Le printemps touchait à sa fin, le temps était magnifique, j’en profitais pour me promener le long de la route 7.  Ce chemin est beaucoup plus calme et bucolique, c’est tout à fait ce qu’il nous faut après ces dernières semaines passées en ville. Pour quelqu’un ne supportant pas les relations humaines, j’ai eu bien assez d’interaction pour un moment. Mon pauvre Aiko aussi, avec son odorat sensible, la pollution de la ville a été une véritable torture.

Mais ici le ciel est bleu, les oiseaux chantent, une légère brise nous rafraîchie, et non loin une rivière s’écoule paisiblement. Ce paysage est tout à fait idyllique. D’un regard entendu avec Aiko nous décidons d’arrêter notre voyage pour la journée et de nous reposer dans ce petit coin féerique. Je me pose sous un arbre tandis que mon caninos batifole et court un peu partout. Je ferme les yeux un instant, profitant du vent sur mon visage, de l’odeur des fleurs, de l’eau, de la nature tout simplement.

Lorsque je les rouvre, je remarque mon fidèle ami, couché contre moi, déjà endormi. Il a déjà épuisé toute son énergie, quel coquin. Je ferais bien comme lui, l’endroit est si reposant. Mais je sais que si je me laisse aller, je ne dormirais pas ce soir. Je décide alors de profiter de ce lieu inspirant pour écrire un moment. Je sors un carnet ainsi que mon stylo fétiche et commence à noircir le papier :

«  L’intrépide Alia poursuivait sa route pour de nouvelle aventure,
Accompagné de son fidèle Geru, rien ne lui semblait dur
Au détour d’une sente sinueuse
Ils firent une rencontre malencontreuse

En effet leur démarche bruyante
Réveilla une créature effrayante
Il ne s’agissait ni plus ni moins d’un Airmure agacé
Furieux d’avoir été tiré de son repos mérité.

S’apprêtant à attaquer d’un terrible Aile d’acier
Le fidèle Caninos s’interposa pour protéger
Sa dresseuse qu’il affectionnait tant
Il alors fuir l’Airmure d’un lance-flamme ardent.

Le duo repris son chemin,
Désolée d’avoir déranger un noble pokémon
Qui ne souhaitait rien de plus qu’un petit somme
Espérant avoir de plus calme lendemain »

Je relis ce que je viens de noter. Ce n’est pas trop mal, mais il y a encore du travail à faire. Je voulais tenter une épopée en rimes pour une fois, mais l’exercice est beaucoup plus difficile que la prose. Je la réécrirais peut-être ainsi, j’ai toujours eu plus de facilité pour la narration en prose. Alors que je feuilletais d’autres de mes textes, une soudaine sensation de froid m’envahit. De même que je sursaute, je remarque que c’est de l’eau qui m’attaque. Je suis éclaboussée à grandes eaux. Je ne sais d’où elle vient. Mais… ?! Oh non, mon carnet !!! Il est trempé !

Je retrouve un plaisir sincère d’enfin reprendre mes notes au sujet de mes explorations : j’ai retrouvé l’agréable sensation d’observer et de rapporter ce que je vois tout autour de moi, celle de croquer en quelques coups de crayons la silhouette des pokémons sauvages au loin ou encore d’étudier la formation de vol des Roucoups. Lorsque j’avais commencé à remplir ce cahier je m’intéressais surtout au type insecte, j’étais même parvenu à faire quelques jolies planches sur de larges feuilles mais j’ai perdu ces dernières dans l’un des nombreux cartons du déménagement. Quel dommage, en y repensant j’aurais du être plus précautionneux...

C’est pour me confronter à nouveau au temps qui se fige que j’ai décidé de partir tôt ce matin avec Rouchon à travers les routes qui traversent Lumiris, les Pokémons étaient farouches et il valait mieux commencer notre expédition dès le petit matin si nous voulions faire quelques rencontres surprenantes. J’avais pris soin d’emmener avec moi mon carnet et mon appareil photographique en espérant pouvoir immortaliser de belles scènes. La lumière du jour naissant était ravissante et nous tenait des promesses alléchantes. Nous avions rapidement quitté la route principale pour passer par de minces sentiers entourés de nature pour nous éloigner au maximum de la circulation qui n’allait probablement pas tarder à envahir la route classique.

