Brr. Il faisait froid. Beau, mais froid. Enfin, tant qu’il ne pleuvait pas, Auguste était content. Il ne lui en fallait pas davantage pour lui aller se balader dehors. Tant qu’il restait au sec, cela lui suffisait. Un peu de vent ne l’avait jamais arrêté.

Le parc Safari était moins fréquenté en cette période qu’en été. C’était compréhensible. Beaucoup préféraient rester au chaud plutôt que d’affronter la fraîcheur de l’hiver, d’autant qu’il avait beaucoup plus, ces derniers jours, tant et si bien que certains sentiers devaient ressembler à des flaques de boues. Pas le meilleur endroit où aller se promener, le Pulsar en convenait bien que cela ne le dérange pas personnellement.

Il n’y avait que lui et Chrom, qui marchait quelques mètres derrière lui. Calme et discipliné, Gallame était une présence relaxante et son tempérament vigilant en faisait un garde du corps et un protecteur idéal. Non pas qu’Auguste en ait besoin mais s’il devait en nécessiter un, il aurait pris son compagnon en exemple. Il lui arrivait souvent de recourir à ses Pokémons à l’extérieur, ne serait-ce que pour faire de la reconnaissance et surveiller les alentours. Cela lui avait éviter des mauvaises surprises plus d’une fois.

Séréna était occupée avec ses cours, comme cela pouvait être le cas un jour de semaine. Hailey aussi avait d’autres projets aujourd’hui. Tant pis. Non, tant mieux, même ! Il était content pour elle. Qu’elle décide de sortir, d’aller voir des gens était une bonne chose. Le champion d’arène n’était pas souvent chez lui alors il était content que sa cousine fasse l’effort d’explorer la région. Lumiris était un bel endroit, il aurait été dommage de l’admirer à travers la fenêtre de sa maison. Être seul ne dérangeait pas le moins du monde Auguste, qui savait apprécier la compagnie autant que la solitude, surtout qu’il avait décidé de se rendre au Parc Safari pas plus tard que ce matin, en sortant du lit. Difficile d’en vouloir aux gens de ne pas avoir pu l’accompagner.

Les mains dans les poches, l’homme avançait tranquillement sur un large chemin. C’était une des allées principales, pavée et de fait, plus agréable à emprunter aujourd’hui qu’un chemin en terre battue. Aujourd’hui, il y avait fort à parier qu’Auguste ne s’éloigne pas trop. Une promenade était tout ce dont il avait besoin pour le moment. Barouder ayant de la boue jusqu’au genou attendrait un autre jour.

Alors qu’il était perdu dans ses pensées, au point d’en oublier à quoi il réfléchissait, un bruit attira son attention. Il y avait du mouvement près de lui et il lui suffit de tourner la tête pour découvrir que c’était bel et bien le cas. Les branches d’un buisson s’agitaient, comme si quelque chose s’y déplaçait. Un Pokémon, assurément. Croiser une créature sauvage n’était pas rare au Parc Safari, c’était même la raison principale pour laquelle les gens s’y rendaient. Auguste était curieux. Si près des chemins, il s’agissait probablement d’un Rattata à la recherche d’une poubelle à éventrer mais le brun était tout de même décidé à voir de quoi il en retournait. Il s’accroupit avant de poser une main par terre afin de se pencher, cherchant à voir ce qu’il y avait sous ces arbustes. C’était plus prudent de regarder de là où il était plutôt que de s’approcher. Autant éviter d’effrayer le pauvre Pokémon qui se déplaçait là-dessous.

Auguste sursauta. Il s’attendait bien évidemment à trouver quelque chose dans ce buisson mais de là à ce qu’il se fasse hurler au visage. À deux doigts de se faire percer les tympans par le cri aigu d’une banshee, l’homme recula d’un pas. L’auteur de cette attaque n’était pas un Pokémon, comme il put le constater quand il posa les yeux sur la créature à l’origine de tout cela. Une femme. Jeune, à peine sortie de l’adolescence. Visiblement prise au dépourvu, elle n’avait pas imaginé se retrouver nez à nez avec quelqu’un d’autre.

