J'ai trop soif. Une bouteille de champagne ne suffit pas à me désinhiber. Pourquoi je suis nerveuse ? Il faut dire que c'est plutôt romantique au bord de la rivière. Des cristaux de glace décorent les pins, le soleil rose se couche sur l'eau douce et le calme est parfait pour une déclaration d'amour bien placée. Mais pourquoi je pense à cela ? Depuis la Centrale, je suis toute chamboulée de l'intérieur dès que je rencontre Astelle. Jamais je n'oublierai ce baiser que je souhaite retrouver. Mais est-il sincère ? N'a-t-elle pas fait ça sur un coup de tête, pour m'encourager ? Ou même pour se moquer de moi ? Claire l'a bien fait. Mais Astelle n'est pas Claire.

« Attention, c’est froid ! »

Alors que j'ingurgite des goulées de bière, le liquide a failli me ressortir par les narines lorsqu'un objet vient geler ma nuque.

« BMPFRR ! »

Je cache ma mâchoire avec ma main. Mon corps frissonne de partout, c'est une sensation assez désagréable surtout que dehors il ne fait pas très chaud.

« T'es folle ! J'allais foutre de la bière partout !»

Le front d'Astelle est épargné mais pas mon pull. Mon nez s'est transformé un court instant en robinet, gouttant un peu sur mon sweat tout neuf. Chopant les mouchoirs et posant ma bière, je m'essuie la bouche et le menton avant de réprimander la petite demoiselle.

« T'es une chipie ! »

Difficile d'en vouloir à une jeune fille avec des mirettes pareilles. Ses grands yeux brillants et profonds me dissuadent de la gronder. À la place, je la serre entre mes jambes, frottant ma joue sur sa caboche.

« Mais comment en vouloir à une fille aussi mignoonneuh comme toi. <3 »

La jeune vide sa canette presque aussi vite que moi. À mon avis, c'est pas la première fois qu'elle picole. Celle-ci peut enfin profiter sans avoir à se planquer.

« ... c’était quand même chouette, aujourd’hui ...
- Contente que ça t'ai plu. »

À vrai dire, ses mots me rassurent : tant qu'Astelle s'amuse, c'est le principal.

« ... mais j’y pense, je ne t’ai jamais donné ton gage … et c’est un peu de la triche, la dernière fois aussi, tu m’as donné le tiens ... et moi, j’ai jamais eu mon tour …
- Aah, mais oui ! »

J'ai complétement zappé, il faut dire que ça m'arrange bien. Je l'invite donc à me partager son gage, appréhendant son choix. La demoiselle se tourne face à moi sans faire attention à sa bière qu'elle ballote, puis m'annonce le challenge.

« Alors voici ton gage : pour touuuuuut le reste de la journée, je ne veux plus avoir à faire le moindre de pas ! Je suis ta princesse, et tu vas me transporter partout où je veux aller dans tes petits bras musclés ! » m'annonce-t-elle en accompagnant le tout avec un hoquet adorable.

Finalement, c'est moins pire que ce que j'ai pensé. Je l'étreins tendrement en frottant davantage ma tête contre la sienne.

« Ooh meuh ceuh meugnon !, je finis par la lâcher, Très bien, j'accepte mon gage. J'espère que t'as pas pris des kilos, ça s'rait con de m'casser l'dos ![/b] » je me gêne pas pour la taquiner. Il n'y a pas de raison qu'elle soit épargnée.

Soudain, un Absol fait irruption, juste à quelques centimètres de nous. Il fixe intensément la demoiselle dans mes bras avant d'attraper sa manche.

« Eh ?! Qu'est-c'tu veux toi ? »

Le pokémon insiste : à peine je me dégage, qu'il s'empare de la demoiselle pour la mettre sur son dos. Un « ... eh ? » hébété sort de ma bouche, alors qu'Absol se fait la malle avec ma princesse. Attends, il vient de la kidnapper ?

« MAIS VAS Y REVIENS LÀ C'EST PAS TA MEUF »

Il en a rien à faire, Absol continue de galoper. Je me mets alors à le courser en libérant Bibi de sa pokéball.

« BIBI ! Utilise Hypnose sur le Absol là bas ! Il a capturé ta tata !! »

Fantominus prend son courage à deux mains – même si elle n'en a pas – pour sauver sa tante adorée. Flottant dans les airs, elle rattrape aussitôt Absol. Cependant, difficile pour le spectre de le viser : étant très agile et imprévisible, le pokémon sauvage évite sans difficultés ses tirs. Bibi ne désespère pas : coûte que coûte elle va ramener Tata Astelle à Manon !

Pendant ce temps là, complètement essoufflée, je m'asseois sur un tronc d'arbre pour récupérer. Toujours ma bière dans la main, je décide d'allumer une clope pour accompagner ma beuverie. Je pousse un râle.

« Rhaa mais c'est quoi ces pokémons de nos jours ! Depuis quand des pokémons kidnappent des minettes en plein camping !? On est pas dans les quartiers de Volucité sérieux ! »

Je me tourne vers le Fermite planqué sous un large buisson. Il semble aussi blasé que moi.

« Ça doit pas être facile tous les jours de fréquenter des voyous comme ça, ch'ais pas comment tu fais mon gars. »

À force de boire et de papoter avec le pokémon acier, je me lie d'amitié avec – mais seulement dans ma tête. Le temps que Bibi ramène mon amie, je propose une clope au Fermite.

Modération:

— Ooh meuh ceuh meugnon ! Très bien, j'accepte mon gage. J'espère que t'as pas pris des kilos, ça s'rait con de m'casser l'dos !
A la mention de son poids, les joues d’Astelle se colorèrent d’un rose délicieux. Après le repas de montagnard qu’elles venaient d’enfourner, elle se sentait lourde comme un petit sac de briques !
Finalement, ce n’était peut-être pas une si bonne idée… La jeune princesse Beerachu s’apprêtait à renoncer à son gage, lorsque soudain…!

Se confondant au paysage avec sa fourrure blanche immaculée, un Absol émergea des neiges ! Avec un mouvement agile et délicat, il utilisa sa corne pour faire culbuter Astelle puis la récupérer prestement sur son dos ! Prenant ensuite la fuite avec un sourire suffisant, il sembla presque se retourner une dernière fois pour tirer la langue à Manon.

— MAIS VAS Y REVIENS LÀ C'EST PAS TA MEUF
...manifestement, il pensait le contraire.
Forcée de s’accrocher au cou et à la corne de ce cavalier inopiné, surtout pour éviter de voltiger dans le décor, Astelle poussa un petit glapissement affolé. Affolement que l’ivresse mua bientôt en excitation. La course agile de l’Absol le faisait fuser entre les sapins, pareil à un éclair blanc, vif et invincible. La sensation de vitesse était grisante.

— BIBI ! Utilise Hypnose sur le Absol là bas ! Il a capturé ta tata !! s'écria Manon dans leur dos.
— Vouiiii, dépêche-toi, Bibi ! lança Astelle en se retournant à califourchon sur sa monture, comme pour encourager la petite Fantominus à les rattraper. Sinon je pars avec l’Absol, et je ne reviens paaaaaas !

Motivée par l’effroyable possibilité de voir disparaître à jamais sa Tatastelle, Bibi flottait de son mieux, mais ses chances de rattraper un Absol en pleine course étaient maigres. C’est pourquoi… Astelle entendait bien lui donner un petit coup de pouce. Avec un sourire attendri et malin, la princesse glissa ses petits doigts sous les aisselles de sa monture : pour la chatouiller sans aucune pitié ! Absol fit une embardée soudaine, en glapissant, pour finir par s’écraser dans une congère ! L’impact souleva de grands monceaux de neige tassée.
Le temps que le pokémon se relève, Bibi rattrapait son retard... et plongeant ses yeux dans les siens, le contraignit à l’obéissance par l'Hypnose.

D’un pas somnolent, Absol consentit à ramener sa princesse là où il l’avait prise.
Bibi sur l’épaule, elles firent le chemin en sens inverse, jusqu’à retrouver la pauvre Manon. Qui, ayant manifestement l’air de bouder, partageait une cigarette avec un Fermite.
Astelle eut un petit sourire doux.
— Désolée… chuchota-t-elle dans la fourrure du pokémon qui s’endormait. ...mais j’ai déjà trouvé mon chevalier.
Sans plus attendre, Astelle sautilla du dos de sa monture pour plonger dans les bras de Manon, dont elle récompensa “la bravoure” par un baiser sonore sur la joue ! Elle souffla gentiment sur Bibi aussi, qui avait quand même fait tout le travail !

