Astelle retenait son souffle. Et elle n’était pas la seule.
Le chuchotement délicat du voile était le seul bruit audible.
La jeune mariée s’engageait dans l’allée, sa démarche si douce et flottante qu’on aurait pensé qu’elle chevauchait un nuage.
Pour observer chacun des convives partageant avec elle ce moment unique, elle s’immobilisa un temps. Même à travers la mousseline, on distinguait très nettement ses yeux, du bleu profond de l’océan. Le regard de la mariée avait quelque chose d’intense et de précieux, et on aurait presque dit qu’elle cherchait à graver chaque détail dans sa mémoire. Qu’elle ne parvenait pas à croire à son bonheur.  

Son sourire, lui, était étonnamment craintif, et invitait en réponse des sourires encourageants de la part de l’assemblée.
Lorsque le regard océan de la promise croisa celui d’Astelle, la jeune femme parut rougir de plus belle.
Z-zut… la mariée semblait vraiment timide. Etait-ce pour cette raison que l’événement avait lieu en aussi petit comité ? Pire, est-ce qu’elle dérangeait en restant assise ici ? Rougissant tout autant que la mariée, Astelle commença à paniquer sur le banc. Elle n’allait quand même pas partir en courant, si ? Non ! Ce serait affreusement malpoli !

Epaules voûtées, la jeune fille tâcha donc de se faire discrète. Sans pour autant réussir à s’empêcher d’épier la mariée à la dérobée. …car ses hésitations lui conféraient une étrange fragilité. Ses réactions étaient trop marquées. Son émoi trop évident. A ce spectacle : même un petit plouc de la campagne comme Astelle sentait son cœur se serrer. La mariée avait un petit quelque chose de précieux et de fugace, quelque chose qu’on avait spontanément envie de protéger.

La belle leva alors les yeux vers son futur époux. L’angoisse et le bonheur fluant et refluant dans les vagues océanes de son regard. Astelle la vit… déglutir avec force. Et la pomme d’Adam de la mariée s’agita follement de haut en bas.
…
Astelle se demanda un moment si elle avait bien vu.
Puis en resta comme deux ronds de flan.
…
Oh ! Heu ! Hum !
C’était… c’était tout à fait normal, n’est-ce pas ? C’était… « dans… dans l’ère du temps… » comme disait sa maman.
Oh la la… par certains moments, elle se sentait vraiment fermière de Kishika la profonde…
…
A la lumière de cette révélation, Astelle jetait un tout autre regard sur l’assemblée.
Les invités étaient très joyeux, et leurs pokémons nombreux et festifs, mais en vérité… les convives étaient à peine en nombre suffisant pour remplir le banc du premier rang. Le reste de l’église était presque vide, si on excluait les rares visiteurs (comme elle-même) surpris par ce mariage improvisé.

Et puis… il y avait les hésitations de la mariée… euh, du marié-en-robe. Le soutien que lui manifestait chacun de ses amis. L’inquiétude soudaine qu’il avait éprouvé en croisant le regard d’une inconnue telle qu’Astelle. Manifestement, il y avait tout une histoire là-dessous. Est-ce que… cet amour était récent ? Est-ce que la mariée le promis-au-voile s’était découvert une flamme soudaine pour l’éphèbe aux beaux yeux noirs qui patientait sereinement près de l’autel ?

La jeune fille se sentait touchée, et son désir d’encourager ce timide jeune homme se fit plus vibrant encore. Une petite mine résolue sur le visage, Astelle se releva discrètement, puis alla s’installer derrière l’un des piliers de pierre grise qui soutenaient les côtés du hall. Espérant que sa présence ne causerait plus ni trouble ni distraction pour le couple, elle observa assidûment le reste de la cérémonie. Ses petits poings serrés avec ferveur.
Leur souhaitant tout le bonheur du monde.

Discrétion maximale !
Fufufu, elle épousait si efficacement le pilier ; elle se fondait dans le décor avec la furtivité du Kecleon.
Plus personne ne pouvait la voir. Elle était invisible. Non, mieux ! Désormais, Astelle était un véritable caillou.



Elle pensait caillou. Elle se sentait caillou.
Caillouuuuuuuuuuuuuuu.

Pourtant, lorsqu’un jeune photographe intrigué se rapprocha pour lui susurrer à l’oreille, Astelle ne resta pas… de marbre.
— Wouapp !?
Les deux mains plaquées sur la bouche, elle avait retenu de justesse son cri de surprise.
Se retournant en sursaut, ses yeux voulurent faire le point, et la toute petite postière dut lever le menton pour croiser le regard du blondinet, qui lui aussi, se cachait derrière les colonnes de pierre. Un confrère Kecleon !

