Le temps semble vouloir se rafraîchir à chaque jour qui passe, l’automne commençant peu à peu à se rapprocher de l’hiver. Et, pourtant, la température se fait toujours assez douce dans le sud de Lumiris, là où tu y as passé presque toute ta vie avant de décider, comme ça, subitement, qu’il était temps que tu voles de tes propres ailes, ce qui t’a amené jusqu’à Artiesta. Est-ce que tu regrettes ce départ un peu précipité du foyer familial ? Non, pas vraiment. Parce que t’es toujours aussi proche de ton père, parce que tu passes le voir assez souvent et que, finalement, tu sembles revenir assez régulièrement dans les environs de Port-Corail, mais des raisons aussi nombreuses que variées. Comme aujourd’hui, par exemple, alors que tu te trouves à l’entrée du parc Aquakwak, te demandant vaguement pourquoi est-ce que tu es ici. Quelqu’un t’a proposé de venir avec elle et, finalement, t’as pas eu le coeur de refuser. Même si t’as pas spécialement envie de passer plus de temps que nécessaire avec celle qui t’a invité. Même si t’es pas spécialement tentée d’apprendre à la connaître, gardant un souvenir amer de votre précédente rencontre.
Mais t’es là et il est trop tard pour rebrousser chemin. T’es là, avec un jogging et un pull, tes cheveux tombant sur tes épaules. T’es là avec ton sac à dos dans lequel se trouvait tes pokéballs ainsi que ton oeuf, ayant cette fâcheuse habitude de le traîner à peu près partout où tu allais si tu ne laissais pas de tes pokémons chez toi pour veiller sur lui. C’est un peu ta façon de ne jamais le perdre de vue, de pouvoir t’assurer à tout moment que tout se déroule parfaitement et sans accroc. T’es peut-être devenue un peu paranoïaque, peut-être plus maman poule que ce que tu aurais cru être, mais tu t’es faite la promesse que, pour une fois, tout allait bien se passer. Que, pour une fois, t’allais te prouver à toi-même que tu savais être responsable. Tâche difficile, certes, mais pas impossible.
Donc voilà, t’es même là avec un peu d’avance. Toi qui es toujours en retard, t’es là avec un peu d’avance. C’est surprenant, te connaissant. Une occasion rare que la majorité de tes amis ne connaissaient pas. Mais bon, c’est peut-être parce que, même si t’es toujours embêtée de ta dernière discussion avec mademoiselle Miss Lumiris, t’as quand même envie de passer la journée au spa. Tu pourrais même dire que t’en as besoin. T’es fatiguée, ces derniers temps. T’as l’esprit un peu partout. Des tracas que tu ne parviens pas vraiment à oublier, à mettre de côté, qui reviennent donc inlassablement perturber tes pensées.
Tu la vois qui s’approche et tu esquisses un sourire. Un sourire un peu forcé. T’as déjà peur qu’elle te parle. Parce que t’es convaincue qu’elle ne se contentera pas que d’un simple mot pour te saluer. Qu’elle ne se contentera pas que d’un ça va pour s’enquérir de, justement, si t’allais bien, plus par politesse que par réel intérêt. Tu entends déjà ses longues phrases aux mots parfois compliqués, avec cette douceur que tu ne peux pas voir autrement que comme de l’hypocrisie. C’est trop doux. Trop poli. Trop pour qu’elle ne cherche pas à cacher quelque chose, derrière un masque écoeurant de fausse gentillesse. T’es de mauvaise foi. T’es mauvaise langue aussi. Mais t’arrives pas à la voir autrement que comme ça.
Parce que, malgré toi, tu te sens un peu attaquée dans sa façon d’être. Parce que toi, tu sais pas être comme ça.
- Bon matin. Simple et efficace alors qu’en réalité, l’heure du midi était déjà passée et que vous étiez en début d’après-midi. - Tu vas bien ? Toujours aussi simple. Direct. Pas besoin de fioriture. Pas besoin de faire semblant en décorant ta phrase de tu ne sais trop quoi. C’est toujours aussi injuste, la concernant, mais t’aimes pas le sentiment qu’elle vient faire naître chez toi, cette impression que t’es pas assez bien. Que t’es pas aussi bien qu’elle. Et ça te dérange beaucoup plus que ce que tu n’oses l’admettre. Parce que tu t’es jamais vraiment sentie comme ça. T’as jamais remis ni ta personne ni ta valeur en doute. Tu t’es jamais vraiment remise en question, et ce, jusqu’à ce qu’elle réponde à ta méchanceté gratuite par de la gentillesse. Ça t’a surpris.
D’une certaine façon, je devais être une sorcière bien envoûtante, captivant l’attention des uns et des autres et les traînant dans un filon d’admiration que je m’expliquais peu. Je l’avais sentie réticente. J’avais eu l’impression qu’elle m’en voulait, puis l’instant suivant elle avait accepté une invitation lancée de manière quelconque. Elle avait dit oui et mon cœur avait fait un bond, comme si c’eut été la plus grande joie de ma vie. Comme si elle avait dit oui à une proposition extrémiste et poussée à laquelle personne n’aurait jamais dit oui. Non. Cette femme hostile que j’avais rencontré sur la plage avait accepté un simple soin au spa. Une activité purement anecdotique qui me permettrait de racheter la moindre chose que j’eus pu mal faire et qui avait pu ainsi la frustrer.
J’avais eu peur qu’elle ne vienne pas, qu’elle me fasse faux bond. J’avais eu peur de me retrouver seule sur les lieux et ç’aurait été un échec bien triste et lamentable à mon sens. Malgré les mots que Lise m’avait fait entendre, je me refusais à croire qu’il était possible de déprécier une personne et je ne voulais pas être celle que l’on méprisait tout bonnement juste parce que. J’avais au moins besoin de comprendre. J’avais au moins besoin d’essayer de changer les présomptions que l’on assumait sur moi. « Mademoiselle Jade ! » laissais-je entendre, tout sourire. Joviale. Prête à lui sauter dans les bras si elle me montrait que c’était son désir. Elle ne le fit pas. C’est plutôt dans une certaine lassitude qu’elle m’accueillit. Bonjour. Tu vas bien ? C’était tout. Avais-je été trop intense ? Dans mon approche, y avait-il un moment où je la brusquais, où elle ne pouvait pas accepter que j’agisse de telle ou telle manière ? Probablement. Peut-être était-elle de ces gens que je peinais à cerner, ces introvertis qui vivaient gauchement leurs émotions par l’intérieur. Ça devait être ça. Ça ne pouvait qu’être ça. Un large sourire sur les lèvres je m’approchai d’elle. « Oui je vais bien. Et vous ? Quoi de beau depuis la dernière fois ? Vous vous êtes fiancé ? Vous avez gagné la loterie ? Vous êtes devenus maître coordinatrice ? » J’en faisais trop. J’allais trop loin. Notre – dernière – rencontre avait eu lieu une semaine auparavant. « Moi j’ai de nouveaux œufs ! J’ai laissé l’autre chez moi. Regardez. » De mon sac, je sortis deux œufs en tout point similaire à celui de l’autre fois et je lui souris en les lui montrant, confiante qu’elle me féliciterait, sans me rendre compte que j’en faisais trop.
Je me savais loquace. Je l’avais toujours été. Je me savais énergique, mais je prenais toujours conscience beaucoup trop tard que ça pouvait agacer les gens qui croisaient ma route ou qui partageaient mes journées. Et aujourd’hui, j’avais ce pétillant dans les yeux qui laissaient présagé que j’étais d’une bonne humeur particulière, probablement parce que le soleil rayonnait… ou parce que je voyais cette journée comme productive. « C’est madame Tomiisenshin qui les vend à son élevage. Je lui en ai pris trois. » dis-je pour elle en m’avançant vers le comptoir de service. « Deux soins complets pour mademoiselle Jade et moi, j’ai réservé. » Le commis clapota sur son clavier avant de me sourire et de me tendre les peignoirs qui nous servirait toute la journée durant, s’assurant de me saluer de mon nom.
Je souris à nouveau. « Merci ! Mademoiselle Jade, c’Est moi qui paie. » Elle n’avait pas eu son mot à dire, j’avais tendu ma carte bancaire et il avait procédé à la transaction. « Votre compagnie me suffit en terme de compensation. C’est cadeau. » dis-je en lui tendant, à mon tour, le peignoir et de tourner les talons vers les vestiaires, portée par la joie, allégée par mon rire enfantin et enthousiaste.
Tu l’entends et tu ne peux pas t’empêcher de grincer des dents. Mademoiselle Jade. Pourquoi est-ce qu’elle se doit de dire mademoiselle ? Pourquoi est-ce que ses phrases se doivent d’être plus longues que nécessaire ? Et pourtant, t’es toi aussi très loquace. Toi aussi tu parles beaucoup, bien souvent pour rien dire. Alors pourquoi est-ce que ça t’énerve autant lorsque c’est elle qui le fait ? Parce que c’est sa façon de parler. Cette bonne humeur à laquelle tu n’es pas réceptive. Parce que c’est encore et toujours ce sentiment que tu cherches à ignorer, celui où elle t’es supérieure. Celui où elle est ce que toi tu n’es pas. Elle est douce et gentille. Elle l’est sincèrement. Sans faux semblants. Là où toi… Tu l’es, la majorité du temps. Mais t’es aussi égoïste. T’es aussi sanguine. Tu t’énerves souvent pour un rien. T’es rancunière. Tu juges rapidement, aussi. T’es pas quelqu’un de mauvais mais, face à elle, t’arrives pas à te considérer comme quelqu’un de bien.
Et ça t’énerve. Ça t’énerve tellement.
- Tu peux me tutoyer, hein. Peut-être un peu trop sèchement. Alors que, pourtant, tu t’étais faite la promesse d’être agréable. Après tout, t’as pas accepté son invitation pour te montrer mauvaise à son égard. Ça t’a juste échappé. Quelque chose de plus qui t’a fait grincer des dents au travers son flot de paroles. - Et sinon je vais bien. Tu étires un sourire. Pas aussi rayonnant qu’à ton habitude mais un sourire tout de même. - Je ne suis toujours pas fiancée, je ne suis même pas en couple. Tu laisses entendre un petit rire. Normalement, t’aurais sûrement trouvé un homme avec qui occuper les prochaines semaines mais, maintenant qu’il y en a un qui hante tes pensées, t’as plus envie de rencontrer personne d’autre. Pas envie de te retrouver dans les bras d’un autre. - Je n’ai malheureusement pas gagné à la loterie… Et pourtant, ça te faciliterait tellement la vie. Et pas nécessairement gagner plusieurs millions de dollars, juste un peu plus que ce que ton salaire de serveuse te permet de gagner. - Et je ne suis pas encore championne coordinatrice. Le mot important de ta phrase était le encore. Tu ne l’étais pas encore. Mais c’était quelque chose que tu envisageais presque, une idée qui avait traversé ton esprit et sur laquelle tu comptais te pencher un peu plus. Une idée qui valait la peine que tu y accordes un minimum d’attention.
Maintenant que tu as répondu à toutes ses questions, finalement un peu amusée par tout ça (même si tu n’oserais pas l’admettre), tu décides de te contenter de la suivre. Ton regard se porte ensuite sur les oeufs qu’elle te présente, constatant du même coup qu’elle doit sans doute être une bien meilleure dresseuse que toi si avoir autant d’oeufs ne l’effraient pas. Et, encore une fois, ça ne te plaît pas. Parce que, encore une fois, elle t’apparaît comme meilleure que toi. - Oh, c’est cool. Un peu plus timidement. - Moi j’ai toujours mon oeuf avec moi. Tu désignes ton sac. - Et mes pokémons aussi. Je ne voulais juste pas laisser l’oeuf seul à la maison… Tu ne voulais pas risquer quoi que ce soit, le concernant. Jusqu’à maintenant, tout allait bien et tu comptais bien que les choses se poursuivent dans cette direction.
Elle te dit un nom que tu ne connais pas et tu te contentes d’une réponse silencieuse et d’un hochement de tête. Puis, une fois devant le comptoir, tu fronces un peu les sourcils lorsqu’elle affirme qu’elle va payer pour vous deux, pour vos deux soins complets. T’es presque tentée de l’arrêter, pour ne pas avoir à lui être redevable mais, finalement, tu n’en fais rien. Parce que tu préfères éviter les dépenses inutiles, ayant constaté dernièrement qu’il pouvait être dispendieux que de nourrir nombreux pokémons.