La matinée fut un brin décevante : pas le moindre phénomène intriguant. Nous craignions de revenir bredouille de cette première journée de chasse aux images. Il fallait admettre que le manque de calme et d’attention de mon Mustébouée qui était plein d’excitation n’y était pas pour rien. Dès que nous nous arrêtions, il ne pouvait s’empêcher de gigoter, de jouer avec les feuilles dans les buissons ou de glapir d’impatience. C’était là l’une des rares différences entre nos caractères d’ailleurs : nous partagions de nombreux traits de personnalités comme une profonde curiosité ainsi qu’un tempérament enfantin et joueur mais je n’avais pas son énergie débordante. Plus les heures défilaient et plus nous désespérions d’observer un évènement un tant sois peu spécial…

Toutefois, nous étions bien décidés à ne pas nous laisser abattre, il ne servait à rien de prolonger notre recherche en étant fatigué et avec le moral dans les chaussettes : visiblement, cela ne nous menait à rien et il valait mieux prendre le temps d’une pause pour repartir d’un bon pied. En cherchant un coin tranquille au sein duquel nous reposer, nous avions fini par trouver un bel endroit pour pic-niquer. Les pieds barbotant dans l’eau, je dévorais mon repas tandis que Rouchon s’amusait à effrayer les quelques pokemon de types eau qui nageaient dans l’eau douce. Même si notre tentative d’apercevoir des espèces plus rares avait fait chou blanc, cela n’était que notre premier essai et nous n’avions pas de quoi rougir : nous avions encore beaucoup de temps devant nous pour progresser…

Toujours les pieds dans l’eau, j’allongeai mon dos sur la berge pour regarder les rares nuages flotter dans le ciel. Il faisait beau, je dégustai un bon repas en pleine nature avec mon meilleur ami qui jouait à mes côtés. C’était bon d’être loin des tracas de la métropole dans laquelle j’habitais avant. Je fermais les yeux, profitant un instant de ce moment de calme et de sérénit…


Quel espèce de petit …

« Rouchon ! Si je t’attrapes, gare à tes moustaches ! »

Lui aussi avait envie de profiter de l’endroit, mais il avait sa façon bien à lui de se reposer... Il avait profité de mon inattention pour me tirer les pieds et me faire tomber à l’eau. Je n’étais pas réellement fâché et il le savait bien. C’était simplement notre façon à nous de témoigner notre affection l’un pour l’autre. Avant que je ne puisse l’attraper, il fila entre mes doigts pour s’immerger et s’enfuir en suivant le courant. J’avais beau être un à mon aise dans l’eau, face à lui j’avais l’impression de patauger et il se jouait de moi en s’arrêtant, s’amusant à me laisser entrevoir la possibilité de l’attraper avant de partir comme une torpille dans l’autre sens, de plus en plus loin en aval. Je me souvenais avec un large sourire que c’est comme cela que nous avons scellé notre amitié : depuis le jour où j’ai réussi à effleurer sa douce fourrure rousse en plongeant après lui, il ne m’a plus jamais quitté.

Alors que nous fatiguions tous les deux dans cette partie de chat endiablée, je finis par sortir de l’eau, trempé des pieds à la tête, lui faisant comprendre qu’encore une fois, c’était lui qui avait gagné à ce petit jeu et, alors qu’il gloussait, je fondis sur lui et l’attrapai pour le chatouiller.

« Alors comme ça tu as baissé ta garde mon petit Rouchon ? »

Mon cher Mustébouée se tortillait dans tous les sens jusqu’à m’échapper des mains pour retourner à l’eau. Je ne pouvais rien face à l’agilité de mon meilleur ami mais au moins, je lui avait rendu ses taquineries. Maintenant que la partie était vraiment terminée, je retirai mon sweat trempé pour l’essorer et, alors que je m’apprêtais à longer la berge dans l’autre sens pour rechercher mon sac à dos qui était resté en amont, sur le lieu du pic-nique, une large vague d’eau glacée vint s’abattre sur mon dos.