— Sans vouloir me mêler de ce qui ne me regarde pas, vous devriez retourner vous asseoir…
La jeune fille cligna des yeux. Oh ? …oh non ! Elle se faisait gronder ! En voulant éviter de distraire le couple, est-ce qu’elle s’était finalement montrée grossière ? Est-ce qu’ils allaient croire qu’elle était partie parce que la scène lui déplaisait ?

La petite frimousse d’Astelle exprimait la confusion et le chagrin.
Tressautant sur place comme un petit Magicarpe privé de son air, elle jetait de petits coups d’œil furtifs à droite et à gauche, lorgnant sur le couple, sur les invités, puis sur les rangées de bancs dépeuplées.

Pas le choix ! Elle ne voulait vraiment pas leur causer de problèmes, alors…
La jeune fille se préparait déjà à piquer un sprint à croupetons pour se re-faufiler furtivement parmi le public…
…heureusement, son Keclepote intervint pour dissiper toute confusion.

— Ça risque de les troubler s’ils n’ont pas les gens qu’ils aiment autour d’eux, vous ne pensez pas?
Mmmmh… Pourquoi est-ce que ça les troublerait ? Est-ce que, est-ce que, est-ce que… d’autres invités risquaient de l’imiter ? De se lever et de partir se cacher derrière les piliers ? Astelle savait qu’elle passait rarement inaperçue, mais de là à susciter un tel mouvement de foule…

Une compréhension soudaine remplaça son air benêt.
Ah ! Non ! Le jeune photographe pensait qu’elle faisait partie des proches du marié !
Et elle était complètement courge de s’être imaginée autre chose !

— Je ne suis pas… commença-t-elle un peu timidement, comme une enfant prise en faute.
— À moins que vous ne soyez en réalité une ex particulièrement jalouse venue gâcher leur union?
Horreur indicible ! La jeune fille accusa le coup.
Les narines frémissantes et les yeux exorbités, tout son petit corps semblait bouleversé par cette idée.
— …jamais je ne ferais une cho… ! commença une Astelle qui se gonflait d’indignation comme un petit Qwilfish forcené avant de se rendre compte que...
Ah… ! Il plaisantait.

…ayant bien vite désenflé, un petit sourire de connivence idiot se déploya sur ses lèvres.
Elle aussi, elle savait dire des bêtises.
— …non, mais il vaut mieux que je me fasse discrète. Sur le chemin de l’autel, le marié a tourné la tête dans ma direction, et… férocement rougi. Alors, par mesure de sécurité, je me suis dit qu’il fallait dissimuler cette beauté fatale qui captive les yeux innocents et les pousse au péché. Je me sens tel le fruit défendu. Petit Verpom du délice suppliant Gardevoir de ne pas le croquer.

Elle fit une tentative peu concluante pour prendre une pose qui mettait sa silhouette en valeur.



Astelle Dumas.
Connue dans certains milieux très exclusifs comme la Bellus de Milo.

Trop embarrassée pour tenir la pose plus de quelques secondes...
...c’est plus sérieusement qu’elle reprit d’une petite voix gênée.
— Je ne les connais pas… et en voyant qu’ils semblaient sensibles à ma présence, j’ai eu très peur de les déranger.
Derrière son pilier, Astelle lança un coup d’œil furtif en direction des mariés, qui échangeaient leurs serments devant l’autel. Un de leurs amis, accompagné d’un splendide Noarfang doré, prononçait les vœux de mariage en lieu et place du prêtre.

Le pokémon debout sur sa tête déploya de larges ailes lumineuses.
Paraissant abriter le couple dans une étreinte protectrice et bienfaisante.

Joignant spontanément les mains, la petite postière retint un petit cri d’admiration.
Son regard était humide. Elle n’était pas bien loin de pousser la larmichette.

 

— Magnifique, n’est-ce pas ?
— Oui… répondit Astelle dans un souffle, captive et captivée par l’ode d’amour qui se jouait devant elle.
Si je pouvais me marier dans de pareille circonstances, je serais comblée…

Mais…

Délaissant l’étreinte gracieuse du Noarfang pour un instant, ses yeux clairs papillonnèrent sur les visages trop juvéniles des invités. Des amis, certainement, et puis des frères et des sœurs, peut-être… mais de parents, il n’y avait aucune trace.
Cette réalisation faisait trembler son cœur. Contemplant le marié tandis qu’il repoussait délicatement le voile du visage de son promis, Astelle s’imagina à sa place.
Elle s’imagina l’absence de son papa et de sa maman, sur le banc.
Et au moment du baiser rituel, le sourire de la petite postière se teinta d’une nuance douce-amère.  