— Je crois que c’est la première fois que je mets un râteau à quelqu’un ! Et un Absol, quand même ! confia la jeune fille avec un petit sourire fiérot et confus. Tu me ramènes au campement, maintenant, mon chevalier-servant ?

Modération:

J'ai une totale confiance en Bibi. C'est une trouillarde mais dès qu'il s'agit de protéger les êtres qu'elle chérit, c'est une guerrière. En l'entraînant ainsi, la Fantominus va apprendre à se faire confiance. Le départ est toujours difficile mais une fois lancée, elle a une détermination sans faille. C'est une brave pépette qui a l'ego brisé, il suffit de recoller les morceaux pour que ses peurs s'évanouissent. Ce n'est pas un travail aisé mais nous bossons dure. Je dis "nous" car je m'inspire de mes leçons pour me les appliquer à moi-même. Une facette de moi ressemble beaucoup à Bibi, c'est sûrement pour cela qu'elle me tient à cœur.

En attendant, j'ai terminé ma bière, fumé ma clope et je n'ai plus rien à dire au Fermite. Préoccupée par mes partenaires en course poursuite, je décide enfin de me bouger les fesses. Je salue et remercie poliment le pokémon avant de subitement faire face à l'objet de mon départ. En effet, Bibi ramène victorieuse la demoiselle en détresse. Sans me soucier du reste, je me précipite vers Astelle pour la prendre dans mes bras.

« Ma princesse ! »

Puis, elle embrasse ma joue, la faisant doucement rosir. Un peu ivre d'alcool et d'amour, je frotte affectueusement ma pommette rouge contre la sienne.

« Tu m'as manquééé !
- Je crois que c’est la première fois que je mets un râteau à quelqu’un ! Et un Absol, quand même !
- Pfouahaha ça fait une sacrée anecdote ça ! J'la r'ssortirai dans 10 ans.
- Tu me ramènes au campement, maintenant, mon chevalier-servant ? »

Je me délie de la jeune fille avant de lui présenter mon dos robuste.

« En route mademoiselle ! Allons vite dans notre château pour nous réchauffer. »

Honnêtement, je n'ai pas le courage de la porter dans mes bras, mon dos est plus résistant et moins douloureux donc le choix est vite fait. Je plie mes genoux pour qu'elle puisse aisément monter. Tenant fermement ses mollets, nous partons en direction du campement. Mes yeux s'illuminent et mon visage s'adoucit lorsque je croise le regard de Bibi.

« Tu as fais du beau travail Bibi. Bravo, et merci. Je sais qu'tu pouvais le faire. » je lui susurre avec beaucoup de tendresse.

La Fantominus rougit à son tour, émue par mon compliment qui pour elle est aussi doux qu'un bécot. Au début du trajet, je porte avec beaucoup de facilité le petit corps d'Astelle. Même si elle a bien deux kilos de patates et de fromages dans l'estomac, la demoiselle est beaucoup moins lourde que moi. Et dire que ce petit corps fragile contient une force d'esprit incroyable. Malgré ses apparences de petit être fragile, Astelle est une fille qui ne se laisse pas faire et n'abandonne jamais. Loin des clichés, elle sait me surprendre et c'est la somme de toutes ses qualités – et même de ses défauts – qui font chavirer mon cœur. Je ne l'ai compris que récemment.

« Ah mince le feu ! Faut qu'on se grouille. »

À la fin du chemin, je suis complète épuisée. J'ai l'impression d'être une mémé obèse qui peine à marcher sur ses deux jambes à cause du balais entre les fesses. Il faut définitivement que je perfectionne mon endurance et porter Astelle est un excellent exercice. Arrivées au campement, j'ouvre la tente en nylon pour déposer ma cavalière. Je m'asseois juste à côté d'elle, appelant Mama et PP pour leur donner une mission.

« Allez nous chercher du bois ! Mama toi tu sais préparer un feu, montre à PP comment faire. Faites le juste ici, là. Après Dede va l'allumer. »

J'ai de la chance d'avoir ces deux pokémons dévoués. Granbull adore les défis et Kangourex prend goût à rendre service. Après tout, ils ont l'opportunité de profiter du voyage contrairement aux autres terrés dans leur pokéball. Pendant que les deux braves s'activent, je me lève lourdement le temps de récupérer le pack de bières.

« La Beerachu c'est bien dans ton sac ma belle ? T'en r'veux une ? »

Moi, je vais en avoir besoin, car j'ai quelque chose de très important à demander à la demoiselle et ça me rend super nerveuse. N'étant pas totalement prête, je décide d'aborder un certain sujet. Délicat certes, mais moins flippant que celui qui me trotte dans la tête.

« Dis, Astelle ... »

Je jette un caillou dans le foyer, pile dans la couronne de pierre qui entourent les quelques bûches posés au centre.

« On en a pas trop reparlé depuis ... tu sais de quoi je parle ? »

Je suis contrariée. Sachant qu'Astelle a des souvenirs horribles de l'événement, je suis torturée entre ma volonté de lui en parler et la culpabilité de faire ressurgir des traumatismes chez la jeune fille. Restant interdite pendant quelques secondes, je décide enfin de me lancer. Nous sommes meilleures amies après tout, il n'y a aucun tabou entre nous. Pas vrai ?

« Depuis l'évènement à la Centrale ... la bataille contre le Jig Saw des Mistrals ... tu te sens comment, toi ? »

Ma véritable question viendra plus tard, dans le fil de la discussion afin que cela soit plus naturel. Cependant, plus je tarde, plus mes doutes me découragent d'en parler. Je ne veux pas tout gâcher. Mais je ne veux pas continuer à vivre dans le flou.

Modération:

Installée dans la tente, Astelle contemplait les pokémons de Manon, en train de s’activer pour faire du feu. Chatouillant gentiment le museau de Draco-senpai, la petite postière essaya de motiver le dragon à leur donner un petit coup de pouce.
Avec l’air vaguement blasé de celui qui est trop doué pour tout (et a pleinement conscience de cette excellence), le petit Draco rose s’en alla superviser les opérations. Astelle couva son partenaire d’un petit regard ému. ...elle aimerait bien le voir interagir un peu plus avec les autres.
Mais Senpai… ne s’intéressait qu’à elle.
Seulement à elle.

Draco avait choisi - pour aussi longtemps que durerait la courte vie humaine d’Astelle Dumas - de la traiter comme sa petite sœur de clan. Et d'une façon curieuse et propre aux dragons : de devenir l’instrument qui lui permettrait d’assouvir toutes ses ambitions, toute sa convoitise.
C’est le point de vue unique d’un pokémon extrêmement mystérieux.
Nul ne savait combien de temps vivrait Draco-senpai, mais il estimait, apparemment, qu’il pouvait bien consacrer plusieurs décennies à Astelle, sans que cela lui coûte quoi que ce soit.

La jeune fille frissonna.
...mine de rien, après quelques secondes seulement, ça lui manquait déjà, de ne plus sentir ces douces écailles ventrales contre son cou. La présence constante et rassurante de Senpai, dans sa vie, lui permettait d’affronter n’importe quel obstacle de face. Sans faillir.

— Je t’aime, lui chuchota-t-elle, d’une voix un peu rauque, signe qu’il n’était pas sage pour la jeune fille d’accepter une nouvelle Beerachu.
En train de repositionner les bûchettes du bout de sa queue, Draco-senpai se tortilla d’une façon légèrement réprobatrice, qui lui donnait un petit peu l’air de dire : “Je sais bien poupette. Vas-y mollo sur la boisson.”

— Dis, Astelle …
Oh...! Manon venant s’asseoir à ses côtés, la jeune fille s’arracha aux derniers lambeaux de sa rêverie.
Comme à chaque fois qu’elle contemplait son amie, son regard paraissait s’emplir de lumière. Son adoration évidente dans ses yeux clairs.

— Oui ? répondit-elle d’une voix douce, en rejetant la tête en arrière pour une nouvelle gorgée de bibine.
La jeune femme semblait un peu hésitante. Ce qui était un brin curieux.
...Manon était plutôt du genre à mettre directement les pieds dans le plat.

