Il montait des allées du parc une rumeur chaleureuse – des éclats de voix qui portaient plus haut que le bruissement des feuilles et celui du ruisseau et des bourdonnements des bestioles qu'on n'apercevait pas. La plupart des Pokémons de la réserve semblaient s'être réfugiés à l'ombre des buissons et des tanières – les rayons du soleil, qui perçaient parfois entre deux cimes, créaient des flaques brûlantes au cœur desquelles il était presque pénible de s'aventurer. Il s'agissait d'éviter les halos de lumière comme, enfants, on évitait une dalle sur deux en prétextant qu'un Kaiminus viendrait nous croquer le pied au moindre échec. C'était une question de survie – du moins, c'est ainsi que Cael l'aurait présenté, si on lui avait demandé de justifier de tous les détours qu'il effectuait pour esquiver les mares solaires qui éclataient sur le chemin.

Les cheveux dissimulés sous une casquette, visière sur la nuque, il croyait encore en la possibilité d'un anonymat qui n'avait pas encore été vendu. Bouteille d'eau à la main, il posait sur les alentours un regard aux paupières plissées – même protégés par une paire de lunettes de soleil un peu trop chère, ses prunelles étaient trop claires pour supporter la lumière vive de l'été qu'il aimait pourtant. À n'en pas douter, Cael était un enfant estival – l'hiver l'ennuyait et le rendait un peu morose. Il aimait comme le monde revenait à la vie comme les beaux jours se levaient sur la région en chassant la neige et le froid. Mais il devait se rendre à l'évidence : peut-être qu'il aimait finalement moins l'été que le printemps, qui demeurait fleuri mais plus tiède. Plus respirable.

▬ Hécate, t'éloigne pas.

La jeune Ponyta releva la tête, mâchouillant l'herbe grasse qu'elle s'en était allée croquer sur le bord du chemin. Il avait hésité, plus d'une fois, à la rappeler dans sa Pokéball – parce qu'elle semblait souffrir de la chaleur, elle aussi, bien qu'il tâchait de l'abreuver régulièrement, et qu'elle s'en allait de toute façon trotter jusqu'au ruisseau sitôt qu'elle l'entendait s'écouler non plus. Il n'avait pas pu s'y résoudre – il la préférait libre d'aller et venir à sa guise ; elle avait trop connu la liberté des bois pour qu'il se risque à l'enfermer de trop.
Et le voilà qui s'égarait dans ses pensées – tiens, elle a grandi, non ? Elle était plus petite, avant... Faut dire, elle a bien repris du poil de la bête, et puis... et puis, elle n'a jamais autant mangé que ces dernières semaines ; est-ce que c'est un problème ? Je la gâte trop, peut-être ? Je devrais peut-être moins céder à ses caprices, mais bon, faut dire, elle fait la tête quand je dis non ; comment ça s'éduque un Ponyta ? Pas comme un Voltoutou, si ? On peut lui apprendre à faire des tours aussi ? Ça fait des sauts dans les cerceaux des Ponyta ? – et, tandis qu'il n'avait d'yeux que pour Hécate, ce fut la deuxième camarade qui s'éloigna. Au grand galop, pourrait-on dire – vive et rapide, la Feunnec disparut des radars du jeune Hogan avant qu'il n'ait eu le temps de prononcer le moindre mot.

▬ Hest... Myla !

Il pressa le pas – il en oublia même qu'il mourrait de chaud, dans ses jeans et son t-shirt fin aux nuances vives (anonyme mais jamais bien discret, jamais trop monsieur tout le monde, il avait toujours l'air de s'être échappé d'un défilé qui aurait vanté criard et psychédélique comme thématique – Cael était une collection entière de néons clignotants à lui tout seul, définitivement) et se mit à courir dans les allées. Finit, de craindre les flaques de soleil, pas le temps pour les détours – Arceus seul savait de quels gens de catastrophes la renarde pouvait bien être capable.

▬ ATTENTI–

Non.

Le choc fut on ne peut plus rude – son épaule le lança brièvement (parce que sous la hanse de sa bandoulière s'étalait déjà un hématome presque noir qu'il s'était fait trois jours auparavant à force de trop de reprises d'une même scène) et il lui fallut puiser dans toutes ses capacités d'équilibre pour ne pas tomber.
Pire, pour ne pas laisser tomber celle qu'il venait d'allègrement bousculer.
(Et ça, pour une bousculade... Pour sûr, c'en était une.)

