’arrivent pas à se détacher de l’objet de cette peur viscérale. C’est comme si ta chair s’offrait elle-même en sacrifice à ce monstre : c’est ridicule. Tes genoux tremblent, l’avais-tu seulement réalisé ?

- Paradox… R-Reviens s’il-te-plait !

Et puis enfin, pour la toute première fois depuis d’interminables minutes, ton compagnon semble calculer ta présence.  Amusé, il vole enfin à ta rencontre avant de tourner tout autour de toi avec légèreté. Pourquoi n’êtes-vous pas capable du même… Détachement ? -En même temps, tu n’allais pas demander à Paradox de craindre ses semblables, si ?- Pourquoi étais-tu aussi trouillard, aussi fragile de ta personne ? À cette idée, un soupire semble vouloir se détacher de tes lèvres… Mais s’étouffe dans ta gorge lorsque tes yeux réalisent que la chose ne semble décidée à ne pas te laisser se mettre entre elle et ton polichombr.

La voyant s’approcher, tu sens ton corps mourir de l’intérieur.
Ton ventre se tort, tes yeux s’humidifient dans l’horreur absolu de l’instant, tes jambes menacent d’abandonner la guerre.
Mais rien de plus ne se passe. Le pokémon, que tu vois pour la première fois de près, ne t’accorde pas l’ombre d’une attention et se dirige aussitôt vers sa nouvelle connaissance. Ensemble, ils en oublient l’origine lugubre de leur existence. Ils semblent… Heureux ? Est-ce le mot le plus exacte pour définir les expressions trahies par les traits de leur visage ? Peut-on seulement parler d’expression, surtout dans le cas du nouvel arrivant ?
Tu ne risques rien.
C’est la première fois que tu te dis ça, que l’évidence de fraie un chemin jusqu’à ta conscience. Admirant Paradox et le Pokémon au masque, tu forces les muscles de ton corps à se détendre un peu. Tu te redresses, fixe cet étrange personnage. Un petit corps boudiné surmonté d’un masque possédant un œil unique à l’équilibre précaire… Il est laid. Si laid. Mais ce qui t’étonne le plus, ce sont les fissures qui zèbrent l’os qui lui sert de visage. Est-il blessé ?

Inconsciemment, tu tends une main vers la chose afin d’attirer son attention. Pourquoi fais-tu ça ? Tu l’ignores. L’instinct est plus fort que la raison. S’il est blessé, tu dois le présenter à Lys.
C’est comme avec le poichigeon.
Sauf que le poichigeon te faisait beaucoup, beaucoup moins peur.

- Allô toi…

Ta voix n’est qu’un murmure et, lorsqu’il se retourne dans ta direction, tu sens que tu pourrais te pisser dessus.
Glorieux.

Ton regard croise le sien avec plus d’appréhension que si on venait de t’annoncer la fin du monde.
Dans ta poitrine, ton cœur se débat comme un beau diable ; il souffre. C’est physique, c’est ridicule. Pourtant, tu te refuses le luxe de défaillir et de retirer brusquement ta main. Ça augmenterait considérablement tes chances de survie que de prendre la fuite… Mais abandonner un être vivant -well, pouvait-on considérer qu’ils étaient vivants ?- à son propre sort ne respectait pas tes valeurs. C’était un peu comme blasphémer et cracher sur tes principes, ta religion ne te le pardonnerait pas. Si tu tournais le dos à cette chose -t’étais vraiment incapable de la qualifier autrement-, tu finirais probablement en enfer.
Et vu comment t’étais plus sujet à mourir demain qu’à vivre 100 ans, autant ne pas prendre de risques incongrus. T’étais plus intelligent que ça, Iza.