Tu tends donc la main pour attraper le peignoir tout en te dirigeant vers les vestiaires avec celle venant de t’inviter. - Merci. Tu t’efforces au moins de te montrer polie, de la remercier alors qu’elle vient de t’offrir cette journée au spa, avec elle. - Tu penses que je peux amener mon oeuf avec moi ? T’es pas certaine d’avoir envie qu’il passe la journée dans un casier. Certes, c’est peut-être pas l’endroit idéal pour un oeuf de pokémon mais t’as juste pas envie de le laisser seul. - Et eh… Vraiment, tutoies-moi. S’il te plaît. T’aimes pas qu’elle te vouvoie. T’aimes pas ce respect qu’elle semble avoir à ton égard. Parce que t’as pas l’impression de le mériter. Pas alors que tu t’es montrée odieuse avec elle sans qu’elle n’ait rien demandé. Pas alors que t’es aussi injuste. Parce que le problème ne venait très clairement pas d’elle, chose qui était toutefois plus difficile à assumer.
Pendant un instant, je figeai, incapable de déterminer si elle se moquait de moi ou si elle me demandait sincèrement de laisser tomber les formalités. J’aurais aimé que ce ne soit qu’une vaste blague. J’aurais aimé que ses mots ne soient qu’un humour plus ou moins houleux et qu’elle sache déjà. J’aurais préféré ne pas avoir à décevoir une autre personne. J’aurais aimé que cette question ne revienne pas, une nouvelle fois, sur le plancher. Trop tard. Elle était venue. Comme chaque fois que je rencontrais une nouvelle personne. Comme chaque fois que j’espérais que l’on accepte que ces politesses trop marquées fissent partie de moi. Et j’entrais dans cette boucle éternelle de culpabilité et d’autodérision, dans ce sentiment amer qui me gagnait pour chaque Iris, chaque Auguste… Chaque Jade. « Non. Désolée. » articulai-je comme si l’heure avait été grave. J’étais restée de marbre, le regard sombre, comme si je me rappelais un quelconque traumatisme relié à un manque de politesse quelconque. Il n’y avait pourtant aucune douleur amère à remuer. C’était juste comme ça. Chez moi, tout le monde se vouvoyait, tout le temps. Chez moi, on ne retirait jamais les titres des gens. Chez moi, on s’exprimait ainsi, c’était obligatoire. « J’aurais beau vouloir, je ne pourrais pas vous tutoyer. Ça manquerait de naturel et de fluidité. Je vouvoie mon conjoint et ma sœur au quotidien. Je les appelle chère sœur ou cher amour pour éviter de dire monsieur et mademoiselle, mais chaque fois je bloque. Chaque fois, ça me semble étrange. Je suis désolée, mais je ne peux pas répondre à votre demande. »
Ces simples mots suffirent à me faire sentir mal de lui infliger ce traitement soporifique. Ces simples mots alourdirent instantanément l’atmosphère, malgré elle, ça se produit simplement, parce que moi j’avais honte, parce que moi j’avais mal de ne pas pouvoir la faire sentir bien, de ne pas savoir la mettre à l’aise de faire tomber l’hostilité que j’avais pu ressentir lors de notre rencontre. C’était pourtant le but de notre présence, faire tomber cet inconfortable malaise que j’avais senti, me donner l’occasion de la connaître et de me faire connaître au-delà des préjugés que l’on pouvait chuchoter à mon endroit. « Désolée de vous décevoir. Je peux quand même essayer de ne plus dire votre nom, ça enlèvera la lourdeur du titre. » ajoutais-je la mine basse. Cette habitude que j’avais refaisait souvent surface et chaque fois qu’on la pointait j’en souffrais. J’étais déçue de ne pas arriver à plaire telle que j’étais. J’étais déçue d’être celle que j’étais.
« Sur une autre note, je ne crois pas qu’il y ait de problème pour votre œuf. J’emporte les miens aussi. Monsieur Silas, une connaissance, a tendance à soigner ses œufs ici, il n’y a jamais de souci. L’équipe est très attentive aux besoins. » dis-je en espérant que les formules de politesse deviendraient vite un sujet classé et appartenant au passé, que l’on se recentrerait vite sur nos œufs ou sur faire connaissance. J’entrai dans une cabine pour enfiler le peignoir et je commençai à chercher des horizons communs. « Vous n’êtes pas encore championne coordinatrice, mais cela veut dire que ça vous intéresse ? Où pensez-vous établir votre dôme ? Mon fiancé est champion du dôme de Port-Corail. Vous l’avez visité ? Vous le ferez ? Vous pensez participer à Miss Lumiris ? » Les questions se succédaient sans arrêt, j’essayais d’enterrer sa déception, de m’intéresser à elle.
J’espérais que l’on oublie vite la déception que je lui avais créée.
Il y a quelque chose de dérangeant dans sa façon de parler, dans sa façon de se comporter. C’est pas de ta faute et t’y peux rien, tu vois derrière sa trop grande politesse une forme d’hypocrisie qui te met mal à l’aise, qui vient jouer sur tes nerfs. Et pourtant, t’as l’impression qu’elle est sincère, lorsqu’elle te dit qu’elle ne peut pas te tutoyer. Qu’elle n’y arriverait pas. Et t’es surprise d’entendre qu’elle va jusqu’à vouvoyer sa propre famille, jusqu’à vouvoyer son conjoint même. C’est quelque chose que tu ne comprends pas, quelque chose qui t’échappe. Déjà parce que tu ne vouvoies pas vraiment les gens en règle générale, mais aussi parce que tu te demandes pourquoi est-ce qu’elle le fait. Pourquoi être aussi polie ? Pourquoi mettre tant de formes dans ce qu’elle dit ? Pour prouver quelque chose aux autres ? À elle-même ? Pour se sentir supérieure ? Pour s’afficher comme meilleure que les autres ? Comme si elle était au-dessus de tout le monde ?
T’en sais rien et, même si tu te doutes que ce n’est pas ça, tu ne peux pas t’empêcher de penser une telle chose. Parce que t’es agacée. Tu l’es depuis vos premiers mots échangés et maintenant, ce n’était plus juste parce qu’elle avait volé le titre qui revenait de droit à Kisara. C’est plus personnel. Parce que chaque mot résonne en toi comme une critique camouflée, chaque parole un rappel que tu n’es pas aussi bien qu’elle. Que tu n’es pas aussi polie, que tu n’es pas aussi maniérée. Que tu n’as peut-être pas ta place dans le monde des grands, que tu ne pourrais pas atteindre les étoiles à te comporter comme tu le faisais.
Parce que toi, tu n’es qu’une fille de pêcheur.
- C’est pas grave. Tu veux pas qu’elle se sente mal. Ou, plutôt, tu veux pas qu’elle s’excuse. Donc, tant pis, c’est pas grave, t’allais devoir supporter ces mots qui viennent t’ébranler, qui viennent tout remettre en doute. T’as jamais autant douté de toi et tu t’es jamais sentie aussi vulnérable et tu comprends même pas pourquoi ça t’arrive. Parce qu’elle te déstabilise ? Parce qu’elle est complètement aux antipodes de ta personne ? Oui, c’est sans doute ça. Et c’est dérangeant. Injuste aussi à son égard, mais là encore, t’y peux pas grand chose. Tout ce que tu pourrais faire, c’est de cesser de l’accabler de ce qui n’est pas de sa faute mais plutôt de la tienne. Mais ça, ça te demanderait d’être plus mature, chose assez difficile te concernant.
Tu enfiles alors ton peignoir par-dessus un joli maillot de bain une pièce se voulant assez sobre puis tu en sors en gardant ton oeuf avec toi. - Oui, ça m’intéresse d’être championne coordinatrice. Tu crois. T’es pas encore certaine mais c’est une idée qui te plaît bien, quelque chose sur laquelle tu allais devoir te pencher un peu plus sérieusement éventuellement. - Alors eh… Je ne suis jamais allée au dôme de Port-Corail mais je pense effectivement y aller ! Après tout, Port-Corail est ta ville natale. - Sinon, je sais pas trop où est-ce que j’aimerais aller même s’il est vrai qu’Artiesta me fait de l’oeil. Là où tu vis actuellement, la ville t’ayant charmé par l’animation nocturne qu’il y avait quotidiennement. - Et je sais pas. Pour Miss Lumiris. Tu sais pas. Ça pourrait être cool, certes, mais après le scandale que tu as fait l’an dernier et après avoir passé des heures à cracher sur les autres participantes avec Kisara tout en buvant votre traditionnel pumpkin spice latte, tu ne te voyais pas t’opposer à elle.
Tu te diriges alors vers le spa avec ta partenaire de la journée, semblant toutefois un peu mal à l’aise. Une situation avec laquelle tu n’as pas l’habitude, toi qui d’ordinaire est toujours très toi-même. Toi qui n’es jamais aussi réservée. - Et toi, tu veux faire comme ton fiancé et avoir un dôme ? Tu sais pas trop, tu poses des questions comme ça, pour faire la discussion. Pour chasser toutes ces incertitudes qu’elle a fait naître en toi sans même qu’elle le chasse, toutes ces questions que tu te poses et qui te donnent presque un mal de crâne.
« Non. » contentais-je de dire en agitant la tête sans la moindre hésitation. Je ne visais pas de dôme, ça je le savais. Je le savais depuis longtemps. Je n’avais pas le talent pour tenir aussi régulièrement des concours. J’étais de ces gens qui avaient une versatilité, qui touchaient un peu à tout, qui était douée dans tout ce qu’elle faisait, mais qui n’excellait jamais. Jamais. J’étais douée. Jamais excellente. C’était comme ça et j’avais accepté cette réalité même si tout le monde n’était pas toujours d’accord, même si personne n’était jamais d’accord. Ils étaient seulement gentils. « Je n’ai pas le talent de monsieur Alaric. Je ne pourrais pas tenir un dôme comme lui, je n’y arriverais pas. » Je serrai les dents à la mention de son nom. Je savais qu’il détestait quand je le titrais, mais cette fois, comme si j’avais été profondément affectée, je n’étais pas arrivée à le retenir. « Ça a toujours été comme ça, vous savez. Vous connaissez mes parents ? » Un instant, je m’arrêtai. Je parlais rarement d’eux, je mentionnais rarement à quel point je les idolâtrais, je mentionnais rarement autre chose les concernant que mon objectif : les satisfaire. Pourtant, là, devant elle, j’acceptais d’ouvrir une partie de mon être, une partie qui, je l’espérais, resterait entre nous deux. « Sans prétention eh. Ils sont plutôt célèbres comme coordinateurs de là où je viens et mon nom de famille a traversé les mers et les océans… on m’a souvent reconnue comme étant la fille des Caelum… Eux, ils sont forts. Je ne suis rien à côté. Ils ont été stricts pour que je leur succède, parce que mon aînée ne s’intéressait pas à la coordination. Moi oui. Ils ont passé des heures à me montrer comment me tenir, comment agir, comment m’adresser aux gens, comment devenir une coordinatrice reconnue. » Je disais ces mots attristant avec légèreté, comme si je m’étais confiée à une vieille amie. Je disais ces mots avec un sourire et un regard éclatant. Après tout, je les admirais, ça n’avait rien d’une tyrannie.
J’étais d’accord… à l’époque..
« C’est trop de pression. C’pour ça que je suis partie… sinon on serait sûrement un trio aujourd’hui. » ajoutais-je après une légère pause. Et je ne m’y voyais pas. J’avais eu, à un moment, ce besoin de m’émanciper, de vivre par moi-même, de découvrir le monde sans que l’on ne me le dicte, de me faire mes propres amis… de retrouver ma sœur. Ça avait été mon vœu le plus précieux dès l’instant où elle avait quitté la maison… au grand dam de mes parents. Ils m’avaient perdue. C’était sa faute. Sa faute si j’étais partie, si j’avais voulu faire ma vie ailleurs, si j’avais rencontré cet homme qui ralentissait mon évolution… C’était la faute de Valencia. « Enfin bon ! Je n’vais pas éclater l’ambiance avec ces vieilles histoires. » dis-je en criant presque, en me dérobant au calme qui hantait les lieux. Ma voix était à nouveau cette parcelle de soleil rassurante et réconfortante que l’on espérait par temps frais. « Le jacuzzi pour commencer, ça te va ? »
Pourquoi posais-je la question ? Par pure courtoisie. Même si elle n’avait pas voulu, elle n’avait pas le choix, c’est là que je commençais et je marchais en cette direction sans l’attendre, sans insister, les mains occupées à soutenir les deux œufs que je m’étais imposés. « Et vous ? Pourquoi la coordination ? Pourquoi cet univers plutôt que les arènes ? Vous avez déjà fait un concours ? Vous avez gagné ? Artiesta, j’avoue que c’est une belle ville. J’ai visité le dôme une fois avec monsieur Even, il voulait me montrer quelque chose. Vous connaissez monsieur Even ? » Le bref répit que mon sérieux et ma confidence avait pu laisser flotter s’en était allé. Complètement annihilé par le soudain regain d’énergie qui m’avait gagné.