▬ Je, oh, wow– Je– Vous allez bien ? C'est ok ?

Une main refermée sur son avant-bras, l'autre posée quelque part dans son dos (sa bouteille s'en était allée rouler plus loin dans la poussière), il ne libéra pas tout de suite sa victime – un peu sonné ; il craignait presque qu'en la lâchant elle ne s'écroule à retardement.

▬ Je– Excusez-moi, j'ai– Vous n'avez rien ? Rien de cassé ?

Et, malgré les hésitations précipitées dans sa voix, il demeurait étrangement paisible – prêt à rire de sa maladresse, sitôt qu'il serait rassuré de l'état de son interlocutrice.
Clairement... C'était loin d'être une première, pour le jeune Cael Hogan, ce genre de situation ridicule. Et n'importe qui l'aurait deviné – ce type portait très clairement les inscriptions « désastre ambulant » sur son front.

Assimilation des informations – en cours de chargement.
Erreur quatre cent quatre.
caelisaacsawyerhogan.exe ne répond plus.

Son sourire s'était effacé, au profit d'une expression de stupeur muette – il observait, confus, sa victime du jour, et son trouble n'avait d'égal que le fil tout à fait linéaire du discours de la nana. Non pas qu'il interrogeait brusquement sa santé mentale – celle de la fille –, il n'aurait jamais osé – jamais –, mais, quand même... Quand même.
Ses mains la libérèrent enfin – à voir l'énergie de laquelle elle débordait, il ne s'inquiétait plus trop de savoir si elle avait encaissé le choc. À moins qu'il fut responsable des neurones qui avaient l'air d'avoir disjonctés...

Il jeta un coup d’œil rapide aux alentours et, évidemment, tous les regards des passants s'étaient posés sur eux. Il réajusta sa casquette en inclinant la tête, peu désireux de voir son anonymat levé si tôt – et puis, comme il repassait vaguement le discours insensé de l'autre dans ses pensées, il cligna des yeux, comme pris au dépourvu.

▬ Un Feunnec shiny ?

Il avait déjà oublié – c'était pour ça précisément qu'il courait.

▬ Un p'tit machin vert et rose, là ? Tu l'as vu ? Il allait où ?

Est-ce que c'était vraiment tout ce qu'il avait relevé, dans la tirade excitée de l'autre pile électrique ? Oui. À la trappe, les remontrances et autres détails égarés dans les mots – son propre esprit avait finalement retrouvé son fil rouge, et il ne comptait plus le laisser lui échap...

Oh, tiens, un Vortente, s'étonna-t-il en silence lorsqu'il vit la bestiole qui s'approchait d'eux, fixant leurs poches et son sac. Il avait l’œil quémandeur et gourmand, qui voguait des potentiels casse-dalle dissimulés à leurs visages. Et, comme affecté par la non-réaction des dresseurs, il s'improvisa danseur, ondulant les longues feuilles qui lui servaient de bras comme il avait sans doute vu un humain le faire un jour, flottant au dessus de la poussière de l'allée.

▬ Ça mange quoi ces bestioles, tu crois ? Tu crois qu'il pourrait te gober toi ?

... Est-ce que c'était vraiment une question normale à poser à une inconnu rencontrée approximativement une minute et quarante-huit secondes plus tôt ? Probablement pas.

Est-ce que Cael était de toute façon très au fait des normes applicables à la vie en société ?
Carrément pas.

Les bras croisés, le sourcil haussé, Cael ne pouvait qu'observer le petit bout de femme qui s'agitait en tous sens, les gestes presque aussi désordonnés que ses discours. Elle lui indiquait un arbre, un étang, le vide ou un passant, s'adressait à lui sans le regarder et...
Oui, Cael avait oublié un détail important, qui lui revint brusquement.

Il venait allègrement de demander sa direction à une aveugle.
Détail, oui, et pourtant elle avait dû le répéter approximativement dix-huit fois depuis qu'il l'avait bousculée. Concentration sur vingt ; le jeune Hogan ne pouvait que constater l'étendue de sa bêtise – la sienne, ou celle de la nana, allez savoir –, grimace légère sur les traits et consternation palpable.
Bien...
Et maintenant ?