Malheureusement, tes bonnes intentions perdent de leur saveur à la seconde où le Pokémon inconnu décide de te tourner brusquement le dos et de s’enfuir à toute vitesse, te laissant en plan derrière.
Tu ne bouges pas, trop abasourdi pour offrir une réaction digne de ce monde à l’univers.
Doucement, tes yeux se dirigent vers Paradox dans le regard duquel tu cherches une explication.
Est-ce que tu venais vraiment de faire peur à un Pokémon spectre ? Était-ce une mauvaise blague ? Ils étaient complices ? Leur petite scène, quelques minutes plus tôt, était-elle destinée à te faire tourner à bourrique, à prendre avantage de tes peurs ? Paradox savait. Il savait où prenait racine les craintes qui grandissaient dans le creux de ton ventre, il connaissait sur le bout des doigts -il ne possédait pas de doigts- l’ensemble de tes réactions les plus honteuses… Et malgré tout, il n’hésitait pas à pousser ton courage dans ses derniers retranchements. Le polichombr n’avait aucune pitié pour toi, pour les conditions de votre rencontre.

- Il est… parti ?

Le fantôme te fixe de ses yeux ronds, le visage souriant.
Tu aimerais qu’il soit capable de te dire quelque chose, que des mots puissent franchir la frontière de ses lèvres… Mais l’espoir est aussi vain qu’inutile. Tu ne parles pas la même langue qu’eux, il y a entre toi et tes compagnons une barrière qui se veut éternelle… Un mur infranchissable, un langage qui ne sera le tien.
Démoralisant ? Un brin, mais que pouvait-on y faire ? Depuis ton arrivée à Lumiris, tu remuais ciel et terre pour intégrer les Pokémons dans ta nouvelle vie… Savoir qu’il y aurait éternellement une forme d’incompréhension entre eux et toi rendait la tâche beaucoup plus ardue et l’échec un peu plus difficile à digérer. T’étais peut-être juste pas suffisamment habitué.
Tu devrais peut-être en parler à Lys un de ces jours.
Connaissant la jeune femme, elle aurait sans doute une forme de solution à te proposer ou, au moins, les mots capables de te faire réaliser à quel point ne pas entretenir de dialogue avec une autre forme de vie que la sienne n’était pas dramatique. L’idée n’était pas mal.

T’apprêtant à tourner les talons et faire comme si de rien n’était, tu pousses un soupire à l’attention de Paradox.
Malheureusement, le message ne passe pas comme prévu.
Pour ne pas dire qu’il ne passe pas du tout.
Et au lieu de te suivre gentiment vers l’orée de la forêt, ton compagnon trace sa route… Dans la même direction que celle empruntée par son ami quelques secondes plus tôt.
Et malheureusement pour toi, il était absolument hors de question d’abandonner ton polichombr derrière toi.

Tôt ou tard, ce Pokémon aurait raison de toi.

Il aurait mérité de se perdre seul.
Que tu lui tournes le dos et que tu l’abandonnes à son insubordination navrante.
Sauf que tu t’appelais Izaiah. C’était à la fois ta plus belle qualité et ton plus grand défaut. C’était un nom lourd de sens. Pas de par son étymologie ou de sa place dans l’histoire… Mais simplement, car c’était un nom suffisamment peu commun pour que ton visage se grave dans l’esprit des gens lorsqu’ils l’entendaient.
Être Izaiah, c’était être gentil, effrontément gentil, et de se sacrifier pour les autres. Ça signifiait aussi de ne pas connaître les demi-mesures et de ne jamais abandonner un ami avant qu’il ne vous abandonne… C’est sans doute ce qui allait finir par te tuer.
À côté de ta propre personnalité, ta malformation cardiaque était un jeu d’enfants.
(Tu aurais presque pu en pleurer tellement c’était ridicule d’être toi parmi tous les autres)

Pendant plusieurs minutes, tu avances à tâtons dans la forêt. Par deux fois, tu trébuches sur une racine, par cinq fois tu te prends la gifle de branches à la hauteur de tes yeux. La progression est aussi longue que douloureuse, tu ne sais pas où te mène ce parcours horrifique, mais si tu meurs aujourd’hui, autant que ta mère sache que tu l’aimais.

Ta mère.
L’amour.
Tes proches.