Pourtant, j’étais venue pour me détendre, mais même pour ça, je n’étais pas douée. Même à être silencieuse, je n’excellais pas… et c’est pourtant la première chose que l’on demandait à un enfant quand il venait au monde « Calme-toi, cesse de pleurer, respire. » Je n’avais jamais su prendre ces mots pour moi.
Elle parle beaucoup. C’est un truc que t’as remarqué la dernière fois, quelque chose que tu remarques à nouveau aujourd’hui. Un peu comme toi. Au final, vous n’étiez pas si différentes, pas sur tout du moins. Et là où vous l’étiez, tu ne pouvais pas t’empêcher de te dire qu’elle était meilleure que toi. Ça ne fait que se confirmer un peu plus lorsqu’elle te parle de son héritage, de ses parents dont le nom te disait vaguement quelque chose sans plus. Elle est née au sein d’une famille de coordinateurs, elle a pu apprendre avec les meilleurs. Qu’en était-il de toi ? Tu apprenais comme ça, comme tu le pouvais, un peu sur le tas, ayant eu quelques conseils de la part d’Izaiah que tu tentais d’appliquer, ne serait-ce que pour entraîner tes pokémons, pour espérer un jour dans un futur assez proche pouvoir monter sur scène. Pouvoir affronter la foule du regard et leur offrir une prestation qui saurait les marquer. Ou, au moins, leur offrir un bon moment.
Mais t’en étais pas encore là. Parce que t’hésitais ? Non, pas vraiment. C’est pas ton genre que d’hésiter. Tu sais pas trop pourquoi. Parce que l’occasion ne s’était pas encore présentée. Parce que ton dernier échec t’avait durement marqué. Parce que tu avais réalisé pour l’une des premières fois de ta vie que tu n’étais pas assez. Pas encore, du moins. Tu n’avais pas été à la hauteur et tout ça te laissait un goût amer dans la bouche.
Tu ne sais même pas quoi lui répondre, ne serait-ce que parce que ce n’était pas quelque chose que tu pouvais comprendre. Cette réalité, ce n’était pas la tienne. Est-ce que ça l’aurait été si ta mère était restée dans ta vie ? Elle qui aimait tant les grandes villes et les belles choses ? T’en sais rien et ça ne sert à rien d’y penser. Parce qu’elle n’est pas restée. Parce qu’elle est partie. - T’en fais pas avec ça. Au niveau de l’ambiance. - Et oui, ça me va pour le jacuzzi ! Tu sais pas si c’est impolie de ne pas réagir à ce qu’elle t’a dit, sauf quelques hochements de tête, mais tu cherches un peu tes mots, un peu ce que tu pourrais lui dire, si vraiment il y avait quelque chose à répondre à tout ce qu’elle t’a confié. À toi qu’elle ne connaissait pas tant que ça finalement.
C’est un peu plus facile, finalement, de répondre aux questions qui te sont posées. - Non je ne connais pas. Tu te grattes un peu l’arrière de la tête, pas certaine si c’est une mauvaise chose, finalement, que tu ne le connaisses pas. À vrai dire, tu ne connaissais pas beaucoup de personnes dans le milieu de la coordination. Peut-être pas assez, finalement, pour espérer percer dans le milieu un jour ou l’autre. Tu chasses toutefois ces pensées de ton esprit pour te concentrer sur la discussion. - Et sinon eh… Parce que j’aime le spectacle. J’aime l’art en règle générale et j’aime aussi un peu toucher à tout et donc, j’ai commencé à m’intéresser à la coordination. Tu avais envie d’être sur scène, d’être sous les feux des projecteurs, de te trouver devant le public. T’avais juste envie de faire les choses bien, pour une fois.
- Mais sinon, moi mon truc, c’est la peinture. Tu dis ça avec un petit sourire, te détendant un peu à ses côtés, le jacuzzi aidant sans doute. - J’aime beaucoup peindre, mais j’aime aussi beaucoup dessiner, surtout des croquis en fait, que je pose sur tableaux par la suite. Et donc, dans cette ordre d’idée, j’aime le maquillage, que ce soit pour aller en soirée ou alors un truc plus imposant, j’ai tenté le body painting aussi quelques fois… Et voilà que tu te perds un peu, que c’est à ton tour de parler beaucoup. C’est toujours comme ça lorsque tu parles de ce que t’aimes. De ce qui te passionne. - Et tu veux faire quoi toi, du coup, si tu ne veux pas devenir championne coordinatrice ? T’es un peu curieuse. Tu te demandes quelles sont ses ambitions, maintenant qu’elle a décidé de ne pas faire ce que ses parents s’attendaient d’elle, de prendre une voie différente. Parce que bon, elle-même l’avait dit. Elle ne resterait pas miss Lumiris toute sa vie.
Une étrange joie m’avait gagnée dès l’instant où elle avait commencé à parler de dessin. J’étais comme elle, moi aussi j’exprimais visuellement les inspirations occasionnelles qui me venaient. Moi aussi, je laissais couler sur le papier mes humeurs, mes obstacles, mes souvenirs, à un moment, ça avait même suffit à me faire gagner ma vie. En bout de ligne, elle et moi, nous étions du même monde. Deux familles aux antipodes qui avaient créé deux enfants qui se ressemblaient sur plus d’un point. « En fait, on doit être des jumelles cosmiques ou un truc du genre. » chuchotais-je en ricanant, au même instant où je retirais ce peignoir pour me glisser dans l’eau chaude et rassurante du bain tourbillon. « Je dessine aussi. Beaucoup. Ma maison est littéralement un musée des dessins représentant notre vie à mon fiancé et moi. Quand je suis arrivée à Lumiris, c’est comme ça que je gagnais ma vie. Je dessinais des portraits, je pourrais vous montrer si vous voulez. » Si j’avais pu sentir une tension sur la plage, si j’avais voulu me racheter, je trouvais maintenant en elle la possibilité d’une meilleure amie, chose qui m’avait toujours cruellement manquée. Une oreille toujours là pour écouter ce que j’ai à lui dire. J’avais des amis, j’avais un conjoint, mais je n’avais pas cette personne de confiance avec qui je partageais tout, des intérêts jusqu’aux conflits intérieurs.
Et Dieu sait que je ne manquais pas de ces conflits.
Sa question, elle-même, était le sujet d’un conflit qui me rongeait jour après jours. Et chaque fois que je m’approchais de mon objectif. Qu’est-ce que je voulais ? Si j’avais assuré à Miss Lumiris que je souhaitais devenir championne d’arène, je n’avais plus la même certitude. Je doutais, je retournais les choses dans tous les sens inimaginables avec l’espoir que la réponse me tombe dessus un jour car je n’en finissais plus de dénouer le nœud éternel de mon incertitude. « Normalement, j’ouvrirai bientôt mon arène. Je n’en suis plus très loin. C’est l’objectif le plus concret que je ne me sois jamais fixé, mais… » ma phrase tombait dans le suspens, dans l’incertitude. Mon regard se perdait dans le vide. Même là, même quand je flirtais avec ce rêve depuis si longtemps, j’étais incapable de me dire que c’était la bonne chose à faire, que c’était la chose qui me mènerait à l’endroit où j’aimerais être… parce que j’ignorais où je voulais être. J’ignorais où était la croix sur ma scène. « Vous connaisse l’expression être sur son X ? Dans mon cas, j’ai l’impression que le X me fuit ou qu’il change de place souvent… sinon c’est parce que je ne l’ai pas encore trouvé. Je flirt avec trop de passions pour parvenir à vraiment le caresser du bout des doigts. Ça vous fait ça aussi ? Ou votre vision est assez focussée pour que vous ne perdiez jamais de vue cet objectif ? » Je doutais beaucoup. J’avais toujours beaucoup douté… et je me demandais si j’étais normale.
Et comme si ça avait une source de réconfort quelconque, j’avais pris mes deux œufs et les avais tous les deux submerger près de moi pour me calmer, pour sentir vivre ces petites bêtes… du peu de vie qui les habitait. Je me contentais de peu. Le simple fait de sentir leur coquille contre ma peau humectée m’allait… Parce qu’ils me ramenaient à quelque chose d’important pour moi, la seule chose de laquelle je pouvais être certaine ; que j’étais une dresseuse. Piètre ou excellente ? Je laissais aux gens la liberté de décider de ça, mais j’en étais une et mon amour simple et naïf pour ces petits œufs en était une preuve. J’imagine qu’une part de moi s’acharnait à ne voir que deux avenues possibles en tant dresseur, parce que c’était ces avenues qui nous permettaient d’accéder à la renommée, la célébrité et la popularité et, pour moi, c’était obligatoire. Pour leur prouver que j’étais capable moi aussi.
Tu peux pas t’empêcher de froncer un peu les sourcils à ses mots. Jumelles cosmiques ? Tu sais pas pourquoi en fait est-ce que t’es aussi hostile à son égard. Pourquoi est-ce que cette idée te déplaît autant. Parce que la réalité c’est qu’elle n’a pas vraiment tort. Tu l’écoutes parler de ses dessins et, au final, tu t’y retrouves un peu. Parce que ton appartement (qui est très certainement moins grand que sa maison, sans doute même moins grand que sa chambre) est recouvert de tes tableaux, avec tes carnets à dessin traînant ici et là. Et ça, c’est sans compter toutes les photos sur ton téléphone qui te servent d’inspiration. - Je veux bien. Avec un petit sourire discret tout en tentant tant bien que mal de chasser l’animosité que tu pouvais encore ressentir à son égard, tentant d’oublier ce vouvoiement qui te faisait grincer des dents. - Je pourrais aussi te montrer mes tableaux si tu veux. Si jamais ça l’intéresse. C’est sans doute ce dont t’es le plus fière, en fait, tes tableaux. Et tu penses que tu pourrais peut-être un jour vivre de ton art. Le seul problème c’est que t’es trop instable, pas assez disciplinée, et t’aimes pas peindre parce qu’il faut que tu le fasses. Tu le fais lorsque l’envie te prend, tout simplement.
Une fois dans l’eau, ton peignoir abandonné un peu plus loin, tu déposes aussi ton oeuf à côté de toi, te disant que ça ne peut pas lui faire de mal de profiter lui aussi de la chaleur de l’eau. Puis tu t’intéresses à Lyanora, à ce qu’elle veut faire si elle ne veut pas se lancer en coordination, à ce qui l’attend lorsqu’elle ne sera plus miss Lumiris. Elle te parle tes arènes mais elle ne semble pas exactement convaincue par ça. Et toi, est-ce que tu es focus sur ton objectif ? - Je n’ai pas vraiment d’objectif. Tu dis ça le plus naturellement du monde, laissant ensuite un moment s’installer alors que tu cherchais tes mots.
- Quand je dis ça c’est plus que… Je suis jeune, j’ai pas envie de me prendre la tête avec tout ça. J’ai envie de m’amuser, de profiter de la vie, de découvrir tout ce qu’elle a à m’offrir, d’expérimenter aussi. Je pense pas me connaître assez pour savoir exactement ce que je veux et j’ai pas envie de tellement regarder qu’un seul truc que j’oublie d’en regarder tout ce qui m’entoure. T’es rarement aussi sérieuse mais, pour ce coup-ci, tu l’es. Tu parles de cette façon dont tu vois la vie, de cette façon dont tu la vis surtout. Tu te prends pas la tête, t’explores et tu découvres, tu fais de nouvelles découvertes et tu te cherches en même temps. - Moi je pense que t’essaies de trop en faire trop vite. T’as quoi ? Vingt ? Vingt-cinq ans ? Tes parents sont connus, t’as déjà connu la scène, la victoire, t’as tellement rapidement été mise sur un piédestal que… T’as pas oublié de vivre un peu ? Tu poses la question sincèrement, sans aucune critique, simplement curieuse pour le coup. - Genre, de t’amuser ? D’apprendre aussi à savoir qui tu es sans seulement te définir par ce que tu accomplis ? Tu t’enfonces un peu dans l’eau, laissant seulement ta tête en ressortir, alors que tu profites de ces quelques moments de tranquillité, sans trop de soucier du poids des questions que tu viens d’adresser à ta partenaire du jour.
