J'avance, dans les allées du parc que j'ai si souvent fréquentées, à l'époque où je vivais encore à Sunyra. Rien n'a changé – les saisons ont passé mais l'été a trouvé le moyen de conquérir, encore et toujours, les verdures brûlées par le givre de l'hiver. Ce sont les mêmes chemins de terre, les mêmes rires dans le lointain, la même sérénité qui règne en ces lieux. Le même bourdonnement des insectes et celui de la ville qui me parvient encore, des fins fonds du sentier boisé. Rhapsodie est à mes côtés, paisible et comme en terrain conquis.
Il y a quelque chose de nostalgique à me trouver là, rien qu'avec lui. Comme au début...

Comme lorsque je suis arrivé ici, à Lumiris. Comme lorsqu'il n'était encore qu'un Évoli ; comme lorsqu'il a finalement évolué. Nous étions toujours deux – inséparables. Notre lien est particulier et différent – et si tous mes compagnons de route ont ce quelque chose à mes yeux qui les rend important, Rhapsodie c'est encore différent.
Il est la pièce maîtresse de l'échiquier de ma vie – celui qui, par sa simple présence, m'a donné une raison de continuer.
Parce que nous étions dépendants l'un de l'autre, et que notre raison ne tenait qu'au fil de celle de l'autre.
Si je disparais, que deviendra-t-il sans moi ?

Cette simple idée, qui me terrifie, m'a cent fois donné la force d'avancer. De rester en vie. Si ce n'avait pas toujours été pour moi – ç'avait au moins été pour lui. Pour lui au nom du monde entier.

Rien n'avait changé – le monde avait continué de tourner sans accroc dans son petit manège infernal. Et moi, et nous… Je crois que nous avions grandi. Je n'étais pourtant rien, je n'étais pourtant personne – j'avais si longtemps regarder les grands comme Kei, comme Lise ou même comme Lauriane me précéder, marchant si loin devant moi que j'avais fini par les perdre de vue. J'étais resté sur le bas côté de mon histoire accidentée…

Pendant près d'une année entière, j'avais nourri de la rancœur à l'égard du monde pour ce temps qu'on m'avait volé. Sans réaliser tout à fait que ce temps, c'était ma colère qui me l'avait arraché. Et ma terreur – et les tourments que j'avais laissés me ronger l'âme. Trop occupé à fuir… J'avais laissé ces mois s'égrener entre mes doigts comme du sable fin ou de l'eau claire que mes paumes ne suffisaient pas à retenir.

Imbécile...
Je m'étais persuadé d'être prisonnier et, de fait, j'étais devenu mon propre géôlier – mon propre bourreau d'infortune. J'avais cherché tous les frissons, toutes les adrénalines, j'avais voulu trembler. Je m'étais mis à rêver… À rêver si haut que j'avais dû prier les cieux qu'ils ne me condamnent pas d'oser.
J'avais tendu la main dans l'espoir d'effleurer un coin de ciel bleu ou le bord d'une étoile…

Et demain… Demain.
Demain, mon rêve insensé devenait réalité.
Demain, j'entamais une nouvelle page de ce récit inachevé…

Demain, je devenais ce que j'avais toujours cru que je n'aurais jamais les épaules de devenir. Un champion d'arène. Un prétendu expert de son type, un prétendu stratège, un prétendu combattant émérite.
Je n'étais toujours pas certain de mériter ce titre auquel je m'étais accroché par désir d'apporter quelque chose au monde qui m'entourait, plus encore que par envie de porter un nom qui ne me seyait pas si bien qu'il allait à d'autres.

Je n'avais jamais été en quête effrénée de victoire. Je m'étais simplement jeté à corps perdu dans cette croisade insensée à l'encontre de mes ouragans, espérant que d'aller jusqu'au bout de ces projets vagues me suffirait. J'avais trouvé, dans ces combats que je menais aux côtés de mes Pokémon, un quelque chose d'initiatique. C'était différent du froid mordant et de la survie brute – mais j'avais trouvé du sens à ce que je faisais.

J'avais goûté à l'amertume des défaites et à l'adrénaline de la victoire ; j'avais tremblé quand mes Pokémon tombaient et serré les poings quand ils se relevaient. Leur audace, leur courage, leur force et, par dessus tout, leur confiance avaient ravivé cette flamme qu'il me manquait. Ces cendres que je croyais éteintes… avaient repris.

Et leur incandescence chaleureuse, aujourd'hui, consumait son foyer quelque part entre mes côtes.
J'espérais qu'elles ne seraient plus jamais soufflées.