un soir de fin du monde.

T'es le genre de personne qui, sans internet, devient (très) vite folle. A fortiori quand t'es déjà épuisée mentalement parlant à la base.
Damdemain et tous tes petits mensonges à toi-même ; ta fuite en avant et ton incapacité à rester immobile ; Bunji et le cornichon roux (la pitoyable défaite la triste réalité) ; et tu pensais
réellement
aller mieux.
Peut-être pas avoir vaincu tes démons -oh, tu ne pensais pas un jour en arriver là (on les porte à bras-le-corps, on peut pas les jeter dans une benne, on finit presque par les aimer)- ; peut-être pas aller bien, juste aller mieux.
Un petit peu moins mal.
Un petit peu moins pire qu'avant.
Tu pensais juste ton âme plus courageuse, moins zébrée par les plaies. T'espérais, sans doute ; mais parfois, t'arrives à parler aux gens. C'est un progrès, n'est-ce pas ? T'arrives bien à faire un truc, pas vrai ?
Tu n'es pas que ruine (plus maintenant) ; t'es un petit peu bâtie, quelque part. Tu ne sais pas bien où... mais tu l'es.
'Peut-être que votre envie compulsive de comprendre comment les objets fonctionnent, de les construire, c'est parce que socialement, c'est plus difficile ?'
Comme ce téléphone là ; qui vous sert à parler, avec le quatuor (que t'as pas vu depuis trop longtemps, d'ailleurs). Tu sais utiliser tes cinq doigts ; tu sais parfois remuer tes méninges.
Mais socialement ?
T'es en ruine.
(Mentalement aussi, quelque part)
T'es là, à la croisée de nulle part, en provenance de n'importe où, et propulsée vers le néant. T'es sur ton banc, le regard dans le vide, le vague à l'âme (et le cœur à la dérive)
(y a comme un décalage horaire)
Et t'es remplie de silences et de questions ; certaines auxquelles tu veux une réponde, d'autres dont tu ne veux même pas débattre de l'existence. 'C'est un petit pas, et tout commence toujours par un petit pas. Vous pensez peut-être que ce n'est pas suffisant, mais c'est déjà énorme ! Accrochez-vous, vous êtes en bonne voie !' Et son sourire bienveillant et optimiste, et le peu d'espoir au bord des lèvres. Il y croyait, il croyait sincèrement que t'étais (enfin) plus qu'une gamine blessée, qu'une humaine bousillée. Il voyait l'espoir où toi, t'avais du mal à le percevoir ; et alors, tu le dessinais.
Mais maintenant, sur ta pelouse, t'es larguée.
Tu ne sais pas ce qui est le plus difficile : réfléchir à toi, ou ne pas s'inquiéter pour Izaiah.
Ah, oui, Izaiah... la soirée aurait pu être juste pénible, sans ce détail. 'Il a quitté l'hôpital.' Comment ça "il a quitté l'hôpital" ? Quand ? On ne t'avait pas répondu plus que ça, tout juste poliment envoyée balader.
Izaiah n'avait jamais parlé d'avoir "quitté l'hôpital" ; Izaiah continuait même d'en parler très ouvertement. Quelques jours plus tôt encore, tu aurais juré... ou alors c'était vraiment très, très récent. Mais là encore, personne n'avait voulu te répondre ; des regards hagards de certains habitués des lieux, c'est comme si on l'avait oublié -ou jamais connu.
Ça n'avait aucun sens.
Et il ne répondait évidemment pas ; et maintenant, même internet s'y mettait.
Le monde entier est en train de t'abandonner.
(un peu trop dramatique, sans doute ? Oh, qu'on t'y laisse, t'es une dramaqueen à partir de maintenant)
(au moins jusqu'à ce qu'internet et Izaiah ne répondent)
Tu tapes un sms à Unknown, distraitement, quand l'obscurité subite te fait sursauter comme une bombe l'aurait fait. Après internet, la lumière ? (Bon, accordons-nous sur le fait que, concernant internet, ça n'a pas nécessairement de lien avec les événements.) Tu fronces les sourcils et décides que tu n'aimes pas les villes sans lumière ; donc tu te redresses pour aller, tel un moustique en pleine nuit, chercher un coin plus éclairé.
Et Izaiah ne répond toujours pas. Comme internet. Tu vas passer par le tél satellitaire, le monde entier va voir flou !
(Non)
Tu envoies des messages à Kiana et Isaac, passes à autre chose, t'inquiètes ; 'votre message n'a pu s'envoyer'... Quoi ? Tu t'immobilises là, en plein milieu du trottoir, et fronce des sourcils. Tu mets ton téléphone numéro un dans ta poche et décides que le monde est prêt à voir flou en sortant le second. Tu commences à taper un message, en envoie un à Unknown ; lui devrait te répondre, t'espères. Kiana et Isaac ont trop une vie, puis Izaiah... aussi.
Tu sais rien de celle d'Unknown, à l'inverse, donc tu t'en fous qu'il soit disponible ou pas.