▬ Euh, non, par contre le Feunnec il… Quoi ? Mais– Hein ? Non mais je parle pas du– Mais j'essaie pas de– Mais non– Je– HEY. MOI AUSSI JE PEUX GUEUL–

Non.
(Non, Cael, oublie – t'auras jamais l'occasion d'en placer une.)

Il ne pouvait que se contenter d'observer, et d'attendre que l'ouragan passe – si tant est qu'il passerait un jour.
On l'avait souvent vu d'un mauvais œil, plus jeune, parce qu'il était trop agité, trop impulsif et trop spontané – il songeait désormais qu'il aurait bien aimé les voir, ses détracteurs, face à une nana comme celle qui continuait de gueuler plus fort que lui.
Peut-être qu'on lui aurait foutu la paix – Cael n'était finalement pas si pire.

▬ … Hein ?

(Ah !
Ça y est, elle te regarde !
… T'as rien compris, toi, pas vrai ?)

▬ … Mais j'ai pas– Je savais pas que tu– Que–

(Laisse tomber.
Elle regarde déjà ailleurs.
Et, conseil d'ami, tu devrais faire pareil.)

Ce ne fut, finalement, pas si nécessaire – le banc de Froussardine, si agacées que les bestioles aient pu être (ou juste affamées, qui sait ?), venait de décamper. À défaut de faire fuir les Pokémons agressifs qui se plaçaient sur leur route, tous les regards des passants, eux, par contre, étaient irrémédiablement attirés dans leur direction, forçant Cael à baisser la tête.
Peut-être que lui aussi, il aurait dû décamper, tant qu'il en était encore temps...

À la vérité, il esquissa bien un ou deux pas en arrière – mais l'autre, conquérante, revenait déjà à la charge de son côté.
Trop tard...

▬ … Non mais… C'est bon, t'as fini de gueuler ? J'peux en placer une ? J'peux parler pendant plus de trois secondes d'affilée ou tu vas encore trouver un truc à hurler histoire d'attirer encore plus l'attention sur nous ?

Agacement ?
Presque.
Pas tout à fait.
Cael n'était pas vraiment habitué à être le plus calme d'un duo. C'était lui qu'on recadrait allègrement, la plupart du temps – comme on faisait des remontrances à un enfant.
Il réalisait peut-être à peine tout ce qu'il avait parfois pu être insupportable pour son entourage qui le portait à bout de bras.

(Pardon, papa ;
pardon, les collègues.)

▬ … Ok, bon, le Feunnec, il est pas à capturer, c'est l'mien, fin la mienne, mais j'l'ai récupérée y'a pas longtemps et dès que j'la lâche du regard elle décampe à l'autre bout du monde et… Bref, non, j'sais pas où elle est, mais puisque t'es là tu vas m'aider.

Il ne lui laissa pas le choix – le poignet saisi, et quelques mètres parcourus plus tard, il s'immobilisa brusquement.
Il venait de réaliser son oubli, pour la deuxième fois.

▬ … Attends, mais, au final, t'es aveugle ou tu l'es pas ? COMMENT t'as vu le Feunnec ? Je– …Wow, je comprends plus rien, c'est quoi l'embrouille ?

(Ah.
Donc, t'as vraiment rien compris.)

Tes yeux s'étonnent encore – et, plus elle parle, plus c'est toi qui plonges dans la confusion. Tu ne comprends pas – les pièces du puzzle s'assemblent de travers, c'est un peu comme si tu avais mélangé, par mégarde, les morceaux de trois boîtes différentes. À mille pièces chacune, t'es pas bien certain d'avoir la patience de les trier – alors, comme tu n'arrives plus à filtrer les informations, ni à déceler lesquelles comptes vraiment, tu te contentes de la fixer. Hébété – les prunelles presque aussi vides que celles d'un Magicarpe échoué depuis la semaine passée sur la baie des des Port-Coralais. Tu loupes encore les indices, pourtant pas si dissimulés, qu'elle dissémine au gré de ses élucubrations – peut-être parce que, malgré toi, tu te préoccupes souvent un peu plus de toi-même que des autres.
Tu réfléchis déjà trop de travers – comment pourrais-tu suivre la cadence des dérives de tous ceux qui t'entourent ?

