Il y a des familles ou tout est simple, tout est fluide, tout est agréable. Des familles où les frères et sœurs s’entendent si bien qu’ils ne se prennent jamais la tête, où tout coule de source. Où les parents encouragent leurs enfants à s’envoler, à trouver leur propre voie.

Et puis, il y a la famille Kerberos.

Au commencement, il y a deux frères. Deux frères eux-mêmes poussés par leurs propres parents à donner le maximum de leur capacité. Alors, l’un des choisi une voie créative dans l’innovation et les nouvelles technologies, tandis que l’autre s’intéressa plus à la finance. Cet autre, c’est Kelsey Kerberos, ton père. Passionné depuis toujours par les chiffres, ses parents furent ravis lorsqu’il décida de se lancer dans la finance. Après tout, n’importe quel pays avait besoin de banquiers, n’est-ce pas ? Kelsey et son frère entretenaient une bonne relation mais, ils étaient souvent mis en concurrence. Et même s’ils ne s’en tinrent jamais vraiment rigueur, cette compétition aura été parfois trop loin.

Il avait vingt et un an lorsque Kelsey rencontra celle qui serait ta mère, Yulianna était une jeune femme originaire d’une autre région qui venait juste d’arriver en ville. Elle travaillait en tant que secrétaire dans les locaux de la banque pour laquelle Kelsey travaillait à ce moment-là. On ne peut pas vraiment parler d’amour fou, ton père n’a jamais été de ces gens passionnés. Il était très posé, trop posé parfois. A calculer exactement la manière dont il fallait procéder. C’est Yulianna qui, quant à elle, entrepris un rapprochement. Tu aimes à croire que tes parents s’aiment vraiment, sinon ils ne resteraient pas ensemble. Mais parfois, tu te demandes si ta mère n’avait pas simplement voulu mettre ton père dans son lit afin d’assoir sa position sociale. S’il y a de ça dans leur relation, alors tu n’es pas étonnée de voir autant de froideur entre eux.

Après s’être fréquentée pendant plusieurs mois, leur relation s’officialisa aux yeux des autres. Kelsey assumait d’être amoureux de Yulianna. Il ne fallu qu’une poignée d’année après ça pour qu’ils se marient. Mais, comme si mettre leurs fils en concurrence ne suffisait pas, la famille Kerberos eut la bonne idée de tenter de faire la même chose avec leurs belles-filles. Et ça n’était pas la meilleure idée du siècle considérant que Yulianna était de nature compétitive. Elle serait la meilleure des deux, la plus intégrée. Elle fut la première à donner naissance quelques années après leur union. Une première victoire volée aux yeux et à la barbe de sa rivale. Leur relation était polaire, une guerre froide digne des plus grands conflits mondiaux. Mais en public, elles étaient toujours diplomates, usant de figures de styles et de stratagèmes pour ne pas se faire reprendre par la belle-famille. Ce ne fonctionnait, évidemment, pas à chaque fois, mais elles s’en sortaient plutôt bien.

Tu fus donc le fruit d’une compétition qui ne pris jamais fin, bien au contraire. On aurait pu penser qu’une fois pondue, ta mère t’aurait laissé du répit en te confiant à des nourrices. Sauf que Yulianna était bien trop perfectionniste pour laisser l’éducation de celle qui lui permettrait de gagner à qui que ce soit d’autre. Tu te souviens, alors que tu avais à peine sept ans, les longs cheveux blonds, la peau d’albâtre et les yeux bleus perçant te fixant sévèrement parce que tu jouais avec une peluche au lieu de lire. Tu te souviens de cette voix dure et froide, qui roulait les R et s’abattait sur toi tel une douche froide. Alors oui, elle était aidée par une femme qui s’occupait principalement du ménage et des repas. Mais elle t’inculquait elle-même ses valeurs. Sauf qu’elle t’enfermait tellement que tu ne le supportais pas. Tu avais une âme d’indépendance qui avait pointé dès ton plus jeune âge.

