TW : Violence, consommation de drogues, manipulation, sujets sensibles

« Je m’appelle Gregory Watson, j’ai… »
L’enfant s’arrête pour compter sur ses doigts avant de les montrer tout fièrement vers la personne derrière la caméra.
« J’ai 7 ans maintenant! Je suis né à Smashings et aujourd’hui c’est le plus beau jour de ma vie! Maman va ramener mon petit frère à la maison, il va s’appeler Elijah! C’est moi qui a choisi son nom… »
Le jeune garçon baisse timidement la tête, non sans serrer contre lui une Laporeille qui vient affectueusement se lover contre lui.

- C’est la première fois que tu deviens un Grand Frère, Gregory? »

La petite tête rousse secoue lentement la tête, non sans forcer un grand sourire qui découvre une dent manquante. Ah la fameuse dent frontale qui décide de tomber pile poil le jour de photo de classe.

« Non! J’ai déjà William en petit frère… »

- Il est gentil avec toi?

« Parfois… »

- Parfois? Tu veux parler de ce qui se passe à la maison, Gregory?

« Papa va être fâché si j’en parle… »

- Papa n’est pas ici Gregory, tu es en sécurité, tu sais que Madame Stéphanie est ton amie, n’est-ce pas?

Le jeune garçon hoche lentement la tête, non sans dévier le regard.

« Papa a encore crié sur Maman hier soir. »

- Il a crié? Pourquoi?

« Je sais pas… Mais Maman pleurait beaucoup. Je… J’ai hum. J’ai hum… Essayé de la rassurer. Je lui ai fait un câlin. Mais elle a continué de pleurer. Et je… Hum… »

- Prends ton temps Gregory.

« J’ai vraiment envie d’aller pipi Madame… »




« Je m’appelle Gregory Watson, j’ai 9 ans et ça c’est Bonnie. »

- Tu veux parler de Bonnie aujourd’hui?

Le jeune garçon remue timidement la tête de haut en bas, tout en caressant les oreilles de la Laporeille qui repose sur ses cuisses.

« Ouiii! Bonnie c’est mon amie. Elle est gentille. Mais elle ne comprend pas beaucoup de chose. Bonnie est stupide par moment. Mais c’est correct. Moi aussi suis stupide. Papa dit souvent que je suis stupide. »

- Ça fait longtemps que tu as Bonnie?

« J’ai toujours eu Bonnie. Elle est vieille… Vieille comme maman! »

- Maman est vieille?

« Très, très vieille! Elle a 26 ans! C’est vraiment vieux ça! »

- Tu dis que Papa te trouve stupide, tu veux me donner des exemples?

« Hier soir je devais faire un devoir pour la classe de Mme Laura. Mais je comprends pas les classes de Français, c’est une langue bizarre… Pis bah Papa a dit que j’étais stupide parce que je comprenais pas. Mais lui-même il parle pas le Français… Ça fait de lui un stupide aussi! »

- Tu lui as dit ça?

« Moui… »

- Et comment a-t-il réagit?

« Il m’a tapé derrière la tête. Mais ça n’a pas fait trop mal. J’ai pas pleuré cette fois ! »

- Cette fois?

« Oui, Papa me corrige souvent, il dit qu’il aurait dû me laisser chez Grand-Maman Lawrence. J’aime beaucoup Grand-Maman Lawrence. Elle est très gentille, elle me fait toujours des biscuits aux carottes et elle a un Zéblitz. Tu as déjà vu un Zéblitz?! J’en ai jamais vu ici à Galar, ils sont vraiment trop cool! J’aimerais en avoir un, un jour. »

-Tu aimerais devenir Dresseur Pokémon?

Le petit garçon hoche frénétiquement de la tête.

« Oui! Bonnie et moi, on va devenir les plus forts de Smashings! Non! De Galar! Non!! Du MONDE ENTIER! »

- Wow c’est un gros projet ça!

« Oui! Maman n’a pas pu devenir Dresseur, Papa dit qu’elle doit s’occuper de la maison. Mais je peux m’en occuper! J’suis assez grand! »






Ça fait plusieurs heures qu’ils se crient dessus. J’entends des bruits de verres qui volent en éclats. J’entends des coups. J’entends l’écho d’une main qui résonne contre la peau. J’entends des cris… Des cris de rage. Je suis recroquevillé dans le salon, Bonnie se débat dans mes bras mais je ne peux pas la lâcher. Elle a un morceau de verre enfoncé dans sa patte gauche. Elle souffre, mais je pense que le lui retirer serait pire.
Je n’ai pas pu me rendre a ma chambre, je n’avais pas le cœur de laisser Bonnie derrière. Alors je suis coincé dans le salon. Je peux entendre William et Elijah dans ma chambre. J’entends Elijah pleurer. J’aimerais tellement qu’il cesse de pleurer. Ça va bientôt finir. Ça finit toujours par finir…

J’entends mon petit cœur se débattre.
Pourquoi est-ce qu’ils se crient toujours après?
J’ai mal à la tête.
J’ai faim.
J’ai vraiment faim, Maman.