« Oui, j’ai entendu ça. » répondit-il quand elle souligna qu’il lui avait fait peur. « J’ai vu quelque chose bouger dans le buisson, j’étais curieux. »

Et c’était la vérité. Il se promenait lorsque son attention avait été attirée par un mouvement sur le côté et, n’écoutant que son cœur, Auguste avait décidé d’aller y jeter un œil. Rien de plus. Non, vraiment. Il ne la pourchassait pas dans le seul et unique but de mettre un terme à sa vie et à celle de toute sa famille. Quoique…

Elle n’était pas bien grande, cette randonneuse. Pas très épaisse non plus. C’était sans doute pour cette raison qu’elle avait réussi à se faufiler ainsi dans la végétation. D’ailleurs, les Pokémons qui l’accompagnaient n’étaient pas du genre imposant non plus, comme leur dresseuse. S’il savait qu’il s’agissait de ses compagnons, c’est parce qu’elle le lui avait dit sitôt arrivés.

La jeune demoiselle se permit un commentaire flatteur à l’égard de Chrom. Il avait l’air fort. C’étaient ses mots. Le champion d’arène ne pouvait pas lui donner tort, pout la simple et bonne raison que Gallame était fort. Longtemps utilisé comme premier Pokémon qu’il opposait à ses challengers, il était désormais rompu au combat et beaucoup trop entraîné pour conserver son rôle. Il figurait maintenant parmi les Pokémons les plus puissants d’Auguste et d’autres se chargeaient d’ouvrir le bal contre des dresseurs moins chevronnés. Donc oui, Chrom était fort. Personne ne pouvait prétendre le contraire.

« Laissez-moi vous aider. »

Joignant le geste à la parole, Auguste s’avança et se pencha vers les buissons touffus dont il écarta les branches. Repérer le Tortipouss était un jeu d’enfant puisque le pauvre continuait de se débattre pour échapper à sa prison végétale. Par le haut, le Pulsar n’eut qu’à tendre les bras pour attraper le petit Pokémon pour l’attraper. Il le souleva ensuite afin de le sortir hors de là.

« Et voilà, un Tortipouss libéré ! » dit-il avec le sourire en le posant par terre.

Puis il se releva. Sa bonne action accomplie et sa curiosité assouvie, Auguste n’envisageait pas de s’attarder ici plus longtemps que nécessaire. Il n’avait rien de mieux à faire mais quand même, il n’était pas du genre à importuner les autres promeneurs, surtout quand ceux-ci étaient à peine plus âgés que des enfants. Mais l’expression de la randonneuse en question le retint.

« Ça va ? J’ai quelque chose sur la figure ? »

Non parce que clairement, elle était en train de le dévisager. Ce n’était pas la première fois que cela lui arrivait, il avait même l’habitude qu’on le regarde avec insistance après que quelqu’un l’ait reconnu mais de là à demeurer parfaitement silencieux, l’air presque hébété, c’était autre chose. À croire que la jeune femme avait planté.

Auguste haussa un sourcil. Être dévisagé ainsi ne le mettait plus mal à l’aise depuis longtemps mais il devait avouer qu’il trouvait le regard de la jeune femme particulièrement insistant. Ses intentions lui étaient inconnues et il ne savait pas non plus la raison pour laquelle elle le regardait ainsi. L’homme avait déjà vu des gens se rincer l’œil et l’admirer sous toutes les coutures possibles, et cela n’y ressemblait pas. Il n’y avait pas non plus d’hostilité dans son regard… juste de la curiosité ? C’était ainsi qu’il l’interprétait en tout cas. Mais peut-être qu’il se trompait. Tant qu’elle n’ouvrait pas la bouche, c’était difficile à dire.

« Aaah ! »

Il avait compris. Ça y est. C’était bon. Tout était clair désormais. Elle ne le reconnaissait pas mais était sûre et certaine de connaître son visage, d’où l’incompréhension qui se lisait sur ses traits. Ce n’était pas la première à avoir la sensation de l’avoir déjà vu sans pour autant être en mesure de poser un nom sur son visage mais, en général, les gens avaient la décence de ne pas le regarder avec des yeux de merlan frit.

« C’est possible que vous m’ayez déjà vu. » ajouta-t-il, l’air penseur.

Entre sa notoriété qui n’avait de cesse de grandir, ses entrevues dans de grands – et moins grands – magazines, ses quelques passages à la télévision, Auguste avait pris l’habitude d’être reconnu dans la rue. Un dresseur de Lumiris qui s’intéressait de près ou de loin aux combats Pokémons avait forcément vu son visage quelque part.

