Les sabots de l'Haydaim claquaient sèchement sur la terre battue du champ. Juché sur son dos, Wallace s'agrippait comme il pouvait à l'encolure de sa monture; car il n'avait ni selle ni bride pour l'aider. Ses cuisses enserraient fermement les côtés du cervidé et son bassin accompagnait chacun de ses mouvements - monture et cavalier ne faisaient qu'un, filant à travers la campagne rase de Kishika à vive allure. Ils n'avaient pas le choix, et pas le luxe de ralentir : ils fixaient tous les deux un point orangé se découpant nettement contre l'étendue toute bleue d'un ciel dénué de nuages. Un point orangé aux ailes majestueuses, et qui tenait fermement une proie entre ses vicieuses serres.

- JÆGER !! hurla Wallace, comme s'il espérait que son Flambusard l'entende. Ou lui obéisse. LÂCHE CET ÉVOLI TOUT DE SUITE !! Eldar l'Haydaim broncha; ce qui fit réfléchir son dresseur. ENFIN NON LE LÂCHE PAS ! REPOSE-LE !! Mais, évidemment, rien n'y fit : le rapace volait toujours, bien au-delà de la portée du jeune MacGregor.

L'Haydaim déboula alors soudain hors du champ, atterrissant d'un bond sur un chemin de terre qui le longeait. Un chemin où une gamine courait, les yeux également rivés sur l'oiseau de proie. L'esprit de Wallace intégra toutes ces nouvelles informations d'un coup, et il n'eut aucun mal à faire le lien : l'Évoli que Jæger avait attrapé appartenait à la gamine. Notre gaillard plongea une main dans la poche intérieure de sa veste et en sortit une Pokéball qu'il lança en direction de la jeune fille.
- Grimpe !! fut tout ce qu'il eut le temps de dire en passant au galop à côté d'elle. Il n'avait pas le temps de ralentir; il faudrait qu'elle prenne le train en marche ! Et en lieu et place d'un train, c'était un Chevroum qui était sorti de la Pokéball, juste à côté de la jeune Ashen.

La gamine sembla comprendre sans avoir besoin d'autre explication, et Wallace la surveilla du coin de l’œil grimper à dos de Chevroum. Heureusement pour elle, elle n'avait rien à faire : Lucio suivait naturellement son dresseur sans vraiment faire attention à sa cavalière - il savait quel était son boulot et ne s'offusquait pas des frasques d'une jockey novice. Elle n'avait qu'à s'agripper à ses cornes pour rester sur son dos, même si elle montait également à cru; mais encore une fois, elle avait eu la chance que Wallace choisisse pour elle la monture la plus facile.

Lucio avait le pied sûr et l'habitude d'une course ordonnée - pas comme l'Haydaim et ses bonds sauvages. Ils progressèrent ainsi tous les deux, jusqu'à ce que le Flambusard, comme pour les narguer, finisse par se poser sur un rocher au bord du chemin. Au moins, il ne s'était pas planqué dans un arbre - mais Wallace ne lui faisait pas confiance. Parce qu'il avait l'air de vouloir jouer.

La gamine voulait ralentir, et Lucio le Chevroum, sentant son intention, accepta de s'arrêter. Wallace aussi, d'ailleurs. Juché sur l'Haydaim, il le stoppa pour faire face au Flambusard sur son promontoire de caillasse. Il avait posé l'Évoli sous lui, le maintenant fermement d'une serre sur le dos. Ses yeux de braise étaient rivés sur les deux pokémons plante, les narguant sans doute. Eldar piaffa; Lucio souffla des naseaux. Ils n'étaient pas contents, et Wallace non plus. Son visage d'habitude si aimable et si heureux ne montrait à présent qu'une colère sourde et sérieuse.

- Il ne connaît pas d'attaques, ton Évoli ? demanda-t-il doucement à la jeune fille. T'as le droit d'attaquer le piaf. Le piaf; insulte ultime ! Pourtant, Wallace savait que Jæger ne comptait pas faire de mal à sa proie - il ne chassait que pour le plaisir, après tout. Et la vie à la ferme ne satisfaisait pas tous ses besoins de prédateur des airs; alors, c'était à s'y attendre. Il s'en voulait, autant pour la détresse de l'Évoli que pour celle de son Flambusard.

