J’imagine que je ne pouvais pas dire non. On ne disait pas non à une personne qui avait pris de si merveilleuses photos. J’étais à peine levée, je déjeunais tout juste quand j’avais vu son message et ma réponse avait été aussi simple que mon accoutrement du moment. « J’arrive ! ». Pas d’heures, pas de questions. Juste j’arrive. Il y avait bien longtemps que je souhaitais commencé à me mettre à l’œuvre, après tout, une arène ne se gagnait pas toute seule. Je le savais. Je n’avais pourtant jamais mis l’effort nécessaire à l’obtenir. Pas encore. Ce temps était révolu. Une belle époque que je laissais derrière moi, aujourd’hui j’avais mon premier combat. Je pris le temps de soigner chacune de mes Pokémons avant de partir. C’était important, et je n’avais pas le choix de passer par leur salle de jeu de toute façon. Je devais attraper Dauphine. Elle et Altesse étant mes deux seuls Pokémons capables de quelques exploits en bataille.

Autrement dit, je n’avais fait ni une ni deux, laissant un simple message à Alaric et Yul sur le coin de la table. J’étais déjà partie. En route pour Voltapolis. Là où Izaiah m’avait donné rendez-vous. Je regardai le texto, le caressant du bout du doigt. Je ne sais pas pourquoi je le chérissais. Je ne sais pas pourquoi j’avais eu envie de dire oui si rapidement. Je ne me comprenais pas toujours il faut dire. Ça faisait partie de ma vie et j’avais fini par y accorder une importance moindre. Je vivais avec simplement, j’endurais mon imprudence et ma spontanéité. Je ne les chérissais pas, elles étaient loin d’être des amies auxquelles j’aimais recourir. J’avais simplement cessé de m’opposer à elles, c’était des cousines. Des présences obligatoires  dans ma vie que je n’appréciais pas particulièrement.  Heureusement, cette fois, elles ne m’avaient pas mise dans un embarras si gros que même la plus grande des fiertés n’aurait pu dissimuler.

Le train s’arrêta et je sortis de ma rêverie. Je m’imaginais déjà si forte, triomphant des plus horribles malfrats, ça avait hanté mes pensées. Je n’avais pourtant rien d’un génie du combat. Je connaissais à peine les faiblesses des uns et des autres. J’avais constamment besoin de me faire rassurer par la voix robotique de mon Pokédex, comme si j’y trouvais un étrange réconfort. Pas de celui qui nous rappelle la douceur de notre mère, plus de celles que nous promulguent les encyclopédies et leur connaissance infinie. Je l’écoutais d’ailleurs parler à cet instant. Je l’écoutais me répéter encore et encore les types des Pokémons. Je l’écoutais me marteler des faiblesses des différents types. Je l’écoutais m’enseigner à combattre. Heureusement qu’il existait.

Puis vint le parc. Sans que je ne m’en rende compte. C’était là qu’il m’avait donné raison. Qu’allais-je dire ? Où était-il ? Qu’allais-je seulement faire pour commencer cet affrontement strictement amical ? Devais-je avoir une phrase d’accroche du genre « Les herbes les plus fines sont dans mes poches, tu vas morfler » ? J’espérais que non. Je n’y avais pas pensé. Je ne serais pas capable de pondre quelque chose aussi rapidement. C’était impensable. Qu’allais-je… « Monsieur Izaiah ! C’est moi ! Je suis arrivée ! Vous êtes prêts à faire piou piou ? » faire… ma parole avait dépassé ma pensée. Je venais de lancer les hostilités en lui disant de venir « piou piou ». Ne le dites pas à Alaric, mais parfois, je me déteste vraiment. Parfois je m’arracherais les cordes vocales tellement je sonne comme une gogol à l’intelligence réduite. Faire « piou piou », bonjour la crédibilité de la future championne d’arène. Je soupirai un coup « Oui… enfin, je veux faire, on se fout des poings sur la gueule quand ? » Je n’avais rien de menaçant, mais j’essayais de rétablir le tir. J’avais tenté d’être la plus virile possible dans mon timbre de voix. Altesse s’était simplement envoyé une main au visage tant elle était désespérée. « Amicalement j’entends eh ! » L’une ne rattrapait pas l’autre. Je désespérais, je devenais nerveuse. « Roooh a-allez-y votre Altesse… » cafouillai-je.

Évidemment, je commençais avec mon starter. N’importe quel dresseur aurait fait pareil, son starter comme premier combattant… la base.

