Contexte du forum et présentation du personnage :

NOTE IMPORTANTE A LIRE :

Des flashs en rafale, éblouissants pour ses yeux fatigués. Des cernes noirs marqués témoignaient de jours et de nuits difficiles ; pourtant, le bleu acier de ses pupilles faisait face sans ciller à la presse qui l’assaillait de toutes parts, froid et imperturbable. Le menton fièrement levé, seuls ses poignets pesaient lourds enserrés dans leurs menottes. Les cris, les accusations, les mots emmêlés qui tapaient à la porte de son cerveau le laissèrent coi, muré dans son silence, seule réponse qu’il acceptait d’apporter à ses détracteurs.
Ah ! S’ils pensaient le faire plier par ces techniques de bas-étage, ils le sous-estimaient grandement. Il avait passé la majeure partie de son enfance entre les murs de la Wammy’s House et il pouvait témoigner qu’il n’y avait pas plus machiavélique qu’un petit génie orphelin pour vous pourrir la vie. Alors la presse à scandale et ses ragots à deux balles, à côté, c’était du pipi de chat !
Il s’en sortirait.
Quoi qu’il advienne.


L’idée avait germé dans son esprit lors d’un voyage en Afrique du Sud où l’on élevait depuis des décennies une race de moutons solide à la laine bicolore, le Dorper. Cet animal était très répandu dans les pays d’Afrique pour des raisons simples : très fertile et prolifique, il produisait aussi une viande riche d’excellente qualité en se nourrissant de peu.
Inconnu en Europe ou presque, Zygote s’était alors demandé pourquoi d’autres régions du monde souffrant de la faim n’avaient pas pu faire comme les ancêtres de ces éleveurs de Dorper, et créer par hybridation une race de mouton plus performante pour parvenir à mieux nourrir leur population.

A bientôt vingt-cinq ans, l’Irlandais était devenu l’un des plus grands spécialistes ovins du monde, animant des conférences aux quatre coins du globe, tout en restant une personnalité étrangement accessible quand on connaissait son caractère naturellement renfermé. Capable de dialoguer avec les plus éminents scientifiques en génétique animale comme avec les populations les plus inaccessibles, Zachary O’Brien avait déjà bien roulé sa bosse.
Pourtant, son but ultime, celui qui lui donnait la force de se lever le matin et l’envoyait se coucher fatigué le soir était loin d’être atteint. Malgré une enfance passée en orphelinat, il avait eu la chance de pouvoir manger à sa faim tout au long de sa vie. Beaucoup –trop encore –  n’avaient pas cette chance. Et de son vivant, il comptait bien la donner à tous.
Alors il s’était replongé dans ses études, ses analyses, ses connaissances.
Puis il avait envoyé mails et courriers à tout son répertoire pour élargir son propre champ des possibles. Il avait voyagé, s’était déplacé ici et là jusqu’à se retrouver à cheval en compagnie d’une famille nomade dans les steppes du Kazakhstan. Une famille humble transhumant un grand troupeau de plusieurs centaines de têtes dans une herbe sèche et parsemée. Les mouton Edilbaev avaient une belle déclinaison de teintes d’un roux un peu sombre au plus noir des noirs et évoluaient paisiblement dans leur environnement, avalant les kilomètres au rythme des sabots des cavaliers qui veillaient sur eux.
Dans ses notes, Zygote n’avait pu s’empêcher de souligner que malgré une très grande rusticité et une digestion d’une efficience prodigieuse, les brebis restaient peu prolifiques et plutôt mal-fagotée en terme de lainage : somme toute grossière, leur laine était plus difficile à carder que dans d’autres contrées et le taux de perte  pour la fabrication de vêtements restait important.

D’un naturel réfléchis et prudent, plus fourmi que cigale dans ses investissements, il avait commencé par poser sur papiers calculs et autres estimations nécessaires à la mise en place sur le terrain d’une première expérimentation. Accompagné de toute une équipe en qui il plaçait son entière confiance, il avait pu commencer les premiers tests dans sa propre unité expérimentale au cœur du Connemara irlandais. Puis il avait délocalisé l’expérimentation, multipliant pays et conditions environnementales différentes, achetant de plus en plus de ces petits moutons pour les répartir sur les différents projets, toujours assez pour que les résultats puissent être significatifs.
Vint alors le temps de penser à l’amélioration. Rien de bien sorcier, pas même question ici d’OGM… Pourtant, ce fut le début de la fin pour le passionné qu’il était. A vouloir jouer les héros dans un monde contrôlé par l’appât du gain, toujours plus de gain, certains voyaient d’un mauvais œil ses progrès.
Il serait bientôt temps de lui arracher les ailes.
Patience, patience, pensaient-ils en se frottant les mains, tous ces détracteurs que la faim des plus démunis, de ces oubliés sans visages et sans noms, arrangeait bien.

