S'étaient tues les litanies murmurées jusque tard dans le soir étiré. La nuit depuis longtemps tombée avait posé sur Miwaren son linceul d'obscurité profonde – abandonnant vos rires et vos confidences aux caprices de Mère Nocturne, vos mots s'étaient doucement disséminés jusqu'à presque se taire. Un à un, ils étaient partis – trois camarades d'études qui n'étaient pas veilleurs –, laissant là micros, caméras, accessoires et vos deux présences doucement éclairées par des bougies aux flammes vacillantes. L'ambiance tamisée avait promis à vos échines des frissons d'adrénaline imbéciles – les nuits d'été trop propices aux histoires terrifiantes qu'on se raconte au crépuscule éteint pour mieux se faire trembler.

À vos silhouettes qui se détachaient à peine des ombres qui vous enveloppaient, tendre hommage rendu par les rayons d'une lune pleine et doucereuse qui coulent, depuis la fenêtre, sur vos peaux blafardes. Le feu factice crépite encore dans la cheminée – l'ambiance feutrée sans la chaleur des flammes ; la lourdeur étouffante des murs épais soufflée par les courants d'airs qui sifflent entre les fenêtres ouvertes du grand salon.

Tes prunelles ricochent sur les obscurités qui dansent au rythme du ballet brûlant du brasier électronique, et s'accrochent sur celles qui dessinent des visages terrifiants le temps d'une seconde égarée. Paréidolies qui ne te font qu'à moitié rire puisque les histoires de tes confrères hantent encore ton esprit inquiet de leurs entités rampantes – comme elle est drôle, l'ironie, puisque le plus terrible des spectres n'est nulle part ailleurs qu'à tes côtés depuis des mois.
Rien au monde ne pourrait plus t'effrayer, depuis qu'Omega et son funeste présage sont à tes côtés.
(Alors pourquoi trembler ?)

Ton inspiration vacille, tu soupires et te redresse sous prétexte de t'étirer. Tes yeux voudraient savoir dépeindre les couleurs qui dansent sur la peau de ton invitée – des halos tendres qui semblent la sublimer. Tu voudrais savoir à quoi ressemble le bleu de ses yeux, l'orange des flammes qui font trembler les reflets dans la clarté de ses cheveux et le pourpre des fauteuils sur lesquels vos carcasses lascives se sont échouées… « Est-ce que tu serais ok pour une dernière prise ? Même si y'a plus les autres… Ça a l'air joli, avec la lumière de la lune et la cheminée. J'ai bien envie de faire du clair-obscur… » Tes mains s'était doucement saisies d'une coupelle où une bougie, piégée par sa propre cire, continuait doucement de s'écouler, et l'avaient tendue dans sa direction. « Tu pourrais la tenir pas trop loin de ton visage… De profil, puis j'aimerais bien un plan où elle se reflète dans tes yeux. Je pense qu'on pourra… » Un fracas soudain au dessus de vos têtes laisse tes mots en suspens, et tes iris surpris se jettent en direction du plafond et des lustres éteints depuis longtemps.

Comme rien d'autre ne vient, ton attention se désintéresse du bruit probablement venu des chambres pour t'en retourner à Lisa et sa bougie vacillante. « J'aimerais bien un plan où Kesla se tient en face de toi. Comme ça, la bougie se reflètera aussi dans ses yeux à elle. Si on peut jouer avec l'obscurité… Hm, vous pourriez vous mettre par là-bas ? » Ton doigt tendu en direction des escaliers, où l'obscurité était plus profonde encore ; le seul éclat fragile venait d'un volet ouverte sur le palier de l'étage et se déversait timidement jusqu'au rez-de-chaussée. « Quand tu arrives au niveau des escaliers, tu regardes en haut, et tu tends la bougie dans la même direction. Kesla arrive en face, comme si elle descendait des escaliers. On aura une belle oblique… Faudra juste faire attention à ce que ton visage soit bien éclairé, mais c'est jouable. On tente ? »

Déjà relevée, le pas léger, tes doigts avaient frôlé avec mille précautions la caméra que l'université t'avait confiée. Penchée sur l'écran, à la recherche des réglages désirés, tu t'étais immobilisée. La nuque frôlée par un souffle glacé, la sensation désagréable d'être observée… Mais il n'y avait, dans ton dos, rien d'autre que l'obscurité d'un couloir aux portes fermées. Arrachée à tes inquiétudes par l'idée rationnelle que l'homme n'était pas l'animal le plus accommodé à la nuit, tu t'étais tournée vers ton sujet du jour (soir), un sourire résolument accroché aux lèvres. « Prête ? »