Tu libères son poignet, contraint par les œillades qui vous effleurent – tu es un homme, et elle est une femme dont la voix porte trop fort et trop loin. Les passants se font des idées, marmonnent à voix basse et puis s'esquivent, comme l'esclandre ne se poursuit pas. Toi… Toi, tu soupires, et tu jettes un regard à l'heure affichée sur l'écran verrouillé de ton téléphone portable.
Myla. Myla te revient à l'esprit – ta priorité.
Elle, elle s'en moque bien, que la p'tite nana soit aveugle ou pas – et puis toi aussi, finalement, tout compte fait. Tu pourrais bien la laisser là ; au pire, si elle est vraiment aveugle, elle ne te verra pas t'en aller, pas vrai ?

Ah.
Non.
Elle n'a pas perdu le Nord – pas oublié son obsession que tu ne comprends pas. Elle te regardait fixement, mais elle parlait ne plus te voir, brusquement. Tes prunelles effleurent le Korillon qui volette paisiblement, plus loin, et s'en reviennent sur sa propriétaire.
Tu commences à saisir...?

▬ … Mais comment tu sais que c'était un putain de chromat... Oh, puis j'm'en fous, débrouille-toi.

Non, toujours pas – et t'as même fini par abandonner l'idée de comprendre, l'idée de réfléchir. Tu les détestes, pas vrai ? Toutes ces choses qui t'échappent. Toutes ces choses qui te rendent turbulent – ces frustrations qui s'accumulent et qui, souvent, faisaient brûler de rage l'enfant aux émotions démesurées que t'étais. Trop fragile, trop sensible, trop tout mais pas assez de ce que les adultes attendaient.
C'est pour ça que t'as tout lâché – toi, t'as préféré la comédie à la vraie vie, les costumes et les décors plutôt que le triste carrousel du quotidien où tu n'avais pas ta place.
On t'a dit que t'étais différent – alors tu l'es devenu.
Mais tu n'as jamais été plus comme eux qu'aujourd'hui – toi aussi tu t'ennuies des débordements d'une autre alors que toi, toi t'aurais dû être le premier à en rire plutôt que de condamner.
(À quel moment t'es devenu gris ?)

▬ … Mais tu peux quand même venir, si tu veux.

Tu lui tends la main – réflexe stupide, puisqu'il paraît (il paraît.) qu'elle ne peut pas te voir. T'as même pas tout à fait le temps d'y songer – l'idée t'effleure à peine l'esprit en vérité, qu'une ombre s'installe au tableau. Une mère de famille, morveux au bout du bras et l'adolescente renfrognée dans le dos – l'air sévère, deux prunelles d'acier qu'elle pose sur toi (sans te reconnaître, étonnant, et pour une fois tu te dis que ça t'aurait peut-être sauvé) puis qui s'attendrissent tandis qu'elle pose une main conciliante sur l'épaule de ton interlocutrice.

▬ Excusez-moi, est-ce que cet homme vous importune ?

Allons donc...
Tu t'es moqué du monde, et voici comme le monde s'amuse à te le rendre – mais tu te tais. Tu sais, trop bien, que tu n'as pas ton mot à dire – qu'on ne t'écoutera pas. Que ce n'est pas à toi de parler, pas toi qu'on entendra. On t'a fait passé mille fois pour tout ce que tu n'es pas – ce que tu ne seras jamais.
Si elle savait...
Mais elle ne sait pas.
Alors tu te tais – alors t'attends.

Toute ton attention brusquement captivée par ta petite Feunnec dont la tête vient d'émerger d'un buisson et qui te fixe. Les muscles bandés, le ventre à terre.
Prête à décamper de nouveau.

▬ Elle est là...

...
Et toi, tu viens de le dire à voix haute.