Au bout de quelques heures, la porte s’ouvre. Je vois Maman sortir en trombe, on dirait qu’elle a peur. Je ne sais pas si je ne m’en rends pas compte, ou si je veux l’ignorer. Elle se dirige vers ma chambre. Et sitôt en ressorte William et Elijah. On va voir Grand-Maman Lawrence?! Je me redresse, non sans serrer Bonnie contre moi. On pourra s’arrêter au Centre Pokémon en même temps! Je force un sourire mais Maman ne me regarde pas. Elle se dirige vers la porte avec mes frères.

« On va voir Grand-Maman?! » Je force un sourire, alors qu’elle me lance un regard… Pourquoi a-t-elle l’air aussi triste? Je n’arrive pas à l’ignorer, et je m’en rends compte, cette fois. Elle s’abaisse vers moi, me caresse la tête.
- Maman a besoin d’un petit weekend chez Grand-Maman, tu veux bien rester ici comme un grand?
Partir? Sans moi? Je secoue la tête, non sans soulever Bonnie au passage.
« Non Maman! Il faut aller au Centre Pokémon, Bonnie s’est blessée! »
- Gregory, écoutes-moi, s’il te plaît.
« Non! Non! Tu ne m’écoutes jamais, toi d’abord! Bonnie doit aller… »
- Gregory Watson, écoutes moi donc pour une fois! Tu ne peux PAS venir.
« M-Mais Maman… »
- Il n’y a pas de mais, ça suffit! William, Elijah, on part.

La confusion, elle secoue mon petit être, alors que je regarde William me tourner le dos. Et Elijah? Il me regarde avec la même confusion. Naturellement, je tends la main vers lui, qu’il réceptionne. Je m’accroche à lui, très fort. Maman doit physiquement intervenir en prenant mon petit frère dans ses bras et me l’arracher.

J’entends encore le cri qu’il a lâché lorsque nos mains ont été séparées.

Pourquoi avons-nous été séparés?





« Je m’appelle Gregory, j’ai 12 ans et aujourd’hui marque le 341ième jour où Maman est partie en weekend chez Grand-Maman. »

- Tu n’as pas cessé de compter, Gregory?

« Non. J’ai encore essayé d’appeler chez Grand-Maman mais je n’ai pas eu de réponse... »

- Est-ce que Papa te traite un peu mieux depuis que Maman est partie?

« Maman n’est pas partie! Elle va revenir! Elle a seulement oublié… elle est très occupée, vous saurez ! Et pis, qu’est-ce que ça peut vous faire?! J’suis sûr que votre mère vous aime même pas! »

- Gregory, calmes-toi s’il te plait.

« Non! C’est toujours la même chose avec vous! Gregory, fais pas ci, Gregory, fais pas ça. Sois gentil avec les autres, Gregory. Mais qui est gentil avec moi hein?! Vous avez pensé à moi, rien qu’un peu?! »

- Gregory…

« Non! Arrêtez! J’en ai marre. J’veux plus être gentil, ça donne jamais rien! Maman n’est pas encore revenue pis j’ai été gentil! Être gentil ça n’a pas empêché Papa de me taper dessus encore! J’en ai marre d’être votre souffre-douleur, à vous tous! »

En disant cela, le jeune garçon se relevait soudainement pour lancer la chaise sur laquelle il était assied jusqu’à maintenant, manquant de peu l’intervenante social qui ne fit que soupirer lourdement. Elle avait sursauté après avoir entendu la chaise se fracasser contre le mur, et avait froncé les sourcils.

- J’appelle la Sécurité.

« N-non! Steplait! J’veux pas aller en prison! J’vais être gentil, laisse-moi une chance encore…! »




Je ne sais pas pourquoi j’écris ici.
Je ne sais plus pourquoi je continue de me battre.
J’ai perdu le compte des jours depuis que Maman est partie. Je n’en suis pas très fier.
Le compte des jours depuis que Maman m’a abandonné derrière elle.
Pourquoi?

Les choses ne vont pas spécialement bien avec Papa.
Pourquoi est-ce que je m’entête à l’appeler ainsi? Un vrai père ne lèverait jamais la main sur son enfant.
Il va voir, il va frapper un mur, un jour. Et ce mur, ce sera moi.