— On en a pas trop reparlé depuis ... tu sais de quoi je parle ?
Astelle fit signe que non. Quand bien même se targuait-elle de toujours savoir (plus ou moins…!) ce que Manon avait en tête, pour une fois, elle devait bien avouer qu’elle n’avait pas la moindre idée.
Le silence s’éternisa. Les yeux de la petite postière luisaient de curiosité, pourtant, elle ne pipa mot, attendant que sa camarade soit prête à aborder le sujet qui lui tenait à cœur.  

— Depuis l'évènement à la Centrale ... la bataille contre le Jig Saw des Mistrals ... tu te sens comment, toi ?
— Oh…
Après cette brève exclamation, le silence reprit ses droits. Seulement troublé par le crépitement du feu que leurs pokémons avaient allumé ensemble.
La bouche d’Astelle s’était arrondie dans un “o” muet ; elle ne s’était pas attendue à cette question. Au contraire, les évènements de la Centrale… bien que moteurs de ses décisions les plus récentes et les plus importantes, étaient une chose qu’elle avait soigneusement verrouillée dans le secret de son cœur.
La lumière… vacilla brièvement dans ses yeux clairs.

— J’ai… beaucoup appris de notre aventure à la Centrale, commença Astelle, neutre dans sa voix comme dans son expression. Sur moi-même, et sur les autres…

C’était le moins qu’on puisse dire.
Elle avait risqué de tout perdre, et découvert exactement à quel point elle tenait à tout ce qu’on aurait pu lui arracher. Elle avait pris conscience de vérités hideuses. Elle avait appris que tout au fond d’elle-même, elle accordait plus de priorité à certaines vies qu’à d’autres.
Qu’il y avait des sacrifices auxquels elle était prête à consentir.
Et des pertes susceptibles de la briser.

— Je vais bien, poursuivit-elle, et sa voix s’était faite abrupte. J’ai d’abord beaucoup cauchemardé, et mes parents ont été très inquiets, d’autant plus que je ne leur ai pas tout raconté… mais récemment, mes nuits ne sont plus aussi agitées.

C’était la vérité.
Depuis qu’elle s’était mise à travailler activement pour devenir Ranger, à s’exercer durement tous les matins, à entraîner ses pokémons dans l’optique de les rendre plus performants au combat : les cauchemars avaient lentement reflués.  

— ...je vais mieux, mais je crains d’avoir aussi beaucoup changé… reprit-elle à voix basse. Désormais, je sais qu’il existe des personnes horribles, qui font des choses affreuses, simplement parce qu’elles en sont capables. ...que ce genre d’individu existe et ne mérite aucune pitié.
Des mots qui ne sonnaient pas creux. Pas dans la bouche de la jeune Astelle Dumas, qui au cours de leur dernier combat, avait électrocuté leur otage pour s’assurer qu’elle ne les poignarderait pas dans le dos à la dernière seconde, avant de tirer une Draco-Rage en plein dans l’estomac de l’Administrateur Mistral.
Contre toute attente, au cours de ce drame, Astelle s’était révélée la plus dure et la plus cruelle des dresseuses présentes.  
...comment aurait-il pu en être autrement ?
Ils avaient tué Manon.
Pour de faux. Et juste pour quelques secondes.
Quelques brèves secondes d’horreur et de cauchemar où son amie, où son amour, s’était effondrée sur sa chaise. Le visage en sang. Laissant Astelle expérimenter toute l’horreur d’un monde où elle n’était plus.

— ...mais je vais bien, continua-t-elle, et peut-être ne réalisait-elle pas qu’elle se répétait, encore et encore. Je vais devenir plus forte. Et si un tel accident devait se reproduire un jour… alors cette fois : je serai préparée à y faire face.
Et les criminels ne pourront espérer de sa part aucune pitié.
Certaines personnes abjectes, qui tenaient plus de la bête que de l’homme... certains individus comme Diomède, qui se réjouissaient purement et simplement de la souffrance morale d’autrui, méritaient seulement d’être battus comme plâtre, puis jetés dans le trou le plus profond qui puisse exister.

Astelle n’avait pas l’intention de chercher les ennuis.
...mais elle n’avait pas non plus l’intention de fuir si les ennuis devaient la trouver.

Modération:

D'abord surprise par mon interrogation, les yeux pétillants de joie d'Astelle s'éteignent, laissant place à un visage sérieux. Continuant à picoler en la reluquant, j'écoute attentivement la jeune femme.

Cette dernière m'avoue qu'elle a été affecté par les évènements. La demoiselle a eu des cauchemars, tout comme moi, sauf qu'elle a des parents qui s'inquiètent pour elle. Celle-ci ne leur a pas tout raconté, probablement pour les protéger. Astelle s'en remet progressivement, se servant de cette expérience pour s'endurcir. Elle a découvert que le monde est corrompu par des hommes malveillants et que certains ne méritent pas de compassion. Je pose ma main dans son dos pour la rassurer et compatir avec ses dires. Cela ne doit pas être facile de se remémorer ces horribles souvenirs, mais la jeune fille a le courage de m'en parler. Ce n'est plus la gamine frêle que j'ai connu : c'est devenu un véritable bout de femme.

« Je vais devenir plus forte. Et si un tel accident devait se reproduire un jour … alors cette fois : je serai préparée à y faire face. »

J'esquisse un sourire en descendant d'une traite ma canette. C'est bien beau ces déclarations mais ce n'est pas ce qui m'intéresse. Je le sais tout ça : je vois que tu as changé Astelle, je vois que tu as souffert ...

« C'est vrai, je sens que t'as évolué dans le bon sens. J'te sens plus forte et plus déterminée dans tes choix ... »

... mais il y a quelque chose que je n'ai toujours pas capté et qui me hante l'esprit : le baiser. J'ai mis de côté ma douleur et oublié les mauvais souvenirs dans la binouze pour ne garder que celui-ci. Malgré l'horreur du drame, Astelle a été ma lumière dans les ténèbres. Alors que la fin du monde a semblé proche, la demoiselle a révélé à demi-mot ses sentiments pour moi. Mais vu que ce n'est pas assez clair pour mon cerveau de Poichigeon, je compte mettre le sujet sur le tapis.

« Mais dis moi ... e-est-ce que tes sentiments pour moi ont changé ? »

Les joues rosées par l'alcool et l'embarras, je décide de me resservir une boisson. J'espère qu'un autre pack est prévu car celui-ci descend à vu d'œil. Je comble ce silence malaisant par un raclement de gorge peu glamour. Je ne sais pas comment aborder cela, je me sens un peu maladroite. Le temps d'ouvrir la canette et boire quelques goulées, j'élabore une phrase d'accroche pour raviver le souvenir d'Astelle.

« T-tu t'souviens ? ... tu m'as dis des trucs et pis ... tu m'as embrassé. »

Mes yeux n'osent pas croiser les siens. Aucun moyen de retourner en arrière : maintenant que je me suis lancée, je vais jusqu'au bout.

« J'me souviens qu't'avais dis que tu voulais plus que je risque ma vie même si c'était pour ça que tu m'aimais tant ... et tu m'as embrassé après que j't'ai envoyé c'message. C'était pour rigoler mais ... »

... pas trop. Je crois ressentir autre chose que de l'amitié et ce depuis bien avant l'événement à la Centrale. Mais est-ce la même chose pour Astelle ? Probablement qu'elle aussi, elle a blagué. On m'a déjà fait le coup, on ne m'aura pas deux fois même si le doute persiste. C'est bien pour cela que je veux clarifier la chose.

« ... est-ce que tu blaguais aussi ? Où tu penses sincèrement ce que tu as dis, ce que tu as fais ? »

Subitement, je me sens pousser des ailes, probablement à cause de l'alcool. Je me rapproche de la jeune fille jusqu'à me retrouver à quelques centimètres de son visage. Mes yeux brillants de sincérité, je lui susurre d'une voix suave et étrangement affirmée :

« Est-ce que, si j't'embrasse là maintenant, tu vas me repousser ? Est-ce qu'on peut toujours app'ler ça de l'amitié ? »

Les hormones en ébullition, mes lèvres s'approchent des siennes sans son consentement éclairé. Tel un Lougaroc voulant dévorer le Laporeille, je me sens comme une prédatrice qui coince sa proie entre ses pattes. Je ne compte pas la laisser partir. Heureusement pour la brunette, je suis rapidement interrompue par deux Darumaronds givrés qui se tapent l'incruste dans notre nid douillet.