Il poussa ses réflexions, Zygote, jusqu’aux confins de son esprit génial et infatigable ! Il en oublia parfois de manger, parfois de boire, parfois de dormir. Il s’abîma les yeux sur ses séquenceurs, s’esquinta les doigts sur ses agents mutagènes pour mieux tenter d’isoler la séquence génétique responsable de cette formidable capacité de digestion que possédait l’Edilbaev.
Il fallait aussi penser à la race à croiser, celle qui ferait le meilleur mariage, le mariage le plus stable pour créer une nouvelle souche combinant le meilleur des deux, à l’image de ce Dorper bicolore dans ses prairies arides natales africaines. Une race prolifique à la laine de bonne qualité et conservant un modèle solide. Il se tourna alors vers la France, terre d’origine de sa défunte mère, s’intéressant depuis longtemps à son programme de conservation très complet, de nombreuses races étant présentes sur le territoire.
Il porta d’abord son dévolu sur la Romane mais, elle-même issue du croisement de deux autre races, ses résultats furent trop disparates pour qu’il parvienne à tirer une population d’animaux stables aux caractéristiques similaires. Il finit par jeter son dévolu sur le mouton Charollais, qui avait le mérite de réunir les qualités recherchées même s’il n’atteignait pas l’excellence pour toutes. Ainsi naquit le Wooloo, clin d’œil au pokemon du même nom, à la laine blanche et dense mais à la peau pigmentée d’un brun cuivré, capable de se nourrir de peu et de fournir de quoi manger, boire et se vêtir à celles et ceux qui sauraient l’apprécier et l’élever.

Ainsi passèrent les années, le temps continuant de défiler de saisons en saisons et Zachary, pris au piège de ses propres intentions, ne vit pas grandir les ombres autour de lui. Il ne vit pas la taupe dans son équipe, ne surprit pas même le vol de ses données de séquençage, encore moins le premier article qui allait mettre le feu au poudre et faire éclater le scandale qui allait tout gâcher…


Certains puissants avaient vu d’un mauvais œil ce costume de héros dont l’éminent Professeur Zygote s’était affublé. Pourtant, malgré sa déchéance récente, il restait placide, image même du chêne solide battu par les vents, grinçant de souffrance, incapable de plier face à l’hostilité. De ses longues branches, il n’avait qu’une envie : les balayer tous.
Balayer cette violence verbale dont il faisait l’objet, effacer les propos injurieux qu’ils lui crachaient tous à la figure – du plus poli au plus discourtois – faire taire ce peuple d’ignorants qui se croyait plus intelligent que lui.
Loin d’être d’un naturel hautain pourtant, il s’était arrêté au milieu de cette foule bruyante, comme une vache ruminant paisiblement, la tête couverte de mouches bourdonnantes et agaçantes, son regard limpide parcourant l’assemblée, gravant dans sa mémoire le visage de chacun de ceux qui venaient le trainer un peu plus dans la boue sans savoir que c’était dans la boue qu’il avait passé ses plus belles journées d’enfance ; que c’était dans la boue qu’il se roulerait encore comme un cochon trop heureux de trouver une bauge où se rafraichir s’il y voyait là une utilité quelconque. Qu’une fois couvert de boue, on finissait méconnaissable et puant peut-être, mais qu’il suffisait d’un peu d’eau et de savon pour retrouver ses couleurs, son allure habituelle. Que la boue ne vous salissait pas éternellement, qu’elle collait simplement un peu plus longtemps sous vos ongles.
Et que dans les ténèbres l’auréolant, il brillerait plus fort de toute sa lumière. Que de cette injustice, il se relèverait plus solide, plus déterminé. Et que jamais dans son cœur ne s’éteindrait cette envie de bien, de mieux faire et surtout d’égalité des chances pour tous, indépendamment de ses origines.

Les yeux d’acier croisèrent alors un regard d’or dans un visage halé et s’y arrêtèrent un instant plus long, transmettant un message muet d’espoir et d’obstination. Une question jetée à sa figure retint son attention et enfin, il laissa son mutisme de côté pour répondre.

« J’ai fait une promesse à ce monde et je la tiendrai. »

Alors seulement, il esquissa l’ombre d’un sourire pour mieux céder à la pression sur ses chaines, pliant sa carcasse épaisse sous l’injonction de ses gardes, disparaissant derrière le verre teinté de la portière, confiant en l’avenir.
Ce combat, son combat, était loin d’être perdu d’avance.