Avait-elle réellement autant de lâcher-prise qu’elle le prétendait ? Ça m’échappait. Tout de son discours m’échappait. On pouvait s’amuser avec un objectif, ça aidait, même d’en avoir un ? On m’avait toujours dit ô combien il était crucial de savoir où je mettais les pieds avant de m’avancer. Je devais savoir pourquoi, comment, ce qui se passerait si je franchissais cette étape. Je devais planifier. Je devais fausser compagnie à ma spontanéité. Je devais aller contre la fibre créatrice qui me faisait vibrer parce qu’on m’avait dit… et l’entièreté de ma vie se basait sur un « on m’a dit ». On m’a dit de faire de la coordination, je l’ai fait. On m’a dit de trouver mon identité, ce qui me faisait vibrer, je l’Avais fait. On m’avait dit de dessiner mes mondes imaginaires, que ça m’aiderait à plus tard pour les chorégraphies, je l’avais fait. J’étais obéissante et docile. J’étais comme ça. Et ça ne m’empêchait pas de m’amuser.Ça ne m’empêchait pas d’apprécier ma vie. « Vous avez l’impression qu’un objectif vous détournerait de votre envie de profiter de la vie ? Il me semble que l’objectif est davantage une passion, quelque chose de fort qui nous attire… qui nous amuse. Le poursuivre, c’est, aussi, s’amuser… puisqu’on aime ça. Quand je cherchais ma sœur dans Lumiris, Je me suis beaucoup amusée. Je n’ai pas l’impression que le succès et savoir dans quelle direction on remonte la rivière nous empêche d’avoir du plaisir. » exprimais-je de manière détendue, influencée par les arômes aphrodisiaques du spa et enivrée par l’effervescence du bassin où nous étions, me laissant secouée par les bulles qui éclataient les unes après les autres.
Je réfléchissais Incapable de répondre à cette question profonde qu’elle m’avait posée. Incapable de dire elle avait raison de poser sa question ainsi. Avais-je oublié de vivre ? Avais-je oublié de prendre du temps pour moi ? « Non, » dis-je simplement, les yeux fermés, caressant de mes mains la surface lisse qui me séparait des embryons des deux Pokémons à naître. « Je considère bien vivre… je prends le temps de profiter des surprises. En dehors de soirées mondaines, le titre de Miss Lumiris m’apporte assez peu, c’était juste un doigt d’honneur destiné à mes parents, une envie saugrenue que j’avais toujours eu de prouver que je pouvais réussir sans leur aide… Et c’est probablement le seul moment où je n’ai pas réellement profité de l’instant… » Était-il noble de dire que j’avais participé à ce concours pour insulter mes parents plus que pour moi-même comme la plupart des participantes ? Était-ce adéquat d’ainsi le présenter ? Probablement pas. Et je me sentais plus ou moins obligée de prouver que je savais profiter de la vie. « Tenez ! Récemment, un homme s’est présenté à ma porte, monsieur Nathan Shelby, il cherchait juste de la compagnie pour une journée, je l’ai laissé entrer chez moi et on a passé la journée ensemble. »
Ce n’était probablement pas mon souvenir le plus ludique ou amusant. Ce ne le serait probablement jamais. Mais le risque d’accueillir un étranger chez soi était là… et si je me justifiais de vivre ma vie ainsi, cela m’appartenait. Je n’avais pas envie que l’on me reproche de ne pas assez vivre. Je n’avais pas envie que l’on détecte un semblant de détresse dans ma façon de vivre alors que tous les choix que je posais, toutes les choses qui m’arrivaient étaient souvent vécues avec énormément de ludisme et d’appréciation.
J’aimais la vie que je menais. Personne ne pouvait me dire le contraire et c’est ce que, maladroitement, je tentais d’exprimer. « Avant d’être Miss Lumiris… pour mon conjoint, pour ma famille, pour mes amis… pour moi… je suis quelqu’un d’autre, quelqu’un qui existe autrement qu’avec son titre et la supposée gloire qu’il traîne. J’ai du mal à voir ce que je fais bien… mais ces gens qui m’aiment sont là pour réaiguiller… je ne sais pas… votre question me trouble… c’est l’impression que je donne ? De n’exister qu’à travers ce seul accomplissement ? » Ma voix tremblait. J’étais incertaine. Je n’avais pas envie d’être seulement Miss Lumiris. Lyanora, ça m’allait. J’aimais bien.
Les yeux à moitié fermés pour profiter du jacuzzi et de la tranquillité qui se dégage des lieux, tu l’écoutes avec attention, te demandant toutefois si tu t’es bien exprimée. Parce que finalement, à l’entendre parler, à tenter de se justifier, de te présenter les choses différemment, tu te dis qu’elle l’a peut-être sentie comme une attaque ou alors un jugement de ta part. Tu sais pas trop, c’est l’impression qu’elle te donne. Alors que vraiment, tu penses pas qu’il y a de bonnes ou de mauvaises façon de vivre sa vie, pour peu que cela lui convienne, et bien, c’était tout ce qui importait. Parce que même si toi tu as pu être injuste à son égard, ton opinion ne valait pas grand chose, ton avis sur comment elle vivait et comment elle était ne devrait pas lui importer. Parce que tu n’es qu’une personne parmi tant d’autres, une rencontre sans doute éphémère qu’elle aura oublié d’ici quelques semaines. Non pas parce qu’elle est Ô tant plus populaire et importante que toi, mais seulement parce que ainsi allait la vie. Des rencontres ici et là, souvent brèves, un sourire échangé avec une poignée de main, inconnus devenant connaissances sans jamais devenir plus avant de se perdre de vue.
C’était normal. C’était ça aussi, la vie.
Des nouvelles rencontres qui parfois marquent et parfois se veulent assez insignifiantes. Tu comprends toutefois qu’il y a une rencontre qui l’a marqué, un nom qu’elle articule que tu reconnais immédiatement. Et, de la façon dont elle en parle, tu te dis que ça ne peut pas être n’importe quel Nathan Shelby, ce qui ne manque pas de t’arracher un sourire. - Oh, est-ce que ce Nathan Shelby vivrait à Port-Corail ? Grand, beau brun, des abdos bien dessinés, un sourire craquant et… Bon, c’est peut-être pas la description la plus objective le concernant, mais c’est tout de même ce qui s’échappe de tes lèvres. - Si oui bah c’est… Tu marques une pause, hésitante. - C’est pas exactement mon copain. Après tout, tu lui as dit en arrivant que tu n’étais même pas en couple. - Presque, mais c’est plus compliqué que ça. Vous êtes surtout deux idiots, deux gamins beaucoup trop fiers mais ça ne t’empêche pas de presque le désigner comme ton copain. En vrai, t’attends seulement qu’il te pose (enfin) la question.
Quant à la suite, tu réfléchis un peu avant de secouer légèrement de la tête. - Je sais pas trop. C’est juste que… Tu parles de Miss Lumiris, tu me parles beaucoup de tes parents, de ce qu’ils ont réussi, puis des arènes, tout ça. Tu dessines, mais c’est aussi avec ça que tu gagnais ta vie. Là encore, ce n’est pas une critique, t’essaies juste de bien décortiquer ta pensée pour qu’elle puisse bien comprendre ce que t’essaies de dire. - Donc non, je pense pas que tu te définis par ton seul titre de Miss Lumiris, c’est pas ce que je voulais dire. Pas ce seul accomplissement du moins. Mais tu m’as donné l’impression que eh… Il te fallait réussir quelque chose. Tu te redresses un peu pour pouvoir porter tes prunelles vers elle. - Tu dis que tu as l’impression que ton X te fuit mais si ton X c’est finalement pas ce que tu croyais ? Si finalement c’est un Y ? Ou un Z ? Et si ton X, en ce moment, c’est pas juste de t’occuper de tes pokémons ? De tes oeufs ? Peut-être que le X change de place, aussi, au cours de notre vie. Peut-être qu’on a même plusieurs X. Tu finis par hausser des épaules. - Tout ce que je voulais dire c’était plus… À regarder que dans une seule direction, finalement, tu vois peut-être pas tout ce qui t’entoure et les différentes routes que tu pourrais emprunter.
Toi, faire preuve de sagesse ? Faut vraiment être là pour le croire.
« Oui, c’est exactement lui ! » m’étais-je écriée avant de le regretter. Avant qu’elle ne me révèle qu’elle était avec cet homme. Un soudain malaise s’éprit de moi. À cet instant précis, j’Aurais voulu me noyer, tomber dans les eaux, me submerger et ne jamais en ressortir. Je voulais qu’on m’étouffe, je voulais mourir là et qu’on oublie le moindre des mots que j’avais pu prononcer. La chaleur devint étouffante, alors qu’elle avait été si agréable l’instant précédent. Je me perdais lentement dans cet excès d’hormones que je venais de sécréter par ma gêne éhontée. « Pardon ! Je ne vous ai pas écoutée jusqu’au bout, je ne parlais que de la taille et de la ville… je… je n’ai pas vu ces abdos, je vous rassure. » Je faisais tout un plat de ce quiproquo, espérant qu’elle me croit et qu’elle avale ces mots… ils étaient vrais, mais je ne voulais pas gâcher l’amitié précaire que nous commencions à peine à partager avec une bêtise que je n’avais pas réfléchie, en lui faisant croire que j’en avais vu plus de cet homme qui la faisait rêver que je n’aurais dû en voir.
Je m’enfonçai dans l’eau de sorte qu’il n’y ait plus que mon nez et mes yeux qui paraissent et je fixai un point… espérant que l’on ne s’arrête pas à ces quelques mots, espérant que notre conversation, que notre journée détente se poursuivrait. Sans accroc supplémentaire. C’est ce que j’espérais de tout mon cœur du moins, mais il faut avouer que je n’étais pas la personne la plus douée pour ça. Je gaffais constamment. Je me fourvoyais toujours à un moment. Je croyais qu’elle le décrirait de façon ludique et amicale… pas de façon amoureuse… sans écouter, j’avais voulu en ajouter… et j’avais probablement créé un sujet de distance assez grand pour qu’elle m’en veuille, même s’il n’y avait rien eu de plus que des rires entre Nathan et moi. « Vraiment désolée. » dis-je en faisant éclater quelques bulles chlorées de ma bouche toujours submergée.
Puis j’coutai. Dans un silence religieux, dérangé. Un silence que je ne me connaissais pas. Incapable de me convaincre que j’avais toujours le droit de parler. Incapable de me dire que je pouvais en ajouter sur ce qu’elle disait. C’était ma faute et je faisais mon travail pour me le rappeler ; je me maudissais. Deux fois plutôt qu’une, puis trois, puis quatre. Je n’arrêtais plus, réellement volubile quand venait le temps de me lyncher intérieurement. « J’essaie de regarder à l’avant, c’est déjà bien… non ? » échappai-je finalement dans le même bouillon de bulles. J’avais été incapable de maintenir mon silence plus longtemps, mon naturel loquace s’était libéré de sa prison de sensibilité et j’avais laissé tomber cette phrase lourde de ça. Je regardais vers l’avant… c’était vrai maintenant, moins il y a dix-huit mois. C’était vrai depuis peu seulement. J’avais longtemps été torturée par des chimères du passé, dépassée et rattrapée par mon manque d’estime personnel. Je m’étais longtemps torturée en me battant avec cette Lyanora obséquieuse qui ne demandait qu’à rester dans sa zone de confort. J’avais évolué… un peu, j’avais avancé et je tentais de me concentrer sur cette direction : L’arène plante. C’était l’avant que je m’étais convaincue de choisir, celui qui me permettait l’avenir le plus serein et malléable. « Il y a d’autres directions ? » ajoutais-je curieuse.
Je comprenais son analogie. Je comprenais ce qu’elle tentait de m’expliquer. Je comprenais qu’elle me disait que je n’avais pas de réelle activité dont les bénéficiaires n’étaient que moi et moi seule. Je comprenais le concept, mais je n’arrivais pas à l’appliquer à ma réalité… « Parce que je trouve mon bonheur dans celui des autres… pas vous ? » Au fond, chaque rire que j’extirpais, chaque sourire que je donnais, chaque applaudissement que je recevais… Il me faisait sourire aussi… Forcément, si ça me faisait sourire… ce devait être la bonne direction…
Un éclat de rire vient répondre à sa gêne. Un éclat de rire sincèrement amusé, le premier que tu as vraiment depuis que t’es en sa compagnie. Tu pouffes de rire sans pouvoir vraiment le contrôler, forcée de te taire faute de ton hilarité. Et pourtant, t’essaies de parler. T’essaies de la rassurer. Mais, dans l’immédiat, tu ne peux pas. Parce qu’il y a ce rire qui se fait entendre dès lors que tu ouvres les lèvres. Il te faut quelques secondes supplémentaires pour parvenir à te calmer, venant essuyer même une larme qui avait roulé sur ta joue. - T’en fais vraiment pas avec ça. Tu marques une pause, un sourire plus narquois venant décorer tes lèvres. - Tu sais pas ce que tu rates. Alors qu’elle t’a affirmé ne pas avoir vu ses abdos. T’en aurais pas grand chose à faire, au final, de si elle les avait vu ou pas. De si elle les voyait maintenant ou pas, même, à bien y penser. T’as jamais été de nature très jalouse, pas du tout même, puis t’as conscience que Nathan a très probablement eu une vie avant toi comme c’est le cas te concernant. Alors bon, tout ce que tu peux faire c’est vanter ses attraits tout comme un peu gonfler ton égo. Après tout, c’est presque flatteur, d’être avec un homme convoité par d’autres femmes. Et tu avais heureusement assez de confiance en toi-même et, surtout, assez confiance en lui, pour ne pas t’imaginer le pire.