Modération:

En proie aux flammes, les bûches craquaient.
La chaleur remontait sensiblement autour du feu de camp improvisé.
Et Astelle Dumas changeait de couleur à vue d’œil.

Manon était toute proche. Son amie s’était penchée vers elle.
Et lui susurrait de cette voix… plus chaude que la plus brûlante des flammes.

— Mais dis moi ... e-est-ce que tes sentiments pour moi ont changé ?
La petite postière déglutit. Non, ses sentiments n’avaient pas changés. Astelle avait toujours été partisane des grandes déclarations éperdues, et ce, depuis leurs premiers jours ensemble. Déclarations qu’elle lui avait faite au Parc Safari, sur le palier de la Dracoposte, sous les étoiles de Sunyra, et même tout au sommet du moulin de la famille Dumas à Kishika.
...mais ce n’était que depuis la Centrale qu’elle avait réalisé ce qu’elle voulait vraiment lui dire.
Ce que son cœur convoitait en secret. Il avait fallu manquer de la perdre… pour comprendre

— T-tu t'souviens ? ... tu m'as dis des trucs et pis ... tu m'as embrassé, poursuivit Manon.
Elle se souvenait très bien. Elle se souvenait même que c’était Manon qui avait proposé de l'embrasser la première, puis s’était tout bonnement dégonflée. ...peut-être car son attention était trop distraite par le champion-coordinateur aux allures de mauvais garçon qui les accompagnaient au même moment.

— J'me souviens qu't'avais dis que tu voulais plus que je risque ma vie même si c'était pour ça que tu m'aimais tant ... et tu m'as embrassé après que j't'ai envoyé c'message. C'était pour rigoler mais …
”C’était pour rigoler.” Astelle sentit soudain son cœur - et tous ses espoirs - qui s’effondraient dans sa poitrine.
N'y laissant rien d'autre qu'un vide glacé.

— ... est-ce que tu blaguais aussi ? Où tu penses sincèrement ce que tu as dis, ce que tu as fais ?
Je pensais ce que j’ai dit… mais pourquoi est-ce que tu me poses la question, si pour toi c’était juste une plaisanterie ? Elle se sentait vexée. Cette approche… ce n’était pas juste.
Manon essayait de la pousser à se livrer, mais elle-même… s’était complètement protégée. Son amie pouvait prétendre que c’était juste une plaisanterie. Juste une forme de copinage un peu douteuse.  

— Est-ce que, si j't'embrasse là maintenant, tu vas me repousser ? Est-ce qu'on peut toujours app'ler ça de l'amitié ?
Mais Astelle, elle… se sentait complètement vulnérable. Ce n’était pas juste.
Elle trouvait même que c’était… très lâche comme façon de procéder.
— ...si c'est pour “pour rigoler”, ou pour “me faire une blague”, articula-t-elle, désormais froide et tremblante, comme tu n’arrêtes pas de le répéter, alors oui, tu vas prendre mes deux pieds dans la figure, Manon.

Elle se releva brusquement, peinée. C’était toujours pareil.
C’était à elle, de faire tous les efforts. A elle, de prendre son courage à deux mains. De risquer le rejet, l’humiliation. Manon, de son côté, pouvait tout prendre à la rigolade. Simplement se cacher ou trouver un prétexte pour détourner l’attention quand les choses devenaient trop compliquées. Lui tournant le dos, la petite postière sentait les larmes perler aux coins de ses yeux.

Est-ce que c’était à cause de l’alcool qu’elle se sentait si vulnérable ? Est-ce qu’elle aurait profité de cette occasion pour confesser ses sentiments, autrement ? C’était justement pour ne pas risquer de provoquer une situation pareille… qu’elle avait eu l’intention de ne rien lui dire, aujourd’hui. Parce que ce n’était pas le moment de prendre des risques, de bouleverser leur relation, pas quand elles étaient supposées passer la nuit ensemble sous la même tente.

Mais c’était trop tard. Elle avait mal, et par cet inconfort, par cette injustice qu’elle trouvait à la situation - où son amie plus expérimentée essayait de la pousser à se dévoiler à l’aide de moyens détournés, en gardant son propre cœur tranquillement à l’abri… - la blessait.

La blessait si fort qu’elle...
— De toute façon, je ne vois pas pourquoi tu me poses ces questions, reprit-elle d’une voix rude. Ce dont je me souviens surtout, moi, c’est de toi qui t’assied sur cette fichue chaise-de-la-mort alors même que je te mets en garde contre le danger. Toi qui risque ta vie sans même m’écouter. Et encore toi qui fait les yeux doux à Joeffrey, même après que ce dernier ait tenté de me laisser mourir dans l’incinérateur.

Cette fois-ci, elle pleurait pour de bon.



Les paroles lui avaient échappées, s’étaient écoulées comme le sang coule d’une plaie béante.
Mortifiée, chagrine et furieuse, la jeune fille s’éloigna à vive allure.

— Pousse-toi ! cria-t-elle à l’un des Darumarond de Galar qui se rassemblaient en bordure du feu de camp.
Choquée, la petite boule de fourrure blanche s’effondra sur le côté. Suffisamment terrorisé pour faire le mort. Laissant Manon gérer le problème que constituaient les deux, puis les trois, puis les quatre Darumaronds de Galar qui investissaient le campement, autant par curiosité que parce que la lueur des flammes attisait leur intérêt, Astelle s’en allait à grands pas.
Pour une fois, c’était à son tour de n’en faire qu’à sa tête.
A son tour de faire un caprice, et de simplement laisser Manon rattraper le coup.

Et si son amie se lançait à sa poursuite sur les pentes enneigées, criant son nom à la nuit tombée, elle entendrait pour seule réponse lui provenir de l’obscurité :

— Je m’en fous ! Je vais me trouver un Absol !
...mais il est à peu près certain que c’était l’alcool qui parlait.

Beerachu.
Le compagnon des bonnes soirées.

Modération:

Pas besoin de la distraction des Darumaronds pour refroidir l'atmosphère : la réaction d'Astelle suffit.

« ... si c'est pour “pour rigoler”, ou pour “me faire une blague”, comme tu n’arrêtes pas de le répéter, alors oui, tu vas prendre mes deux pieds dans la figure, Manon.
- ... eh ? »

Je fixe la demoiselle, l'air hébété comme une vraie tête à claque. Pourquoi est-ce que j'affiche cette face d'enfant stupide alors que je sais pertinemment, au plus profond de moi, ce qu'elle me reproche ? Profitant de l'ivresse et de mon attrait pour la jeune fille, j'ai voulu engager ce jeu enjôleur avec elle, sans prendre en compte ses sentiments. C'est peut-être trop tôt, en attendant, je ne comprends pas une telle réponse.

« A-Astelle, qu'est-ce qui va p– »

La demoiselle se redresse précipitamment, les membres crispés. Elle semble avoir gros sur le cœur et ne tarde pas à me le faire savoir.

« De toute façon, je ne vois pas pourquoi tu me poses ces questions. »

Son timbre à la fois dur et tremblant, hérisse les poils de mes bras. Cette tension m'est insupportable, sans même la voir je l'entends retenir ses larmes. Ma gorge se noue et mon cœur se serre.

« Ce dont je me souviens surtout, moi, c’est de toi qui t’assied sur cette fichue chaise-de-la-mort alors même que je te mets en garde contre le danger. Toi qui risque ta vie sans même m’écouter. Et encore toi qui fait les yeux doux à Joeffrey, même après que ce dernier ait tenté de me laisser mourir dans l’incinérateur.
- Qu-quoi !? »

Les palpitations dans ma poitrine sont douloureuses. J'ai horreur de cette sensation que me procure les disputes, il faut que cela cesse. Cependant, cette voix qui s'échappe de ma bouche veut crier justice, elle veut dissiper ce malentendu mais l'interlocutrice ne souhaite pas d'explications. Trop heurtée, Astelle tente de s'échapper. Dégageant les Darumaronds qui envahissent le terrain, elle s'enfuie loin de moi. La scène se déroule si vite que j'ai un train de retard : je réalise que la personne que j'aime file entre mes doigts.

« A, Astelle ! REVIENS !! »

Je tends mon bras dans les airs, en espérant qu'elle le saisisse. Or, la fille est déjà partie.