Je me retournai lentement pour entrevoir le sourire goguenard du responsable : Rouchon n’avait pas fini de jouer... C’est aussi à ce moment précis que j’aperçus un élément auquel je n’avais jusqu’alors pas du tout prêté attention. Une jeune femme était adossée à un arbre, un carnet tout mouillé dans les mains et avec un air surpris. Il me fallut une demi-seconde pour comprendre que la pauvre avait elle aussi été aspergée par la vague revancharde de mon pokémon. J’espérais qu’elle ne se fâcherait pas sur moi.

« Pardon mademoiselle. Nous jouions mon pokémon et moi et nous n’avions pas vu qu’il y avait quelqu’un d’autres dans les parages. Je vous présente mes excuses les plus sincères ! »

Je passais une main derrière la tête, me frottant les cheveux et affichant un sourire amical pour camoufler ma nervosité. Sentant que la fin de la récréation avait été sonnée, Rouchon sortit de l’eau pour venir se réfugier tout penaud contre ma jambe. Il avait conscience qu’il venait de faire une petite bêtise.

Je suis complètement trempée, c’est froid. Mais plus encore mon carnet est mouillé. J’essaye de l’éponger délicatement et surtout sans frotter pour ne pas effacer l’encre, mais cela ne semble pas être la bonne solution. J’entends soudain une voix :

- Pardon mademoiselle. Nous jouions mon pokémon et moi et nous n’avions pas vu qu’il y avait quelqu’un d’autres dans les parages. Je vous présente mes excuses les plus sincères ! 

Je relève la tête pour voir qu’il s’agissait d’un adolescent aux cheveux bleu et en maillot de bain qui ma parlait. Derrière lui, un pokémon orange sort de l’eau pour se cacher dans ses jambes. Ils ont tout deux l’air nerveux et surtout très honteux d’avoir commis une bêtise. Je devrais être en colère contre eux car j’ai probablement perdu plusieurs semaine de travail, mais comment leur en vouloir avec des bouilles aussi adorables ?

- Ce n’est pas grave, ce n’est qu’un peu d’eau, dis-je, un moment au soleil et ça séchera.

Pour confirmer mes dires, j’attrape mes affaires et je me décale au soleil. Heureusement, mon sac a été épargné. J’y sors un drap que j’étale au sol pour m’y installer. Je pose dans un coin mon carnet ouvert pour qu’il puisse sécher puis sors un goûter de mon sac.

- Vous voulez vous installer avec moi ? J’ai du jus de fruits et des biscuits que j’ai fait au centre pokémon avant de partir ce matin.

J’appelle Aiko, qui s’était éloigné durant l’échange, surtout pour éviter l’eau. Ce n’est pas qu’il ne l’aime pas, mais il préfère quand même ne pas être mouillé par surprise. Me voyant détendue il s’assoit à côté de moi et me donne un coup de museau dans le bras pour que je lui grattouille la tête.

- Je vous présente Aiko, c’est mon ami et compagnon de voyage. Quand à moi je m’appelle Kanaliou.

Je me rend compte alors que je lui ai parlé sans la moindre hésitation. Moi ! Qui parle à un inconnu, comme ça ? Il faut croire que son air attendrissant m’a fait surpasser mon blocage. Mais je ne peux m’empêcher de rougir. Je me concentre sur Aiko faisant mine de rien.

À défaut d’en avoir rencontré un sauvage, l’expédition échouée de ce matin nous avait permis de faire la découverte d’un Caninos dressé. Kanaliou, la dresseuse que nous avions dérangée avec nos petits jeux, nous l’avait présenté comme "Aiko" et ce dernier semblait bien plus calme que la boule d’énergie qui m’accompagnait et qui avait causé la petite catastrophe.

Alors qu’elle disposait une serviette au sol, ce fut l'odorat de mustébouée qui repéra en premier le parfum sucré de la nourriture, ses yeux étincelant à l’idée de se régaler. J’aperçus le goûter et le jus de fruit l’instant d’après et j’avais la même lueur de gourmandise dans le regard. Heureux hasard, Kanaliou nous proposait de nous joindre à elle et de partager cet en-cas. En entendant cela, mon sourire gêné se transforma en une joie plus sincère, empreinte de légèreté. J’avais bien envie de m’asseoir au sec un instant : déguster une petite sucrerie au soleil, c’était une perspective particulièrement réjouissante … et puis après tout il aurait été bien malvenu de refuser sa proposition après lui avoir causé des désagréments non ?