Oui ça allait, je ne comprenais pas vraiment l’essence de sa question. Que voulait-il savoir exactement ? Si j’avais envie de gagner ? Ouf. Si ç’eut été le cas, je pouvais vous dire qu’il avait une bien trop haute estime de ma personne. Je poussai un rire nerveux et hurlai de la plus puissante de mes voix « Oui, ça va et vous ? »  Mon cri était sourd, puissant. J’imagine que ça me représentait bien. Je fis une grimace et regardai son Polichombr apparaître sur le terrain. Il ne me fallut pas deux secondes. « Mais il est trop mignon ! Je suis certaine qu’il peut attraper sa queue. »  Oui, sa queue. C’était ce à quoi je pensais quand je voyais un Pokémon en combat. Je ne pensais pas à la stratégie, je pensais aux jeux qu’ils pouvaient faire dans Pokéball. « La mienne est ennuyante ! Comme elle refuse d’entrer dans sa balle je n’arrive pas à la faire jouer à ce genre de truc… puis elle n’a pas de queue. » Mon raffinement ? Pouf. Volatilisé. A-t-il seulement déjà existé ? Probablement, dans un univers où je n’étais pas en train de combattre un ami.  

Les premiers ordres avaient été distribués et je ne savais comment réagir. Altesse allait probablement avoir mal, ce n’était encore jamais arrivé. Elle avait toujours été incroyablement épargnée et soignée par la vie, malgré qu’elle connût bon nombre d’attaques et qu’elle avait même évoluée. « Okay, alors nous aussi on va s’y mettre. Je veux une journée ensoleillée, vous pouvez m’aider votre Altesse ? »  Elle hocha la tête. Agitant brièvement ses feuilles, comme si elle avait dansé. Un soleil ardent se posa sur nous comme si nous avions été les seules personnes existantes sur cette Terre, les seules méritant son attention. Altesse se cambra, comme si elle mettait fin à une prestation saluant son public. En vérité, elle attendait. Elle attendait son moment, son ordre. Le moment pour sauter à pied joint dans ce combat et tirer son épingle du jeu, comme si elle eut attendu ce moment depuis toujours.

Je lui avais parlé de mes envies d’être championne d’arène, elle en avait probablement rêvé. Elle n’était pas sotte, elle savait qu’elle serait le principal attrait de notre arène, déjà qu’elle nous avait fait gagner une compétition nationale, elle souhaitait se prouver davantage, elle était comme ça, c’était une altesse après tout. Elle avait besoin de se faire envoyer des fleurs… même si elle était une fleur… Une fleur qui venait de se prendre un coup. Évidemment. J’échappai un cri de surprise. Malgré moi. « Wow non ! Ne vous laissez pas faire votre Altesse. Montrez pourquoi vous avez dansé. » Elle me regarda fâchée. Elle n’avait jamais pris un seul coup. Évidemment que ça la mettait en colère. Elle n’était pas heureuse de me servir en ce sens… surtout que normalement, c’était plutôt le contraire. « Mais allez ! S’il vous plaît, c’est pour le plaisir. »  Était-ce drôle pour elle ? Non. Pour moi, un peu. Enfin, pas que j’amusais à la voir souffrir, mais j’avais attendu ce moment tellement longtemps.

Altesse, soupira un coup et posa ses mains sur ses hanches. Pointant sa fleur vers le soleil, de la même façon que je l’avais regardé lors de notre première rencontre à Izaiah et moi. Le bouton s’illumina, se chargeant de l’énergie solaire qu’elle pouvait absorber… puis boom. Ce fut lancé. En un trait, un jet de lumière fusa vers le Polichombr. « Pardonnez-moi monsieur qui peut attraper sa queue. Je ne veux pas vous blesser. »  J’y allais pourtant fort. Et Altesse était visiblement rancunière, puisqu’elle ne fit que s’incliner pour saluer, une nouvelle fois, son public invisible. La capricieuse. Visiblement, elle n’avait été insultée que très brièvement, elle était de retour, pleine d’énergie, ou presque, un sourire aux lèvres et quelques cris s’échappant de sa bouche. C’était sa façon de me dire de la regarder, ce que je faisais… évidemment. Ce n’était certes pas la première fois qu’elle utilisait cette attaque, mais c’était la première fois qu’elle le faisait sur une cible vivante. Elle était fière.