Je m’entraîne à tous les jours depuis quelques temps, je dois être rendu a bientôt 1m70? J’essaie de me comparer à mes camarades de classes. Enfin, le peu de temps que j’y vais.
Je n’aime pas l’école, j’comprends rien et personne ne veut m’aider. Apparemment, je suis un élève en extrême difficulté, en critique échec scolaire, ou des termes de prof compliqués. Ça me frustre tellement. Puis j’passe plus de temps à me battre avec Jonathan. Je l’aime pas. Il a une tronche que seule une mère pourrait aimer et ça me fâche.


J’ai envie d’espérer un signe de vie de la part de ma mère pour mes 15 ans, est-ce trop demandé? J’aimerais vraiment qu’elle se rappelle de moi.
J’aurais tué pour que ma mère m’ait emmené avec elle, ce jour-là.




- Vous dites que son nom c’est Gregory Watson?

« Lawrence. J’mérite mieux qu’une pourriture comme père comme lui. T’es chanceux que j’t’ai manqué. La prochaine fois que j’te r’vois, t’es un homme mort Watson! »

- Calmez-vous Monsieur Wat…

« Ne m’appelez PAS Watson!! »

- Nous allons nous occuper de votre fils, Monsieur.

- Il est dangereux, enfermez-le et laissez-le pas sortir. Le plus loin il est le mieux je vais me porter.

« Enfoiré…! »

- Monsieur Lawrence, calmez-vous..!




« Je m’appelle Gregory Lawrence, j’ai 17 ans et aujourd’hui marque le 2142ième jour où Maman est partie en weekend chez Grand-Maman Lawrence. Je commence à croire qu’elle ne va pas revenir ha… haha… »

L’adolescent à la crinière de feu force un rire, alors qu’il essuie le sang au coin de sa lèvre inférieure, non sans tourner la tête vers la fenêtre.

- Avec qui t’es-tu battu aujourd’hui, Gregory?

« Huh? Ah. Ça. Kevin m’a fait chier ce soir en revenant des cours, je l’ai remis à sa place. J’pense que sa mère n’a pas trop apprécié. »

- Tu t’étonnes que ta famille d’accueil n’apprécie pas ce genre de comportement? Gregory, c’est la 4ième famille cette année seulement. Ne vois-tu pas une répétition? Penses-tu que tu pourrais corriger ton comportement afin de trouver une famille stable?

« Mais j’ai rien fait! C’est eux qui me font chier. Ils mettent leur nez dans mes affaires. La dernière conne refusait que je sorte Bonnie de la chambre, sous prétexte qu’elle dérange et qu’elle met du poil partout. Sauf que cette pauvre conne là ne fait rien quand son Ponchien essaie d’attaquer Bonnie. Pis pourtant, elle SAIT que Bonnie est handicapée! »

- Calme toi Gregory…

« Mais j’suis calme!! C’est vous qui m’prenez pour un fou! J’voulais seulement protéger Bonnie, pis c’est MOI le problème?! Tsk… »


J’anticipe.
J’anticipe l’approche de mes 18 ans.
Je sais que je suis un problème pour le système.
Et ce même système est sur le point de me relâcher, enfin.
Enfin.
Pas vraiment. Puisque si je vais être libre de faire ce que je veux et aller où je veux….
Je n’ai ni job, ni études complètes, ni appartement.
Si je ne trouve rien avant le 27 Avril prochain, je deviens officiellement sans domicile fixe. Enfin, ce ne serait pas vraiment un problème pour moi mais Bonnie…
C’est officiel, Bonnie n’arrive plus à marcher. La fameuse blessure à totalement bousillé son muscle. J’en veux tellement, TELLEMENT à Sebastian.

Si moi je peux survivre dans la rue, j’ai des poings, je sais m’en servir.
Bonnie n’a pas cette chance.
Que va-t-il lui arriver?




Comme je l’avais prédit, dès mes 18 ans, je me suis retrouvé à la rue. Je ne sais pas si c’était un choix qui m’a été imposé, ou que j’ai fait moi-même. Mais je suis là. Mon journal et mes vidéos dans un sac, quelques vêtements et Bonnie avec moi. Et voilà que nous quittions enfin ce trou à rat qu’était devenu Smashings pour moi.
Je ne sais pas trop où je me dirigeais. Je savais seulement que je devais absolument quitter ma ville natale. Peut-être trouverais-je réponse ailleurs?
Peut-être que je les retrouverais ailleurs?