Très énergiquement, trop énergiquement peut-être, Astelle joignit ses applaudissements à ceux des invités, et un grand « FélicitatiooOOOoons ! » s’échappa de derrière les piliers ! Un cri qui fit tourner quelques têtes, et suscita une poignée de regards amusés ou intrigués.

Les mariés échangeaient maintenant des embrassades avec leurs proches, et Astelle se décolla momentanément de son caillou pour revenir à son Keclepote.
Tous deux à l’écart de cette ambiance de liesse. Presque solitaires, derrière leur pilier. D’ici quelques instants, les époux sortiraient pour s’installer sur le parvis de l’église, lancer le bouquet, puis profiter du banquet modeste qui y était dressé, sur les petites tables drapées de nappes en papier.

Et dans leur petit coin, la jeune fille et son complice ranimèrent cette conversation secrète à base de chuchotements.
Astelle en était encore toute pétillante d’émotions.
— Mais alors, dis-moi, si tu n’es pas de la famille ni du cercle d’amis…
Que fais-tu ici ? À moins que, à défaut d’être une ex jalouse, tu sois une chasseuse de banquet ?
Un gloussement lui échappa. La malice scintillait comme une étoile dans son regard clair.



— Bingo ! Attendez deux secondes, je sors mes tupperwares…
Mais par pitié, ne me dénoncez pas ! J’ai une famille de trois Rongourmands à nourrir ! Même si, techniquement, on est tous végétariens à la maison : alors on va faire l’impasse sur la Bruschetta…

Lorgnant du coin de l’œil le jeune homme, tout en faisant mine de récupérer les récipients dans sa besace, Astelle écouta avec diligence ses recommandations culinaires. Même si elle n’envisageait pas tout à fait de s’inviter au banquet, c’était toujours bon à savoir ! Et plutôt qu’un tupperware, c’est un pokématos qu’elle extirpa de son sac.
Avec un petit air studieux, elle commença à prendre des notes au stylet.

— Tartare du Frisson ? Frisson, comme Frissonille, ou bien Frison ? Zut, je suis curieuse, maintenant…

— Bouchées de Bruschetta au Luminéon ? Pain, huile d’olive, tomates séchées, basilic, miam miam… c’est dommage qu’ils aient rajouté du poképoisson, sinon, j’aurais pu en manger…

— S’inviter au banquet… ? Ce ne serait pas très poli, quand même… mais bon… c’est la fête… alors peut-être qu’ils ne s’en formaliseraient pas… ?

Sa prise de note terminée en un tournemain, Astelle toussa dans son poing...
...puis reprit d’une petite voix embarrassée.
— En fait, je… commença-t-elle avant de croiser le regard du garçon, et de s’interrompre.

Une hésitation. Ses joues rosirent légèrement.

— …ce n’est pas dans mes habitudes, mais j’étais venue me recueillir.
D'ailleurs, je crois que je n’ai pas trop vu le temps passer, la preuve : j’en ai le fessier tout ankylosé ! Et puis, quand je suis tassée sur mon siège comme ça, les gens ne remarquent même pas que je suis là. Donc ils ont commencé la cérémonie sans même me voir…
C’est un… problème de taille.

Astelle sur son banc… qui se rend soudain compte que tout un mariage s’organise autour d’elle.
…et qui n’a pas vraiment le bon sens de se lever pour partir.

— Eh bien… Autant en profiter pendant que t’es là, non ?
— Si… je ne dérange pas... répondit Astelle avec un sourire timide, après une nouvelle œillade vers les mariés.

Avec un air presque trop sage pour être honnête, la jeune fille se rangea donc aux côtés du photographe. Prête – et impatiente – à lui emboiter le pas. Ben oui. Il y avait potentiellement un banquet à la clef !

— La marié.e va bientôt lancer son bouquet… C’est peut-être ton jour de chance, qui sait.
Mais cette petite façade de politesse se fissura bien vite sur le visage d’Astelle.
A la perspective du lancer de bouquet, il s'était déployé une telle malice dans son sourire…



— Mmmmh… la chance, ça se provoque, tu sais ?