Je jetai un regard vers monsieur Izaiah « Vous vous amusez monsieur Izaiah ? » lui demandais-je sans discrétion... Espérant que je n'y sois pas allé trop fort, sans quoi je me mettrais à douter de moi. J'étais simplement enthousiaste.

« Oui ! »  hurlais-je candidement comme si ç’eut été normal de beugler au loup. Pourquoi donc ? Ma Liligant venait de se prendre un sacré coup. Je n’étais pas contente, mais je m’amusais. C’était la moindre des choses. L’histoire était différente pour Altesse qui avait eu une peur soudaine en voyant cette aura violacée se créer autour d’elle. En était-ce fini ? Non. Altesse s’était relevée. Fâchée. Prise d’un soudain complexe. J’imagine que c’était le sentiment qu’elle ne voulait pas vivre.  Ce moment où elle se sentait soudainement prise entre deux étaux, martelés par les coups de son adversaire, ne voyant aucune échappatoire. Ou presque. Je souris. J’avais évidemment une idée derrière la tête, mais je voulais m’amuser. Je ressentais le besoin de feindre la catastrophe, je n’étais même pas le quart d’une bonne actrice, mais le ludisme de cet affrontement me plaisait et je ressentais cette envie de pousser la rigolade plus loin. « Wow ! C’est trop vilain ce que vous avez fait là ! J’ai mal. »  Je m’étais empoignée la poitrine comme si la douleur m’avait traversée. Altesse n’appréciait pas. Je me moquais d’elle. Insouciante, je ne le voyais pas, j’étais aveuglée par mon propre enthousiasme et ma nervosité… cette atroce boule au ventre qui me faisait redouter les combats plus sérieux, la conquête des badges.
Je lançai un bref regard vers Altesse qui me regardait consternée. Puis je regardai le Shuppet. Promenant mon regard de l’un vers l’autre. S’il n’en avait pas l’air, il semblait, malgré tout être un Pokémon plutôt redoutable. « Monsieur Izaiah ! Vous croyez que le pic sur la tête de monsieur qui court après sa queue est solide ou mou ? » Pourquoi posais-je cette question ? Allez savoir. Ça m’avait traversé l’esprit tel un éclair. J’avais ressenti le besoin de le dire, d’exprimer une idiotie qui m’avait valu un regard noir d’Altesse. Je n’étais pas assez sérieuse. Elle m’en voulait. Elle attendait des ordres et je déblatérais des conneries. Je gloussai de rire en la voyant. Je la provoquais. Quelle horrible dresseuse je faisais. « Mais ne faites pas cette tête votre Altesse, vous allez vous en remettre… » Je n’eus même pas fini la phrase qu’elle hocha la tête. Elle avait compris.

Le rayon de soleil se concentra sur elle par quelconque phénomène paranormal. Évidemment, c’était simplement son mouvement. Elle s’illumina lentement et les rayons retournèrent à leur éclat précédent. Ce Zénith avait probablement été son meilleur mouvement. Elle était maintenant d’une vers éclatant, pétante de vie et d’enthousiasme, la fleur sur sa tête dansait tant elle était soulagée.

L’instant d’avant, on aurait cru qu’elle aurait succombé à n’importe quelle attaque, elle était en colère, elle m’aurait matraqué si elle avait pu. Je la comprenais, j’aurais probablement fait pareil, ou j’aurais pleuré. Maintenant, elle jubilait, elle dansait à nouveau. « Oh oui votre Altesse ! Vous êtes si forte. »  dis-je en la contemplant et je regardai Izaiah « Vous avez vu comme elle est verte ? »  Évidemment qu’oui. C’était la fatalité même qu’il puisse la voir et j’avais peine à imaginer qu’il puisse croire que c’était bon signe pour lui. Un Pokémon qui changeait d’état d’âme aussi rapidement, c’était rarement bon signe.  Je me mis à gambader en tournant sur moi-même, manifestant ma joie. Étais-je pédante ? Peut-être un peu. Je m’en excuserais plus tard. Je m’exprimais simplement. « Oh ! ooooh ! Je sais ! Votre Altesse, vous vous souvenez de la tempête de vent qu’on a vu à la télé l’autre fois… on pourrait essayer de faire pareil genre Fwish fiooou Feeeee. Vous voyez ? »  Je n’étais pas claire. Elle ne comprendrait probablement pas. Pourquoi je n’utilisais pas les noms d’attaque comme tout le monde ? « Non, mais vous voyez genre comme ça.. »  et je me mis à faire une danse typique d’Alola comme si ç’eut été plus clair. « Pardonnez-moi ! J’ai oublié le nom de l’attaque, mais genre envoyez les grosses feuilles là. »  Elle comprit. Mes inepties avaient été saisies et malgré que j’eus été la pire andouille, Altesse s’exécuta.