« Je m’en fous ! Je vais me trouver un Absol !
- NAAOOONN »

C'est avec beaucoup de maladresse que je me relève. Mes jambes bougent toutes seules : ne se souciant guerre de l'invasion des pokémons glaces dans la tente, je galope à toute vitesse pour rattraper Astelle. Par réflexe, je saisis le paquet cadeau que j'ai caché dans mon sac. Abandonnant PP et Mama à leur sort, je m'en vais rattraper l'être qui m'est cher.

***

Le soleil s'est couché, laissant place à une nuit froide et venteuse. Serrant fort le paquet mou contre ma poitrine, je hurle avec le vent.

« ASTEEEELLE REVIEENS »

Je l'ai perdu de vue. L'alcool me fait perdre l'équilibre ; courir en esquivant les obstacles sur mon chemin devient difficile. Je titube au trot, la mine inquiète en scrutant attentivement les environs. Pour conclure cette journée pitoyable, la pluie s'invite dans le ciel. Ne faisant pas suffisamment froid pour que ce soit des flocons tout doux, je me tape des gouttes gelées et brutales sur la face.

« Astelle ... »

L'alcool triste fait son comeback. Cela ne m'a pas vraiment manqué. Mon souffle s'emballe tout comme mes pulsations cardiaques. Je commence à paniquer, complètement angoissée par la situation. Il pourrait lui arriver n'importe quoi et tout serait de ma faute. Ne pouvant plus contenir mes émotions, j'éclate en sanglot.

« AsteEeEeEelle !! S'il te plaît revient, laisse moi tout expliqueeeeer ! »

Je hoquette tel un gosse qui fait un gros chagrin. Fatiguée, mes genoux tombent dans la neige. Seule, dans la forêt enneigée, je m'autorise à vider mon sac. À sortir tout ce qui m'agace.

« Pourquoi est-ce que c'est toujours aussi compliqué !? À chaque fois qu'j'l'ouvre, j'm'en prends plein la gueule et dès qu'j'la ferme on m'le r'proche aussi !! »

Ce n'est pas contre toi Astelle, mais contre le monde entier. On m'a toujours fait comprendre que mes sentiments ne valent rien. Personne ne s'y intéresse ou pire, on s'en moque. La petite postière est la première à me faire ce reproche. En prenant du recul sur ce qu'elle dit, cela m'a ouvert les yeux : j'ai négligé Astelle. À force de me renfermer sur moi-même, j'en viens à blesser les autres, en particulier celle que j'affectionne. Si je suis plus honnête avec moi-même et autrui, la vie serait plus facile. Alors, qu'est que je peux faire là, maintenant ?
Comment résoudre mes bêtises ? En étant sincère avec Astelle. Arrêtez les jeux ambiguës et aller droit au but. Pourquoi est-ce que j'ai posé ces questions à la brunette ? Pourquoi ne l'ai-je pas écouté lorsqu'elle m'a dissuadé d'aller sur la chaise mortelle ? Pourquoi ai-je "fais les yeux de Vivaldaim" à Jeoffrey – dont j'ai oublié l'existence jusqu'à ce qu'elle me le rappelle – ? J'ai les réponses à toutes ces questions. Et j'espère bien les communiquer à la jeune fille.

La tempête s'apaise et les étoiles réapparaissent. Cette méditation expérimentale dans la nature glaciale me revigore l'esprit. De nouveau déterminée, je parcours le moindre recoin du camping en espérant la retrouver.

***

Je ne sais pas depuis combien de temps je la cherche mais la nuit s'est déjà bien installée. Heureusement, j'ai pensé à prendre mon portable au lieu des clopes. Activant la lumière, je continue à fouiller les environs en appelant la brunette.

Alors que je recommence à perdre espoir, une silhouette capte mon attention.

« Astelle !? »

Cela fait un moment que je répète l'opération, en vain : à chaque fois je tombe sur une quelque chose, c'est soit un pokémon soit un buisson. Alors que je pense devenir folle, je tente le tout pour le tout en m'approchant de la créature. Les traits se dessinent au fur et à mesure, révélant la personne que je cherche depuis une éternité.

« ASTELLE !!! »

Je me précipite vers elle pour la prendre dans mes bras. La gravité nous fait tomber à la renverse ; j'atterris sur le sol enneigé pour adoucir la chute d'Astelle.

« Cette fois-ci, j'te lâche plus. »

Mon premier réflexe est de frotter son dos glacé afin de le réchauffer. Je reste un long moment dans cette position jusqu'à parvenir à chauffer ce corps tout gelé.

« Ne refait plus ça Astelle ... plus jamais ... »

Posant mon menton sur son épaule, je me mets à sangloter silencieusement.

« Sérieux, j'ai eu super peur, il aurait pu t'arriver n'importe quoi ... »

Ne prenant plus gare à cacher mes larmes, je me délie de la demoiselle pour contempler son visage.

« Je me suis vraiment inquiétée pour toi ... »

Il faut absolument qu'elle se réchauffe. Je ramasse le paquet cadeau tombé plus tôt, déchirant le papier sans délicatesse. Une couverture incroyablement chaude et douillette s'en libère, enveloppant immédiatement les épaules de la brunette. Prenant soin de l'envelopper dans la couette chaude, je la câline de nouveau.

« Tu vois, *snif c'était ton cadeau d'anniversaire, je savais qu'il te serait utile. Ça s'voit pas là dans le noir mais c'est en bleu clair comme le ciel, ta couleur préférée pas vrai ? »

Je souffle sur la couverture pour répandre la chaleur alors que je tremble de froid.

« Ne me refait plus jamais ça, ok ? Prenons l'temps de discuter, mais faut pas s'enfuir comme ça. Ça résout rien. »

Puis, son discours me revient à l'esprit. Reniflant pour ne pas tâcher le dos de la jeune fille, je ne traine pas pour lui révéler mes réponses à ses interrogations.

« Tu veux savoir pourquoi j'te pose toutes ces questions ? Surtout pour le bisou ? »

Mes doigts se cramponnent à ses épaules et ma tête se relève pour lui faire face. Je plante mes yeux mouillés dans les siens.

« C'est parce que j'crois ... qu'ch'uis attirée par toi. Plus que tu ne le crois ... »

Mince, je commence à rougir. Réalisant ma révélation, je finis par détourner le regard, complètement embarrassée.

« ... j't'ai menti en disant que c'était une blague. Désolée. »

Je déglutit bruyamment avant de poursuivre.

« T'sais je ... je ... j'voulais être sûre que ... que tu éprouves la même chose que moi ... »

Une moue triste apparaît sur mon visage. Je peine réellement à trouver mes mots. C'est la toute première fois pour moi.

« T'sais j'ai ... j'ai peur de révéler ce que je ressens. J'ai ... j'ai peur que tu te moques de moi. »

Je ne veux plus connaître la souffrance d'un cœur brisé. Mes angoisses forgés par mes expériences m'empêchent de communiquer simplement avec elle. Pourquoi ? Parce qu'elle me chamboule.

« C'est bête hein, j'sais qu't'es pas comme ça mais ... j-j'ai peur de tout détruire, à chaque fois que j'l'ouvre, je fais tout foirer. Et je n'veux pas te perdre. »

Je la serre un peu plus contre moi, sans l'étouffer, juste avec tendresse.

« T'sais si j't'ai pas écouté pour la chaise, c'est parce que j'estimais que ma vie avait moins de valeur que la tienne et celle de tout le monde. Pour l'autre là, tu t'méprends complètement, j'essayais de faire en sorte qu'il coopère avec l'équipe, sinon ils auraient fait encore plus de conneries. Au final, on s'est jamais recontacté et c'est avec toi que je reste. »

Dis comme ça, on aurait dit un couple sans vraiment l'être. L'atmosphère est très étrange, je doute me sentir mieux ou davantage embarrassée. Tout ce que je veux, c'est retourner en arrière, lorsque nous rigolons ensemble et profitons de nos moments à deux. Même si une part de moi, a envie de pousser plus loin la relation quitte à perturber son équilibre.

Modération:

Elle avait commencé par se débattre.
Sans force, et sans parler. Avec un grognement presqu’animal.
Elle avait commencé par manifester une hostilité perçante, qui ne pouvait signifier qu’une chose : elle ne voulait pas l’écouter.

Manon la tenait, presque de force. Trop heureuse de l'avoir retrouvée dans ces ténèbres glacées... mais peut-être encore incapable de réaliser qu'elle n'avait pas retrouvé Astelle. Pas vraiment. Car la jeune fille qui s'était enfuie, en larmes, ne lui était pas encore revenue.