La bougie s'éteignit brusquement, soufflée par un murmure qui fit couler un frisson désagréable le long de ton échine. L'obscurité, à peine rompue par le halo que la lune jetait au travers des fenêtres, t'apparaissait soudainement menaçante. Oppressante. Tes prunelles, qui s'acharnaient à chercher dans les contours des indices rassurants, ne se heurtaient qu'à des silhouettes angoissantes - des formes informes que ton esprit inquiet s'amusait à confondre avec l'esquisse d'un danger.

« Hm, non, t'inqui... » Vos voix, entremêlées, se turent en même temps que vos regards se jetaient sur le plafond qui vous surplombait. Votre silence, dans les ombres, vous trahissait - trahissait vos peurs, vos imaginations fertiles dont les idées seules suffisaient désormais à vous paralyser.
Tandis que Lisa s'éloignait, toi, tu inspirais. Ton cœur s'était rythmé sur une chamade ridicule mais qui suffisait à affoler ton esprit - sentiment d'urgence dont il te faudrait quelques minutes pour te débarrasser tout à fait.
Tu n'étais pourtant pas de ceux qui avaient peur de la nuit - quand bien même tu savais ce qui s'y cachait. Parce que tu connaissais Omega, et qu'apercevoir la lueur de malice dans les prunelles de Kesla te suffisait à songer que les spectres étaient tous les mêmes - des monstres immondes qui se nourrissaient de vos failles et vous épuiseraient jusqu'au dernier tremblement.

Posant soigneusement la caméra dont tu avais cessé l'enregistrement sur la table, dans sa housse, tu tirais ton téléphone portable de ta poche pour t'orienter, cherchant sur les murs l'un des interrupteurs oubliés. « Attention, j'allume. »
Rien. Il te fallut refaire le geste plusieurs fois, tandis que ton myocarde s'emballait de nouveau pour qu'enfin, la lumière blanche déchire la nuit. Blanche, lumineuse à s'en brûler les rétines - elle n'avait plus l'air tamisé qu'il te semblait pourtant avoir mémorisé. Au moins les ombres s'étaient-elles enfuies, et les bruits tus.
Rassérénée, tu soupirais. « J'ai flippé, en vrai. » Cédant à l'auto-dérision, tu te fendis d'un rire enjoué - nerveux, à mesure que l'angoisse se dissipait. « Par contre, si tu permets, je vais aller tourmenter un peu les mecs, parce que c'est pas possible de faire les cons comme ça. »

Grimpant les marches deux par deux, tu atteignis l'étage sans encombres et, déterminée à passer un savon à tes camarades de projet, tu frappais à la porte. À des trois coups assurés ne répondit qu'un silence pesant, que pas le moindre rire, soupir ou grincement ne vint rompre. Trois nouveaux coups, « Allô, les mecs ? » et rien, encore, ne vint. Perplexe, tu finis par abaisser la poignée, poussant la porte pour la laisser s'ouvrir sans entrer. Les sacs de couchage, étalés par terre, étaient vides et la pièce, plongée dans l'obscurité.
L'interrupteur, cette fois, n'opposa aucune résistance - mais le plein jour ne fut pas moins inquiétant : personne n'était là.

« Euh… Allô ? Les gars ? Ian ? Axel ? Allô ?! » Pas une réponse. Pas l'ombre d'un bruit. « Lisa ? Y'a personne en bas, t'es sûre ? » À petits pas hésitants, tu avançais en direction d'une porte adjacente, que tu poussais également. La lumière allumée n'en dévoila pas plus que dans la précédente - qu'une grade pièces aux meubles couverts de draps blancs. « Allez, les gars, c'est bon, c'est pas drôle, là. » Et ces idiots, sûrement planqués dans une pièces, devaient être bien heureux de se payer votre tête…
À moins que ?
Un mouvement dans la pièce, dans un coin de pénombre qui vit le jour lorsque tu éteignis la lumière, attira ton attention. Incertaine, et persuadée (ou bien essayant de te persuader) que ton esprit te jouait des tours, tu préféras t'en détourner, refermant la porte dans ton dos.