D’immenses feuilles se détachèrent d’elle et des arbres avoisinant pour foncer directement sur le Polichombr. Le regard sérieux, elle ne voulait pas manquer sa cible. Elle y allait fort. Et ma voix perça la fureur des vents « Vous avez l’air si sérieuse votre Altesse, vous êtes hilarante »  et j’éclatai de rire. Simplement parce que mon Pokémon, contrairement à moi, prenait ce premier combat au sérieux. Simplement parce que son regard concentré m’amusait. J’étais hilare.

Entre deux rires, on put m’entendre me morfondre d’excuses « Pardonnez-moi. Je disais qu’oui je m’amusais. »  C’était visible, il devait bien s’en douter vu comme je riais. Pour ce qui est de prendre les choses au sérieux, je n’étais pas la meilleure… il faut se l’avouer, mais au moins j’étais divertissante… j’imagine.

« Oooh ! Vous avez vu votre Altesse, il fait comme vous ! »  J’étais une enfant. Je dansais sur place en regardant le Pokémon de mon ami évoluer. Il serai beau, j’en étais certaine… ou… ou pas. La lumière s’était éteinte et il était faisait peur. J’eus pour réflexe de me cacher derrière mes mains. Du calme. Il ne me voulait aucun mal. Il avait simplement grandi et… il avait une queue maintenant. « Monsieur Izaiah ! Vous avez vu ! J’avais raison il pourra attraper sa queue ! »  Évidemment, j’hurlais encore des bêtises. J’imagine que c’était normal, c’était moi. On avait l’habitude de m’entendre crier ce genre de bêtises. Je ne sais pas si c’est parce qu’il n’avait pas aimé ma blague ou parce qu’il en avait marre, mais je me raidis soudainement. Un grincement se fit entendre et mon sang se glaça. Quel son désagréable. Son que ma Liligant ne semblait même pas avoir entendu. Elle restait bien droite, les yeux rivés sur celui qui venait d’évoluer et qui disparut.

Je paniquai. Mon regard se promena à gauche puis à droite. Je ne voyais plus du tout le Banette d’Izaiah… que préparait-il ? « Oui, c’est la première fois pour Altesse et moi… et maintenant vous m’effrayez. Il est où ? »  Du peu que je comprenais de ce qui se passait, je savais que je devais craindre ce moment où mon adversaire jaillirait de quelconque endroit dans lequel il s’était évanoui. « C’est pas du jeu. »  Je boudais telle une enfant, croisant les bras contre ma poitrine. Étais-je marabout parce que j’avais perdu l’avantage ? Un peu. Mais l’avais-je réellement perdu ? Était-ce une simple impression injustifiée ? Probablement. J’avais tendance à succomber trop vite à ces émotions négatives qui étaient devenues des amies avec lesquelles j’avais appris à composer. D’un air bougon, je regardai Altesse. Détendue. Attendant ma prochaine commande, mais aussi torturée par sa brûlure. Très bien. Quitte à perdre mon offensive j’allais au moins en profiter. « Votre Altesse, vous savez que vous sentez bon ? »  Elle sourit. Son air sérieux disparut. Un étanche nuage de pollen rosé s’envola de sa fleur et la recouvrit. Ébahie, elle tourna légèrement sur elle-même, comme vous faire sentir à quel point elle était heureuse de sentir ce doux arôme de miel qui venait de l’enrober. Elle sentait bon, je ne pouvais pas le nier. Personne n’aurait pu.