Les journées sont longues, j’ai l’estomac qui se dévore lui-même depuis quelques temps. Ça fait tellement longtemps que je n’ai pas mangé un repas consistant. Hier j’ai réussi à voler la moitié d’une miche de pain. J’en ai bouffé deux bouchées avant de donner le reste à Bonnie, elle en a plus besoin que moi. Elle doit avoir tellement faim…

Je commence à en avoir marre de dormir à la belle étoile.
Hier encore, on s’est fait attaquer en pleine nuit par un Rhinocorne, laisse-moi te dire que ça réveille très mal, se faire charger par un Rhinocorne.

Heureusement, il y a eu plus de peur que de mal. Mais je me suis clairement étiré un truc dans ma course pour la survie.



Après je ne sais plus combien de temps, j’ai enfin mit les pieds dans une ville! Winscor, selon la bannière de la ville. En tout cas, il ne manque pas de populace ici. Ça m’intimide un peu à vrai dire. Peut-être que j’arriverai à quelque chose, ici. Peut-être que je rencontrerai des gens, ici.

J’ai vraiment besoin de prendre une douche, je sens le Ratatack en décomposition. Yark.



« À Lumioù? »

- À Lumiris! Tu veux un nouveau départ? C’est là qu’il faut aller!

« Mais j’ai pas d’argent, Aaron… »

- Tu me le rendras en temps et lieu. Alors tu viens ou j’te laisse derrière? On part ensemble, toi et moi, packsack. C’est cool comme expérience, non?



…. Je ne veux pas être laissé derrière.
Je ne veux plus ressentir cette horrible sensation d’être celui qu’on abandonne.
Était-ce une bonne idée de le suivre? Je suis seul, sans famille, sans ami, je deviens un peu comme Rémi.
C’est triste. Je suis triste. Je me sens triste.
Je n’ai plus rien à perdre, alors devrais-je suivre mon ami ? Ce garçon qui, un jour, m’a donné un sandwich. Parce que lorsqu’on est sans abri, on est invisible. Mais Aaron, il voit les invisibles. Et si je m’en méfiais, j’ai réalisé que c’est une personne qui a le cœur sur la main. Un peu trop naïf, je trouve. Mais très gentil.
Avec son aide, j’ai pu trouver des sources en Winscor pour les jeunes en situation d’itinérance et j’ai pu trouver refuge dans un centre. Il nous a aidés, Bonnie et moi. Je suis reconnaissant pour ce que Aaron fait pour moi, et je lui ai accordé mon amitié. Je le respecte.
Je ne sais pas ce qu’il pourrait gagner à m’aider, mais il veut partir avec moi à Lumiris. Je n’ai pas de plan.
Au pire… It is what it is, non?



Cela fait quelques temps que je suis en Lumiris et je suis… Encore sous le choc?
Aaron ne m’avait pas menti, sitôt arrivé, sitôt on avait un appartement. Ce n’était pas le grand luxe mais ça allait le faire.
Ah oui, nous sommes devenus colocataire en même temps.
Bonnie semble bien l’apprécier et inversement.

J’ai… repris l’école? J’ai pu terminer mes études de base dans une école pour adulte, et gradué de mes années qui me manquaient. Ça s’est fait rapidement.
Avec un programme spécial, du travail acharné et la grande aide d’Aaron qui m’a référé, j’ai pu poursuivre des études professionnelles. Nous sommes en formation pour rejoindre la police, ensemble.

Choquant, n’est-ce pas?
Mais avoue que ça le fait bien, Officier Lawrence.
J’imagine déjà le badge.


… Tu crois que je pourrais les retrouver en ayant accès au système de police…?



Aujourd’hui, c’est la graduation. Je n’ai jamais été aussi excité. J’ai l’impression d’avoir réussi, et mon succès, c’est la meilleure vengeance que je peux avoir sur mon père. À la fin, j’ai tout gagné. J’ai même habillé Bonnie pour l’occasion!
Aaron va venir m’encourager dans la foule aussi, c’est vraiment sympa de sa part!

Ah... Non. Aaron ne va pas graduer. Il a décidé de se retirer pour se concentrer sur sa santé mentale. Je ne savais pas qu’il était malade. C’est dommage d’un coté, on aurait pu devenir officiers ensemble, et ça m’aurait plu. Je le considère comme mon meilleur ami. Mais je comprends ce que c’est, ne pas être à une bonne place. Malgré tout, il est avec moi et pour ça, j’en suis reconnaissant. Comme pour tout ce qu’il a fait.

Les choses se replacent doucement, ça fait du bien.