« Je suppose que je suis plus reconnaissable en tant que champion d’arène qu’en tant que promeneur. »

Un sourire amusé étira ses lèvres. D’ordinaire, il lui arrivait de jouer avec les pieds des gens se trouvant dans la situation de son interlocutrice. Dire que c’était impossible qu’ils se connaissent ou les lancer sur des pistes improbables, cela l’amusait beaucoup – même s’il finissait toujours par cracher le morceau. Son identité n’était pas secrète per se, il aimait juste voir le temps que les autres mettaient avant de mettre le doigt dessus. D’autres fois, il lui arrivait d’être honnête. Tout simplement.

« Auguste d’Epernelle. Je suis détenteur du badge Psy. C’est sans doute ainsi que vous me connaissez. »

C’était là l’hypothèse la plus probables. Il n’était pas impossible qu’elle le connaisse d’autre part, auquel cas il aurait l’air bien bête mais Auguste avait une bonne mémoire et le visage de cette jeune femme ne lui disait strictement rien. Inconnu au bataillon. Il était formel : il ne l’avait jamais vue de sa vie.

« Mais aujourd’hui, je suis juste un homme parti se balader. » dit-il sur un ton léger. « A votre tour de me rendre la politesse : vous êtes… ? »

Sa manière à lui de signifier qu’elle n’avait pas à se sentir intimidée où à le voir autrement qu’une personne normale. Il n’était qu’un quidam en promenade.

« Il n’y a pas de mal. »

Comme s’il pouvait en vouloir à quelqu’un pour ne pas l’avoir reconnu. Auguste n’était pas de ceux à s’offusquer de cela. Au fond, cela lui importait peu qu’on le reconnaisse, il appréciait même passer inaperçu par moment. C’était toujours un plaisir de s’aventurer dehors, de prendre un café en terrasse ou d’aller au cinéma sans qu’on vienne l’importuner.

Une main lui fut tendue, ce à quoi il répondit instinctivement en tendant la sienne en retour juste avant que la jeune femme ne chance d’avis et préfère lui épargner la saleté accumulée durant son escapade au parc Safari. Elle n’était pas un exemple de propreté, c’est vrai, et c’était sans doute mieux d’éviter la poignée de main. Auguste n’avait pas réfléchi, réagissant par réflexe plus que par volonté propre. Cela ne le dérangeait pas nécessairement mais il comprenait qu’elle se soit rétractée. Lui aussi avait l’habitude d’être plein de terre quand il sortait barouder, avec de la boue séchée sur le pantalon et une crasse inimaginable sous les ongles mais qu’importe, il ne partait pas à l’aventure avec l’espoir d’en revenir propre.

« J’imagine très bien » répondit-il, amusé. « J’ai même pu voir que sa chasse n’avait pas été très fructueuse. »

Sauf si le but de cette dernière était de finir coincé dans un buisson. Alors oui, dans ce cas-là, Tortipouss était un redoutable chasseur. Le champion psy avait lui aussi eu son lot de Pokémons qui ne tenaient pas en place et qui étaient incapables de voir un autre Pokémon sans s’en approcher. Les têtes en l’air, il connaissait. C’était un peu moins le cas désormais, grâce notamment au dressage qu’il leur donnait.

« Et pour vous répondre : je n’étais plus venu depuis un moment. Je venais très souvent auparavant mais je n’ai pas eu le loisir de maintenir mes visites régulières ces derniers mois. »

Tout dépendait de son emploi de temps et de ses envies. Selon la période, il pouvait s’y rendre plusieurs fois par mois ou au contraire ne plus y aller durant des semaines. Venir au parc safari n’était pas une habitude, juste un passe-temps auquel il s’adonnait quand l’envie lui prenait. Malgré tout, il connaissait l’endroit comme sa poche. Ou presque.

« Je suis étonné que vous ayez croisé un Papillusion, cela dit. On n’en voit pas souvent à cette époque de l’année. »

Tout comme les humains, les Pokémons ne supportaient pas les températures trop éloignées de leurs zones de confort et ceux qui préféraient une météo plus clémente avaient tendance à s’abriter pour échapper à la rudesse de l’hiver, quitte à ne sortir que pour s’alimenter. D’autres étaient parfaitement adaptés à la saison et vivaient leur meilleure vie.

« Faites quand même attention à Honua. Tous les Pokémons n’apprécient pas d’être pris en chasse et tous ne sont pas aussi dociles que des Papillusions. »

Certains n’hésitaient pas une seconde avant d’attaquer les importuns et vu que Tortipouss était capable de se coincer tout seul… Autant dire qu’Auguste ne l’imaginait pas tenir tête à un Pokémon qui se défendait.