Hey, Unknown; tu sais ce qui arrive ? Jsp si tu vas recevoir ce msg (j'espère t'as du matos satellitaire lololol)
Tu captes des trucs ? Voltapolis semble plongée dans le noir

Tu sais pas trop pourquoi tu penses à lui, à part qu'il voit le monde de la même façon que toi -en 0 et en 1. Lui, il devrait recevoir le message et comprendre un truc. T'en sais rien, mais toi t'y arriverais, donc lui aussi, c'est tout.
(Et sinon, faut que tu te trouves un autre rival...)
T'essaies bien d'envoyer des messages, encore ; mais au troisième refus d'envoyer, tu comprends le message. Alors, pour la première fois de ta vie, t'accélères le pas pour rejoindre du monde. Pas une foule ou quoi ; tu ne veux juste pas être la seule paumée et te renseigner. Tu croises un couple qui se plaint sans plus s'inquiéter ; des petits vieux qui profitent pour s'ambiancer sur les étoiles... les gens, globalement, s'en foutent. Dans le petit quartier résidentiel où tu te trouves, les gens se plaignent aux fenêtres, mais pas tout de suite viennent les inquiétudes ; pourtant, tu commences à les entendre....
Mais oh, c'est rien, juste une coupure de quartier !
(Une coupure de quartier ne devrait pas empêcher des sms de s'envoyer.)
C'est un soir de fin du monde
et les gens sont joyeusement aveugles
(et toi, tu trouves ça juste bizarre ; tu vois pas l'apocalypse arriver
t'es pas dieu)
T'avances dans ta perplexité ; un premier ding ; quelqu'un du quatuor ou Unknown t'a enfin répondu-
mais c'est secondaire
secondaire tellement secondaire
juste un instant
(rien n'est plus important que les gens que tu aimes ; mais la voix qui résonne dans toute la ville a le mérite de savoir se faire écouter.)

« Avis à la population. Ceci n’est pas un exercice. Je répète ceci n’est pas un exercice. Tous les résidents de Voltapolis sont priés de se rendre à Némérya dans les plus brefs délais. Veuillez évacuer la ville le plus vite possible. La centrale électrique est actuellement sous un assaut terroriste. Nous demandons à tout un chacun d’évacuer la ville dans les plus brefs délais. Pour tous ceux ayant une aptitude et un intérêt pouvant service au service de police, prière de vous reporter au poste de police de votre ville. Toute aide sera la bienvenue. Je répète: Ceci n’est pas un exercice. Évacuer Voltapolis. Merci de votre collaboration. »

C'est un soir de fin du monde
ton téléphone glisse entre tes doigts
tu le ramasses presque en chutant, le balances dans ton sac
t'as cessé de réfléchir, cessé de t'inquièter
tu penses pas à évacuer.