— Sérieux, j'ai eu super peur, il aurait pu t'arriver n'importe quoi …
Et alors ? Les yeux d’Astelle luisaient de défi. Quand c’était elle qui s’en inquiétait, Manon n’en faisait toujours qu’à sa tête. Pourquoi est-ce que c’était toujours à elle de faire attention ? D’être raisonnable ? D’être prudente ?

Effondrée dans la neige fraîche, la petite postière fit un nouvel effort pour s’extirper des bras de son amie.
Elle n’avait pas envie d’être réchauffée. Pas envie d’être consolée.
Pas ce soir, et pas par Manon.

Dans l’obscurité, même les larmes étaient voilées. La faible lueur des étoiles esquissait à peine la silhouette agitée de Manon Dubell, qui cherchait à la frictionner, même contre son gré. Un bruit de déchirement se fit entendre. La jeune femme récupéra quelque chose par terre et puis...

...on enveloppa les épaules d'Astelle dans une couverture chaude.
— Tu vois, *snif c'était ton cadeau d'anniversaire, je savais qu'il te serait utile. Ça s'voit pas là dans le noir mais c'est en bleu clair comme le ciel, ta couleur préférée pas vrai ?
L'étoffe était douce et confortable, mais c’était aussi le signe que son amie avait eu une pensée pour elle, même alors qu’elles étaient séparées. Peut-être est-ce pour cette raison, que drapée d’azur et de chaleur, Astelle… cessa de se débattre.
Son regard conservait un éclat revêche et peu conciliant. Sa bouche, un pli boudeur.
Mais… elle acceptait maintenant de l’écouter. De lui parler.

— Ne me refait plus jamais ça, ok ? Prenons l'temps de discuter, mais faut pas s'enfuir comme ça. Ça résout rien.
— Je ne promets rien, grommela la petite postière.
Manon, qui fuyait sans cesse toutes les conversations importantes, n’avait aucun droit de lui faire cette recommandation. Astelle était froide. Sa peau. Ses paroles. Comme si ses larmes avaient eu le temps de la congeler tout entière, tandis qu’elle errait, solitaire et perdue dans cette nuit glacée. L’Astelle souriante et solaire, l’Astelle qui brillait d’ordinaire plus fort que nulle autre étoile… semblait bien lointaine ce soir. Et son cœur hors de portée des mains de Manon.
— T'sais j'ai ... j'ai peur de révéler ce que je ressens. J'ai ... j'ai peur que tu te moques de moi.
— Je ne me moque pas.
Petit ton catégorique.
— C'est bête hein, j'sais qu't'es pas comme ça mais ... j-j'ai peur de tout détruire, à chaque fois que j'l'ouvre, je fais tout foirer. Et je n'veux pas te perdre.
— Je ne suis pas perdue, puisque tu es venue me chercher.
Répartie sèche et lourde de sens.

La jeune fille restait laconique. Et ce n’était pas bon signe.
Astelle n’était rien, sinon une grande bavarde. Quelle que soit la nature du mur qui s’était érigé entre elles, ce soir, il ne semblait pas qu’il serait possible de le franchir de sitôt. La petite postière ne le permettrait pas.
Pour l’heure, elle se contentait d’écouter. Plus calmement, depuis que Manon avait entouré ses épaules de cette couverture d’anniversaire. ...mais les mots de la jeune femme ne semblaient pas la toucher, pas vraiment. Ils ricochaient sur la carapace glacée qui avait crû autour de son cœur.

Astelle sentait toujours comme un grand vide à l’intérieur de sa poitrine. Ses propres émotions s’y étaient étouffées, réduites à l’état de braises froides et de cendres grises.

C’était encore le plus sûr.
Ce soir, la chaleur lui paraissait être quelque chose de terriblement effrayant. Et toute la sienne s’était évaporée à la seconde où Manon avait prétendu que tout ça n’était qu’un jeu, qu’un mensonge, qu’une plaisanterie.  
— T'sais si j't'ai pas écouté pour la chaise, c'est parce que j'estimais que ma vie avait moins de valeur que la tienne et celle de tout le monde. Pour l'autre là, tu t'méprends complètement, j'essayais de faire en sorte qu'il coopère avec l'équipe, sinon ils auraient fait encore plus de conneries. Au final, on s'est jamais recontacté et c'est avec toi que je reste.
— …
Pour seule réponse, Astelle dégagea la couverture de ses épaules, et l’étendit pour recouvrir également celles de Manon.
Pourtant, la jeune fille conservait un air mesuré et distant.
Elle s’était refermée sur elle-même, comme un Coquiperl.
Qui sait quelles méchancetés la nuit avait-elle pu lui susurrer à l’oreille ? Quelles horreurs lui avaient suggérées les ténèbres glacées ? Perdue sans lumière, ni matériel, Astelle avait-elle cru devoir passer la nuit seule dans le froid ? Avait-elle abandonné, les heures passant, l’idée même que Manon viendrait la chercher ?

— Je suis fatiguée.
C’était tout ce qu’elle était capable de prononcer. D’assimiler.
Ce soir, Astelle était épuisée, froide et lointaine. Les révélations que lui ferait son amie seraient considérées avec prudence, logique et méfiance. Mais pas acceptées. Elle aurait besoin de temps pour y réfléchir.

Accepter les paroles de Manon aurait pu marquer le commencement de quelque chose de nouveau, d’inconnu, de merveilleux ou d’effrayant.
...mais un peu plus tôt, cette même Manon avait voulu l’embrasser sous le couvert d’un mensonge.

Demain serait bien assez tôt pour commencer à démêler les implications des événements de la soirée. Demain, lorsque son cœur serait moins gelé.  
— …comment est-ce qu’on retourne à la tente ?
Parce qu’il n’y aurait pas d’excuses ou de réconciliations. Pas ce soir.

Modération:

Astelle n'est ni enjouée de me voir, ni rassurée. C'est limite si je l'ennuie pas et qu'elle aurait préféré dormir dans la neige plutôt qu'avec moi. Mon sourire soulagé s'évanouit et mon regard tombe au sol, dépitée. Astelle conclut simplement son altercation par :

« Je suis fatiguée. »

Elle ne cherche ni à répondre à mes avances, ni à se réconcilier. Je comprends bien que la journée soit harassante mais je lui en veut d'imposer cette ambiance plombante. Probablement, c'est une façon pour la brunette de se faire comprendre : je l'ai vraiment blessé et ce n'est pas quelques mots doux qui vont arranger les choses. Il faut des actes. Sauf que moi aussi, je suis crevée et je ne veux plus lutter davantage.

« D'accord ... »

Même de ma pled, Astelle n'en veut pas, préférant réchauffer mes épaules que les siennes. Je me relève, le dos courbé par la déprime. Malgré tout, je lève ma grande cape douveteuse pour inviter Astelle à s'y loger.

« … comment est-ce qu’on retourne à la tente ?
- Suis moi, on va trouver un moyen. »

Si elle n'accepte pas de m'approcher, je lui redonnerai la couverture. Seulement munie de ma lampe torche, nous marchons dans la nuit noire.

Un vent glacial s'installe dans la montagne. Tout aussi froid que nos retrouvailles. Nous nous échangeons pas un mot, trop préoccupées à cogiter. En ce qui me concerne, je ne fais que répéter en boucle à quel point je suis une incapable. Exprimer mes sentiments n'arrangent rien les choses, ce n'est qu'une perte de temps. Malgré mes efforts, personne ne les entends réellement. Les gens s'en moquent, les piétinent même, sans jamais les considérer. Jamais prise au sérieux, j'ai abandonné l'idée que mes émotions valent la moindre chose dans ce bas monde. Il est plus simple de ne rien dire, d'écouter ce que pense les autres car ce sera toujours plus important, toujours plus intéressant que ce que je ressens. Au moins, j'en tire quelque chose : l'approbation des autres. Cette idée que je me mets toute seule en tête commence sérieusement à m'énerver. Une voix à l'intérieur de moi hurle à l'injustice : pourquoi je n'aurai pas les mêmes privilèges que les autres ? Pourquoi est-ce à moi de fermer ma gueule et me plier aux exigences d'autrui ? À cet instant, je regrette de ne pas avoir mon paquet de clope car je crève d'envie d'en griller une. Il faut vite rentrer. D'un seul coup, mon corps se réveille et une information capital me vient à l'esprit : j'ai appris à PP de rappliquer lorsque je siffle. J'avertis Astelle avant d'arrêter notre course de mon propre chef.

