pacman et nos fantômes.

C'est un peu la vie, les salles d'arcades.
En tout cas, ça pourrait être la tienne. Peut-être pas exclusivement, t'as besoin de passer du temps en tête à tête avec tes crayons aussi, ou avec tes pokémon -ou avec ta mère. Non, ça ne pourrait pas être une relation exclusive, sérieuse et monogame. T'aurais trop besoin d'aller voir ailleurs.
(Résumons toute vie sentimentale chez ta personne par cette métaphore...)
Mais en attendant, tu peux en faire une partie de ta vie, sans souci. Si les pokémons étaient autorisés ce serait encore mieux, mais bon, tu t'y fais. T'as repéré un espace vert sur le chemin, t'iras t'y poser un peu après, avec eux. T'as embarqué Gundam, ton métalosse, alors tant qu'à faire... Vraiment, que c'est triste qu'il soit trop imposant pour rentrer chez toi.
Te faut une maison.
Enfin là n'est pas la question. La question, c'est que tu passes sur toutes les bornes d'arcades possibles de la salle, tant qu'elles sont au fond, que personne ne te parle ne te regarde ne calcule ton existence, tu t'amuses. Et puis ton exquis voyage connaît une fin des plus abruptes quand, par mégarde et par précipitation, tu rentres dans quelqu'un.
Déjà, tu n'aimes pas rentrer dans les gens. En fait, pour commencer, tu n'aimes pas être confrontée à des gens. Alors les rencontrer physiquement, c'est de l'ordre de la crise cardiaque potentielle et quasi immédiate. Mais là encore, si ça ne s'arrêtait qu'à ça...
Exc... Oh.
Oh.
Ta gorge est immédiatement sèche quand, en levant les yeux vers lui, en dessinant rapidement ses traits du regard, en reconnaissant étrangement ces azurs sans ne les avoir jamais directement croisées, tu comprends. En fait, tu sens avant de comprendre ; ton corps se crispe encore plus, t'as une vague odeur aseptisée, et pendant un moment, t'es plus dans la pièce.
un moment
quelques instants
un battement d'ailes, un
battement de cœur
(non non non non non
pas ici, pas maintenant, pas comme ça)
Mémoire excessivement accrue, chaque détail inscrit comme encodé dans ton système, tu n'as pas l'ombre d'un doute, pas un instant ; et t'espères
(t'espères)
que tes couleurs ne se sont pas trop délavées, que lui n'avait jamais trop regardé autour de lui entre deux rendez-vous d'une unité psy que tu n'allais plus voir depuis quelques temps
(tu te disais que t'allais mieux, sans savoir si c'était vrai)
Je – hm. Désolé.
Sauf qu'il comprend, il comprend et si seulement tu pouvais plus te décomposer, tu l'aurais fait. Plus, faudrait que tu crèves sur place, et ce serait même pas immédiat.
On peut jouer à deux.
Statut de sel prête à s'effriter, tu restes là, immobile, restant même quelques longues secondes en apnée. Et puis, doucement, tu souffles, inspires, cherches dans ses yeux une réponse, une explication. En quoi ça l'avancerait ? Ça lui fait rien, lui, de te voir, là, hors de ... hors de tout ça ? Tu comprends pas, tu le comprends pas. Et tout ce qui te vient pour formuler cette incertitude, tout ce qui te vient pour mettre des mots sur cette incompréhension, tout ça, ça sort avec une voix rauque, un tout mal assuré, bancal.
Je sais pas comment on peut jouer à deux.
Triste aveux d'une vie bien seule. T'es là, les bras ballants à ne plus savoir quoi dire quoi faire, devant ce... ce môme ? Il fait plus jeune que toi. Enfin que toi, ton âge réel, tu ne songeras pas à l'âge qu'on pourrait te donner. Il fait plus jeune que toi, et c'est lui qui a le courage de te regarder, de te parler et- et t'as l'estomac en vrac, la bouche pâteuse, le cœur au bord des lèvres.
(Tu vas mieux, qu'tu pensais)
M-mais hm... y a pas de souci, tu p-peux jouer. J'étais sur la borne d'à c-, ta voix se casse, tu te racles la gorge. Pitoyable pitoyable pitoyable (terrifiée), côté.
Tu le regardes fixement, le menton tremblant très légèrement, déterminée (à peu prêt) à être aussi courageuse que lui. Et puis tu recules d'un pas et te tournes, de profil, à côté de lui. Tu ne changeras pas de borne, tu ne fuiras pas, tu n'iras pas le plus loin possible au fond tout au fond de la salle.
Tu... tu viens souvent, ici ?
Tu sais même pas pourquoi exactement tu poses cette question. Faire la conversation ? Fuir ? (Tu peux pas, c'est la salle d'arcade la plus proche de chez Isaac)

pacman et nos fantômes.