Ton rire se tait toutefois lorsque tu te lances dans quelque chose d’un peu plus sérieux. Lorsque tu décides de lui présenter ta vision de la vie. Tu hausses les épaules lorsqu’elle te demande si c’est une bonne chose : qu’est-ce que t’en sais ? Tu penses pas avoir la science infuse, tu penses pas que ta façon de vivre ta vie est meilleure que celle d’un autre. Même que, de ce que tu sais, nombreux doivent être ceux à critiquer cette absence de sérieux que tu as pour presque tout et n’importe quoi, cette façon que tu as de vivre avec beaucoup trop de légèreté.
Comme si les conséquences n’existaient pas. Comme si elles n’avaient pas d’importance.
- Eh, bah oui. Il y a la gauche. La droite. Puis parfois, tu tournes trop à droite, tu reviens un peu sur tes pas, mais au final, ça peut aussi ça dont tu as de besoin par moment. T’as aucune idée dans quelle direction toi t’avances. Tu vas juste quelque part. Tu vas là où tes pas te mènent sans prévoir d’itinéraire. Tu vis la vie au jour le jour sans te soucier de la veille et sans trop porter d’attention à ce que demain pourrait t’apporter.
Tu vis dans le moment présent. Tu vis l’instant T et tu laisses future toi gérer avec les conséquences des actions de présente toi.
Tu réfléchis un peu. - Si la question est si ça me rend heureuse de rendre mon entourage heureux, alors oui. Mais ça me rend aussi heureuse de terminer un tableau. Ça me rend aussi heureuse parfois de ne pas le terminer. Le moment où je peins me rend heureuse, en fait. Ça me rend heureuse d’entendre le chant des Pijako. Le bourdonnement constant d’Artiesta me rend heureuse. Ça me rend heureuse de voir la neige tomber. Ça me rend heureuse de voir la neige fondre et de voir les fleurs apparaître. Tu esquisses un sourire. - Et je dis pas que c’est pas ton cas, parce que peut-être que tout ça aussi, ça te rend heureuse. C’est même bien, je pense, si tout ça, ça te rend heureuse. La vie te rend heureuse, en fait. Vivre te rend heureuse. Et parfois t’es triste, parfois tu pleures et parfois t’es en colère. Parce que c’est aussi ça qui te rend aussi heureuse, c’est d’être aussi humaine. - Est-ce que ça te rend heureuse, les combats d’arène ? Après tout, c’est peut-être pour ça qu’elle hésite autant ? Qu’elle a pas l’impression d’être sur son X ? Au final, t’en sais pas grand chose. Et tu parles peut-être dans le vide aussi. Parce que peut-être que tout ça, elle connait et elle te ressemble un peu. Mais c’est quelque chose dont t’aimes parler. T’as toujours aimé partager ta vision de la vie, que ce soit au travers tes oeuvres ou, comme en ce moment même, avec des mots.
J’aurais aimé qu’il me soit simple de répondre. J’aurais aimé lui hurler ma détermination à la figure en un cri de guerre qui m’aurait valu mon expulsion de l’établissement où nous étions… mais non. C’était impossible. Parce que je n’en étais pas certaine. Parce que je ne savais pas si j’aimais tant que ça les combats d’arène. Parce que je n’avais pas la réponse.
Et j’aurais aimé l’avoir.
J’avais vécu deux combats d’arène. Le premier où mon anxiété m’avait ravagée, le second où j’avais affronté une femme pour qui je n’avais que mépris, et c’était réciproque. À chacun de ces combats, j’avais eu du mal à me faire à l’idée que le combat était ce que j’avais cherché. Ç’aurait été mentir que de dire que ma sensibilité n’avait pas été heurté. Ç’aurait été mentir que de dire que j’étais sortie la tête haute de chacune des deux arènes. Il y avait toujours une certaine amertume, une espèce de vide… comme si le badge ne suffisait pas. Comme si j’avais besoin de plus, et toujours et encore plus. Comme si ma satiété ne trouvait jamais satisfaction à travers ces événements.
Cette question qu’elle me posait me tirait dans un lieu qu’elle m’envoyait me tirait dans une impasse. Ce que j’avais classé psychologiquement comme des réactions dû à la nervosité ou à la confrontation prenait soudainement un tout autre sens. Je revoyais ma Cacturne faiblir sous les coups, je sentais à nouveau ce pincement dans ma poitrine. Je ne faisais que serrer mes œufs plus forts comme si ça avait permis d’estomper mes hantises du moment. « Je crois... »
L’hésitation. Le doute. Le chagrin. La torture. Le néant.
On sentait chacun de ces maux m’affligée. Je croyais. C’est le plus convaincant que j’avais trouvé. Si ça montrait mon humanité, ça montrait aussi ma faiblesse… ô combien immense. J’étais faible. Je le savais. Je l’avais toujours su… et c’était probablement l’une des raisons qui me poussait à désirer cette fonction… parce qu’au moins, comme ça, mon nom inspirerait un minimum de force. Parce que comme ça, au moins, la mention de mon nom évoquerait une réputation plus respectable que celle de la faible et adorable Miss Lumiris qui ressortait en ce moment, celle qui m’avait valu d’avoir un couteau sous la gorge. Nulle part on ne racontait que je m’en étais sortie pratiquement seule et, pour une fois, ça me désolait. Parce que je ne voulais pas être la demoiselle en détresse. Je voulais être plus que ça. « Vous connaissez madame Lise Gray ? Sa réputation j’entends…. Elle est plutôt inaccessible, donc je doute que vous l’ayez rencontrée. À une époque, elle était considérée comme une guerrière, une femme puissante, honorable qui en imposait par sa simple prestance. C’est un peu ce que je veux. Que l’on cesse de me voir comme la faible personne qui geint derrière ses protecteurs. Madame Lise, pour l’avoir vu dans le feu de l’action, n’a aucune de ces qualités… mais tout le monde croit qu’elle les a… parce qu’elle le croit. Et j’imagine que je pourrais le croire aussi, pour moi, si l’on me faisait assez confiance pour prendre mes marques comme championne de l’arène de type Plante… Vous voyez ? Je crois que c’est le bon chemin, que ça m’évitera de me retrouver, une nouvelle fois, une lame sous la gorge, sous-estimée par des ennemis que je ne craignais pas parce que je suis la bonniche de Miss Lumiris qui fait des coucous et qui souris à la caméra. » C’était une énorme confidence que je lui partageais là. Une confidence que je peinais à m’avouer à moi-même. Je venais de lui dire que je voulais être comme la femme que je détestais le plus en Lumiris.
J’eus un bref soupire avant de me relever, d’immerger mes œufs et de sortir du bassin. « Ils disent de ne pas abuser. Quinze minutes, sinon ça peut être nocifs, venez… on va se faire masser. » dis-je promptement, avec une certaine prestance comme si j’avais exigé. C’était un peu le cas… je voulais changer de sujet, je voulais que l’on passe à autre chose, que l’on oublie l’étouffant et angoissant avenir, que l’on oublie l’incertitude de nos confidences et que l’on aille là où nos pas nous dictaient d’aller. « Dites-moi, quand vous étiez petite… quel animal représentait votre peluche favorite ? » dis-je tout bonnement, candidement, comme si ça avait eu un lien logique avec la précédente discussion.
Il n’y en avait aucun. Mais j’insistai en la regardant, espérant qu’elle comprenne que je n’étais plus à l’aise de parler d’avenir ou de X. Parce que plus on en parlait… et moins j’étais certaine de ce qui m’avait obsédée dans la dernière année.
Elle croit. T’as pas l’impression qu’il s’agit d’une réponse dont elle est certaine. Elle croit. Parce qu’elle a envie d’y croire ? Parce qu’elle a besoin d’y croire ? Tu sais pas trop mais tu ne relèves pas pour le moment. Tu ne relèverais peut-être pas du tout, en fait. Parce qu’au final, ça, ça la concernait. Si elle voulait faire un truc qui ne la rendait pas pleinement heureuse, quelque chose dont elle se sentait obligée d’aimer faire, bah… C’était sa décision. Les choix qu’elle prenait et la vie qu’elle décidait de mener. C’était pas quelque chose que tu comprenais, pas la vie que toi tu avais décidé de mener. Cependant, avais-tu seulement décidé de la vie que tu souhaitais mener ? Non, pas vraiment. Tu dansais au gré du vent, virevoltais ici et là, sans jamais te poser, sans jamais savoir où est-ce que le vent allait te mener. T’es un peu plus calme, moins désagréable à son égard.
Parce qu’au final, tu ne passes pas qu’elle te prenait de haut. Tu penses qu’il s’agit juste d’une jeune demoiselle qui, comme toi, cherche encore un sens à sa vie. Une réflexion que tu gardes pour toi, n’ayant pas non plus envie de lui donner raison concernant son truc de jumelles cosmiques.
- Ehh, je sais pas vraiment c’est qui. Le nom te dit peut-être quelque chose mais pas vraiment en fait. Pas assez pour avoir vent de sa réputation. C’est pas tant que tu vis dans une grotte, c’est surtout que t’as une très mauvaise mémoire des noms. Tu retiens de justesse un rire lorsqu’elle te fait savoir que la femme en question n’a aucune des qualités qu’elle prétend avoir. Pas tant parce que ça te fait rire que parce que tu ne la croyais pas en mesure de dire une telle chose, de se montrer presque méchante à l’égard de quelqu’un. - Est-ce que c’est vraiment mal d’être sous-estimée ? Tu fais sortir ton oeuf de l’eau, n’ayant pas non plus envie qu’il ait trop chaud. - Je veux dire, qu’est-ce que tu en as à faire de ce que les autres pensent de toi ? Qu’ils te sous-estiment bah, tant pis pour eux. Toi tu connais ta valeur et tu sais ce que tu vaux. Est-ce que t’es en train d’essayer d'encourager celle que tu jugeais quelques instants à peine plus tôt ? Oui, totalement. C’est bien ton genre, ça, de juger rapidement avant de te raviser tout aussi rapidement. - Si t’as envie de croire que t’es la bonniche de Miss Lumiris qui est bonne qu’à faire des coucous, ça te regarde. Et si c’est pas ce que t’es, tant pis pour ceux qui le pensent. C’est eux qui ont à perdre à pas voir plus loin et toi, t’as pas besoin de ces gens là dans ta vie. Tu esquisses un petit sourire en disant ça, peut-être parce que tu te visais un peu aussi, dans ces gens dont elle n’avait pas besoin dans sa vie.
Voilà toutefois qu’elle te dit qu’il était temps de sortir de l’eau. T’es un peu déçue, t’étais confortable dans le jacuzzi puis bon, c’est vraiment pas ton genre d’écouter ce qui était recommandé, ayant plutôt l’habitude d’en faire à ta tête (et possiblement te blesser du même coup mais eh, ça, c’est que du détail à tes yeux). Tu décides toutefois de ne pas t’opposer, surtout qu’un massage te semble être une excellente idée. Tu sors donc de l’eau, t’assurant de prendre ton oeuf dans tes bras et ainsi la suivre hors de la pièce dans laquelle vous vous trouviez. - Eh… Tu fais mine de réfléchir, un peu prise de court par sa question. - J’avais une peluche Axoloto ! Tu l’as perdu, depuis le temps, mais c’était bien celle que ton père t’avait offert lorsque tu étais plus jeune. - Mon père aime beaucoup les pokémons de type eau donc… Ça explique son choix de peluche.
Tu la suis alors, ne sachant pas trop où vous deviez aller pour vous faire masser et décidant donc de lui faire confiance. - Et toi, tu avais quoi comme peluche ? T’as compris qu’elle voulait changer de sujet alors tu ne comptais pas insister davantage. Surtout que vous êtes là pour vous détendre, pour passer un bon moment, donc bon, si elle préférait éviter les sujets fâcheux, t’avais rien contre. Ça t’aura au moins permis de la comprendre un peu plus.