Cela fait bientôt deux semaines qu’Aaron et moi avons déménagé en Voltapolis. Même si on a désormais des jobs d’adultes et des gros salaires, on a décidé de se serrer les coudes et rester en colocation ! Notre nouvel appartement est nettement plus grand que le précédent. Ça me rend un peu nerveux à vrai dire, je ne fais pas énormément de shifts, je suis encore trop nouveau au commissariat pour qu’on m’accorde autant de confiance que je l’aurais espéré. C’est chiant être le petit nouveau.

Mais on me souffle à l’oreille qu’un second coloc est en approche?
Selon Aaron, c’est un bon ami à lui qui vient d’Alola.
C’est où ça, déjà?


Cela fait un mois que le nouveau est arrivé. Et même un mois plus tard….
Il fait vachement pitié à voir.
Et si je m’en moquais au début, honnêtement? C’est de ça que j’avais l’air, sans doute pire même, quand Aaron m’a trouvé? Pas étonnant qu’il m’ait pris en pitié…

Il s’appelle Lestat. Lestat Burton.
Il a fraîchement 18 ans et au premier coup d’œil, il ne connaît strictement rien à la vie.
Hier encore, il a failli faire brûler l’appartement. Il a fait brûler de l’eau.
Il a fait brûler. De. L’Eau.
Je ne sais pas du tout comment il a réussi son coup. Mais j’hésite encore entre être fasciné ou découragé.




Je commence à remettre mon choix de carrière en question…
Les gens ne me font toujours pas confiance au commissariat et franchement? Ça me les casse. J’ai besoin de survivre financièrement…
Ça faisait un moment que je n’avais pas été financièrement stressé. Même si Lestat nous aide avec le loyer, j’ai l’impression qu’Aaron et lui s’en sortent mieux que moi.
J’ai même déjà commencé à chercher un travail à temps partiel (aux dernières nouvelles, selon les lois Lumiriennes, j’avais parfaitement le droit de faire ça) pour couvrir mes dépenses et mon cruel manque d’heures… Tout le monde cherche des employés, mais personne ne répond à ma candidature. Lourd.



« C’est qu’une livraison Lestat, tout va bien aller. Tu vas voir Mac, tu prends les bidou et tu reviens me voir. On se casse, ni vu, ni connu après. »

- C’est sécuritaire?

« Tu veux la vérité ou un mensonge? »

- Euh…

« Mac. Bouges-toi un peu! En quelle langue j’dois te le dire pour que tu comprennes?! »



Cela fait quelques mois qu’on a commencé à s’activer dans le marché noir. Est-ce la meilleure chose à faire? Honnêtement, non. C’est pire que dangereux avec les rappasses en Voltapolis, et je vous laisse imaginer les bribes qui tâcheraient mon badge... Mais ça paie quand même mieux que mon salaire de bébé policier. Puis, ça me permets de passer du temps avec Bestie Lestie.

Il sort doucement de sa coquille et il a moins l’air de quelqu’un qui ne va pas passer au-travers de la tuberculose. Ou à une cigarette près de mourir. Ça m’impressionne, à quel point une personne peut autant passer son stress au-travers des clopes.
Parlant de cigarette, j’en ai plus moi. Il me doit un paquet ce con…. Tsk…


Mais malgré tout, il est agréable à parler.
Bon, un peu coincé, mais ça s’arrange facilement ça.
Ce soir j’ai décidé de nous garder une partie du stock qu’on devait vendre. On mérite un break de la vie j’crois. Et puis, de ce qu’il dit, Lestat n’a jamais rien pris de sa vie, ça risque d’être intéressant. J’espère juste qu’il ne va pas badtripper, j’ai pas envie de gérer ça…




J’ai encore la tête dans le coton, alors que je passe une main dans mes cheveux. J’ai tellement chaud et pourtant… Il est là, accroché à mon cou, paisiblement endormi. Ou plutôt, il faisait semblant, parce que j’ai pu voir ses yeux m’adresser le plus doux regard qu’il ait pu adresser. J’imagine. J’suis pas bon pour décrire les émotions. Qu’est-ce que…?

- … Tu t’es réveillé?

« Ah euh… Oui? »

- Qu’est-ce que ça voulait dire pour toi?

Je suis pas certain que j’aime où il veut en venir.

« Et pour toi…? »

De quoi tu parles, Lestie ? J’ai l’impression que je n’ai pas envie de comprendre, et pourtant, je sais où ça se dirige.

- C’est le genre de truc qu’un couple fait… non..?

« Un couple? C’est ça que tu vois? »

- Peut-être ? J’imagine ?
Malgré tout le temps qu’on passe ensemble, il n’arrive toujours pas à prendre des décisions pour lui-même. Je vais le faire, je pense.