Instinctivement, tu glisses une main dans la poche arrière de ton pantalon afin d’en sortir ton portable. Tu ne ralentis pas pour autant ta progression, continuant de suivre Paradox qui suit l’autre chose. Tout va bien. Vous êtes un joyeux petit train en direction de l’enfer. Il n’y a rien à craindre. Naître puis mourir, ça fait partie du cycle de la vie non ?
Ennuyé, tu constates que la connexion entre ton téléphone et le réseau frôle le néant. Des cinq barres qui témoignent d’une relation saine il n’en reste qu’une, parfois deux. Ça oscille doucement entre l’envie de prolonger l’expérience et un suicide immédiat dans les règles de l’art.

Malgré tout, cela ne t’empêche pas de sélectionner le contact de Kiana. Juste au cas où ta détermination parviendrait à franchir l’épais barrage de feuilles…





Tu es dramaqueen. Dramaqueen et effrayé à l’idée de mourir ici.
Quoi de plus normal après tout… De toujours les gens se sont entendus pour dire que tu n’étais pas quelqu’un de courageux. Tu es un bon ami, un chic type, mais tu n’es pas la personne sur laquelle il faut compter lorsque la situation devient épineuse. Tu as trop de faiblesses Iza, ça ne rejoint les intérêts de personne… Surtout pas les tiennes.

- Hein ?

Ton interrogation a davantage des allures de hoquet de surprise, mais tu ne t’en ventes pas inutilement.
Tu t’arrêtes brusquement de marcher lorsque ton visage traverse le corps brumeux de Paradox. Passant une main sur ta peau pour en effacer l’horrible sensation de hantise, tu refermes ton téléphone avec méfiance puis tu jettes un œil tout autour de toi.

Jusqu’à comprendre.
Jusqu’à admirer de tes yeux une petite cavité maladroitement creusée entre les racines d’un arbre.
Regardant Paradox puis la chose blessée qui l’accompagne, tu déglutis maladroitement avant de t’avancer d’un pied mort vers l’arbre en question. En son creux, tétanisés, mortifiés, effrayés, deux petits pokémon serrés l’un contre l’autre.

Tu les admires pendant de très, très longues secondes.
En toi, l’envie de fuir à toutes vitesses débat violemment contre la douleur qui creuse ton ventre de les voir soumis à l’incompréhension…
Ces pokémon sont comme toi : terrifiés à l’idée qu’il leur arrive quelque chose.

Accroupis près d’eux, tes yeux fixent les bougies qui se terrent dans le fond de leur crevasse. Ton besoin de bien faire, d’être bon semble avoir temporairement évincé la peur qui te noue le ventre… Mais ce n’est que temporaire.
Ton cerveau ne comprend tout simplement pas ce qui se passe.
Pourquoi sont-ils ici ? Pourquoi t’y a-t-on amené ?
Prenant ton courage à deux mains, tu retournes doucement ton regard vers la chose au masque fissuré. Non loin de vous, le pokémon lévite en silence. Même s’il cache bien son jeu, tu sais que son œil unique surveille consciencieusement le moindre de tes faits et gestes… Il n’est pas question de confiance, mais de non-choix. Il ne t’a pas amené ici pour le plaisir, mais parce qu’il ne voyait pas d’autre alternative…

- Leur mère n’est pas là ?

Comprenant que tu t’adresses à lui, la chose s’empresse de secouer son petit corps de gauche à droite. Même si tu te doutais déjà de la réponse, ton regard s’assombrit légèrement. L’imaginer et l’entendre n’impliquent pas les mêmes conséquences… Tu es doué quand il est temps de te créer de grands scénarios rocambolesques, mais rien ne t’attriste davantage que d’apprendre qu’ils sont réels.

- Elle est partie… ?

À ton plus grand soulagement, le pokémon s’empresse de répondre par la négative une nouvelle fois. Mais alors, qu’est-il arrivé ? Fronçant les sourcils quelques secondes comme si un tel geste pouvait t’aider à mieux réfléchir, ton visage finit par s’illuminer subitement lorsqu’une théorie traverse ton esprit.