- Ne t'en fais pas, chercha-t-il à rassurer la dresseuse en herbe, mes pokémons prendront le relais si il faut. Et il fit un petit geste du menton pour désigner leurs deux montures. Quitte à s'y brûler les feuilles, ils sauveraient l'Évoli !

Elle sembla hésiter, pour finalement descendre de sa monture et ordonner une charge. Une charge qui n'eut pour effet que de faire déguerpir l'Évoli, et qui n'était pas dirigée contre Jæger. Sans doute aurait-il pu l'en empêcher s'il l'avait voulu, mais l'oiseau ne bougea pas, se contentant de fixer Wallace.

- Allez, déguerpis ! Il s'en occuperait plus tard. Le Flambusard déploya ses larges ailes, puis s'envola à nouveau, en direction de la ferme MacGregor. Wallace soupira, puis descendit de son Haydaim et se tourna vers la jeune fille. D'un coup, toute son attitude et son expression avaient changé : il était soucieux, inquiet, doux et gentil.

- Tout va bien, ma grande ? Il était sincèrement désolé de ce qu'il s'était passé. Tu n'as rien ? La cavalcade à dos de Chevroum aurait pu la bousculer, après tout. Et ton Évoli, il va bien ? Il s'en voulait, le pauvre ! Traumatiser un pokémon, ce n'était pas du tout son truc ! Il jeta un coup d’œil à Eldar, dont les bois avaient commencé à s'orner de ravissantes fleurs de cerisier. Le cervidé s'avança d'un pas, attendant la permission d'agir. Mais Wallace ne dit rien; il comprendrait très bien si la demoiselle était en colère contre lui après cette mésaventure. Il préférait attendre de voir sa réaction avant de proposer quoi que ce soit.

- Oh non non non, se précipita Wallace, tu ne me dois rien du tout ! Pour le coup, ce qui était arrivé était même un peu sa faute, donc... Mais elle ne semblait pas lui en tenir rigueur, au moins ! Peut-être n'avait-elle tout simplement pas compris que le Flambusard n'était pas sauvage, mais lui appartenait ? Tant mieux, au fond...

L'Evoli avait l'air indemne, mais Wallace ne donnait pas cher de son état psychologique après une mésaventure comme celle-là.
- Viens, hmm... approche-toi. Il hésitait, de peur que la jeune fille ne veuille plus que quiconque approche son pokémon après cet incident (ce qui serait totalement compréhensible). Alors, Wallace se faisait tout petit - tout dans sa façon de parler et sa gestuelle témoignaient de son désir de se faire pardonner.

- Approche-toi de mon Haydaim, précisa-t-il. Il est gentil, t'en fais pas ! L'intéressé sembla hausser un sourcil en direction de son dresseur, mais ne bougea pas. Gentil, lui ? Mais il avait compris ce que le jeune MacGregor voulait, et les fleurs de cerisier ornant ses bois se mirent déjà à frémir doucement. Suffisait de voir si la demoiselle accepterait de lui faire confiance ou non...

- Voilà, c'est super... encouragea doucement Wallace, autant pour l'Evoli que pour sa dresseuse. Il les observait avec un sourire calme, qui se voulait rassurant.

L'Haydaim baissa la tête en direction du petit pokémon, puis ferma les yeux. Il se concentrait. Quelques fleurs sur ses bois commencèrent à éclore toutes seules; et un parfum apaisant s'en dégagea.
- C'est la capacité aromathérapie, expliqua Wallace à la demoiselle à voix basse, afin de ne pas déconcentrer le cervidé. Elle sert à apaiser les pokémons. L'aromathérapie était bien plus qu'une capacité de base; elle guérissait les brûlures et l'empoisonnement, et apaisait la peur et la confusion. Je pense que ton Evoli se sentira beaucoup mieux après ça.

Il attendit qu'Eldar en ait terminé pour aller lui flatter l'encolure.
- Bien joué, Eldar, le félicita-t-il. Puis, se tournant vers la demoiselle : Je m'appelle Wallace. Et toi, c'est comment ? Tu n'es pas d'ici, pas vrai ? Parce que Wallace connaissait tout le monde à Kishika; alors, si elle vivait là, il l'aurait forcément déjà rencontrée !