Aller mieux ne veut pas dire s'être emplie de courage, pas vrai ? Aller mieux n'implique pas plus de ne jamais flancher ou se sentir mal. Tu as le droit, encore, de tout ça, hein ? Les gens normaux... les gens qui ont pas besoin d'un psy et qui pensent à la vie, ça leur arrive aussi, pas vrai ? Et pourtant, ils ne sont pas tout près du gouffre, si ? Les frontières sont si floues quand on a toujours vécu loin d'elles -dans ton cas à toi, dans les contrées des âmes brisées. T'ignores si t'as le droit de penser que tu vas bien, et en même temps, te sentir terriblement mal à l'aise à cet instant précis. Mal à l'aise de la catégorie "désir de disparition immédiate". Pour autant... pour autant, lui semble tellement courageux -et bien vite vous vous entraînez mutuellement, "si iel peut le faire, moi aussi", sans même deviner que l'autre pense précisément la même chose. Alors, tous maladroits que vous êtes (avec vos plaies grandes ouvertes dont vous avez entraperçu les chaires), vous vous mettez devant vos bornes de jeu. Tu fixes les pixel d'un air un peu sévère -et paniqué-, sans parvenir à réellement te concentrer.
Comme t'es à droite t'es les fantômes, j'crois tu contrôles celui qu'est le plus près de moi chaque fois. T'as juste à éviter d'te faire bouffer. Si tous tes fantômes survivent avant la fin du temps t'as gagné.
Tu hoches doucement la tête ; belle allégorie de la vie. Wow, à quoi tu penses toi... Les fantômes. Les pixels. Pacman.
Presque tous les weekend. Tu sursautes ; très rapidement, tu t'es laissée happée par le jeu et la concentration, tu l'en aurais presque oublié. Ou plutôt ; t'en as totalement oublié ta question précédente (mais tout se délite dans ta tête). J'aime pas spécialement les gens mais j'adore l'ambiance.
Un doux sourire vient poindre sur tes lèvres ; "j'aime pas spécialement les gens". Tu sais pas bien ce qui te réconforte à savoir que tu parles bel et bien avec un autre solitaire, ou que vous n'en avez pas fini de compter vos points communs. Mais, justement, c'est rassurant d'avoir des points en commun avec ses interlocuteurs, non ? Ça... ça marche comme ça, les relations, non ??
Tu vois le pseudo en haut à droite ? Le meilleur score. C'est moi.
Tu lances un regard (un poil avide) au pseudo damdemain. Dam...demain ? Ça se 'découpe' bien comme ça, comme pseudo ? Dam... damdam... demain... Oh et puis, ça sert à rien d'essayer d'analyser un pseudo. T'as bien pris "Vega" parce que "ça sonne bien", après tout. (Puis les étoiles c'est poétique, blablabla).
GG !
Enthousiasme fragile et hésitant ; mais tu sais reconnaître ce genre d'effort et de réussite. T'irais même jusqu'à dire qu'à tes yeux, ils ont de l'importance. Avis de gameuse.
Et toi ?
Moi quoi ?
Tu te répètes souvent que pour un génie, t'es particulièrement conne et longue à la détente. Bon bah, tu te le rappelles à nouveau. Puis tu percutes, après quelques secondes, l'air perdu.
Aaah !
Un de tes fantômes se fait bouffer tout cru, tu grimaces.
Je, hm... mon meilleur ami vit pas loin d'ici, donc j'viens squatter quand j'passe le voir. Mais je vis pas dans le coin, sinon.
T'as pas l'habitude de perdre à un jeu, c'est bizarre comme sensation. Un nouvel obstacle à surmonter !
Tu gères grave bien. Tu dois venir souvent, Damdemain. Petit sourire en coin, regard espiègle (un instant). Je gère mieux les bornes de la gauche, là-bas. J'ai quelques meilleurs scores aussi, héhé. Mais j'ai jamais trop joué à Pacman et et tu gères super bien.
Tu t'emballes, montre les muscles comme on dit et en rougis ; dérangée par ton propre accès de fierté mal placée, tu te racles la gorge.
M'enfin tu pourrais faire mieux hein. Hm... parlant de ça, t'es en train de me décimer.
Chercher un terrain rassurant, pas trop glissant, s'y raccrocher désespérément.