L’évènement marquant de ta vie, le premier du moins, fut l’obtention de ton premier Pokémon. Offert par ton oncle et ta tante, tu avais attendus avec une impatience à peine dissimulée son éclosion. Tu n’avais aucune idée du contenu de l’œuf alors, tu fus la plus heureuse lorsqu’un petit Pichu en sorti. Tu as toujours été très connecté avec ce Pokémon, tu l’affublas d’un nom qui te sembla amusant sur le moment, Euro. Euro, c’était un mâle affectueux et super actif. Un peu comme toi, en fait. Vous vous ressembliez beaucoup. Alors, tu ne vivais que pour lui. Tu étais très attentive à son évolution et à son apprentissage, tu faisais tout avec lui. Ton parcours scolaire, quant à lui, n’était pas le plus brillant qui soit, pour le plus grand déplaisir de ta mère. Tu ne travaillais pas assez, selon elle. Tu avais perdu ton chemin en t’intéressant un peu trop à ce Pokémon. Sauf que toi, tu t’en fichais un peu d’être la meilleure. Tu en avais d’ailleurs particulièrement marre qu’on te compare à cette cousine si parfaite. Jillianne. La famille Kerberos, même après la disparition de vos grands parents, n’avais cesser de garder cet esprit de rivalité. Si les pères restaient parfois en dehors des histoires de bonnes femmes, celle-ci faisaient tout pour que leur progéniture soit la meilleure. Et grand dieu, heureusement qu’aucune des deux n’avait donner naissance à un fils. Sauf que toi, ça t’agaçait. Alors t’en es venue à détester cette cousine que tu connaissais à peine, t’en est venue à détester cette tante, cet oncle. Cette famille.

C’est au collège que ta vocation t’est venue. Un jour, t’as fait un atelier cinéma, un mauvais film tourné par des adolescents. Mais ça t’a suffi pour savoir ce que tu voulais faire. Alors tu as rejoint le club de théâtre, pris des cours avec des élèves de ta classe. Tu as demandé à prendre des cours et, ta mère y a vu une occasion de te perfectionner un peu plus. Après tout, le théâtre est un art prestigieux. Et puis, à l’école ça te permettra d’apprécier la littérature et la lecture, et peut-être de te donner de meilleures notes. Elle n’avait pas prévu que quelques années plus tard, tu lui annonces sans détour que tu voulais être actrice. Enfin bref, si tes années d’écoles furent scolairement passables, socialement tu étais la coqueluche de l’école. Les filles t’aimaient pour ton caractère positif et motivé, passionné, et les garçons étaient un peu amoureux de toi. Et toi, t’étais amoureuse de tout le monde. Tes mésaventures amoureuses ont commencé en seconde année de lycée, pendant lesquelles tu auras changer six fois de personne à aimer. Dont une fille. C’est ce qui t’a le plus perturbée, tu dois bien l’avouer. Surtout avec tes parents, avec cet univers autour de toi. Alors t’as jamais rien dis à personne, tu l’as gardé au fond de ton cœur et tu l’as souffert en silence. C’est à ce moment là que tu as développer cette protection, celle de devenir leur amie. La pire chose, si tu veux mon avis. Mais tu l’utilises toujours, et ça te conviens bien.

Puis, l’année suivante, t’as perdu Euro. Il a attrapé une maladie, quelque chose d’insoignable. Et tu l’as pleuré pendant des jours avant, des mois après. Et tu as refusé toute proposition de tes parents d’en prendre un autre. Euro n’était pas remplaçable. Il était unique. Il était ton meilleur ami, ton confident, ton partenaire. Et sa perte t’a dévastée. Tu avais pris la résolution de ne jamais plus avoir de Pokémon, de vivre sans. C’était quelques mois avant tes dix-huit ans. Avant ta majorité. Ta relation avec ta mère était de pire en pire. Tu voulais être actrice. T’en avais rien à faire de l’université, des Pokémons, de ses attentes. Tu voulais vivre pour toi. Alors, le jour de ton anniversaire, après une dispute de trop, tu pris un sac, tes économies, tes affaires les plus précieuses, quelques vêtements, et tu quittas la maison bien trop grande de tes parents. Ce jour-là, Amaelia Kerberos cessa d’exister.