« Si ça ne vous dérange pas, je serais ravi de passer un moment autour d’un goûter avec vous ! »

Ravi de savourer les simples plaisirs de la vie, je m’installai à ses côtés, Rouchon furetant près de la nourriture. Tss … en plus d’être espiègle, mon petit bêta préféré était aussi curieux que gourmand ! Afin qu’il n’aille pas fouiller le sac et surtout pour qu’il ne cherche pas à dévorer tous les biscuits, je l’attrapai et le ramenai contre moi avant de le soulever pour le présenter à notre généreuse bienfaitrice.

« Enchanté Kanaliou !  Moi je m’appelle Ambroise, et je vous présente Rouchon ! Il fait des bêtises de temps en temps mais c’est pour jouer, il ne pense pas à mal. J’espère que votre carnet n’a pas trop souffert d'ailleurs... »

Moi-même je tenais un cahier- c’était d’ailleurs pour tenter de le remplir que je m’étais levé tôt - et j’aurais été bien triste qu’un pokemon turbulent ne ruine tous les efforts que j’avais mis en œuvre en quelques secondes. Les écrits, c’est quelque chose de personnel et précieux ; même si une fois de retour en ville je lui trouvais un beau carnet tout neuf pour remplacer celui que nous avions abîmé, il n’aurait pas la valeur sentimentale de celui qui avait été éclaboussé et ne contiendrait jamais les belles lettres qu’elle avait tracées dedans.

« Aiko a l’air d’apprécier les caresses, vous pensez que je peux lui en faire aussi ? »

La fourrure du caninos avait l’air vraiment douce et son calme était apaisant. À vrai dire, tout à côté de cette rivière inspirait la sérénité, je comprenais aisément le choix de venir écrire ici, ça devait être reposant… Alors que je songeais à cela, je remarquai que les joues de Kanaliou s’étaient empourprées : est-ce que Rouchon avait encore fait une maladresse ? Ou peut-être que c’était moi qui avait commis un impair ? Je fis semblant de n’avoir rien remarqué, espérant que c’était simplement un signe de timidité de sa part.

Le jeune garçon accepte ma proposition, je vois bien le regard gourmand qu’il a, ainsi que celui de son pokémon. Il le retient cependant contre lui, peut-être pour éviter d’autre catastrophe. Puis il le soulève pour me le présenter :

- Enchanté Kanaliou !  Moi je m’appelle Ambroise, et je vous présente Rouchon ! Il fait des bêtises de temps en temps mais c’est pour jouer, il ne pense pas à mal. J’espère que votre carnet n’a pas trop souffert d'ailleurs…

Ambroise, c’est joli comme prénom, j’aime bien. Et le petit farceur s’appelle donc Rouchon. Je sors deux gobelets que je remplis de jus et leur donne, ainsi qu’une gamelle pour Aiko, comme ça pas de jaloux. Puis je tend l’assiette de biscuit.

- Enchantée également. Servez-vous, j’en ai préparé bien assez, il n’y a pas de soucis. Ce n’est pas grave pour mon carnet, c’était un accident. Et puis, si vraiment mes textes ne sont pas récupérable, je n’aurais qu’à les réécrire, j’ai toujours les idées en tête. Ce sera une occasion d’améliorer mon style.

Je ne sais pas pourquoi je me sens si à l’aise avec ce garçon. J’arrive à lui parler naturellement, ce qui n’est, pour moi, pas naturel du tout. Je me sens juste détendue. C’est déroutant.

- Aiko a l’air d’apprécier les caresses, vous pensez que je peux lui en faire aussi ?

- Bien sur, il est très gentil.

Je me penche vers mon pokémon et lui grattouille la tête tout en parlant calmement :

- Hey mon grand, tu vas dire bonjour à notre invité ?