« Allons-y avec ça alors. »



Je n’ai… Absolument. Aucune idée. Comment nous en sommes arrivés à se mettre en couple.
Je crois que c’est l’avantage de vivre et bosser avec lui qui nous a rapprochés?
Turns out qu’il a aussi été abandonné par un parent et battu par l’autre. Sauf qu’il n’a pas été placé en Centre Jeunesse. Je l’envie presque à vrai dire. Lestat se confie beaucoup à moi, et on a beaucoup de choses en commun. J’imagine que c’est un truc que les personnes en couple font.
Il me l’a dit lui-même, ça.

Je repense souvent à ce qu’il me dit. Je repense à cette façon dont il tremble lorsqu’il me mentionne les choses qui lui sont arrivées. Il lui arrive d’oublier des détails, des personnes et des événements, qu’il me dit. Je pense que Lestat est endommagé.

Qu’est-ce qui est pire?
Ce faire isoler du monde entier, gaslighter et tapocher ou bien se faire tapocher, être abandonné pour la seconde fois et jouer à la famille d’accueil musicale?
Je n’arrive pas à comprendre tout ce qu’il ressent. Mais je vois en Lestat ce petit garçon malaimé et effrayé.
Je ne sais pas comment le rassurer.



Plus le temps passe et plus Lestat devient bizarre?
Il semble comme s’enfoncer dans ses nouvelles addictions et honnêtement? Ça en devient chiant. J’ai l’impression de parler à un mur. Il comprend rien et il est toujours gelé, qu’est-ce qui lui prend à consommer comme ça ?
Et c’est plus fort que moi, je dois lui laisser savoir. Quitte à le dénigrer. Il revient toujours vers moi en rampant. Même si on se crie après, même si on se fait les pires reproches du monde, même si on se dit qu’on se déteste, Lestat revient toujours sur sa parole. Il ne veut pas que je parte, qu’il me dit. Il se sentirait trop vide.
A-t-il si peu confiance en lui?
Mais j’aime pas les junkies.
Je déteste quand il me regarde… Comme ça.
On dirait qu’il n’a rien dans la tête. Les yeux embrumés. J’aime pas les Magicarpes morts.
Ça me rend agressif.
J’vais aller fumer une smok… encore?! Burton, c’est la 3ième fois cette semaine. Tu me dois plus qu’un paquet de clopes. Je sais que tu lis mon journal. J’espère que tu prends note de mon message.



Ça fait maintenant trois semaines que moi et Bestie Lestie on se dispute sur une base… Un peu trop régulière. J’ai encore mal aux jointures après notre dispute d’hier soir. Ah, Burton a un œil au beurre noir. Il y a un trou dans le mur de sa chambre. Et pourtant, ce matin encore, il me demandait encore si je l’aimais avec son air de Ponchiot battu. J’imagine que c’est mieux que le Magicarpe mort, mais bon. Il m’écœure tellement, encore plus lorsqu’il me regarde comme ça, pour me demander ces choses-là. Il n’a aucune dignité, c’est pathétique.




« Lestat! »

- Hmm?

Je m’en rappelle encore. Il était assied sur le canapé, à compter une imposante liasse de billets, je fronçais les sourcils, alors que je me pressais contre le mur qui composait le salon.

« C’est quoi ça? »

-Ça? Bah, c’est les sous que j’ai fait avec mes clients de ce soir….

« Tes clients?! Tu veux dire NOS clients. »

- N-non, ce sont bel et bien mes clients babe. Le Parrain m’a demandé moi expressément…

« Le Parrain?! »

Depuis quand mon junkie était assez fiable et intéressant pour que le Parrain même s’intéresse à lui? Surtout qu’on n’a bossé pour lui que quelques fois à peine. Je ressens quelque chose de tellement négatif.
Ça devrait être moi qui a cette job. Pas Lestat.
À part être la tête dans les vapes de peu importe ce qu’il fume, il n’est pas grand-chose. Il sert à rien (je crois?), il n’est rien (je pense?), il ne vaut rien (j’ose imaginer…)
Je pouvais sentir la rage monter en moi jusqu’au bout de mes doigts. Et je n’avais pas posé plus de questions, j’étais simplement parti chercher une pinte de lait et de la salade pour Bonnie.


