J'inspire, le souffle rendu court par l'effort de l'escalade dans les chemins escarpés, encore couverts de neige sur les sommets. Emmitouflé dans plus de couches de vêtements que je n'ai l'habitude d'en porter, j'ai l'impression d'y cuire à petit feu – de la sueur coule sur mon front que je prends le temps d'essuyer d'un revers de la main, en marquant une pause sur détour plat qui précède une énième montée.

« P'pa, attends-moi ! »

Il s'immobilise et se tourne vers moi en riant – je ne le discerne qu'à contre-jour, ses traits effacés dans les ombres, mais je devine sur ses lèvres ce rictus familier dont j'ai hérité. Celui qui crâne et qui défie en silence – alors, par revanche, je me ranime et le rattrape,
en asphyxie.

« P'tain... Maman sait que t'essaies de me tuer ?
— C'est carrément elle qui a eu l'idée.
— J'aurais dû m'en douter... »

Il se marre, reprend l'escalade et je le suis, tâchant de marcher dans ses pas pour ne pas louper les prises sûres. On s'immobilise une nouvelle fois, quelques minutes plus tard, sur ce que je devine être un plateau encore couvert de neige.

« La vache... »

Le paysage s'étend à perte de vue sous nos pieds – sublime. Subjugué, je ne bouge pas tout de suite – je déchiffre les imprécisions de la ville qui s'étire, des kilomètres en contrebas, et de l'horizon qui se confond presque avec le ciel.

« Au fait, c'est pas toi qui voulais un Absol ?
— Euh... Si, pourquoi ?
— Me dis pas que t'as pas regardé le Pokédex avant de partir ? »

J'esquisse un sourire penaud – piètre aventurier que je fais.

« Viens te poser ici et tiens-toi tranquille. Avec un peu de chance, on aura de la compagnie. »

J'acquiesce, pose mon sac à terre et m'installe sur un rocher plat – j'admire encore la vue, silencieux.

Boum.

Sursaut soudain – je cherche du regard la source du bruit quand d'autres coups retentissent. Les sourcils froncés, je me lève et m'avance – à l'abri d'une corniche, un... Charpenti, je crois ? est occupé à heurter la pierre à répétition. Le bruit est sourd, le Pokémon sûr de lui – il s'immobilise un instant en remarquant ma présence, lève les yeux vers moi et me dévisage. Longtemps. Un peu trop longtemps.
Et puis, visiblement satisfait de son constat, il se détourne et se remet à son labeur – sans doute vain, mais je ne suis pas bien certain d'avoir envie de me risquer à le contredire ou à le détourner de son affaire. Avec un peu de chance, il finira bien par se lasser tout seul.

« Damien ! »

Je reviens sur le plateau, sans comprendre tout de suite ce qu'il s'y passe – mon père en train d'essayer de chasser un Débugant qui s'acharne à mâchonner la toile de son sac.

« Qu'est-ce... »

J'attrape une Pokéball, la lance en direction de l'assaillant – un peu stupide, visiblement.

« Ombrage, utilise Éclat Magique sur le Débugant ! »

Feuforêve apparaît en ricanant, dessinant des arabesques dans les airs. Elle tourne autour de l'affrontement ridicule, comme si elle se demandait que faire – m'obéir ou non.
Elle disparaît.
Lorsqu'elle réapparaît, c'est pour lâcher un caillou sur la tête du Débugant déconcentré qui lève la tête vers elle – enfin, elle attaque.

Et le Débugant s'enfuit.

Ombrage récupère le caillou et disparaît de nouveau, un peu plus loin, dans un renfoncement de la roche, puis s'en retourne vers nous – sourire paisible aux lèvres.

« ... On dit merci, j'imagine ? souffle papa, presque aussi consterné que moi. »

Ouais.
Merci les caprices d'Ombrage.

On traîne encore, le temps d'une petite demi-heure – le temps de reposer nos jambes, nos souffles, de boire et de grignoter un petit quelque chose (de nous remettre de nos émotions, aussi). Cette fois, nos sacs restent près de nous – au cas où il viendrait à l'idée du Débugant de revenir les mâchouiller, s'il les a trouvés à son goût. Le soleil est déjà haut dans le ciel quand je glisse les hanses sur mes épaules et qu'on entreprend lentement la descente – le chemin semble plus escarpé que lors de l'escalade.

On discute – de tout, de rien, du travail et des cours, de l'après, de mes candidatures acceptées dans les écoles supérieures. J'ai jusqu'à juillet pour me décider – décider officiellement d'où est-ce que je m'inscris, dans quelle branche, et de si je continue à vivre avec mes parents ou non. Le champ des possibles est vaste et terrifiant – j'aimerais plutôt régresser et retaper indéfiniment ma terminale pour n'avoir jamais à choisir pour plus tard.
Avoir à tout jamais dix-huit ans, et aucune responsabilité ;
que de ne pas avoir de projet ne soit pas encore une faille condamnable et condamnée.