Il s’approche lentement d’Ambroise, un peu méfiant, inquiet même à l’idée de se faire mouiller. Bien que, pour un pokémon feu, Aiko apprécie étonnamment l’eau, il n’aime pas se faire éclabousser par surprise. Ce que je comprend. Il donne finalement un petit coup de tête dans le bras du garçon pour passer en dessous. Il a compris qu’il n’y avait pas de danger ici.

Si beaucoup de gens trouvaient Rouchon mignon, je devais admettre que Aiko, le Caninos de notre hôte, était tout aussi adorable. Alors que nous nous étions installés pour prendre le goûter il avait fini par s’approcher très timidement de moi, jusqu’à venir se glisser sous mon bras. J’avais raison lorsque je disais à Kanaliou qu’il semblait aimer les caresses. Il avait le poil doux, tiédit par le soleil et c’était très satisfaisant de laisser mes doigts se perdre sous cette fourrure.

Mon Pokémon à moi aussi avait lui envie de se reposer après une journée de marche et de jeux, il avait englouti son jus de fruit avant même que je n’ai commencé le mien et cherchait à subtiliser le gobelet que je devais alors tenir hors de sa portée. Au bout d’un moment, las de ce petit jeu, il fini par lézarder, laissant les rayons du grand soleil d’été sécher son pelage.

J’aurais bien fait la sieste moi aussi si je n’avais pas eu l’envie de déguster encore quelques biscuits et, plus encore, de faire plus ample connaissance avec ma nouvelle amie. Quand quelqu’un vous invite à partager son goûter, c’est forcément un ami non ? C’était du moins ma vision des choses : à ce moment-là, je n’avais envie d’être nulle part ailleurs. J’avais l’impression de me retrouver comme quelques années plus tôt, lorsque ma grand-mère m’appelait pour manger un morceau de gâteau alors que je jouais dans le jardin, si ce n’était que le jardin était à présent une grande île que je traversais avec mon meilleur ami.

« C’est délicieux ! Il faudra que tu me partages ta recette. Surtout que Rouchon a eu l’air d’en raffoler autant que moi. »

En effet, si son jus avait disparu en quelques secondes, il avait dévorer son biscuit avec voracité et il lui en restait même sur les bords des moustaches.

« Au fait, si ce n’est pas indiscret, qu’est-ce que tu avais écrit dans ton carnet ? »

Juste après avoir prononcé ces mots, je me rendis compte de deux choses. Tout d'abord, j'étais naturellement passé au tutoiement après avoir goûté ses biscuits. Et ensuite, même si j’étais en partie responsable de la dégradation de l’objet, j’avais envie de savoir ce qu’il était consigné à l’intérieur du cahier de Kanaliou. La curiosité avait beau être un vilain défaut, je ne pouvais pas m’empêcher de poser des questions, même à des gens que je ne connaissais que depuis deux minutes. Peut-être que son escapade avait été plus fructueuse que la mienne et qu’elle avait rencontré des jolis pokémons ! Dans tous les cas, j’étais persuadé qu’il devait y avoir quelque chose d’intéressant là-dedans.

Aiko se fait allègrement câliner par notre nouvel ami. Une fois sa confiance gagnée il devient très demandeur. Rouchon quand à lui a vidé son verre en quelques secondes. Il fixe avec envie le reste des biscuits et tente de piquer celui de son dresseur. Après plusieurs tentative il se lasse et va s’allonger au soleil. C’est assez drôle car il lui reste des miettes de biscuit sur les moustaches.

« C’est délicieux ! Il faudra que tu me partages ta recette. Surtout que Rouchon a eu l’air d’en raffoler autant que moi. »

Leurs réactions à tous les deux me font rire. Ils sont tellement rafraîchissant, cela est agréable. Je resserre du jus au pokémon.

- Viens Rouchon, tu peux en reprendre il y en a bien assez tu sais.

Il ne se fait pas prier et se précipite sur son verre pour le vider avant de prendre un autre biscuit. C’est trop de bonne humeur et de rire d’un coup pour mon petit coeur. Je le sens faire les montagnes russes au rythme de mes rires. J’inspire lentement pour reprendre contenance et répondre à Ambroise. Ce dernier était d’ailleurs naturellement passé au tutoiement. Quand on commence à faire connaissance c’est normal non ? Surtout quand on partage un goûter.