Le parfum enroba lentement le parc et Altesse cessa de tournoyer. Ce petit tour de joie lui avait fait du bien. À moi aussi. J’appréciais ce parfum, grandement. Mais il fallait se replonger la tête première dans cet affrontement. Je n’avais toujours pas trouvé son Banette, aussi bien en profiter. « Votre Altesse, regardez le soleil ! »  Elle s’exécuta et, une nouvelle fois, le rayon l’enveloppa, réchauffant son corps. Elle s’illumina et les rayons se retirèrent. Elle était pétante de santé. Comme si on venait de l’envoyer au combat. Elle avait bénéficié de ce léger repos et je ne pus m’empêcher de regarder Izaiah de l’autre côté du terrain. « Allez ! Il est où ? Dites-le moi, s’il vous plaît. Sinon je… je… »  J’allais rien du tout. Je n’avais aucune possibilité devant moi. Je devais attendre. Attendre un adversaire qui, si ça se trouvait, avait fui le terrain parce qu’Altesse lui avait fait peur avec son sale caractère et la force de ses attaques. Nul besoin de le cacher… elle y avait été fort… moi aussi d’ailleurs. Pour un combat entre amis, sans m’en rendre compte je n’y avais pas été du revers la main. J’avais usé de mes paumes entières… et Dieu savait qu’avec Altesse, ces paumes étaient énormes. Je ne le savais pas. Je n’étais pas Dieu, mais je le découvrais… au péril de mes amitiés. Il faudrait que je m’excuse éventuellement.

Il m’avait prise par surprise. J’avais même échappé un cri. Qui ne l’aurait pas fait ? Cette espèce de monstre jaillissant de nulle part pour effrayer ma belle Altesse qui s’agitait doucement. Elle eut peur aussi. Malgré toute sa concentration, elle sursauta. Elle se tourna vers moi, un mécontentement dans le visage. Elle avait eu mal. Je le voyais bien. Ça l’avait partiellement affectée. Son éclat s’était quelque peu terni. Je piaffai sur place. Étais-je mauvaise perdante ? Non pas vraiment, j’étais simplement frustrée d’avoir été aussi facilement prise par surprise et que, du fait même, ma Liligant en avait souffert. J’aurais voulu lui hurler de ne faire attention, mais non. Je n’avais pas été assez rapide. J’eus envie de me lancer près d’elle pour prendre son pouls, c’était dangereux. Je n’avais aucune réelle autre option que de poursuivre ce combat. Il fallait au moins qu’Altesse parvienne à sortir l’un de ses Pokémons. J’aimais beaucoup cet ami, ce rival du jour, mais je n’avais pas envie de subir le mécontentement et le manque confiance de ma partenaire pendant des mois et Dieu sait qu’elle m’en tiendrait rigueur. C’était comme ça avec elle. Dès lors qu’une chose ne la satisfaisait pas entièrement, elle m’en voulait éperdument. Elle m’ignorait, me méprisait. C’était son caractère, j’avais l’habitude. Même si ç’eut été sa faute, elle me bouderait.

Je m’assénai une claque, puis seconde sur les joues. Je devais me ressaisir, replonger dans ce combat. « Très bien ! Aspirez ce qu’il reste de votre adversaire votre Altesse. » Erreur. Elle avait perdu sa vitesse. Je venais de commettre par première erreur, pour bloquer un coup bas, j’avais forcé un mouvement offensif. Elle se prit le coup. Aïe. Deux fois en un seul tour elle avait eu mal. Elle me regardait les yeux larmoyants, mais revint rapidement en équilibre, enchaînant avec ce que je lui avais demandé. Un halo vert se forma autour d’elle. Une étrange boule de lumière vint à elle, se greffant à son corps. Elle poussa un petit cri qui se rapprochait étrangement de la joie.

Je ne la regardai toutefois pas. Elle s’agita. Se mit à danser. Parce qu’elle en avait envie. Comme si sa précédente douleur avait été oubliée, oblitérée par cette sphère lumineuse. Elle voulait que je la regarde. Je fixais pourtant Banette, espérant qu’il s’écroule au sol. Ce n’était pas méchant, je voulais simplement qu’Altesse remporte ce face à face. « Ça… ça a fonctionné monsieur Izaiah ? Est-ce que… » Je m’interrompis et portai mes mains à ma bouche. Je ne voulais pas tourner le couteau dans une plaie, si tant était qu’il y en avait une. Je ne voulais pas avoir l’air de la mauvaise gagnante. Je ne voulais pas brimer notre amitié. « Pardonnez-moi, je n’ai rien dit. » sifflai-je, comme s’il avait été possible d’oublier ce que j’avais dit, comme s’il avait été une oreille un peu sotte qui ne prêtait pas attention à ce que je disais.