...
L'air dangereux ?
S'il avait été dans une autre situation, Cael aurait ri – ou claqué son front de la paume de sa main. Pour cette fois, et parce qu'il n'était visiblement pas en position de supériorité, il se contenta d'observer la petite brune, confus, les lèvres entrouvertes dans une protestation qui ne vint pas. Hécate, à ses côtés, assistait à la scène sans vraiment en saisir toutes les subtilités – c'est qu'ils étaient compliqués, ces humains, avec leurs grands mots, aussi… – et commençait à s'impatienter. Elle piaffait, son regard coulant de son dresseur à sa fugueuse. Non pas qu'elle appréciait particulièrement la petite Feunnec, qui volait un peu trop de l'attention de Cael à son goût – la Ponyta avait quelque chose du syndrome de l'enfant unique, dira-t-on – mais elle savait au moins que lui, il y tenait.
Enfin… Visiblement pas tant que ça, puisqu'une humaine le retenait (depuis trop longtemps).

Quoiqu'il avait fini par s'en détourner – il avait finalement remarqué la petite boule de poils verte qui se cachait dans les fourrés (pas comme si Hécate essayait d'attirer son attention dessus depuis approximativement dix minutes). Et, brusquement, il n'avait plus d'yeux que pour elle.
(C'était bien la veine du poney.)
Et… Ô, désastre.
La brune, de nouveau, venait d'hurler (savait-elle faire quoique ce soit d'autre dans sa vie ?) et Myla, elle, s'était aussitôt volatis– Ah. Non.
Cael avait eu le réflexe de se saisir de sa Pokéball pour la rappeler, et le canidé n'avait pas été assez rapide pour échapper au faisceau qui l'avait capturée.
Au soupir qui s'échappa d'entre les lèvres du jeune acteur, on aurait pu doubler un cri de joie (et ajouter un écran de victoire digne d'un boss final. Oui.)

▬ Bon sang… T'as pas fini de gueuler, toi ?

Il avait encore failli perdre Myla, et c'était essentiellement de sa faute – tout du moins, c'était ainsi qu'il raisonnait à cet instant précis, passablement agacé (ses intonations, ponctuées d'un claquement de langue, en témoignaient).
Fort heureusement pour lui, la femme qui s'était inquiétée de la situation s'en était déjà allée – sinon, il ne s'en serait jamais aussi bien tiré.

▬ Bon… J'veux bien te la montrer, mais faut que t'arrêtes d'hurler pour tout et n'importe quoi, sinon elle va encore se barrer et j'ai pas envie de lui courir après toute la journée, 'kay ? Tu gueules encore une fois, j'la rentre et j'me casse.

(On [l']avait connu plus diplomate.)

Il pressa le mécanisme de la Pokéball qu'il n'avait pas lâché et, sitôt que la Feunnec apparut, déjà prête à déguerpir, Cael la prit dans ses bras pour avorter sa tentative de fuite. Elle se débattit quelques instants puis, constatant que ses efforts seraient vains, glapit (contrariée) et s'immobilisa.

▬ Là… Elle s'appelle Myla. Ou Hestia. Myla… Bref.

Il allait finir par passer pour un voleur de Pokémon.
(Il n'arrangeait vraiment pas son cas).

Effort notable – la nana avait baissé de quelques (nombreux) octaves. De l'hystérie au murmure – Cael se serait presque demandé s'il avait vraiment, en face de lui, la même brunette qu'une poignée de secondes auparavant. Bon, elle avait bien hurlé le nom de son Korillon, soit, mais elle s'était excusée, et puis calmée. Faute avouée…
Myla, les oreilles agitées – tantôt dressées sur sa petite tête verte, tandis qu'elle posait sur le monde qui l'entourait un regard curieux ; tantôt couchées en arrière quand l'autre approchait sa main, méfiante mais pas foncièrement hostile – semblait rêver de tout, sauf de la situation dans laquelle elle se trouvait présentement.
Tout, plutôt qu'être ici maintenant.
(Cael la comprenait, un peu : lui non plus n'aurait pas aimé être à sa place.)

Enfin…
La petite Feunnec finit par sembler plus à l'aise – comme si, au fil des secondes, elle avait compris que l'humaine (si étrange qu'elle soit) ne représentait pas une menace, et qu'elle avait décidé de profiter de des flatteries qu'on lui offrait.
(Cette renarde avait toujours su choisir ce qui servait ses intérêts.)

▬ Une pho… Quoi ? Oh, euh…

…
Attendez.
Depuis quand elle y voyait de nouveau, elle ?