- Avec plaisir. Je les ai préparé avec l’infirmière Joëlle ce matin. Tu pourras les faire avec nous la prochaine fois si tu veux ?

Je l’ai invité à ce que l’on se revoit sans même m’en rendre compte. C’était peut-être un peu tôt non ? Bon… ce qui est  fait est fait, je verrais bien ce qu’il répondra.

« Au fait, si ce n’est pas indiscret, qu’est-ce que tu avais écrit dans ton carnet ? », me demande-t-il.

Oh, c’est la première fois qu’on me demande ce que j’écris. Qu’est-ce que je répond ? Personne ne s’y était jamais intéressé avant. J’élude la question ? Ce ne serait pas très futé ma vieille, si tu veux les publier un jour il faudra bien en parler, ça ne se fera pas par magie. Certes, bon, allons-y alors. Et ne bégaie pas trop cette fois !

- Oh… euh, je…

Raté.

- J’écris des aventures, un personnage qui voyage à travers le monde avec son pokémon pour découvrir tous ses mystères.

Mieux.

- J’espère, enfin j’aimerais bien un jour les publier. C’est pour ça que je suis devenue écrivaine voyageuse. Ça et me faire de nouveaux amis. Il paraît que je ne suis pas très sociable…

Mes paroles me semblent un peu arrogante. Qui suis-je pour me prétendre écrivaine ? Pourtant, c’est ce que je suis au fond de moi.

- Et toi tu écris?

Si j’étais gourmand, Rouchon lui était un petit glouton ! Il avait encore des miettes de biscuits et du jus sur le museau alors qu’il attaquait le second verre. Les enfants aimaient le sucre et nous étions encore deux gamins dans l’âme même si nous jouions aux grands explorateurs. Sous le rire bienveillants de Kanaliou, nous dégustions le repas qu’elle partageait avec nous. Non seulement elle était d’accord de nous donner des biscuits et leur recette, mais en plus elle nous invitait à les préparer un jour avec elle !

« Ça nous ferait vraiment très plaisir ! »

Si Rouchon n’avait pas eu la bouche pleine, il aurait probablement piaillé pour appuyer mon propos…

« Muus ! »

Il me donna tort en approuvant avec envie en laissant tomber de gros morceaux de cookies. L’idée de faire plus de sucreries lui plaisait beaucoup, surtout que c’était l’occasion pour lui de retrouver son péché mignon : la pâte crue. Si je n’étais pas là pour l’empêcher de tout manger, il pouvait être bien capable de se donner mal au ventre en mangeant tout sans que nous puissions les faire cuire.

Pendant notre dégustation, notre hôte nous racontait son choix de devenir écrivaine voyageuse, c’était la première fois que j’entendais le nom de ce métier mais il me faisait déjà rêver ! Écrire et découvrir, c’était une belle façon de financer un beau voyage ! Surtout que les textes qu’elle rédigeait avaient l’air amusants : de l’aventure, des pokémons et des mystères, voilà qui donnait envie !

« Regarde, tu nous as même proposé de prendre le goûter avec Aiko et toi ! En tout cas j’ai hâte de voir ton roman quand il sera publié ! »

C’était amusant qu’elle me retourne la question, car je n’avais pas l’impression que beaucoup d’autres garçons de mon âge étaient intéressés par l’écriture. Je n’écrivais pas de nouvelles ni de romans mais j’avais moi aussi un carnet très précieux à mes yeux. Dedans, j’y consignais mes observations, mes petites expéditions et mes découvertes dans la nature. Parfois je griffonnais, parfois j’y laissais quelques vers ou j’y collais des photos pour immortaliser les instants rares que j’avais pu capturer.

« Oh non ! Mon sac ! Je l’ai laissé le long de la berge ! »

Bon, il n’y avait pas beaucoup de monde qui devait marcher le long de la rivière mais tout ce que j’avais de précieux était là-dedans ! L’idée que l’on puisse me le voler me fit grimacer : il y avait des souvenirs et le peu d’argent que j’avais réussi à mettre de côté.