Les semaines suivantes n’étaient pas plus douces.
Je sens ma patience en véritable chute libre. J’ai la tête qui veut me défoncer, tellement que je me sens crouler sous le stress. Entre mon rôle au noir, et mon titre d’officier je mène une double-vie digne d’Hannah Montana, sauf que je ne vis pas le meilleur des deux mondes. Je suis stressé. J’ai peur de me faire griller. Je suis fatigué. Mais j’ai besoin de pognon, cruellement, car j’en emprunte à tout le monde…
Pourtant, Burton semble bien s’en sortir. Mes appels sont de plus en plus rares et ça me fait paniquer. Je mets déjà mon badge en danger pour eux et c’est ainsi qu’on me remercie? En prenant le Nobody?
C’est grâce à moi qu’il est où il est. C’est grâce à moi qu’il ne moisit pas dans un supermarché et qu’il n’a pas un salaire de crève-faim. Lestat Burton, c’est MON homme de main. J’devrais avoir une partie de revenu pour tout ça, comment ça se fait que j’ai rien?!
Il pense encore qu’on est un couple, et que je suis seulement dans un mauvais mood. Yeah, right. Il n’a pas compris le message que c’est terminé? Ou est-ce que je dois fermer les portes plus fort quand je quitte? Ou est-ce que je dois le claquer plus fort?


Ce qui devait arriver arriva enfin.
Je suis dans le rouge, à nouveau.
Je commence à cumuler les dettes envers tout le monde, mais surtout celles envers le Parrain, et ça… C’est pas bon.
Je sais pas quoi faire.
Je sais plus quoi faire.
Pourquoi est-ce que je me sens comme si ma vie allait bientôt s’arrêter?
J’ai pas l’orgueil de dire à Burton ce qui m’arrive, ni de lui demander de l’argent. Pas moi. Jamais dans cent ans.
J’ai pas besoin de son aide.




Plus ça va, pire c’est.
Je me suis encore disputé avec Lestat. J’ai du mal à me reconnaître. J’ai du mal à comprendre pourquoi je fais ça et pourquoi je me sens comme ça.
Plus ça va, plus je me sens devenir… Comme Lui.
Comme si une force quelconque possédait mon corps. Comme si, sous le coup de la colère, je devenais comme Lui.
Comme si je n’étais capable que de cracher son venin sur Burton.
Comme si mes mains n’étaient capables que d’actes de violence.
J’aimerais m’arrêter. J’aimerais me retenir. Mais hier encore, je l’ai fait saigner. Et j’ai ressenti… Une étrange satisfaction que de le voir au sol à mes pieds. Peut-être que je suis allé trop loin, mais je n’arrive pas à comprendre cette sadique satisfaction. Et tu sais quoi ? Malgré l’horreur qu’il vient de subir…

- T-tu vas rester…. Hein..? Tu p-peux pas partir… Greg….

Tu vas rester, n’est-ce pas?




Tu vas rester, n’est-ce pas?
Je ne peux pas partir.

C’était le plan.
C’était vraiment le plan.
Avant que je la rencontre.
Elle était encore jeune. Tellement jeune. Pourtant… Elle me donnait l’impression de renaître?
J’en voulais toujours plus d’elle. Mais je savais aussi à quel point cette relation n’avait aucun droit d’exister. Je devrais le savoir mieux que quiconque…

Je le savais. Sa mère le savait.
Mais elle, elle ne voulait rien entendre.
Et honnêtement? Ça m’allait bien ainsi.
Tant que cette relation puisse rester secrète….

Car mon autre relation elle…
Relation? Engrangement? Entente? Qu’importe comment je vois ce lien, il prend un tournant plus toxique que jamais encore.
Car oui, il y a moyen de faire pire.

Puisque c’est mon arme d’agent de la paix qui va servir à ce petit jeu ce soir.
Quatre chambres sur cinq étaient remplies, alors que je faisais tourner le tonneau, non sans charger l’arme au passage. Pour la déposer sur la table qui se trouvait devant lui.
Depuis quand est-ce que je m’intéresse aux jeux du hasard aussi dangereux? Je ne sais pas. Ça ne m’a jamais particulièrement excité. Pourquoi mon cœur se débat aussi vite ? Je ne peux pas tenir en place. Mais je dois rester immobile, serein, fixe, même.

Ma respiration est lente, alors que j’évite ses yeux argentés. Son regard, il est vide, mais aussi mortel qu’un couteau.  
Je n’ai pas le cœur de lui faire face. Je dois éviter son regard comme la peste. Je dois avouer que je ne suis pas fier de mon coup. Pas cette fois.
Ce n’est pas comme ça que ça devait finir.

Comment en sommes-nous venus à ça, Lestat et moi?

Récapitulons un peu, tu veux bien?
Non? Tant pis. J’dois ventiler un peu.