Je manque m'étouffer avec l'eau que j'avale lorsqu'une ombre bondit sur une corniche au dessus de nos têtes – je lève les yeux mais c'est à contre-jour. Il me faut quelques secondes pour détailler la silhouette au milieu des phosphènes qui me brûlent les yeux.

« Papa ! je murmure, de crainte d'effrayer la bête. »

L'Absol descend de sa corniche d'un seul bond, souple et silencieux. Il nous barre la route et nous fixe – l’œil paisible. J'en ai le souffle coupé – il est magnifique, et terrifiant.

« Fais attention. »

J'acquiesce sans un mot – je sais. C'est un Pokémon sauvage – imprévisible et impétueux. Mais c'est ce que j'aime, je crois – l'idée qu'à la moindre contrariété il pourrait me ravager.
J'avance, lentement – d'un pas et puis de deux, pose lentement mon sac au sol et m'accroupis, devant la bête qui s'avance à son tour mais demeure distante.

« T'es encore plus beau qu'en photo, tu sais ? »

Et terriblement hypnotisant.

Le Pokémon me fixe sans bouger, paisible. Chacun de ses muscles roule sous sa fourrure à chacun de ses mouvements – la puissance d'un canidé, l'élégance d'un félin. Il règne dans ses yeux une sérénité troublante – comme s'il n'était pas inquiété par la présence de deux étrangers sur son territoire. Comme s'il sentait que nous n'étions pas un danger – et qu'il avait choisi, en retour, de n'en être pas un à notre encontre.

« C'est vraiment toi, le fameux porte-malheur dont on maudit l'existence ? »

Ce n'est rien qu'un murmure, mais le Absol incline la tête – comme s'il comprenait. La lumière joue de ses reflets sur la corne du Pokémon, fait jaillir un éclat qui m'apparaît d'or coulé, brièvement. Je fronce les sourcils mais ne m'en préoccupe pas outre-mesures – parce qu'il ne m'en laisse pas le temps, s'approche un pas en reniflant doucement.
Je ne bouge pas – j'hésite à tendre la main mais je n'ose pas.

Je sais ce que l'on raconte sur les créatures de son espèce – on les adore ou on les hait ; je crois qu'il n'existe pas d'entre-deux à leur sujet. Ils m'ont toujours fasciné – plus encore que la bêtise des hommes qui condamnent ces magnificences de Mère Nature par crainte de ce qu'ils ne peuvent contrôler. Je n'ai pas peur des désastres – je n'ai pas peur de lui.

« Tu veux bien me laisser te toucher ? »

Le Pokémon relève la tête – nouvel éclat doré qui attire un peu plus longtemps mon œil, et je réalise que sa corne n'est pas bleue comme elle devrait l'être. Le mauve est sombre, parcouru d'éclats d'or et de cuivre sous le soleil du zénith. Je demeure silencieux – soufflé, confus. Le regard plongé dans celui de l'Absol de nouveau immobile.

Il est probable – très probable – que ma joueuse soit aussi agacée par les échecs de capture qui s'enchaînent en modération que je suis fasciné par la bestiole. Et ce, malgré ses camarades, Hazel, Kiana et Jenna, qui lui rappellent avec compassion qu'au pire, au troisième échec, elle débloquera un trophée collector pour son profil – le trophée de la malchance ! Manquerait plus qu'elle épuise son stock de Pokéballs et de laits sur cet Absol, tiens. Elle est un peu ennuyée pour continuer la narration – elle pourrait me plonger dans une longue introspection, mais elle a hâte d'en finir. Elle aimerait bien, m'voyez, pouvoir citer ce Pokémon dans ses autres RPs. Par exemple, dans le RP avec Flora ! Je vais devoir faire genre que je me rappelle soudainement de l'existence d'Eden – oui, c'est bien comme ça que ce Pokémon va s'appeler – ce qui est un peu ridicule. Genre, sympa pour Eden, quoi.
Je vais m'en rappeler brusquement, comme je me souviendrais de rajouter un paquet de pâtes sur ma liste de courses.
Déso pas déso, Eden, t'iras te plaindre aux dés – le bot est-il toujours cassé, d'ailleurs ? Ce serait l'occasion d'aller vérifier – plus tard, après.

Nous disions donc – un Absol chromatique et capricieux ; enfin plutôt des dés, mais je ne suis pas censé le savoir. Je ne le sais que quand ma joueuse le veut bien – donc quand ses captures échouent, ou quand Lyanora a trop sniffé son miel avant d'écrire ses apparitions.