Je paniquai. J’avais besoin de détourner le sujet. « Okay okay… Votre Altesse… et si on s’installait ici pour toujours. » Elle hocha la tête, comme si elle avait approuvé mes dires. Évidemment, je n’avais pas l’intention de loger dans ce parc auquel cas ma vie aurait été bien triste. « Je vous demande pardon ! » La Liligant sauta sur place puis ancra ses pieds dans le sol duquel sortirent des racines d’arbre. Elle venait de s’enraciner comme si de rien était. Si je ne lui avais pas fait confiance, je n’aurais jamais utilisé ce mouvement, mais les conditions s’imposaient. Elle devait tenir le coup un peu plus longtemps, juste un peu pour au moins gagner un affrontement. C’est tout ce que je demandais. « Allez votre Altesse, vous ne pouvez plus danser, mais vous pourrez rester un peu plus longtemps sur le terrain. » Elle sourit. Elle comprenait mon mouvement. Mon réflexe fut de sauter sur place. Elle me faisait aveuglément confiance. Lui donnais-je l’impression de savoir ce que je faisais ? Je n’en savais rien, pas plus que je ne savais ce que je faisais au fond. Je lui fis une révérence en portant mon béret à ma poitrine.

Je devenais un peu nerveuse. Je prenais ce combat soudainement un peu plus au sérieux. Quand ce serait fini, je ne parviendrais probablement pas à retenir un câlin pour cet ami que je malmenais jusque-là. Je m’en voulais… affreusement. Je l’avais joué de façon assez barbare et mon Pokémon se tenait toujours debout, plutôt en forme… je devais m’excuser. C’était important. Surtout que dans mon espièglerie, je me vantais sans m’en rendre compte. J’osais espérer que l’on puisse sortir de cet affrontement sans rancune. Malheureusement, nous n’avions pas fixé les règles et ni lui ni moi n’y allions avec le dos de la cuillère… Mes yeux s’écarquillèrent. Nous n’avions pas dit quand s’arrêterait ce combat. « Pause ! Monsieur Izaiah, je viens de me rendre compte… nous n’avons jamais dit quand nous arrêterions. Le premier avec deux Pokémons hors-jeu est vaincu ? » hurlai-je de toute puissance. Je venais de trouver de quoi lui faire oublier ma provocation.

J’avais frémi. Il était effrayant. Il ne me donnait pas envie de jouer. Il me donnait envie de fuir, loin. Ce nouveau Pokémon, celui qui remplaçait l’autre à peine moins effrayant me donnait des frissons. J’avais eu l’impression d’avoir échappé, malgré moi, un cri d’effroi. Si Izaiah m’était sympathique et qu’en apparence il était des plus gentils garçons que j’avais rencontrés, son équipe n’en était pas moins glauque. Combien de Pokémon de ce genre possédait-il ? Je l’ignorais. Je ne le saurais probablement pas dans l’immédiat non plus. En revanche, celui-ci, ce Duskull… il me ressemblait. Étangement même. Espiègle sur les bords, il voulait simplement jouer. Il m’avait fait rire, mais pas Altesse. Elle ne le trouvait pas drôle. Sa danse s’était interrompue et elle ne faisait plus que le fixer, voire le dévisager. Elle le méprisait autant qu’elle le pouvait du peu qu’elle connaissait de lui. J’imagine qu’elle avait sa dose de l’hyperactivité qui me caractérisait et qu’elle n’avait pas envie qu’un autre être, aussi proche soit-il, m’encourage. Je la comprenais. « Ooh ! Il veut jouer ! Regardez votre Altesse, venez on joue avec lui. »  Ou pas. Je ne la comprenais pas. J’avais cédé. Je courrais vers le centre du terrain comme une débile. Une débile qui se ruait directement dans une boucherie. C’était un combat. Je ne sais pas ce que j’avais pensé. C’était dangereux. Si le corps d’Altesse pouvait supporter des assauts, pas le mien. Il n’était pas fait pour ça. Elle le savait, moi aussi… mais je m’étais laissée aller, je ne tenais plus en place.

L’instant suivant défila au ralenti dans ma tête. Je courrai pour rejoindre le Duskull au même moment où il projetait son nombre. Il attaquait. Se sentait-il menacé ou agressé, se défendait-il de moi ? Je n’entendais pas les ordres d’Izaiah, j’étais trop submergée par mon idée, celle de jouer avec ce Pokémon. Altesse me connaissait, elle savait que je ne m’arrêterais pas. Elle savait que je n’aurais pas cette conscience. Elle entra en course elle aussi. Son objectif n’était toutefois pas le même. Elle voulait me pousser. Elle voulait prendre l’attaque à place, si tant était qu’elle me visait. Elle voulait éviter le pire. Elle réussit. Je fus poussée contre le sol. « Hey ! Mais ! »  J’étais une enfant. Je m’étais simplement lamentée. Je n’avais pas vu la raison. Je n’avais pas réalisé, mais elle était excellente. C’est quand j’eus vu ma Liligant se tordre de douleur que je compris. « Ah… c’est… Merci, je croyais qu’il voulait jouer. »  Une larme me monta à l’œil. Évidemment. J’étais douée pour pleurer. Je tentai néanmoins, pour une fois, de la réprimer. L’ambiance venait de passer du ludique à quelque chose de plus sérieux. Je me levai en époussetant ma jupe et retrouvai ma place, derrière ma sauveuse.