L’information n’avait rien de pertinent. C’était une simple diversion. L’envie de passer autre chose avait pris le contrôle et je n’arrivais plus à m’en défaire. Confrontée dans ces mes conceptions, je tentais de fuir… une nouvelle fois… parce que je n’aimais pas la confrontation. Personne n’aimait la confrontation de toute façon. Je ne faisais pas exception à cette règle. Je me dégonflais devant l’adversité. Elle n’était pas cet adversaire, mais elle le représentait, comme cet environnement, et c’est pour ça que j’avais voulu en changer. Parce que j’avais peur de m’être trompée. J’avais peur d’être tombée dans un enfer infini et qu’il soit déjà trop tard pour que je puisse m’en sortir… j’étais trop près du but. Trop près pour pouvoir prétendre au luxe de m’être trompée. J’avais déjà trop souvent pris du temps pour me préparer à cette réalité que j’avais tant espéré. J’avais beau vouloir passer à autre chose, mon esprit continuait à se torturer avec ses mots « Est-ce que ça te rend heureuse ? » Je ne savais pas. Précisément tout en ce monde me rendait heureuse. Précisément tout ce que je faisais, j’y trouvais une part ludique. Alors ça devait me rendre heureuse à quelque part… non ? Pourtant j’hésistais. Malgré toute ma conviction, j’hésitais, je doutais… je n’étais pas sûre. Je croyais encore.
Et même l’énoncé de sa peluche ne suffisait pas à me réconforter. Même cet objet de pureté ne suffisait pas à me retirer mon tourment. Je devais me battre avec moi-même… comme d’habitude et ce n’est pas le sentiment que j’avais cherché lorsque nous étions entrées. Je cherchais la paix, le calme, la détente… j’avais trouvé un mélange angoissant d’incertitude et d’hésitation. Les jouets, l’enfance, normalement, ça m’aidait à retrouver ce petit monde candide que je préférais voir, mais la fondation était encore trop chambranlante. Loin d’être optimale. « Un Draco. Mes parents croyaient fermement que ce Pokémon inspirerait l’élégance chez leur fille. Ma sœur et moi avions donc chacune une peluche Draco que nous aimions particulièrement. La sienne orangée, la mienne violette. On jouait beaucoup ensemble, on se montait des spectacles, des mises en scène amusantes presque intéressantes selon notre gouvernante. La mienne s’appelait Valou. C’était le subterfuge pour donner un surnom à ma sœur. » Il y avait dans ma voix cette fibre nostalgique, un vibrato clair qui n’échapperait à personne. Je regrettais ces jours de douceur de tendresse. Je regrettais, parfois, la froideur et la propreté immaculée de notre foyer de Kanto.
Mais sans elle, il était différent.
Sans elle, c’était un temple inviolable où la poussière ne s’installait jamais, figé dans le temps et où je me sentais prisonnière. Prise entre la fierté de mes parents et mon désir de découvrir mes propres horizons. Captive de mon propre désir de plaire et découvrir. J’avais toujours été cette enfant qui voulait toucher à tout, c’était toujours le cas aujourd’hui. Je ne tenais jamais en place. Ni au spa ni dans le courant du quotidien. « Pourquoi votre Axoloto était sacré ? Mon Draco l’était parce qu’il me permettait de retenir quelqu’un et de li faire des câlins interminables quand j’avais besoin d’être rassurée. Il était suffisamment long pour faire le tour complet de deux personnes… il était cette troisième personne incontournable et nécessaire à mes accolades. Mes parents étaient stricts, on avait un horaire quotidien pour nous former assez fermes… donc je profitais des instants de pause pour apporter du bonheur à ceux qui me le permettaient. » dis-je, toujours atteinte par ce semblant de chagrin. Il n’en était pas un. Ces souvenirs n’étaient pas houleux. Ils étaient doux. « Je crois qu’au fond, c’est un peu ce que j’ai toujours voulu… aider les autres à aller de l’avant. » Et pour ça, ma réponse avait été de devenir championne d’arène. Parce que je deviendrais un passage obligatoire pour ceux qui voulaient plus. C’est la réponse la plus finale que je pouvais trouver.
J’eus un sourire pour Jade un instant. Un sourire satisfait, comme si je lui avais dit que j’avais trouvé la réponse. Comme si je l’avais remercié. Et dès que mon regard se fut posé sur elle, il revint vers mes œufs pour leur partager cette parcelle de bonheur. Je retrouvais mon chemin. Je le perdrais probablement à nouveau, hésitante comme j’étais… mais je pouvais le retrouver…
Tu n’as malheureusement pas d’histoire comme la sienne. Pas d’histoire touchante ni même particulièrement intéressante. Tu le réalises de plus en plus, au fil de tes rencontres, que tu as eu une vie somme toute assez facile. Assez tranquille, même. Certes, certains pourraient trouver triste l’absence de mère dans ton quotidien, l’idée que celle-ci t’ait abandonné avant même de chercher à te connaître mais toi, t’y as jamais vu un problème. T’as pas besoin dans ta vie de gens qui ne se soucient pas de toi. T’as pas besoin d’eux. Et c’est pour cette raison que tu n’as pas besoin de ta mère. Surtout que ton père a toujours été à tes côtés. Il a toujours été là pour toi, toujours prêt à tout sacrifier pour te rendre heureuse. Il pêchait l’été, surtout, puis enchaînait quelques petits boulots lorsque la saison de pêche était terminée, tout ça pour que tu ne manques jamais de rien. Tout ça pour que tu puisses vivre de tes passions, pour qu’il puisse voir cet éclat si singulier dans tes prunelles. T’as jamais vraiment eu besoin de plus, t’as jamais même vraiment voulu plus. T’as appris à te contenter de peu tout comme à trouver ton bonheur dans la simplicité.
Ça t’a peut-être aidé à apprécier tout ce que tu avais de rencontrer les Shelby à un si jeune homme. Parce que tu le sais, tu l’as toujours su, que votre réalité était différente. Là où toi actuellement tu peinais un peu à garder la tête hors de l’eau, financièrement parlant (et tes nombreux pokémons n’aidaient pas trop de ce côté-là), eux n’ont jamais vraiment eu à se poser de question avant quelconque dépense. La vie est ainsi faite et ça t’a jamais dérangé non plus. Parce que tu sais que tu n’échangerais pour rien au monde la relation que tu as avec ton père. Pas même pour la plus grande des fortunes.
- Ehh… Parce que c’était un cadeau de mon père ? Tu rigoles un peu face à la simplicité de ta réponse. Avec toi, tout est toujours trop simple ou alors tout est toujours trop compliqué, tu sais pas vraiment faire d’entre deux. Et, pour ce coup-ci, le tout est simple, très simple, et ça suffit à t’arracher un sourire. - Je sais pas, c’était juste comme ça. Puis un jour je l’ai amené avec moi à la plage et les vagues l’ont emporté. T’hausses les épaules. - Je me suis juste dit que l’océan en avait plus besoin que moi. C’est naïf comme façon de penser mais ça avait su réconforter ton coeur d’enfant, à l’époque.
Vous arrivez finalement dans la salle pour les massages et tu prends donc place sur l’une des tables, celle à côté de Lyanora. - Je me suis jamais fait masser, en fait. Tu prends la peine de lui préciser. - Je suis même jamais venue dans un spa. Comme ça, c’est dit. Tu savais pas trop quoi dire et comme elle ne semblait plus vouloir d’une discussion trop sérieuse, tu te dis que c’est mieux comme ça, c’est plus léger, ça se prête mieux à l’ambiance détendue de l’endroit. - Donc je sais même pas ce qu’on est supposée faire après le massage. Tu savais même pas qu’il allait y en avoir un comme t’as pas trop porté attention à la journée que celle à tes côtés avait prévu pour vous. Finalement, c’était mieux que ce que tu croyais, plus agréable que ce que tu avais prévu et tu ne regrettais pas vraiment d’avoir fait le déplacement jusqu’ici. Parce que ça t’avait permis de connaître un peu plus cette miss Lumiris dont la seule faute qu’elle avait fait à tes yeux était de porter ce titre.
Enfin, non, tu n’avais pas appris à connaître un peu plus miss Lumiris. Tu avais appris à connaître un peu Lyanora.
- T’as mis un moment pour manger à notre horaire ? Tu demandes en toute innocence non sans intérêt. Parce que t’aimes manger, peut-être un peu trop, et alors que tu salues celle qui s’approche de toi en se présentant, tu peux pas t’empêcher de te dire que t’as déjà faim. C’est pas de ta faute, ton déjeuner est déjà loin. Ou pas. Pas vraiment en fait. T’as juste toujours faim et, si tu peux encore attendre, t’espères juste que jeûner ne fait pas parti de ses projets, peu importe l’effet bénéfique que ça pourrait avoir sur votre corps.
Sa confidence me fit rire, si tant était qu’il s’agissait d’une confidence. Je souriais devant l’aveu qu’elle n’avait jamais visité un spa. À la fois amusée et reconnaissante. Reconnaissante du confort de vie que j’avais eu, des belles choses luxueuses que j’avais connues et qui lui avait, apparemment échappé. Certaines filles de familles fortunées auraient été prises d’un élan de dégoût. Pas moi. J’avais l’habitude de ce genre de rencontre, Alaric, lui-même, n’avait pas eu la chance de connaître toutes ces choses avant que je les lui quémande et cette étincelle de découverte dans l’œil de mon accompagnateur du jour rendait toujours cette journée encore plus douce qu’elle ne l’était. « Alors il faudra faire les bains de chocolat. » m’exclamais-je comme si c’eut été une attraction digne d’une fête foraine. Dans mon cœur d’enfant, ce l’était. Pour ces thérapeutes qui s’occupaient de nous, un peu moins. Chaque fois, ils étaient sidérés par cette envie que j’avais de les éclabousser de dévorer la mixture exfoliante du bain… rien de plus normal pour moi. Rien de plus abjecte pour eux. « Mais entre vous et moi, ils ne veulent pas que l’on mange le chocolat. » ajoutais-je boudeuse, comme une enfant à laquelle on enlevait ces jouets.
On décrivait les spas comme un temple inviolable de détente et de plaisir. On décrivait les spas comme un havre de paix… puis il y avait moi qui voyais chaque station comme si elles avaient été les galeries d’observation d’un zoo. Moi qui traînais son amie d’une station à l’autre en criant presque toute l’énergie qui l’habitait. C’était ma façon de me détendre… déranger les autres. « Pour le repas, oui, on mangera. Ils ont un petit bistro léger ici. Ils vendent un tas de truc trop bons et sains. Pas de viande, pas de gras, mais des trucs trop bons quand même. » Si j’avais eu le choix du menu, pour être honnête, celui qu’ils offraient n’aurait probablement pas été mon premier choix. Des sandwichs santé, des craquelins, des gaspacho… de la nourriture rafraichissante et délectable, mais de laquelle on pouvait rapidement se désintéresser. « Il faudra que tu essaies la baguette pomme et brie. C’est un délice. De loin mon sandwich préféré ici. » jubilais-je en subissant le rire de la massothérapeute qui s’approchait lentement. Elle me salua par mon nom et je souris. Comme si j’avais passé mes jours ici. Comme si j’avais été une cliente suffisamment régulière pour que l’on me reconnaisse sur la table de massage.
Non. Je marquais simplement l’esprit.
« Madame la magicienne ! Je suis contente que ce soit vous. C’est la première fois de mon amie. Vous pouvez lui montrer à quel point vous êtes douée. » De cette phrase, au-delà du fait que j’appelais ma massothérapeute la magicienne, il y avait une information que je me retenais d’assumer depuis Madelyn. « Mon amie. » J’avais appris avec le temps que ces mots avaient une valeur. Que je pouvais appeler amis des connaissances de longue date, mes Pokémons ou, à la limite, mes œufs, mais là, je venais de l’appliquer à une presque étrangère. Pourquoi ? était-ce le contexte ? Mon aisance soudaine et inexplicable avec elle ? Était-ce le spa ? Probablement. Il avait tendance à affaiblir la moindre de mes barrières de sécurité… des barrières que j’avais érigées après avoir été blessée. « Pardonnez-moi madame Jade. » soupirais-je comme si je venais de l’insulter. J’étais simplement aller trop vite et ça m’embêtait d’avouer que ce serait encore de ma faute s’il devait y avoir une mésentente sur les termes à aborder. « Je ne voulais surtout rien presser ou pressuriser. » Comme si j’avais été une patronne intransigeante qui prenait un pas de recul.
Tu fronces un peu les sourcils lorsqu’elle parle de bain de chocolat. Ça existe vraiment ce genre de trucs ? T’as déjà entendu parler de bain de boue, mais de chocolat… C’était une première. Tu ne dis toutefois rien, te contentant de rire légèrement lorsqu’elle te fait savoir que vous n’aviez pas le droit de manger le chocolat et tu comprends aussi pourquoi est-ce qu’elle semble aussi déçue. Parce que bon, du chocolat, c’est fait pour être mangé et tu sais pas si tu te montrerais sage au point de ne pas être ne serait-ce que tentée de goûter. Tu verrais en temps et en heure, lorsque votre visite des lieux vous y amènerait si, vraiment, vous alliez y faire un tour. Après tout, tu ne savais pas grand chose du programme de la journée, destinée à suivre Lyanora là où elle voulait bien aller. Elle te parle ensuite du petit bistro qu’ils ont ici et tu esquisses un sourire lorsqu’elle te parle du menu. T’es du genre à manger assez santé, ou, tout du moins, à porter une attention particulière à ce que tu manges et donc, t’es pas trop dérangée par le fait qu’il n’y ait ni gras ni viande. - Je prendrai ça alors. Et si jamais tu n’aimais pas, tu pourrais toujours lui refiler, donc, au final, t’étais pas trop perdante.
