Les ténèbres l’enveloppaient. Gluantes, elles le collaient au sol, l’empêchaient de faire le moindre geste, le retenant de se lever.

Pouvait-il se lever ?

Il sentait une douleur lancinante au niveau de son abdomen, à l’endroit où il avait été touché. Au-delà des élancements causés par le sort de son antagoniste, une autre souffrance, plus pernicieuse, était présente. Ses entrailles, ou du moins, ce qu’il en restait, semblaient avoir été tordues de sorte à former un nœud serré, comme fait par le plus aguerri des marins.

Celui-ci lui provoquait des nausées, des hauts le cœur.
Un profond dégoût de lui-même.


Kyojurô avait rarement eu l’occasion de ressentir pareil émoi, et pourtant, celui-ci lui paraissait soudainement clair, comme s’il était présent dans sa nature depuis sa naissance.
Il avait vu la silhouette devenue floue de son adversaire s’éloigner avant de s’évaporer dans la brume matinale, il aurait pu le rattraper avant de mourir, dans la honte.
Or, il n’avait pas su trouver la force nécessaire pour l’empêcher de fuir. Sa baguette avait été brisée en deux.

L’Auror était prêt à faire son propre procès, à s’auto-plaider coupable. Il avait failli la mission qui lui avait été confiée à sa naissance, que l’on lui avait répétée à chaque étape de sa vie et pour laquelle il s’était battu jusque-là.

Bien que ne voyant rien autour de lui, il sentait peser sur ses épaules les regards remplis de jugement sur sa défection, lui que l’on disait si prometteur, ce n’était alors que du vent, des mots passants. L’héritier de la grande lignée des Rengoku n’était qu’un lâche qui n’avait fait que mentir, toute sa vie, prétextant agir pour le bien, la justice et la défense des opprimés…
Et il n’avait pas réussi à accomplir la mission qui lui avait été confiée, qui lui permettait de se battre pour les belles valeurs qu’il n’avait eu de cesse d’évoquer.

Contre toute attente, Kyojurô s’était lui-même trahi.

Il lui sembla apercevoir son reflet dans l’obscurité qui l’entourait. Son œil restant rivé sur le sol, ou ce qui faisait office de sol du moins, il ne vit que la représentation d’un parjure. Pitoyable.

Ses maux s’intensifièrent, comme s’il avait été touché par du fer chauffé à blanc. Ironique qu’il se sente brûlé de la sorte alors que la symbolique des flammes ne quittait pas sa famille depuis l’époque Sengoku.
Toutefois, il n’était pas question d’un feu bienfaiteur, purifiant des errements et des souillures.

Non.

Tout son être se retrouverait consumé par ces langues de feu qui mettraient à néant sa félonie par le même biais.
À l'encontre de toute sa volonté, il était un transfuge.


Parmi toutes ces paires d'yeux qui l'accusaient, à raison, l'une d'elles était particulièrement difficile à encaisser.
Kyojurô reconnut immédiatement la présence qui s'était matérialisée juste devant lui et qui le scrutait.
Iris rivés sur le sol, il reconnut dans la périphérie de son œil intact le kimono de soie bleue qui reflétait on ne sait comment dans la bourbe dans laquelle il était empêtré, comme s'il s'agissait d'eau claire, et ses pieds légers, reposant comme si le sol était stable et fait de dur.

Il devait être une bien piètre vision pour le regard aux reflets amarantes qui l'avait vu naître et grandir. Le sentiment d'être un lâche, un veule se fit encore plus insupportable.

Honteux, il garda le nez baissé.

S'il y avait une personne dont il redoutait le verdict, celle-ci se trouvait juste devant lui.

C'était du fait de cette silhouette féminine et mince qu'il s'était engagé avec zèle dans ce chemin, qu'il avait poursuivi de telles ambitions. Kyojurô avait tout fait pour rester loyal à la parole qu'il avait donné à sa mère, il se devait de respecter la dernière volonté de celle-ci à la lettre.

Et voilà qu'aujourd'hui, il se présentait face à elle, traînant dans la fange, estropié.
Lui qui s'était présenté pendant tant d'années si grand et noble, un Soleil, rayonnant, éblouissant, ses commissures relevées en un grand sourire qui lui était caractéristique et le regard droit vers le lointain.
Le voilà dans sa chute, éteint, couvert de sang.

Grandeur et décadence de l'aîné de la dernière génération Rengoku.


Il ne put proférer le moindre mot, il se sentit pitoyable, n'osant pas assumer sa traîtrise face à sa chère génitrice.

Il devait à présent répondre de ses actes et affronter sa plus grande peur, déjà matérialisée par son épouvantard. Encore étudiant, il avait fait face à ces créatures de cauchemar qui lisaient dans le cœur des sorciers et parvenaient à prendre la forme de leurs pires craintes. À l'époque, le jeune homme qu'il était était conscient qu'il ne s'agissait que d'un exercice et arrivait à outrepasser cet obstacle, laborieusement, mais avec succès.


Je suis navré mère… avait-il envie de déclarer, mais ses mots restaient bloqués dans sa gorge, comme prêts à l'étrangler pour ajouter à sa sentence. J'ai manqué à mon devoir et aux promesses que je vous ai faites. C'est un acte de trahison envers ceux-ci, envers vous et envers moi.

L'Auror porta sa main à sa gorge, instinctivement.

Jamais il n'avait craint la mort. Cela faisait partie de la vie. Un individu naissant dans le monde devait se préparer à la mort.
De plus, il n'y avait pas plus grand honneur que de mourir pour ses valeurs et ses idéaux…
C'était ainsi qu'il pensait.
Néanmoins, il devait se préparer à subir le jugement éternel de sa mère…

Qu'à cela tienne, il le méritait par ses actes scélérats.


Malgré la douleur lancinante, l'homme se redressa, afin de se montrer digne, au moins devant sa mère.
Il ne cilla pas quand son œil rencontra les iris sévères et le faciès pâle et impénétrable de Ruka.
Elle était exactement la même que dans ses souvenirs.

Il baissa à nouveau le menton, par respect.



Il l'entendit et ses phalanges se crispèrent sur le pantalon de son uniforme.




En bon fils, il obéit et elle ajouta, son visage s'illumina avec l'apparition d'un sourire doux et sincère :



Les yeux du fils s'écarquillèrent, de surprise tandis que le nœud stomacal sembla se détendre et se délier. La chaleur insupportable devint plus diffuse, même si ses plaies étaient toujours aussi douloureuses.
Il trouva la force, enfin, de rétorquer et de répondre à la silhouette fantomale.



Une lueur de tendresse étincela dans les yeux de Ruka et elle le coupa avec douceur :




Il n'eut pas le temps de parler à nouveau...

Une inspiration profonde et bruyante se fit ressentir et entendre à la place.

L'obscurité et l'incertitude laissèrent soudainement place à une pièce lumineuse et à la ouate des draps propres.

S'il était estropié, il s'était jugé de manière plus impitoyable que ce qu'il devait.