« Pardonnez-moi, monsieur Izaiah je vais essayer de me concentrer davantage. »  Ma voix était moins confiante, plus brisée, moins forte. D’une certaine façon, je devais être en train de vivre le choc. J’avais été idiote et je m’étais précipitée, tête baissée, vers le danger. Je remettais clairement en doute mes décisions, ma conscience. Puis vint ce halo, cette ambiance macabre, cette soudaine décroissance de l’état d’Altesse. Qu’avait-il fait ? Qu’est-ce que ce Duskull avait fait à ma précieuse Altesse ? « Monsieur Izaiah ? Il a fait quoi ? Pourquoi elle est mal soudainement ? Il se passe quoi ? »  Je paniquais. Je ne comprenais pas. « Altesse, on va le faire rêver, vous voulez bien ? »  Tremblante, elle se lança. La fleur sur sa tête tournoya et libérant une spore bleue qui s’abattit sur le terrain. Je me sentais déloyale de recourir à cette solution, mais je ne voulais pas qu’il fasse souffrir davantage ma prunelle. « Bien, okay… vous voulez bien lui donner un peu de votre nature ? »  J’aurais voulu lui dire de lui envoyer des pétales, mais je la sentais trop faible pour faire une si belle attaque. J’aurais voulu lui dire qu’on allait s’en tirer, mais non, je lui avais plutôt demandé d’injecter sa nature. Qu’est-ce que je voulais dire ? Rendre ce Pokémon capricieux, jaloux et protecteur ? Non. La Liligant frotta ses mains l’une contre l’autre. Une sphère verte se créait tranquillement entre ses feuilles. « Maintenant ! »  La puissance accumulée se dégagea et fonça vers l’effrayant Pokémon qui m’avait presque frappée.

J’aurais voulu regarder l’impact de l’attaque, mais je fus plutôt déconcentrée. Altesse tomba à genoux puis s’affaissa au sol. « Wow ! Non ! Votre Altesse, relevez-vous !» »  C’était un cri du cœur. Un cri désespéré, angoissant qui m’arracha des sanglots. Ma voix grinçait. Elle était hors combat. Elle avait fait ce qu’elle avait pu, mais ce que ce Pokémon lui avait fait avait eu raison d’elle. Je pris sa Pokéball dans mon sac et la rappelai en son sein, déposant un baiser sur la balle avant de la ranger. « Vous êtes forte Altesse, merci. On gardera la tête haute après ça. » Elle m’en voudrait de l’avoir ramenée au hangar comme ça, mais je ne pouvais pas non plus la laisser allongée sur le sol. Ç’aurait été stupide, ce combat n’était pas fini. Je saisis ma seconde pokéball et la regardai quelques instants. Plus rien n’existait. J’étais triste. « Chère Dauphine, comme votre nom en est le présage, vous succédez à notre Altesse. Accomplissez ce qu’elle n’a pu accomplir. »  dis-je en lançant la balle sur le terrain. Le rayon rouge laissa apparaître ma Cacturne qui aussitôt se braqua tel un bouclier. Elle était prête. Elle avait compris.

Dès son annonce, dès qu’il m’eut félicitée, ma poitrine se serra. Mon cœur fut pris d’une immense douleur. Étais-je en train de faire une crise cardiaque ? Non. Je n’avais aucun antécédent, rien qui n’aurait pu mener à un tel problème de santé. Je culpabilisais. Simplement. Avais-je été trop absorbée par le combat à tel point que j’en avais oublié l’amitié ? L’avais-je ridiculisé ? Je m’en mordais les doigts. Je regardai Dauphine qui était restée de marbre. La pauvre se dégourdissait les pattes pour une rare fois et, au final, ce n’était pour rien. « Vous êtes certain monsieur Izaiah ? » Évidemment qu’il l’était. Je ne savais même pas pourquoi je posais la question. Nous avions dit deux Pokémons, l’un était hors-jeu et l’autre endormi, il n’avait plus de quoi se battre. Altesse avait donc gagné le combat. Seule. J’aurais voulu la féliciter, lui dire combien elle était puissante et utile. Je ne pouvais pas. Pour la première fois depuis que je l’avais adoptée, c’est elle qui n’était pas en forme, je l’avais laissée être blessée. Mes yeux devinrent sombres. Je baissai le regard. Étais-je triste ? À la fois oui et non. Heureuse d’avoir gagné, triste d’avoir nui à un ami.