- Elle a été capturée ?

Silence. La chose ne réagit pas, se contentant de fixer son œil aux tiens.
La vérité te glace le sang.
C’est quelque chose à quoi tu n’avais jamais pensé, une vérité à laquelle tu n’avais jamais été confronté… Parfois, les dresseurs séparaient des familles. Ce n’était pas pour mal faire, tu le savais, mais plus souvent qu’autrement, les hommes capturaient sans se poser davantage de questions et, au final, c’étaient des familles entières de pokémons qui en payaient le prix. On arrachait des mères, des pères et des enfants à des familles qui attendaient leur retour… Et c’était horrible.
Sentant ta gorge se nouer sous l’émotion, tu prends une grande inspiration afin de faire passer l’émotion… Mais ton regard n’en démord pas. Leur mère avait été capturée, les bébés étaient abandonnés à eux-mêmes, à la fois trop jeunes pour subvenir à leurs besoins et sans la moindre défense pour assurer leur survie.
Et toi, c’est quoi ton rôle dans tout ça ?

- Ils ont besoin de quelqu’un pour s’occuper d’eux, c’est ça ?

Cette fois, la chose s’empresse de tourner sur elle-même avec énergie. Esquissant un sourire gêné, tu acquiesces doucement : tu comprends mieux désormais. C’est plus clair, plus… logique ainsi. Mais peux-tu vraiment assurer la survie des petits ? Ne sont-ils pas trop jeunes pour simplement rejoindre ton équipe ainsi ? Tu n’y connaissais rien. Tu te sentais complètement dépassé par la demande du spectre.
Cessant momentanément de l’observer, tu finis par reposer tes prunelles sur les deux petites bougies dont les regards effrayés n’ont pas quitté votre échange.
L’une d’elle semble un peu moins effrayée, mais on est loin, très loin, de pouvoir parler de confiance. Elle semblait simplement plus… intriguée ?

Tentant le tout pour le tout, tu approches doucement ta main d’eux pour leur permettre de prendre connaissance de ton odeur et de la délicatesse de ton approche envers eux.
Ton but n’est pas de les brusquer, de les obliger à t’apprécier si le cœur n’y était pas… Mais tu devais tenter quelque chose.

- N’ayez pas peur, je ne vous ferai aucun mal…

Tu ne faisais jamais de mal, n’est-ce pas ?

Pouvais-tu vraiment retirer ces deux pokémons à la forêt ?
Après avoir été privés de leur mère, était-ce vraiment la meilleure solution pour eux que d’être victimes du même sort que celle-ci ? Voyant les deux petites choses se serrer contre le fond de la crevasse en voyant ta main, tu comprends que le chemin à parcourir pour obtenir leur confiance sera long et pénible.
Mais, en même temps, peux-tu leur en vouloir ? La dernière fois qu’un humain a croisé leur route, leur mère n’est jamais revenue… Et voilà que leur tour approche, que leur vie dans les bois hurlants tire à sa fin. Tu ne vois pas dans quelle réalité alternative cet état de fait pourrait les enchanter : personne n’aime être tiré de force à sa maison.
Mais si tu ne le fais pas, tu doutes qu’ils puissent survivre. Tu n’es pas expert en la matière, tu ne connais -concrètement- pas grand-chose aux pokémons et à l’ordre naturelle des choses… Mais vu leur grandeur et le non-dit qui se dégage de leur corps chétif, tu te doutes qu’ils ont besoin de quelqu’un pour veiller pour eux.
Et que malheureusement pour eux, ce quelqu’un offert par mère nature n’est plus là. C’est la raison pour laquelle La chose t’a guidé jusqu’ici, t’as confié à eux et vice versa.
Elle ne l’a pas fait par bonté de cœur, par désir absolu de voir les jumeaux se faire enlever… Mais parce qu’elle voulait qu’ils vivent. Ces pokémons ont-ils des prédateurs naturels ? Tu l’ignores. Mais ça importe peu.