▬ Non mais pour vrai, comment tu…

À cet instant précis, ses prunelles accrochèrent le Korillon qui voletait paisiblement au dessus de la tête de sa dresseuse. Et puis, il y eu comme un début de tableau cohérent qui s'assembla dans ses idées – parce qu'il se rappela comme ses gestes étaient devenus désordonnés quand le Pokémon s'était éloigné, et comme son regard s'était enfin fixé lorsqu'il était revenu dans leur direction.
Était-il possible que...?

▬ Eh, attends, t'es photographe Pokémon ?

(Ses pensées s'en étaient déjà allées voguer plus loin, dans l'océan des possibles.)

▬ C'est pour ça, ton kink sur les chromatiques, là ?

Le choix du mot était sans doute un peu fort – mais c'était quand même qu'elle avait prononcé le mot shiny approximativement trois fois par vingt secondes depuis qu'ils s'étaient heurtés.

▬ Ok, ok, pourquoi pas, mais j'garantis pas qu'elle va tenir en place… Et, euh, arrête de m'appeler monsieur, j'suis pas si vieux… J'm'appelle Cael.

Était-ce bien prudent ?
Étant donné qu'elle l'avait potentiellement vu et qu'elle ne l'avait pas reconnu, il était prêt à prendre le risque.

▬ Tu veux qu'on fasse ça où ? Y'a des p'tits coins plus tranquilles au parc, s'tu veux, plutôt jolis côté décor, pis un peu plus intimes aussi.

Non, il n'était pas en train de lui faire d'avances.
(La joueuse, par contre, s'est beaucoup amusée sur ce dernier dialogue.)

Elle s'était remise à crier. Évidemment. Cael avait brièvement entretenu l'espoir que la petite brune soit capable de contrôle et de retenue – il s'était visiblement fourvoyé. Surprise, la petite Feunnec dans ses bras s'était agitée, soustraite aux flatteries de l'inconnue, auxquelles elle s'était une nouvelle fois abandonnée à la première occasion – cette bestiole n'avait, véritablement, que bien peu de volonté, et sa contrariété ne résistait jamais à quelques caresses entre les deux oreilles.
(On n'aurait pas pu en dire autant d'Hécate, qui commençait à s'impatienter, fort agacée de n'être pas au centre des attentions – dire qu'on lui préférait une boule de poils verte.)

▬ Ok, Lonnie, donc… C'est joli. Et y'a sûrement pas de politique qui s'appelle comme ça.

Sourire en coin, fossette à droite – elle ne le remettait pas, et il n'irait pas s'en plaindre. Qu'elle lui trouve (invente) un homonyme dans le Ministère de l'enseignement, tant qu'à faire, ça l'arrangeait. De toute façon, elle était déjà passée à autre chose – et, en toute honnêteté, lui aussi.
Les prunelles portées aux alentours, ils s'étaient mis en tête de trouver l'endroit parfait pour leurs futurs ébats photographiques. Cadre intime, coin de verdure charmant (presque romantique), petite marre de soleil qui faisait danser sur les peaux des jeux d'ombres et de lumières alléchants.
Parfait pour l'activité à laquelle ils allaient bientôt s'adonner.

▬ Ok, ok, calme-toi, sinon elle va se barrer dès que j'vais la poser ! …L'arbre, du coup ?

Sitôt que les pattes de la renarde frolêrent l'herbe, elle fit mine de décamper – elle trouva en vérité refuge sous l'une des racines proéminentes de l'arbre élu, ne laissant dépasser de l'autre côté que sa tête et ses pattes avant. Ses griffes fouillaient la terre meuble, et Cael ne pu s'empêcher de grimacer à l'idée de toutes les saletés que sa fourrure s'empressait d'amasser.
Lui s'écarta, gardant un œil sur la petite bestiole, de crainte qu'elle ne soit saisie d'une nouvelle envie soudaine d'aller visiter le reste du parc sans son dresseur.
(Hécate, elle, continuait de piaffer dans le dos des deux bipèdes – qui ne la calculaient décidément plus du tout.)

▬ Et donc, toi, tu bosses comment ? Fin genre, t'es employée pour un journal, un magazine ou quoi, ou t'es genre en indé ? T'as un Insta ou quoi, que j'regarde un peu c'que tu fais ?

Et pour que j'te fasse un p'tit coup de pub au passage – mais ça, il se gardait bien d'en parler.