Un pseudo, un alias, un nom de scène, appelez ça comme vous le souhaitez, mais tu choisis de t’appeler Celeste Sorebrek.

Ça n’a pas été facile, t’as erré pendant un moment dans les rues. T’as pris une chambre d’hôtel au début, chercher du boulot, chercher un logement, chercher à vivre. Et là, t’as été bénie par ton optimisme à tout épreuve. Même quand tu finissais par manger peu, par parfois dormir dans la rue, tu t’en sortais toujours victorieuse et avec le sourire. Alors t’en as fait des p’tits boulots. Serveuse, baby-sitters, dog-sitters, jardinière, vendeuse, animatrice, surveillante, tu jouais aussi parfois. T’as tout tenter. De façon à ce que tu puisses trouver une colocation. Tu vivais avec trois sous mais tu payais un loyer et c’était déjà un grand pas. Il t’avait fallu un an pour arriver à ça mais t’étais fière d’en être arrivée à la part toi-même. Tu commençais doucement à postuler à des castings, tout en bossant de nuit dans une épicerie ouverte 24/7. Finalement, t’as décroché un rôle de figurante plusieurs fois, rien d’extraordinaire mais là encore tu étais si fière.

Ton principal rôle, tu le décrochas l’année de tes 21 ans. Tu étais la serveuse vedette du bar fétiche d’un duo policier. On ne te voyait pas souvent mais tu faisais une apparition à chaque épisode, parfois bref. Et puis tu avais eu ta réplique culte, une réplique coup de poing en fin de saison. Tu savais que personnage pouvait être apprécié et puis, c’était un salaire récurent. Et une porte ouverte pour d’autres rôles. Jusqu’à ce que tu apprennes que la série n’était pas reconduite après la première saison. Ton cœur se brisa un peu mais tu ne perdis pas espoir, tu repris le chemin des castings.

Mais là ou les portes auraient pu s’ouvrir plus facilement, tu ne pu que te rendre à l’évidence : on ne voulait pas de toi. Mais tu continuais à insister, à te lancer. Jusqu’à l’annonce dans le journal.

« Recherche Actrice pour contrat long. Rémunération à négocier. Contrat à plein temps sur une durée minimale d’un an. Lieu de contrat : Lumiris. »

Tu ne connaissais pas cette région mais, tu avais l’impression de ne pas avancer en restant là où tu étais à cet instant précis. Alors tu postulas. On te fit passer le casting et tu fus retenue pour en savoir plus sur la mission exacte.

Tu devais garder un œil de manière anonyme sur un ancien champion sportif qui s’était dopé pour gagner. On t’avait décrit un portrait peu flatteur de ta cible. Mais le salaire était plus que correct. Beaucoup plus que correct. Et tu patinais tellement dans ton secteur que, finalement, tu te disais que c’était pas idiot de te lancer dans cette voie. On t’imposa un Pokémon ce jour-là, pour que tu te fondes dans la masse. Tu pus choisir un Laporeille, mais ton choix se fit un peu par défaut en soi.

Alors, tu montas tout une identité. Celeste Sorebrek, actrice ratée qui cherche à percer à Lumiris. Et qui bosse encore dans une épicerie 24/7 pour arrondir ses fins de mois. Parce que si elle pouvait gagner quelques sous et épargner ce qu’elle touchait avec son contrat d’acting, ça l’arrangeait. T’allais essayer de t’impliquer dans la vie autour des Pokémons dans cette région mais tu n’avais pas vraiment la motivation pour ça. Par contre, tu avais repéré quelques studios de tournages et des agences de casting. Alors, t’allais continuer de te lancer dans cette carrière. De toute manière. Tu n’abandonnerais pas.