Gardant ta main non loin d’eux sans pour autant insister, tu fixes les deux petites bougies avec un sourire en coin. Un sourire timide, davantage apparent à un cri de désespoir qu’à une absolue confiance en toi. Tu ne sais pas comment réagir, tu n’as jamais fait ça de ta vie. C’est beaucoup trop nouveau et soudain pour affirmer savoir ce que tu fais…
Heureusement, tu connais quelqu’un qui pourra t’aider.
Quelqu’un qui saura quoi faire et que tu cherches en vain à revoir depuis trois mois.
T’es juste pas doué.
À chaque fois que tu t’es présenté, elle n’était pas là. Finirait-elle par croire que tu n’avais que faire de ta promesse de revenir ? Que ce n’était que du vent ? À cette idée, une grimace trahi tes sentiments. Les pokémons ne comprennent pas, s’étonnent de cette expression disgracieuse.
Tu cesses immédiatement en le remarquant.

- Pardonnez-moi, je pensais à quelque chose haha

Ton léger, voix cristalline, douce, posée.
Comment peux-tu les convaincre de te suivre ? Comment peux-tu les prendre sous ton aile sans qu’ils ne s’y sentent contraints ? Combien d’heures vas-tu devoir rester ici ?
Prêt à y mettre le temps nécessaire -Tu ne diras plus ça, si la nuit vient à tomber-, tu t’assoies tranquillement près de la crevasse sans pour autant retirer ta main. Non loin, Paradox et La chose continuent de vous fixer comme si votre épopée était digne d’un téléroman.
Sauf que depuis cinq ou dix minutes, il ne se passe rien.

- Je vais être honnête avec vous : Je ne peux pas vous forcer à venir avec moi. La décision doit venir de vous et de vous seuls. Je ne compte pas vous arracher aux bois sans votre consentement…

Les bougies te fixent, tu maintiens ton sourire afin de ne pas les décourager.

- Je sais que vous n’en avez pas envie… Mais il n’y a plus personne ici pour s’occuper de vous convenablement. Qui sait ce qui pourrait vous arriver si je vous abandonnais en ces lieux.

Tu tentes de ne pas paraître triste, mais le propos de tes paroles n’a rien d’agréable à entendre : venez avec moi ou mourrez.
T’es un peu x-trême.

- Je souhaite seulement vous offrir sécurité… Et la possibilité de découvrir plein de choses à l’extérieur des bois hurlants.

Tu ne sais pas à quel point ton discours est convainquant… Mais tu ne peux pas faire mieux.
Tu ne t’appelles pas « Izaiah, l’homme qui parle à l’oreille des pokémons ».

Tes mots ne semblaient pas atteindre leur public.
Rien de nouveau sous le soleil.

Normalement, tu aurais dû fuir. Partir très loin d’ici et préférer la mort au contact direct d’autant de spectres… Vraiment. Pour toi, c’était difficile. Très difficile. Difficile de rester ici, de discuter avec eux, de tendre une main pour les TOUCHER. Que tu n’aies pas encore pris tes jambes à ton cou, ça frôlait le miracle. C’était vraiment quelque chose d’exceptionnel. Tu ne faisais jamais le fier bien longtemps lorsqu’il était question de tes phobies et c’est quelque chose que tu prouvais encore et encore… Sans jamais te lasser. C’était la première fois qu’un désir plus grand qu’elles te permettaient de leur faire face… Et, sincèrement, ce n’était pas dit que ça allait durer. Au contraire.

- Je ne sais plus quoi leur dire…

Admets-tu en te retournant vers La chose derrière toi. Le spectre au masque fissuré n’avait toujours pas bougé, te contentant de vous admirer en silence, l’air indifférent aux obstacles qui entravaient ta progression. Lui et Paradox lévitaient en silence, s’amusaient sans doute un peu de tes difficultés relationnelles. Te voyant lui faire face, il s’arrête néanmoins quasi systématiquement de bouger. Il te fixe, laissant son unique œil s’ancrer aux tiens.
Un frisson d’horreur parcourt ta colonne vertébrale.