« Attends deux s'condes. Et bouche toi les oreilles. »

Rapprochant mon pouce de l'index, je les glisse entre mes lèvres avant de souffler un son strident. Celui-ci résonne dans la vallée, restant sans réponse. Je pousse un soupir désespéré, convaincue qu'on va mourir d'hypotermie dans la neige sans jamais se réconcilier. Mais qu'importe, il faut continuer d'avancer.

Soudain, des bruits de pas précipités déchirent ce calme relugieux. On aurait dit une bête en furie qui fonce droit sur nous ! Je n'aperçois qu'une vague silhouette perdue dans la neige, jusqu'à ce qu'elle se dessine plus précisément au fur et à mesure qu'elle se rapproche. Ce n'est que maintenant que je reconnais la démarche pataude de mon bon vieux PP. Je quitte un instant la pled pour me mettre accroupie, les bras grands ouverts.

« MON GROS PP !!! »

C'est bien lui, voilà le patatouf qui accourt vers sa maîtresse avec une joie immense. Son popotin remue tous ses plis et ses babines baveuses s'apprêtent à assassiner mes joues. Retrouver mon pokémon adoré me réchauffe le cœur. Je le réceptionne de plus belle – manquant de justesse de me faire empaler par ses gigantesques crocs –, m'étalant dans la couverture blanche de la montagne. Il m'embrasse comme si il ne m'a pas vu depuis des décennies, m'assommant de quelques coups de boules maladroits au passage.

« Oh oui mon gros, je sais que t'es content, mais évite de m'embrocher quand même ... »

Je me délecte de cet instant de douceur, me revigorant d'énergie et d'espoir. Si il m'a entendu, c'est que le camping ne doit pas être loin. Je demande au doge de nous indiquer le chemin, ordre qu'il accepte avec plaisir. Fier d'avoir dégoté sa meute, il revient au campement en bombant le torse. Pour sûr, il aura le droit à une grosse gâterie et il en est convaincu.

Nous ne mettons plus longtemps à retrouver notre tente, enfin. Kangourex, fidèle à sa nature de maman, nous gronde à cause de notre prise de risque. Elle s'est vraiment inquiétée. Heureusement, la leçon de morale se conclut par un gros câlin collectif, Astelle et PP comprit. Voilà qui adoucit cette soirée catastrophique, c'est une chance qu'il soit avec nous. Sans même oser échanger un regard avec Astelle, j'ouvre la fermeture éclair de la tente en l'invitant à l'intérieur.

« Tu peux te mettre au chaud. Moi j'vais fumer une clope. »

Je balance la couverture dans la tente avant de fouiller mon sac. Après avoir dégoté mon précieux, je m'écarte non loin de l'abri pour rejoindre la petite rivière. Recroquevillée contre un arbre, je contemple le reflet de la lune sur l'eau qui brille. La nicotine apaise instantanément mon craving, sans pour autant arrêter mes ruminations. Je ne fais que ressasser les mêmes sujets sans trouver les solutions. Il faut que je me rendes à l'évidence : je ne peux rien faire de plus pour Astelle. C'est à elle de réfléchir à mes déclarations et prendre des décisions. En attendant, j'enfouie au plus profond de moi mes sentiments. Maintenant, comment survivre une nuit après une dispute avec sa meilleure amie ? Cela risque d'être pénible. J'angoisse presque à rentrer dans la tente. Je prends donc le temps de fumer ma cibiche, tentant d'oublier ces pensées négatives en admirant ce magnifique paysage nocturne.

Je suis finalement parvenue à pénétrer dans l'abri, après un petit moment. J'ignore combien de temps je suis restée dehors mais suffisamment longtemps pour choper une saloperie. Je salue la brunette par un sourire timide avant de rejoindre ma couchette. Après avoir méchamment souillé quelques mouchoirs en papier, je tourne le dos à la jeune fille – n'osant toujours pas lui faire face – en tentant de m'allonger confortablement. Le sommeil peine à venir. Le sol est dur comme de la roche et mon sac de couchage est trop étroit. Même si nos chaleurs corporelles réchauffe notre tanière, je reste gelée. Paradoxalement, d'énormes sueurs perlent à mon front, mon corps tout entier être en train de suer sans que je sache pourquoi. Un mal de crâne insupportable me réveille alors que je somnole, c'est donc en silence que je douille sa mère. Tout la nuit.

***

Ce matin, j'apprends que je suis malade. Une fièvre pas possible, des céphalées douloureuses et un nez coulant comme une fontaine m'empêchent de bouger. Clairement, on ne peut pas plus mal finir cet anniversaire-surprise. Le séjour a dû être écourté à cause de ma maladie, ce qui n'est pas plus mal au vue des tensions avec ma meilleure amie. J'ai dû partir en urgence à l'hôpital pour me faire soigner. Fausse alerte, ce n'est qu'un rhume ou la Covid-19 même si celui ci persiste deux trois jours après. Suite à cela, je reprends du poil de la bête et je décide de recontacter Astelle. L'avantage d'avoir foiré un jour important pour ta meilleure amie, c'est que tu ne peux que placer la barre plus haute. Je compte bien me rattraper.

Modération:

Astelle ne parvenait pas à se réchauffer. Elle se contentait de marcher. Apathique et atone. Vacillant sur des jambes trop frêles. Désorientée, désensibilisée par le vide glacé qu’elle sentait croître dans sa poitrine. Manon, qui lui tenait la main, qui l’encourageait, qui cherchait à la ramener au camp… aurait aussi bien pu être une parfaite inconnue. Une intruse, aux motivations suspectes et dangereuses, infiltrée au-delà des barrières qui protégeaient son cœur, et pour quoi ?
Elle ne savait plus. Elle n’y croyait plus.

Des larmes invisibles coulaient sur son visage, tandis qu’elle maudissait, et maudissait à chaque pas, ces montagnes cruelles et enneigées, ces versants de désolation blanche. D’une brutale avalanche, ils avaient enterré tout ce qui lui avait un jour été précieux.
Le monde ne lui était plus qu’un véritable cauchemar.
Et Manon la tirait par la main. Inlassablement.
Et Manon l’encourageait à continuer. Sans faillir.
...mais Astelle se demandait simplement à quoi bon.

Atteindre le campement ne désemplirait pas le vide qui s’était creusé dans sa poitrine.
C’était raté. C’était trop tard. Elle avait tout gâché.
Confusément, sans bien dissocier ce qui s’était réellement passé des mensonges que les démons lui avaient soufflés dans son errance glacée, la petite postière croyait bien comprendre qu’elle avait échoué. Qu’elle avait eu une chance de tout arranger, et l’avait simplement gaspillée.
Parce qu’elle avait trop froid. Parce qu’elle avait trop mal.
Parce qu’elle ne voulait plus écouter.
...et ne lui restait plus que cette sensation poignante de regrets.
Et ces larmes givrées que personne ne verraient briller.
Et ces sanglots qu’elle n’avait même plus la force de pousser.

Aujourd’hui, était le pire jour de sa vie.
Aujourd’hui, c’était son anniversaire.

***

— Attends deux s'condes. Et bouche toi les oreilles.
Atone, elle était d’une obéissance scrupuleuse.
Comme une petite poupée, une marionnette un peu cassée. Qui fait ce qu’on lui dit. Comme on le lui dit. Pressant les paumes de ses mains contre ses oreilles, elle perçut le sifflement essoufflé de Manon. Un appel à l’aide, un peu désespéré, qu’elle lançait récidivé à l’assaut du vent.  
La véritable Astelle lui aurait fait des suggestions. Elle aurait eu la bouche pleine d’astuces et de conseils, sur la meilleure manière de retrouver leur chemin. Mais la copie pâle et tremblante qui se tenait là, à ses côtés, n’en était pas capable. Son cerveau fonctionnait comme au ralenti.
...et puis, encore une fois, à quoi bon ?
Seule Manon se souciait encore de la ramener au camp. L’y placer en sécurité, jusqu’au moment de la rendre à ses parents. Pour enfin l’abandonner pour toujours.
C’était de cette manière que s’achèverait cette histoire.
Aucun dénouement heureux ne les attendait.

