La foule était dense, bruyante, agitée. Il y avait quelque chose d'étrange à se trouver de nouveau ici, aux abords du Colisée où je me trouvais il y a un peu plus d'un an désormais, de l'autre côté des rambardes. À cette époque qui me semblait si lointaine où je n'avais encore jamais combattu d'autre dresseur, jamais décroché le moindre badge ; à l'époque où j'étais encore fragile et vacillant au moindre de mes pas hésitants. L'époque où j'admirais, de loin, ces gens que j'admirais briller au milieu de la poussière des stades enivrés. Lise, Kei, Nora – des champions émérites qui me semblaient alors hors d'atteinte, loin, si loin qu'il m'avait un millier de fois semblé qu'ils étaient hors de portée de mes mains tremblantes.

Leurs sourires, leurs regards m'avaient murmuré d'essayer – puis, quand ils étaient partis, et avec eux l'idée qu'un jour, j'aurai le mérite qu'il fallait pour les affronter, c'était ceux que j'aimais et qui m'aimaient en retour qui m'avait intimé de continuer. De m'accrocher, de toute la force de mes rêves insensés. De relever la tête et de ne jamais renoncer – de viser si haut que je ne retomberai jamais si bas que les rivages d'où je venais.

Et, aujourd'hui, j'étais là.
Nous étions si nombreux à avoir progressé, si nombreux à avoir continué d'avancer. Nous avions quitté les rangs d'anonymes pour nous hisser en direction des sommets… Et j'étais parmi ceux-là : parmi ceux qui n'avaient rien lâché.
Parmi ceux qui, aujourd'hui, avaient décroché une place, un nom parmi les grands que, de si loin autrefois, j'admirais avec toute l'envie d'un enfant qui n'avait jamais cru qu'on l'attendrait.
J'avais officialisé l'ouverture de mon arène quelques jours auparavant, et mené mon premier affrontement en tant que champion de Lumiris.
J'avais vaincu la nuit, trouvé quelque chose pour trembler, et défié les cieux de me laisser rêver – j'avais décroché cette victoire à la force de ma rage insensée. Je n'avais… plus renoncé.

Parce que j'avais trouvé des raisons d'avancer – les étincelles de fierté dans le regard de mes parents, les sourires de Jenna avec qui nous avions retrouvé la force de rire au fil des mois, les conseils de Lauriane qui m'avait épaulé quand je vacillais au milieu de mes imbéciles projets, la force de vaincre d'Akari et d'Astelle qui avaient ravivé dans mon cœur des braises de vie déterminées, les yeux de Mana'arii qui n'avaient pas fui toutes les horreurs de ce que parfois j'étais… Ils m'avaient porté là où j'étais – loin de mes prémices si incertains qui me laissaient craindre que je ne reprendrais jamais souffle.
J'avais appris, depuis, que demain n'était rien qu'une énième chance de recommencer ce que la veille nous avait poussé à échouer.

J'avais suivi Jenna, nerveuse et désemparée, sans bien rechigner – j'avais vu dans ces tournois une façon parmi mille de retrouver de ces rires et de ce temps perdu que les mois d'obscurité nous avaient volés. Je n'avais même pas hésité – j'avais ri puis cédé et, depuis, nous avions perdu des après-midis entiers à nous entraîner, dans tous les instants que nos emplois du temps nous le permettaient. Maladroits mais passionnés – nous n'en avions probablement rien à faire des récompenses à la clef, de perdre ou de gagner.
C'était simplement nous… elle et moi, dans l'instant, contre le monde entier.
Nous avions ponctué nos combats de nos souvenirs, de nos craintes et de nos doutes, de nos rires et de nos lassitudes – et j'avais réalisé, au beau milieu d'un fou rire imbécile, qu'elle était peut-être l'amie la plus précieuse à s'être glissée dans mes trajectoires depuis bien plus d'un an déjà. J'avais trouvé en elle une alliée qui, je le savais, serait encore là demain ; si n'avait jamais failli, soutien indéfectible au milieu des orages et pluies diluviennes.

La tendresse que je lui vouais n'avais rien à envier à celle que je destinais à cet autre aux yeux d'ambres qui me hantait – elle était simplement différente, platonique et pas passionnée.

J'avais noué à son poignet les bracelets bleus qui nous avaient été confiés, puis nous avions sillonné les allées animées, entourées de stands et de terrains aménagés où des combats battaient déjà leur plein, en direction de celui qu'on nous avait pour bientôt désigné. Comme toujours, Rhapsodie était à mes côtés, forcé par la foule à me talonner de près de crainte de m'égarer. Prisme avait trouvé refuge sur son dos, doucement bercée par les roulements des muscles de ses épaules, tandis qu'Ombrage, elle, était déjà loin devant nous. Paisible et curieuse… Si loin des orages qui nous avaient autrefois déchirés.
« Ça va ? Pas trop stressée ? » J'avais adressé à Jenna un sourire qui se voulait rassurant, et lui avais tendu mon bras. « Tu veux qu'on achète de quoi boire avant d'y aller ? On a un peu de temps. »