Artiesta, ce n'était pas si loin... Juste de l'autre côté des bois - mais évidemment, personne ne coupait par la forêt pour venir, c'était bien trop dangereux ! Dans son enfance, Wallace et ses amis avaient souvent joué à aller à Artiesta en feignant des fugues dans la zone forestière; bien sûr, tout ça n'avait été que des jeux d'enfants, jusqu'à ce que ses amis grandissent et partent tous vraiment pour la ville en l'abandonnant là.

- Je te le devais bien, fit-il nonchalamment, comme pour balayer les remerciements d'Ashen. Tu es venue visiter la campagne, alors ? enchaîna-t-il de son ton le plus sympathique. Normalement, Kishika est beaucoup plus accueillante que ça, crois-moi ! Il sourit, toujours un peu crispé et gêné du comportement inacceptable de l'oiseau de proie. La pire des choses serait qu'Ashen soit dégoûtée de Kishika et ne veuille plus jamais y revenir !

Elle semblait paisible, malgré ce qui venait de se passer. Rassuré, Wallace commença à se calmer lui aussi. Les pokémons semblaient également suivre le mouvement - peut-être à cause de l'aromathérapie d'Eldar ? En tout cas, tout le monde semblait en bonne condition, la mésaventure déjà (presque) oubliée.
- Eh bien, on peut dire que du changement, tu en as eu ! gloussa-t-il doucement.

Il se tourna alors vers ses deux pokémons, observant leur comportement. Ils étaient dociles et prêts à rentrer.
- Tu sais monter ? demanda-t-il à la demoiselle. Cette petite course-poursuite dans les champs les avait un peu éloignés du village, et il n'allait pas la laisser refaire tout le chemin à pied ! Il était donc tout naturel pour lui de lui proposer de rentrer à dos de Chevroum; mais cette fois, à un rythme beaucoup plus lent qu'à l'aller. Un pas de randonnée semblait parfait pour l'occasion.

Wallace fit écho à son rire en riant lui aussi; comme quoi, ils commençaient vraiment à bien s'entendre !
— C'est sûr qu'on ira beaucoup plus lentement, cette fois !
Il allait lui proposer de l'aider à monter sur le dos du Chevroum, avant de se rendre compte qu'elle y était très bien parvenue toute seule juste avant. Alors, il se tourna vers son Haydaim et grimpa agilement sur son dos, comme il en avait l'habitude.

— Tu peux t'accrocher à ses cornes, fit-il gentiment à Ashen. Il s'appelle Lucio. L'intéressé souffla des naseaux et se rapprocha de la jeune fille, comme pour l'inviter à monter.

Eldar ouvrit alors la marche, de son pas fier et mesuré. Wallace, si habitué à monter ses pokémons, avait les mains libres; il se tenait en équilibre sans avoir besoin de s'agripper à quoi que ce soit. Il en profita pour fouiller dans le sac à dos qu'il avait emmené avec lui, et en sortit une boîte fraîcheur contenant des beignets faits maison.

— Tiens, tu veux manger quelque chose ? proposa-t-il en tendant la boîte ouverte à Ashen. Un vrai grand frère dans l'âme, celui-là !

Bon, elle n'en veut pas, c'est un peu gênant. Bien sûr, Wallace n'était pas du genre à se laisser décontenancer pour si peu; alors, il récupère sa boîte près de lui, engouffre un beignet dans sa bouche avide et referme le tout avant de le ranger dans son sac.

Elle ne sait pas ce qu'elle rate ! Mais il suppose qu'elle doit avoir l'estomac tout retourné après ce qu'il s'était passé et, forcément, il sent la culpabilité revenir lui ronger les entrailles. Lui aussi, il risque d'avoir du mal à digérer ses beignets.

Ils progressent un peu en silence - elle semble observer le paysage, l'admirer comme si c'était la première fois qu'elle le voyait (ce qui était franchement possible vu qu'elle était citadine) et lui, il essaie de se détendre sur le dos de son Haydaim aux bois printaniers. Un petit coup d'aromathérapie ne lui ferait pas de mal à lui non plus, tiens…

— Et… commence alors Wallace, un peu hésitant, en essayant de briser la glace pour ne pas passer le reste du voyage dans un silence malaisant. Tu sais ce que tu aimerais voir, du coup ? Vu que tu visites la campagne? Tu as prévu une sortie spécifique? Kishika n'était pas dénuée d'intérêt et avait même plusieurs points à visiter, pour qui s'intéressait à la production de thé. Restait à voir si Ashen était du genre à aimer les petits musées locaux et les visites chez des artisans...