Dévitalisée, la jeune fille regarda sans un mot l’arrivée fracassante du Granbull.
Désintéressée, car tout lui semblait blanc, tout lui semblait fade et gelé.
...mais ce monde livide, qu’elle voyait à travers le prisme de l’épuisement… dégageait comme une curieuse sensation de familiarité.

Elle se rappelait.
Avant l’arrivée de Manon…

Elle n’aimait pas se rappeler ce qu’elle avait été avant l’arrivée de Manon.
Elle n’aimait pas se rappeler qu’elle vivait dans l’épilogue d’un curieux conte de Cendrillon. Que sa personnalité vive et pleine de ressources n’était que le résultat de la métamorphose qui s’était opérée en elle, fragile paysanne mutique et timorée, que personne ne voulait laisser vivre, et que tout le monde voulait protéger. Elle n’était pas naturellement comme ça. Elle n’était pas devenue comme ça par ses propres moyens. Pour devenir une Astelle radieuse, elle avait eu besoin d’aide, de soutien, de patience... et d’amour.
...un amour qu’elle avait laissé s’échapper.
...un vide dans lequel elle se sentait aspirée.
Elle se sentait glisser. C’était comme une régression instinctive. Comme une fleur qui fanait dans sa poitrine… maintenant que Manon lui était hors de portée.

Avec l’aide du Granbull, les deux jeunes filles terminèrent de braver la végétation glacée.
En hypothermie. Désorientée. C’est à peine si elle comprit que le voyage touchait à sa fin, à peine si elle sentit les bras de Kangourex se refermer sur elle pour la réchauffer.
...mais c’était bel et bien terminé.

— Tu peux te mettre au chaud. Moi j'vais fumer une clope, lui asséna la voix de Manon, funèbre comme sonne le glas.

Car c’était presque une condamnation.
Les derniers mots que son amie lui adresserait.
Obéissant en automate, ébranlée, Astelle mit un pas vacillant après l’autre. Elle se réfugia dans la tente, et sentit comme cette chaleur ambiante la brûlait. Mais elle ne se souciait pas de ses engelures, ni de l’état dans lequel on la retrouverait au petit matin... La jeune fille s’enroula dans sa couverture bleutée avec la prière fervente et désillusionnée que tout cela n’avait été qu’un terrible cauchemar. Que ce n’était pas tout son monde qui était en train de s’écrouler. Qu’au réveil, elle vivrait la continuité de ce rêve tendre et florissant qu’elle avait rêvé sans faille, tout au long de l’année passée.

***

Il était tard.
Astelle se sentait lourde et fiévreuse. Tâtonnant dans l’obscurité, elle trouva ses cachets, qu’elle avala avec la bouteille d’eau qu’elle gardait à proximité. Son corps lui faisait mal. Sa peau était irritée et brûlante. Enflée, aussi.
...mais sa tête, elle, lui semblait plus claire.
Les événements de la soirée lui demeuraient confus. Mais elle se sentait de nouveau capable de réfléchir posément. De verrouiller le désespoir qu’elle sentait monter dans sa poitrine. De se concentrer sur sa situation.

Et c’est pourquoi, dans l’obscurité douillette de la petite tente qu’elles partageaient… elle entendit renifler Manon. Sa respiration sifflante et maladive. Ses bredouillements désordonnés. Ses grognements de douleur.
...s’approchant délicatement, en rampant sur ses genoux, Astelle vint se placer au chevet de la jeune femme. Ses yeux accoutumés aux ténèbres, elle contempla sa meilleure amie.

Car il s’agissait bien de sa meilleure amie. Peu importait les idées creuses que le désespoir lui avait soufflées pendant la nuit. Et peu importait ce que Manon pensait (ou ne pensait pas) d’elle… la voir souffrir lui faisait mal. C’était la vérité froide et concrète.
Une réalité que toutes les disputes du monde ne pourraient jamais changer.

Soulevant la tête de Manon, la jeune fille vint installer son amie sur ses genoux.
Une main posée derrière sa nuque, elle lui fit boire, puis prendre des cachets contre la migraine. En réponse à ses grognements, elle humecta sa main, et promena un doigt humide sur son front. Y chassant la sueur. Y apportant un peu de fraîcheur.
...et toute la nuit, sans se soucier de si Manon jugerait cela embarrassant ou pas, elle la berça doucement contre son coeur. Toutes les deux enveloppées dans sa couverture bleue, elle lui fit régulièrement boire de petites gorgées, et veillait à la rafraîchir.
...et peu importait si Manon l’aimait ou pas.
...et peu importait ce qu’elle-même ressentait ou non.
Prendre soin de cette personne malade et délirante qui bavait sur ses genoux était plus important que toute autre chose. Veillant sur son sommeil troublé, Astelle attendit la venue du matin. Là, elle appela le restaurant à proximité, et leur demanda en urgence d’envoyer de l’aide.

L’hôpital vint les chercher, toutes les deux.

***

— Vous appliquez cette crème, matin et soir. La douleur devrait rapidement s’atténuer.
Astelle acquiesça aux propos du médecin, et reçut avec gratitude la crème anti-inflammatoire. Ses mains étaient couvertes de plaques rouges et gonflées. Quant à ses joues… eh bien, on aurait dit un Pikachu.
Sourire lui faisait un petit peu mal, mais elle remercia d’une courbette le docteur.

Elle n’aurait pas besoin de passer la nuit à l’hôpital.
Sa peau lui faisait souffrir, mais les virus semblaient s’être tenus à l’écart.
Sans doute pouvaient-ils sentir qu’elle était une petite fermière de Kishika, à l'hygiène de vie saine et survitaminée !

...à la place, ils s’en étaient pris à Manon.
Qui, elle, devrait dormir sur place, car même après sa prise d’antibiotiques, son état ne s’était pas amélioré. Les visites n’étaient pas interdites, et Astelle était passée la voir.
Son amie avait le visage rouge et l’air défait. La respiration sifflante, le nez et la gorge prise.
Un infirmier, sur place, la prévint de faire attention, car la patiente venait de s’endormir.
Et elle avait besoin de repos.

...c’est donc en silence qu’Astelle quitta l’hôpital.

***

— Bonsoir, Manon, chuchota la petite postière.
L’heure des visites était passée. Le soleil couchant baignait l’intérieur de la chambre d’un halo orangé. Et Astelle se tenait là, assise sur le lit de son amie, à la contempler. La petite postière avait les yeux rieurs. Son sac sur les genoux. Et son air malicieux trahissait qu’elle avait comme une drôle d’idée derrière la tête.

— Parle doucement, sinon je vais me faire attraper.
La jeune fille ouvrit son sac-à-main, d’où s’extirpa son fidèle Draco.
Fourrageant un instant dans le bagage, elle y récupéra un emballage coloré, qui contenait manifestement des bonbons. Des marshmallows.
— Finalement, on a jamais eu l’occasion d’en faire au camping, alors… expliqua-t-elle en piquant un marshmallow à l’extrémité d’une baguette, avant de le tendre à son dragon de poche, histoire qu’il le rôtisse d’un petit soupir de flammes.

Une douce odeur sucrée se répandit dans la petite chambre d’hôpital.
— Et un marshmallow grillé, un !
Astelle tendit la brochette improvisée à son amie, puis entreprit de s’en préparer une également.

— J’ai aussi du curry, dans une petite boîte en plastique. Je suis allée en acheter pendant que tu dormais. T’en veux ? Ouvre grand la bouche, je vais te donner la becquetée !

Après avoir soigneusement gavée son amie de sucreries et de pommes de terre épicées qui lui feraient bien vite suer sa maladie, Astelle cacha ses affaires sous le lit, puis se dissimula sous les draps de Manon.  
— Je dors ici, cette nuit, annonça-t-elle au culot, tandis que les lumières commençaient à décliner dans le couloir, et que le couvre-feu approchant, le personnel de l’hôpital ferait bientôt sa ronde pour vérifier que tout se passait bien. Ne me dénonce pas à l’infirmier, hein !
Avec sa petite taille, une fois roulée en boule contre son amie, Astelle était pratiquement invisible. Ce serait un jeu d’enfant de tromper la vigilance du personnel de l’hôpital jusqu’au matin.

— ...c’est pas grave si on parle de rien, et c’est pas grave si tu renifles, que tu tousses et que t’es un peu gênée, chuchota-t-elle en passant ses bras autour de la taille de Manon. Je veux rester.