À peine avais-je écrié mes angoisses que Rouchon, prenant une dernière goulée de jus de fruit vint tirer ma manche du bout de sa patte avant de partir à toute vitesse dans l’autre sens et de plonger dans l’eau avec beaucoup plus de grâce et d’élégance que l’autre fois. À peine un léger clapotis lorsqu’il entrait dans l’eau et il enclenchait le turbo. J’avais un ami sur qui compter ! Je réservais un biscuit pour lui, pour pouvoir le remercier à son retour.

« Je te ferais lire mon carnet de voyage dès que Rouchon sera de retour si tu veux ! Je ne narre pas vraiment de contes mais peut-être que ça te donnera des idées d’endroits à aller voir pour trouver de l’inspiration ! Si tu veux, tu pourras aussi nous raconter aussi un morceau des histoires que tu as écrites ? »

Ambroise accepte mon invitation à faire des gâteaux ensemble. J’ai le sentiment que ce sera vraiment amusant. Rien qu’à voir Rouchon approuver vivement de la tête, faisant ainsi voler de grosses miettes de cookies, c’est hilarant. Aiko comprend que l’agité Rouchon nous recroisera à l’avenir, il a déjà l’air fatigué ha ha.

- Regarde, tu nous as même proposé de prendre le goûter avec Aiko et toi ! En tout cas j’ai hâte de voir ton roman quand il sera publié !

Ajoute t-il suite à ma tirade. C’est vrai, je les ai invité sans même réfléchir. Jamais je n’aurais fais cela avant. Une preuve que mon voyage porte ses fruits. J’espère que cela continuera.

- Merci, j’espère en tout cas que ces chroniques plairont aux autres.

Peut de personnes lisent encore de nos jours. En fait, de ce que j’ai pus constater, ceux qui lisent dévorent énormément de livre, tandis que ceux qui ne lisent pas en sont comme allergique. Cette démarcation est étrange je trouve.

Ambroise s’exclame soudainement :

« Oh non ! Mon sac ! Je l’ai laissé le long de la berge ! »

Mince ! Il faut vite le retrouver ! À peine avons-nous le temps de réagir que Rouchon est déjà dans la rivière. Ni une ni deux, le voilà qui revient avec le sac. Il nage tellement vite, c’est à peine si j’ai eu le temps de l’apercevoir.

- Je te ferais lire mon carnet de voyage dès que Rouchon sera de retour si tu veux ! Je ne narre pas vraiment de contes mais peut-être que ça te donnera des idées d’endroits à aller voir pour trouver de l’inspiration ! Si tu veux, tu pourras aussi nous raconter aussi un morceau des histoires que tu as écrites ? ajoute Ambroise tandis que son pokémon revient vers nous.

- Je lirais avec plaisir si tu le souhaite. Oh tu sais pour l’instant je n’ai rien de très élaboré. Ce sont des petites aventures indépendantes, l’histoire d’une jeune fille qui voyage avec un Caninos pour découvrir d’où viennent les étoiles.

Et voilà que Rouchon est de retour, il se permet même de poser un peu suite à sa performance aquatique.

- En tout cas Rouchon est un as de la natation. Je suis impressionnée.

Tant qu’il ne s’ébroue pas sur Aiko il ne devrait pas y avoir de drame ha ha. Tiens, où est-il d’ailleurs ?

- Aiko ? Aiko tu es où ?

Plus de Aiko.

Moi-même, j’étais toujours impressionné par la vitesse de Rouchon, surtout après s’être empiffré de biscuits comme un Goinfrex ! Il savait que je tenais beaucoup à ce carnet alors il était encore plus motivé que jamais à faire ses preuves et à la rapporter en un temps record. Pendant qu’il faisait l’aller-retour à tout vitesse, j’avais appris Kanaliou était très modeste : elle ne voulait pas avouer qu’elle écrivait très bien mais j’étais persuadé que c’était pourtant le cas ! D’ailleurs, lorsqu’elle m’expliqua la base de son histoire, mes yeux s’étaient illuminés. Une question me taraudait alors :

« Et toi ? Tu parcours aussi le monde avec Aiko pour découvrir d’où viennent les étoiles ? »

C’était une jolie découverte à faire. À la fois poétique et scientifique. C’était ce que j’aimais dans les histoires : on pouvait y joindre les images et la réalité, le savoir et les émotions. Qu’est-ce qui se cachaient derrière les astres ? Des calculs ? Des pokémons ? Quelque chose de plus mystique et philosophique ou bien de la physique pure ? Un peu de tout… C’est pour ça qu’elles nous faisaient autant rêver non ?