- Ils ne veulent pas…

Un soupire, une plainte, une lamentation murmurée. Le spectre se borne à l’immobilité. Tu sais que tu n’as pas le choix de réussir… Mais un petit indice sur la meilleure manière de faire ne serait pas de refus. Malheur à toi, il ne semble pas décidé à te l’offrir.
Merci de ton aide., que tu voudrais grommeler…
Fidèle à tes habitudes, tu n’en fais rien.
Tu retournes vers les deux petits, prend une grande inspiration qui réessaie de plus belle.

- Je vous promets de vous aider à retrouver votre maman si vous voulez bien me laisser la chance de vous sortir d’ici… Je sais que c’est chez vous, que c’est l’endroit dans lequel vous vous sentez en sécurité… Mais c’est vraiment pas possible de vous abandonner.

Tu es… plutôt mauvais en termes d’argumentation.
T’étais plus efficace quand il était temps de convaincre les gens de ne pas mettre fin à leur vie que pour convaincre deux orphelins de rejoindre tes rangs. Est-ce qu’ils ressentaient ta peur ? Est-ce qu’ils se nourrissaient de ta crainte navrante, limite traitresse ? Tu espérais que non. Ils n’avaient pas à payer le prix de ta trouillardise, au contraire.

- Alors, vous voulez bien me donner une chance ?

Tu aurais pu les attirer de force à l’extérieur de la crevasse… Mais la flamme qui brillait à au sommet de leur tête était un bon moyen de dissuasion. Loin de toi l’envie de flamber vivant puis de mourir... Ou, pire encore, de passer le reste de ta vie dans un hôpital pour grands brûler.
Frisson d’horreur à la simple idée que.
La légende voulait que tu aies encore de belles choses à accomplir devant toi… Mais pour ça, tu devais être fonctionnel.
Et vivant.

Enfin.
Tu ne sais pas ce que tes mots ont de plus que les précédents, mais le regard des bougies semble se calmer légèrement après ta dernière tentative. Satisfait, tu les regardes s’approcher de ta main pour venir s’y frott-
Wait.
Brusquement, tu ramènes ta main vers toi non sans un petit rire nerveux.

- Pardon, j’ai eu une crampe.

Mensonge. Mais ce n’est pas très grave, car les bougies semblent y croire elles. Heureuses d’avoir trouvé quelqu’un en qui placer leur confiance, les deux pokémons finissent par s’avancer à tes pieds jusqu’à menacer de te marcher dessus. Tu esquisses un sourire en coin. (Impossible de savoir si c’est la peur ou l’affection)

- Ok, je pense que c’est assez pour aujourd’hui… Vous en dites quoi ?

Tout ce que tu veux, désormais, c’est quitter cette forêt maudite et ne plus jamais y mettre les pieds. Te redressant, tu invites les plus jeunes du groupe à s’avancer vers la sortie… Tu préfères les suivre que de mener la marche. Après tout, on ne sait jamais… Et si elles n’avançaient pas assez vite et que tu les perdais ? Tu ne te le pardonnerais pas. Tu n’étais pas un grand amoureux des pokémon spectres (vraiment pas même), mais abandonner des petits, c’est impossible.

- Tu viens Parad-… Paradox ?

Intrigué, tu penches légèrement sur la tête vers le côté en remarquant que la chose et Paradox lévitent doucement l’une à côté de l’autre.
Visiblement, ils ne veulent pas se quitter… Mais peux-tu vraiment revenir chez toi avec autant de nouveaux pokémons ? Et Eleanore, qu’allait-elle en dire ? Allait-elle rebondir sur l’occasion pour t’insulter entre plus qu’à l’habitude ? Un idiot doublé d’un crétin, tu étais déjà conscient de l’être… Mais allait-elle inventer PIRE après cet instant de faiblesse ? Soupirant, tu fais signe au pokémon masqué.

- Tu n’as qu’à venir toi aussi…

Ce groupe ne fait aucun sens… Mais tu t’en moques.
T’auras toute la nuit pour faire des cauchemars à ce sujet.