Je pourrais décrire pendant trois paragraphes encore la façon dont le Absol et moi nous observons sans bouger, mais j'aurais l'air un peu bête – et puis mon père finirait par s'ennuyer. Les lecteurs aussi – enfin, y a-t'il vraiment quiconque qui lit les RPs capture ? Si quelqu'un lit ceci, qu'il se manifeste en m'écrivant « chaussette ».
Bref, finissons-en ;

et pitié,
que celle-ci soit la bonne,

histoire que ce post ne soit qu'une parenthèse, et qu'on reprenne le fil dès celui d'après,
comme si de rien n'était.

… Bon. Il paraît au moins que ma joueuse a gagné un trophée. Même si c’était pas vraiment ce qu’elle espérait. Disons qu’elle espère sincèrement que cette malchance touche à sa fin. Du genre jamais deux sans trois mais la quatrième sera la bonne, m’voyez ? Absol et moi sommes figés dans cet espace-temps étrange durant lequel nous attendons que le hasard de la modération nous épargne. Histoire qu’on puisse passer à autre chose. Heureusement qu’au final Hazel va nous vendre un œuf de Bébécaille hein — sinon il aurait fallu que je reste ici et qu’on continue le massacre. Mais je crois qu’elle a hâte de terminer ce sujet elle aussi.

C’est qu’au réveil, vous voyez, elle s’est saisie de son téléphone comme tous les matins — pour jeter un coup d’œil à l’heure, et puis regarder si elle avait, à tout hasard, de nouveaux messages. Elle avait un message d’Izaiah qui à répondu à notre petite aventure à Artiesta, ça l’a beaucoup faire sourire dans son brouillard ensommeillé.
Et puis, elle avait la notification d’une réponse à sa capture — elle a espéré. Terriblement espéré. Jusqu’à l’instant de déception lorsque la page s’est ouverte et qu’elle a constaté le nouvel échec.

Heureusement quand même que je suis Nova et que le lait Meumeu n’est pas une denrée rare pour moi. Bien qu’il file à une vitesse… Il faudra aussi racheter quelques Pokéballs, tiens. Ça devient compliqué cette affaire.

Allez.
On retente.

Suite à cet interlude comique qui a bien fait rire la modération, et un peu moins ma joueuse, je me permets de reprendre le fil de mon histoire : me voici donc accroupi sous les yeux d'un Absol au port noble, qui m'observe, paisible, et dont je commence à deviner les esquisses chromatiques sous les jeux d'ombres et de lumières de la cuvette dans laquelle nous nous trouvons.

Je tends la main, lentement – je retiens mon souffle et je sais que mon père, derrière moi, en fait de même. Pourtant il ne bouge pas – il sait comme j'ai cherché et voulu ce Pokémon plus que de raison, et comme je lui en voudrais si un mouvement brusque de sa part le faisait fuir maintenant. Main en avant, immobile, j'attends.
Les secondes en suspens le cœur au bord du vide – je crains moins qu'il m'attaque plutôt qu'il s'enfuie, et je suis presque certain que la priorité devrait être l'inverse.

Il s'approche, un pas après l'autre, renifle ma main avant de frôler mes doigts du bout de son museau. Il recule presque aussitôt en s'ébrouant, tandis que je tire de ma poche une Pokéball réduite qui reprend forme dans ma paume.

« Tu veux bien rester, dis ? »

Je pose presque la ball, plus que je ne la lance, sur le nez de l'Absol – la balle tombe et s'agite, une fois, deux,
trois
et plus rien.
Le cliquetis familier, et Absol est capturé.

(C'est bien plus facile en RP qu'en hors jeu, pas vrai ?)

Je ramasse la balle et me redresse, confus – pas certain d'y croire vraiment.

« Je... Il vient vraiment ce se passer ce que je crois qu'il vient de se passer ?
— Je crois bien, oui. »

J'entends à sa voix qu'il reprend tout juste son souffle – je lève les yeux vers lui tandis qu'il me rejoint, et dans ses yeux je déchiffre le reflet de mon sourire. C'est plus fort que moi – j'ai capturé un Absol.
J'ai capturé Absol.

« Tu vas l'appeler comment ?
— Eden. »

Aucune hésitation – le nom, je l'ai choisi il y a longtemps déjà.
Le silence se prolonge – puis mon père me pose une main sur l'épaule, tandis que je range la Pokéball nouvellement occupée dans mon sac à dos.

« On redescend ?
— Avec plaisir. Je suis sûr que maman sera ravie de voir que tu as failli à ta tâche de me perdre ici. »

Il s'esclaffe et mon rire en écho,
étincelle fébrile d'un semblant de bonheur.