À peine avions-nous eu le temps de discuter que l’éclair roux était revenu, tout trempé, essoufflé mais avec le sac dans la gueule et le sourire aux babines ! Il avait bien mérité un nouveau verre de jus et la sucrerie que je lui avais laissé de côté. Alors que j’ouvrais mon sac pour vérifier que tout était bien à l’intérieur et que l’eau n’avait pas pénétré la protection étanche, j’entendis la voix de ma nouvelle amie appeler son pokémon.

Aiko, qui était pourtant juste à côté de moi à peine quelques instants plus tôt avait complètement échappé à notre attention et était parti se perdre quelque part aux alentours… Il fallait espérer qu’il ne soit pas parti trop loin : si mes souvenirs étaient bons, les Caninos et leurs grands frères Arcanins étaient réputés pour leur rapidité.

« Ne t’inquiète pas Kanaliou ! On va t’aider à le chercher ! »

À mon tour et, accompagné de mon fidèle écuyer, nous nous mettions nous aussi à rechercher Aiko dans le sous-bois qui bordait la forêt. Un pokémon orange et capable d’enflammer n’importe quel arbre, ça devait se retrouver facilement au milieu de la clairière ombragée non ?

« Aiko ? Viens ! Il reste des biscuits ! »

Aiko a disparus! Il n’est plus là! Aiko. N’est. Plus. Là. La panique me gagne. J’ai du mal à respirer. Où est-il ? Ce n’est pas son genre de partir sans prévenir, et si il lui était arrivé quelque chose ? Jamais je ne pourrais me le pardonner. Il est mon meilleur ami, le seul en réalité. Nous avons toujours été là l’un pour l’autre depuis que je l’ai recueillis. Lui aussi est un marginal, même sa mère ne voulait s’occuper de lui parce qu’il était fragile. Nous sommes pareil. Il faut le retrouver à tout prix.

Je pars sans attendre dans le sous-bois non loin. Je ne vois pas où il pourrait être d’autre, le reste de la route est dégagée. J’entends Ambroise appeler mon ami également, lui dire qu’il reste des biscuits. Cela me fait rire intérieurement, les biscuits devraient être la solution à tous les problèmes de l’univers. Je suis très touchée qu’il m’aide sans même que je ne le lui ai demandé. Nous fouillons minutieusement le sous-bois en l’appelant de temps à autre.

Quel n’est pas mon soulagement quand nous le trouvons enfin, au milieu d’une clairière, complètement entouré de pokémon papillon dansant autour de lui. C’est assez beau de les voir tournoyer avec Aiko sautant au milieu de l’essaim, finalement il aura juste été distrait par un papillon. Plus de peur que de mal. Je le rejoins rapidement et le serre fort dans mes bras.

-Aiko tu m’as fait tellement peur ! Ne pars plus comme ça sans prévenir c’est compris ? J’ai crus que… que…

Il me regarde sans comprendre, sa tête penchée sur le côté, puis me donne une léchouille. Je ne pense pas qu’il ait saisie ce qu’il s’était passé. Tant pis, au moins il n’a rien.

Nous retournons à nos affaires avec Ambroise et Rouchon.

-Je… Merci Ambroise de m’avoir aidé à chercher Aiko. Si quelque chose lui était arrivé je…

Ma voix se perd dans le nœud qui m’enserre la gorge. Je ne dois plus y penser, tout va bien. Je repense à notre conversation avant cette frayeur, sur le fait qu’Ambroise m’avait demandé si moi aussi je voulais chercher l’origine des étoiles. Le rouge me monte aux joues quand une idée me traverse l’esprit.

- Est-ce que… est-ce que tu voudrais lire ce que j’ai écris ?

Je m’empourpre parfaitement.

- Ce n’est qu’un brouillon pour l’instant hein ! Tout est décousu, il n’y a que des scènes par-ci par-là ce n’est pas grand-chose !