Sans discrétion, je me ruai vers lui au pas de course. J’étais prise d’une impulsion. Une puissante impulsion qui surpris même mon Pokémon et ouvrit grand les yeux. Maintenant que j’avais mis ses Pokémons hors combat, c’était son tour. J’allais le plaquer, lui fracasser le crâne contre le sol pour ne plus qu’il se relève. C’est ce qu’elle vit du moins, ce qu’elle sentit. Elle me croyait mauvaise à ce point ? Elle savait pourtant que je ne l’étais pas. Mon visage ne montrait, d’ailleurs, aucun signe d’agressivité. Il était clément, heureux, souriant. Et dès que je fus à sa hauteur, dès que j’eus atteins Izaiah, j’enroulai mes bras autour du blond. « Je suis vraiment désolée monsieur Izaiah. Notre Altesse n’aurait pas supposé de perdre ce combat sans avoir mis hors-jeu l’un de vos Pokémons elle… » Je coupai ma phrase, avant d’approcher mes lèvres de son oreille pour lui chuchoter à l’oreille « Elle est un peu susceptible. » dis-je en souriant. Pourquoi avais-je baissé le volume ? Avais-je peur qu’elle m’entende ? Elle était pourtant dans balle, dans l’impossibilité de m’entendre. « Si vous voulez un jour, quand j’aurai mon arène, on pourra.... » Je ne pus finir cette phrase. Je me sentais m’effondrer contre le sol, à toute vitesse. J’avais eu pour réflexe de relâcher mon étreinte, mais j’ignorais si j’avais emporté mon ami dans ma chute… puis le poids. L’immense poids qui me retenait contre le sol.

« Dauphine… vous m’empêchez de respirer… » je savais que c’était elle. C’était comme ça chaque fois. Dès lors que je parlais de mon arène à venir, elle fonçait sur moi pour m’enlacer… chaque fois, elle y allait trop fort et me plaquait au sol. Elle avait hâte. Très hâte. J’en convenais. C’était probablement celle, parmi mes Pokémons, qui rêvaient le plus de ce moment, de ce moment où presque chaque jour, je l’enverrais au combat pour se dégourdir et où, chaque jour, elle pourrait me protéger comme elle en avait envie. Je le savais, je partageais son enthousiasme, mais son poids… ces quelques quatre-vingt kilos affalés sur mon corps me torturaient. J’aurais eu beau la pousser je n’en avais pas la force et la pauvre ne comprenait bien que ce qu’elle voulait entendre. « Vous… me faites… mal. » Nos regards se croisèrent en même temps que je murmurai ces mots avec difficulté. Elle comprit.

En un mouvement vif, telle une voiture de course elle se releva avant d’aller se cacher derrière un arbre pour se voiler la face. Je me relevai promptement pour aller la voir, la rassurer. « Je ne vous en veux pas, je ne suis pas en colère. J’avais simplement mal. Excusez-moi. » Oui… c’est moi qui s’excusait. C’était comme ça. J’étais toujours celle qui se courbait devant ses Pokémons et qui faisait ses excuses. Je la rappelai à sa Pokéball et poussai un soupire. « Pardonnez-la. Elle a hâte à ce jour où on ouvrira le stade. Ça va vous, je peux vous offrir un café peut-être pour l’excuser ? Quitte à être à Voltapolis » Je ne savais pas si elle lui avait fait mal comme elle avait pu me faire mal. Je ne connaissais pas sa force, mais la pauvre Cacturne n’avait plus conscience de son poids depuis son évolution. L’invitation se voulait simplement courtoise. Une invitation d’une amie à un ami, pour leur plaisir, leur divertissement après un événement pour le moins explosif… « C’était amusant ? Je veux dire, vous vous êtes amusé, monsieur Izaiah ? » Un simple sourire et je le pris par le coude, l’entraînant dans mon élan vers la ville.