Une fois la massothérapeute arrivée dans la pièce, tu entends Lyanora la saluer comme si elle la connaissait. Ou, enfin, c’est l’impression que ça te donne mais tu ne peux pas non plus exclure l’idée qu’elle s’adresse peut-être comme ça à tout le monde. Dans tous les cas, tu adresses un petit sourire à celle qui vient tout juste d’arriver, un peu plus discrète dans ta façon d’être, ce qui est presque surprenant. Parce que t’as rien de discret et que t’es généralement celle qui parle beaucoup, qui parle fort et qui déplace de l’air. À croire que t’as trouvé quelqu’un d’encore plus énergique que toi.
T’es un peu surprise lorsque Lyanora se retourne vers toi pour s’excuser et tu comprends pas trop pourquoi. T’as pas trop fait attention à ce qu’elle a dit lorsqu’elle s’est adressée à la massothérapeute et tu ne comprends pas trop d’où vient le malaise ni ce pourquoi elle pressait quelque chose. Tu as donc à nouveau les sourcils légèrement froncés, réfléchissant sans trop parvenir à mettre le doigt sur le problème. - Ah eh… T’hésites en te demandant si tu dois te contenter d’accepter ses excuses ou si tu dois lui dire que t’as aucune idée du pourquoi est-ce qu’elle s’excuse. Après tout, tu pouvais te contenter de laisser couler, toutefois, c’est finalement ta curiosité qui prend le dessus. - Je veux bien que tu t’excuses mais… Je sais pas pourquoi ? Tu dis ça en semblant effectivement confuse, comme si, vraiment, quelque chose t’échappait dans tout ça.
- Donc bon, c’est sans doute pas nécessaire que tu t’excuses quoi. Parce que, de ce que tu en comprends, elle n’a rien fait qui puisse vraiment t’embêter. Rien que tu as relevé du moins, et donc, ça en revient à ce que tu disais, c’est que ça doit pas être très important. Tu te retournes ensuite vers la gentille dame qui vous avait rejoint, la magicienne selon les dires de ta partenaire de la journée, lui offrant ton plus beau sourire. - Comme elle a dit, c’est la première fois que je viens ici donc eh, je sais pas trop ce que je suis supposée faire ? Tu la laisses donc t’expliquer comment t’installer de sorte à ce que tu puisses profiter du moment et de ses doigts de fée. Tu sais pas vraiment à quoi t’attendre mais comme tu as souvent entendu les mérites des massages être vantés, tu te dis que ça peut qu’être bien.
Je laissai le temps faire son œuvre, je laissai la massothérapeute séduire de ses mains le corps de Jade. Je m’assieds simplement, serrant mes œufs contre moi, détaillant leur coquille du bout des doigts, profitant de ce répit dans la journée pour humer leur parfum qui avait laissé sa place à celle du chlore. Rien de plus normal après avoir baigner dans le jacuzzi un bon moment. J’entrais lentement dans cette transe que toutes les mères avaient lorsqu’elles caressaient leur ventre maternel. J’entrais dans ce moment où j’imaginais ma vie avec ces Pokémons. Du bonheur, des jeux, une foule de moments positifs qui me faisaient sourire et rire. Je m’étais réfugiée en ce monde en raison de mon désarroi et je trouvais un certain bonheur à en profiter. Même si Jade ne m’en voulait pas d’avoir parler à sa place, je m’en voulais… et je le manifestais ainsi. En jouant dans mes rêves avec les Pokémons qui habitaient ces deux coquilles, un sourire maternel sur les lèvres, comme s’ils avaient été mes enfants.
Lorsque je relevai la tête, la magicienne commençait son massage et je souriais, tenant d’observer le moindre rictus de Jade. « Vous verrez. Madame la magicienne est excellente… elle a défait les plus grandes tensions que mon corps s’entêtait à conserver. Elle fait un bien fou. Elle a les mêmes pouvoirs que les bisous de nos mamans. Elle guérit tout elle aussi, mais en mieux encore. Et son huile… Vous aimez la noix de coco ? J’adore la noix de coco, de loin l’une de mes odeurs préférées. Elle n’utilise que ç… » ma phrase fut coupée par un chut doux et affectueux. La magicienne souhaitait que je me taise. « Pardonnez-moi, j’avais oublié. » Un regard impatient sur moi et je me raidis, portant ma main à ma bouche et mimant une fermeture éclair. Je me taisais. Je me contenterais d’observer et d’apprécier la musique d’ambiance d’une telle douceur qu’elle pouvait, à elle seule, consoler bien des tourments.
Je souris quand la magicienne se frotta les mains de son huile. Je me laissai emporter dans ma nostalgie lorsque l’odeur des cocotiers gagna mes narines. Je souris encore plus quand je fermai les yeux et que je me laissai bercée un instant par les effluves, la musique et les mots que chuchotait la magicienne. Le fait de ne pas pouvoir parler contribuait fortement à cette pause mentale que je prenais. Pour une fois, je m’arrêtais complètement. Pour une fois, je prenais le temps de juste profiter. Normalement, je m’agitais, je touchais, je parlais, je réagissais. Là, je ne faisais qu’attendre les réactions de Jade. Je e faisais qu’attendre de savoir ce qu’elle penserait de ce moment, de cette première fois sur une table de massothérapie.
« Et puis ? »
Mais comme pour n’importe quoi, je finissais par me rappeler contre ce silence. Comme d’habitude, mes impulsions dépassaient mes intentions et je brisais l’atmosphère de calme que l’on m’exigeait… parce que je voulais savoir si mon cadeau plaisait, parce que je voulais connaître les impressions de cette amie sur les mains magiques de cette femme.
Il y a ses mots qui te tournent en tête, ce qui n’est pas surprenant compte tenu qu’elle parle beaucoup. Qu’elle parle peut-être trop. Sans doute tout autant que toi lorsque t’es lancée. Il y a toutefois des paroles qui te marquent un peu plus, une comparaison que tu ne peux pas vraiment comprendre. Pas comme elle, elle pouvait le comprendre. Et c’est ce que tu ajoutes, plus bas, plus doucement, parce que la demoiselle qui allait s’occuper de toi venait d’imposer du silence dans la pièce. - Je n’ai jamais connu ma mère. C’est quelque chose que tu ne dis pas souvent, quelque chose que tu ne partages pas beaucoup. Parce que c’est pas quelque chose d’important, parce que tu n’as pas besoin de cette femme dans ta vie. Elle n’a pas voulu apprendre à connaître cette jeune femme que tu aspirais d’être, et bien, franchement, tant pis pour elle.
C’est elle qui ratait quelque chose.
Puis t’as pas trop envie de t’attarder sur ça, de possiblement te miner le moral en te demandant ce pourquoi elle était partie. Car quand bien même tu te montres grande et forte, au final, parfois, tu ne peux pas t’empêcher de te poser des questions. Tu ne peux pas t’empêcher de te demander pourquoi est-ce qu’elle est partie. Pourquoi n’a-t-elle pas voulu apprendre à te connaître ? Pourquoi s’est-elle soustraite à ses responsabilités ? Pourquoi t’a-t-elle laissé seule ? Enfin, non, pas exactement seule. Parce que t’as toujours eu ton père. Ton père qui a toujours été l’homme de ta vie, ton héros, celui que tu regardais avec cet éclat émerveillé dans tes prunelles. Il est celui qui a toujours tout fait pour toi, celui qui a sacrifié beaucoup pour ton bonheur. Pour te voir sourire. Pour t’entendre rire. Il était celui qui n’avait pas beaucoup mais qui, finalement, t’a tout donné. Celui qui n’a jamais hésité un seul instant à faire de toi sa priorité. Et, au final, c’était tout ce dont tu avais eu de besoin.
Lorsque la question de Lyanora te parvient, tu es tirée de tes pensées, relevant légèrement la tête pour diriger ton regard vers elle. - C’est vraiment très très bien. En effet, t’as pas souvenir d’avoir déjà été aussi détendue. Tu es quelqu’un d’active, un peu trop, partageant ton temps avec toute sorte de choses, entre le sport, la peinture, la danse, le chant, les sorties en boîtes, le travail, les entraînements et tes aventures aussi diverses que variées, ce qui t’amène à ne jamais vraiment prendre le temps de te poser. Sauf maintenant alors que la magienne s’occupe de défaire les noeuds de ton corps et que toi, t’es presque tentée de t’endormir.
Finalement, le temps est écoulé et tu sens ses mains quitter ta peau, ce que tu trouves presque embêtant, parce que tu avais vraiment apprécier le moment. Tu as toutefois la permission de rester allongée un peu, chose que tu fais, non sans toutefois ramener tes prunelles vers celle qui t’a amené ici aujourd’hui. - Moi aussi je suis désolée. Que tu lui dis sans hésitation, alors que, pourtant, c’est vraiment pas ton genre de t’excuser, encore moins d’assumer tes torts. - J’ai été injuste avec toi, je pense, et c’était juste pour un truc débile. Tu esquisses un léger sourire lui étant destiné. - Je te connaissais pas mais, comme Kisara est une bonne amie à moi… Bah eh, je t’ai jugé rapidement, pour soutenir Kisara surtout, parce que évidemment que j’aurais voulu voir mon amie gagné quoi. Tu soupirs légèrement. - Donc voilà, je suis désolée. Désolée de l’avoir jugé trop rapidement. Désolée d’avoir été aussi injuste. Désolée de t’être braqué, d’avoir vu une sorte d’hypocrisie malsaine derrière chacune de ses politesses.
Désolée surtout de l’avoir jugé sans prendre le temps de la connaître.
Un frisson d’effroi parcourut mon échine et la culpabilité commença à me gruger, rompant le calme et la sérénité de ma journée. Je venais de commettre une gaffe que je n’aurais pas imaginé. C’était la seconde fois que ça m’arrivait et, visiblement, je ne me domptais pas. Ce n’était pas vraiment nouveau après tout… je ne me domptais jamais. Je n’apprenais jamais de mes erreurs. J’étais trop nulle pour ça. Un sourire de malaise s’enquit de moi et ne me quitta plus. J’avais beau tenté d’être indifférente, j’avais beau essayé de montrer que d’apprendre cette sombre chose n’avait rien changer, j’avançais maintenant à tâtons, incertaine de comment tournerait cette conversation, comme avec Sayo-hee. Après ma question, je laissai le silence dominer… jusqu’à ce qu’elle se sente à l’aise d’elle-même combler le vide. Je n’avais plus cette aisance, elle ne me reviendrait probablement que très tardivement – ou jamais. – Je l’écoutai simplement. Je l’écoutai me livrer le mépris que j’avais pu lui inspirer. Je l’écoutai, choquée, attristée, prise au dépourvu. On m’en voulait. On m’en voulait d’avoir été douée, d’avoir apporté de la nouveauté. On m’en voulait d’avoir été moi-même la soir du gala et l’avoir emporté. Si je pouvais concevoir la jalousie, je peinais à imaginer que ça pouvait conduire jusqu’à la haine.
Et de le savoir me tourmentait. Le savoir me jouait dans l’esprit… parce que depuis bientôt une année j’agissais comme si mes adversaires ce soir-là ne m’en avaient jamais voulu. J’agissais comme si chacune était heureuse pour moi. Vraisemblablement, ce n’était pas le cas et je l’apprenais tout juste. À mes dépends. « C’est pas grave. » balayai-je simplement de la main. Mais ce l’était. Au fond de moi, j’étais blessée. Profondément attristée que l’on puisse penser du mal comme moi. J’étais comme ça. Lise me l’avait dit. J’avais toujours été comme ça. Je voulais que l’on m’aime. Je voulais que l’on apprécie ma présence. Savoir que par mon existence je causais du tort à autrui m’atteignait plus qu’on ne le pouvait imaginer.
Mais j’étais forte. Ce n’était pas grave… ou je voulais être forte. Je voulais sembler forte. La vérité était bien plus douloureuse à endurer. Et je la subissais pleinement. Physiquement et psychologiquement, comme si l’on venait de rompre douloureusement un lien important pour moi. Ce n’était pas grave… et pourtant mes yeux s’étaient remplis d’eau. Ce n’était pas grave… et pourtant je serrai mes œufs de plus en plus en fort contre mon torse. Parce que j’avais mal. Parce que je tentais de retenir la rivière de mes larmes. Parce que je ne voulais pas pleurer. Pas encore. Pas cette fois. Pas s’il y avait un risque qu’on s’en serve contre moi. « Madame Kisara est très douée aussi. Elle aurait dû gagner. Je suis désolée… j’espère que ça ne nous empêchera pas de s’amuser aujourd’hui… Je ne crois pas être assez douce pour vous faire changer d’idée. » Pourtant, elle s’était excusée. Pourtant, elle semblait dire que son opinion sur moi avait changé. Mais je ne me bernais pas d’illusions – pour une fois. – Je tâchais de demeurer réaliste. Si elle me détestait avant, alors forcément, elle continuait de me détester. Et elle continuerait. Aucun de mes beaux discours ne suffirait à la convaincre que j’en valais la peine.