*

Sortie de l’église, Astelle s’immobilisa tout en haut des escaliers. Son hésitation était manifeste. Jamais elle n’aurait le culot de se joindre aux invités, qui attroupés tous ensemble, attendaient que le marié jette le bouquet.
Mais tandis que ses yeux noisette erraient d’un visage à l’autre, les joues rosies par la confusion… elle croisa pour la seconde fois le regard tout aussi effarouché du jeune homme en robe de mariée. Mue par une impulsion, la petite postière se désigna alors de l’index, avec une mimique interrogative. Ce qui était une façon bien maladroite de lui quémander la permission.
Mais il faut croire qu’entre grands timides, on se comprenait ! Comme s’il avait perçu sa gêne, le marié lui fit un petit signe de la main, l’invitant à se rapprocher.  

Surprise et touchée par la gentillesse de l’invitation, Astelle s’inclina poliment, puis descendit l’escalier pour se joindre au groupe. Toutefois, elle regretta rapidement sa décision. Absolument tout le monde était plus grand qu’elle ! Même en sautillant sur la pointe des pieds, elle n’aurait aucune chance de récupérer le bouquet ! Elle ne saurait même pas si on l'avait déjà lancé ou pas ! Un chœur de « oooh ! » s’éleva presqu’aussitôt, mais perdue dans cette forêt de bras levés, elle ne voyait même plus le ciel.
Astelle s’extirpa donc de la cohue et remonta quelques marches, au moins pour voir qui avait attrapé le bouquet.
…mais ce qu’elle vit, c’est que rien n’était encore joué.

Le Noarfang du prêtre décrivait de grands cercles autour de l’attroupement, avec le bouquet de fleurs blanches dans le bec. Il l’avait rattrapé au vol ! Son propriétaire ricanait d’un air taquin, tandis que les deux époux hésitaient entre rire de sa plaisanterie ou le sermonner pour ses bêtises.

Un petit sourire matois trouva son chemin sur les lèvres d’Astelle.
Elargissant petit à petit sa trajectoire, le pokémon survolait désormais le trottoir et les véhicules qui y étaient garés. Soudainement très concentrée, la jeune fille prit quelques instants pour étudier son itinéraire... En contournant les escaliers, il y avait moyen de poursuivre sa course sur un muret surélevé qui délimitait le parking de l’église du bloc d’habitations voisines.
Dans ces conditions… elle avait encore une chance de l’emporter !

*

Astelle s’élança.
Les escaliers grimpés quatre à quatre, elle poursuivit sa course sur le muret surélevé ! Parallèlement au parcours aérien du Noarfang. Le pokéhibou nota qu’il était suivi, et vira de bord ! Songeant sans doute que ça suffirait à le débarrasser de sa poursuivante.
Il avait tort.

- Bang ! -

— Hey… ma voiture !

Tombée sur le capot du véhicule le plus proche, la petite postière poursuivit sa course sautillante à travers le parking ! D’une carrosserie à l’autre. S’attirant de petits coups d’œil inquiet du pokéhibou, qui sentait que quelque chose se préparait.
Il avait raison.

— Senpai, à toi de jouer ! s’écria Astelle, libérant de sa besace un grand flot de lumière rouge.
Avec l’air peu frais de celui qu’on a tiré du lit, le petit Draco rose tourbillonna autour du corps de sa dresseuse, avant de s’enrouler autour de son avant-bras.

Tout en bondissant, la petite postière projeta son pokémon.
— Rattrape-le avec Hydro-Queue !
Comme on manierait un fouet. Ou comme on manierait un ruban de gymnastique. Le corps du pokémon traça une série de boucles ruisselantes dans les airs ! Un vrai tourbillon rose, qui vint désarmer le Noarfang et lui arracher le bouquet des pattes d’un coup de tête bien placé !

Le bouquet s’envola de nouveau en direction du groupe.
Cependant… entre-temps, tout le monde avait sorti un pokémon.

Et on se serait cru au Parc Safari.

Un Ursaring réceptionna d’une patte maladroite le bouquet de fleurs ! Ce qui n’eut pour effet que de le faire rebondir un petit peu plus loin ! Où il fut rattrapé par un Capumain ! Et dérobé de nouveau par un Nirondelle audacieux ! Il remonta dans les airs propulsé par le Cyclone d’un Tengalice, eeeeeeet puis… Astelle traversa le ciel en volant ! Son Draco entouré autour de sa taille, ses vastes ailes blanches largement déployées, elle rejoignit le bouquet en catastrophe, et avant que son petit dragon ne faiblisse : parvint en catastrophe à le toucher du bout des doigts !

Ce qui eut pour effet de le projeter vers Izaiah.
En tourbillonnant comme une attaque Danse-Fleurs. A vitesse mach 3.
Avant suivis - sidérés - la course de l’infortuné bouquet de fleurs (devenu projectile mortel) les regards de toute l’assemblée convergèrent vers le photographe !

(Fuis, Izaiah !)