« Vous venez ? » dis-je en me levant. On ne m’avait pas encore massée, mais j’avais besoin de changer d’air. J’avais besoin de prendre le temps qu’il me fallait pour me changer les idées… et surtout pour cacher ces larmes qui ne tarderaient à se faire voir. « On va aux bains de chocolat. Ça fera du bien. Merci madame la magicienne. » Un simple sourire. Une certaine ingratitude dans la voix… parce que mon égo était fragilisé et que je n’avais plus cette même empathie qui me guidait au quotidien, elle m’avait lâchée, amenuisée par mon chagrin.
Il y a quelque chose dans son affirmation, dans son c’est pas grave qui te fait comprendre que oui, ça l’est. T’aurais peut-être dû éviter de dire tout ce que t’as dit, de lui faire savoir que, injustement, tu la détestais. Tu la détestais sans la connaître, sans même vouloir la connaître, tout ça parce qu’elle avait gagné là où tu aurais voulu voir ton amie en sortir vainqueur. Au final, ce n’était pas de sa faute, elle avait été meilleure. Les juges l’avaient désigné comme plus légitime au titre de Miss Lumiris et ça, pouvais-tu vraiment lui reprocher ? Non, pas vraiment. Et t’en as plus non plus l’envie, maintenant que tu passes un peu plus de temps avec elle, maintenant que tu as pris le temps de voir plus loin qu’un titre. De voir plus loin que sa façon de parler trop polie. Ça te met encore mal à l’aise, parce que t’y vois encore tout ce que toi t’es pas, toute la différence qui existe entre vous deux, mais t’aimes pas te prendre la tête et réfléchir à ce qui pourrait être fâcheux donc tu t’efforces de simplement l’ignorer pour le moment. D’ignorer toute l’incertitude qu’elle a fait naître en toi, et ce, depuis votre précédente rencontre.
Tu te lèves de la table finalement lorsque tu constates que Lyanora ne se fera pas masser. - Aller où ? T’es pas sûre de comprendre, n’avait-elle pas envie d’elle aussi être plus détendue suite à un petit moment passé avec celle qu’elle appelait la magicienne ? Elle te parle des bains aux chocolats mais toi, tu comprends pas pourquoi est-ce que vous y allez maintenant. C’est ce que t’as dit ? Après tout, en te relevant, tu crois le remarquer, qu’elle est pas bien. Tu le remarques à ses yeux brillants de larmes qu’elle ne veut pas verser, à cette façon qu’elle a de tenir ses oeufs près d’elle. Tu le comprends à ses mots, à sa voix. T’es peut-être pas la personne la plus empathique qui soit mais t’es pas idiote non plus.
Et, surtout, t’es pas foncièrement méchante. Juste un peu injuste.
Tu t’approches donc d’elle sans rien dire. Pour le moment, du moins. Délicatement, tu prends ses oeufs pour les déposer sur le siège à tes côtés, t’assurant toutefois qu’ils ne risquent rien, avant d’attirer Lyanora vers toi pour la prendre dans tes bras. Ce matin même, ses mots t’agaçaient, sa façon de te parler t’énervait, et là, tu la prenais dans tes bras. T’as jamais fait beaucoup de sens, t’as jamais été très logique, et c’est peut-être ça aussi qui fait ton charme. Puis, surtout, au travers ses mots et tout ce qu’elle t’a raconté (et elle en dit beaucoup, des choses), tu t’es peut-être dit que, finalement, elle ne méritait pas cette haine injustifiée. - Tu m’as pas écouté ? Tu lui reproches rien, tu cherches pas non plus à critiquer, ton ton se fait surtout un peu plus doux. - Je t’ai dit que je t’ai mal jugé, idiote. Et l’insulte n’a rien de méchante, elle se veut même presque affectueuse. T’es comme ça, à insulter (gentiment) les gens que t’aimes bien. - Ça veut donc dire que j’ai changé d’idée, te concernant, et que je suis contente d’être ici. Avec toi.
Tu te détaches ensuite pour lui adresser un large sourire avant de te tourner vers la massothérapeute. - Merci encore pour le massage et, on se revoit peut-être plus tard ! Juste que là, mon amie a décidé qu’elle préférait les bains de chocolat. Tu sais pas si Lyanora est vraiment une amie, mais t’es pas bien difficile sur le sujet, tous ceux que tu apprécies un minimum le sont. Tu reprends donc ton propre oeuf dans tes bras. - Je te suis ! Après tout, elle était aussi ta guide pour la journée, ne serait-ce que parce que toi, tu n’as jamais mis les pieds ici, contrairement à elle.
J’imagine qu’oui. J’imagine que je n’avais pas écouté jusqu’à la fin. Je n’écoute jamais complètement de toute façon, même si je le veux. Même si j’en ai envie. J’oublie des mots, mon attention est captée ailleurs, je me perds dans les rapides impressionnantes de la rivière qu’est mon fil de pensée. Mais les mots qu’elle avait exprimés m’affectaient malgré tout, même si elle me disait le contraire maintenant. Ce n’est pas particulièrement elle qui me faisait mal… c’était la pensée qu’en ce monde d’autres m’en voulaient. Que d’autres personnes que je ne connaissais pas me méprisaient parce que j’avais gagné. Et son souffle sur ma peau ne me permettait pas de l’oublier. « Non… mais c’est les autres. » étouffais-je au fond de ma forge quand mes yeux laissèrent enfin tomber le chagrin qu’elles tentaient de retenir. C’était toujours comme ça. Ce n’était jamais à propos de moi, toujours à propos des autres. Toujours à propos de ce que la majorité du monde pouvait penser de moi et je me convainquais seule du pire. Parce que si une personne me méprisait pour ça, alors forcément, le monde entier me méprisait. Chaque personne que j’avais croisée, chaque personne qui m’avait reconnue : tous me méprisaient. Tous n’avaient qu’amertume et jalousie pour moi. « Si toi tu me détestais sans me connaître alors que pense les autres ? » lui exprimais-je plus clairement en reculant la tête, cherchant à me libérer de son étreinte pour marcher jusqu’aux bains, cherchant à apaiser les maux qui flirtaient avec mon esprit.
D’un pas lent, dont le tempo était établi par la chute de mes larmes, j’avançais vers la pièce qui me permettrait d’estomper mon chagrin lentement, de le faire disparaître… pour l’instant, avant qu’il ne me regagne plus tard… parc qu’il le ferait. Ce n’est pas le genre de tristesse que l’on oubliait. J’avais cru trop longtemps avoir bien fait pour que ça ne m’affecte pas en bout de ligne. Parce que tout le monde que je m’étais construit n’était, en bout de ligne, que bien factice si ce sentiment qu’avait pu avoir Jade était le moindrement généralisé. C’était absurde de me laisser aller à des extrapolations aussi grandes, mais j’étais particulièrement douée pour ça. J’étais particulièrement douée pour me bercer du négatif comme s’il avait été réconfortant alors qu’il me faisait pleurer, même s’il me torturait. Mais j’étais comme ça, j’étais humaine, je retenais bien plus les commentaires négatifs que les positifs.
Avant de partir, j’avais récupéré mes œufs et des que l’on arriva au niveau des bains, je retirai mon peignoir pour m’y tremper, les emmenant avec moi, comme s’ils avaient eu besoin de l’exfoliation que représentait ce bain. Je me plongeai jusqu’au cou et je me peins le visage de la mixture pour cacher les grimaces de douleur que créaient les larmes sur mon visage. « J’ai rencontré pas mal de gens dans la dernière année. La seule personne qui a eu le culot… ou le besoin de me dire qu’elle ne m’appréciait pas… c’est madame Lise. Et là… le fait de savoir qu’il en existait deux autres… ça brise un peu le monde protecteur et rassurant que je m’étais construit. Surtout que madame Kisara est très amie avec madame Lise… elles étaient pas mal ensemble sur la croisière Ariwa. Et… madam Lise faisait partie du jury du concours… donc mon esprit s’agite et complète le casse-tête. Et de voir qu’il pourrait y en avoir autant… ça fait mal. » lâchai-je simplement pour expliquer mon tourment. Ce n’était pas elle comme individu. C’était un ensemble. C’était tout le monde. C’était tout le monde qui me détestait, pas seulement elle.
Tu la suis jusqu’aux bains de chocolat, ne pouvant pas tout à faire faire autrement. Est-ce que tu t’en veux ? Peut-être un peu. Mais pour quoi exactement ? De lui avoir dit la vérité ? De l’avoir blessé ? Ou alors c’est que tu lui en veux de l’avoir injustement détesté, tout ça parce qu’elle avait remporté le titre que tu aurais voulu voir Kisara gagner ? Tu ne sais pas trop, t’as pas l’habitude de te sentir coupable, encore moins l’habitude d’être confrontée aux conséquences de tes actions ainsi que de tes paroles. Le plus souvent, tu les ignores, tu te berces d’illusion en cherchant simplement à les éviter. Après tout, si tu ne leur accordes pas d’attention, et bien, ils ne peuvent pas exister, non ? C’est toujours comme ça que tu as vécu, jusqu’à maintenant, sans trop te poser de question quant à si c’était bien ou pas. Ça t’allait et c’était l’important.
L’imitant après avoir déposé ton oeuf sur le bord du bain, tu viens recouvrir ton visage pour ainsi exfolier ta peau. Aucun doute qu’après ta journée ici, tu allais être fraîche et détendue, la peau toute douce et le teint rayonnant. Tu l’écoutes aussi avec une attention non feinte, tes prunelles ne la quittant pas avant que, finalement, un léger soupir ne s’échappe de tes lèvres. - D’accord, d’accord, je comprends un peu le problème. Tu penses que parce qu’une idiote avec aucune qualité. C’est comme ça que tu décris cette madame Lise, ce que tu as compris dans le discours de Lyanora. - Ne t’aime pas, parce que ta rivale directe n’a pas aimé que tu gagnes contre elle et moi, une débile. C’est après tout le surnom que te donne Nathan depuis toujours. - Que tu viens à peine de rencontrer ne t’aimais pas parce que je sais pas toujours réfléchir par moi-même, tout le monde te déteste ? T’es un peu surprise de son raisonnement, ce pourquoi tu l’exposes comme ça, pour qu’elle en vienne à t’interrompre si tu faisais fausse route.
- Ça en revient à ce que je t’ai dit : pourquoi est-ce que tu te soucies autant de ce que les autres pensent de toi ? T’as rien à prouver, à personne, sauf peut-être à toi-même. Tu inclines légèrement la tête sur le côté, cherchant tes mots, enchaînant sans lui laisser l’occasion d’en placer une. Pas encore du moins. - Je veux dire, t’es belle, t’es talentueuse, Lumiris tout entier l’a remarqué. Et ça, c’est pas parce que t’es une Caelum, c’est parce que t’es Lyanora. Tu viens ponctuer ta phrase d’un sourire qui se veut réconfortant, t’efforçant de ne pas te lécher les lèvres (comme on t’a dit de ne pas manger le chocolat).
À nouveau, un soupir s’échappe de tes lèvres. - Ce que je veux dire c’est que tu peux aussi juste emmerder les gens qui t’aiment pas, parce que je pense que, pour la plupart, c’est juste que t’es vraiment quelqu’un de bien et les gens aiment pas ceux qui sont trop bien. Tu parles en connaissance de cause, même toi t’as pas pu t’empêcher de te sentir inapte face à elle. - Et donc, pour se sentir meilleur, pour ne pas trop se sentir inférieur, ils tentent de descendre les autres, de leur trouver des défauts. Ce qu’ils font avec toi. Sauf qu’ils savent rien, ils ne te connaissent même pas, donc t’as pas besoin de les écouter.
Tu marques une pause avant de reprendre, plus sérieuse, chose qui est assez rare avec toi. - Est-ce que tu accepterais des conseils de ces gens-là ? Si c’est pas le cas, pourquoi est-ce que tu acceptes leurs critiques ? Et voilà, tu reprends ton souffle maintenant que t’as terminé. Tu t’en permets peut-être trop, peut-être qu’elle a pas envie d’entendre tout ça, mais bon, tant pis. Tu restes toi et changer n’est pas quelque chose que tu prévois dans un futur à court ou à moyen terme.
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