Je dois énormément d’argent… À trop de gens maintenant. Aaron, Lestat lui-même, le Parrain et même d’autres rats de Voltapolis. Je suis dans de beaux draps. Mais s’ils sont blancs, ils sont surtout tâchés de sang. De mon sang? Possible. Mais j’espère pouvoir faire un gros coup d’argent soudain.

Elle?
Ah, le Parrain à rapidement découvert ma nouvelle relation avec mon dit bébé sucre. Et il est prêt à cracher beaucoup d’argent pour mettre sa main sur elle. Malgré toutes les horreurs que j’ai pu commettre avec Burton, ça, c’est au-delà de mes capacités.
Je refuse catégoriquement de l’entraîner dans cet enfer.
Elle mérite mieux que ça.
Elle est trop jeune pour leur merde. Pour MA merde.
Beaucoup.
Trop.
Jeune.


Ce qui ne laissait que comme seconde option….

Oh, j’aurais pu me retrouver sur cette chaise.
Mais j’suis trop lâche.
De quoi avais-tu peur Gregory? D’avoir mal? De mourir?
Pourtant, je n’avais eu aucun mal à convaincre Lestat d’y participer pour moi. Je ne savais pas qu’il en était rendu à songer à ça. Et lorsque je le voyais assis devant moi, comme un Ponchiot qui attendait sagement un ordre, je comprenais que je ne connaissais pas vraiment Lestat.
Je ne connaissais plus vraiment Lestat.

À quatre chances sur cinq, j’allais ressortir de cette pièce sans dette. Certes, j’allais perdre Lestat au final mais…

…

J’allais perdre Lestat…?
Ça me frappait à l’instant même.
J’allais perdre la seule personne qui avait été présente pour moi…?
Je sentais mon cœur se serrer d’un coup, alors qu’il prenait délicatement mon revolver entre ses maigres doigts.
Il allait vraiment le faire?
Non. Il n’allait pas le faire, cet idiot. Impossible. Il ne pouvait pas faire ça.

3…
2…
1…
clic.
Rien. Absolument rien.
Comme ce regard vide qu’affichait d’abord Lestat. Avant de trouver un sourire.
Un sourire que je voulais lui rendre. Je n’allais pas le perdre, au final.

… Si seulement je savais à quel point je venais de me mettre dans la merde.
Le choc me frappait enfin, alors que je dévisageais Lestat.
Je pouvais sentir la panique ramper le long de mon dos, alors que j’avais un mouvement de recul. Il n’y avait aucune faute possible, j’avais bel et bien rempli quatre chambres. Et il a survécu?

Il a survécu.
Il a survécu.
Il. A. Survécu.

J’suis terrifié.
J’ai envie de hurler.
J’ai envie de gerber.
J’ai qu’une envie et c’est de disparaitre.



Alors… J’suis rentré à la maison.


À peine avions-nous passés la porte d’entrée que je le plaquais contre le mur. D’abord en l’attrapant par la gorge. Puis en embrassant sa joue droite avec mon poing. Un hurlement s’échappait de mes poumons, alors que mes jointures se retrouvaient souillées par le sang de mon soi-disant petit ami, parce qu’il espérait que l’on soit toujours ça. Je le frappais encore. Et encore. Peut-être que si je le frappais assez, ça se terminerait? Peut-être que si je le frappais assez, j’arriverais à me réveiller de cet horrible cauchemar?

« Pourquoi?! Pourquoi t’as fait ça?! »

- …J’ai fais c’que TU voulais Lawrence.

« Ferme-la. Ferme-là Burton ou j’te défonce! »

Pourquoi trouvait-il à sourire?! Je le déteste tellement.
Je ferme les yeux, un coup suffirait pour l’achever. Il est tellement maigre. Tellement en mauvaise santé. Tellement… Rien.
Mais ce coup ne vient jamais à être porté. Mon bras est soudainement arrêté en plein élan par… Aaron?! Je me fige presque aussitôt, alors qu’il vient me coller une droite. J’ai un mouvement de recul sous le choc. Ah oui, j’avais oublié qu’il tapait fort, Aaron, quand il voulait.

- Dégage d’ici Lawrence ou j’te fais embarquer.


Je sens ma vision flouter, alors que mon univers tout entier s’écroule autour de moi. J’ai envie de chialer. J’ai envie de hurler. Je n’ai pas même le cœur à regarder Burton dans les yeux que je disparais.




Oui et non.
C’est la fin pour Gregory Watson/Lawrence.
Néanmoins, tu es reconnaissant pour l’ultime clémence de Lestat Burton (chanceux!).
Malgré les horreurs imposées, il t’offre une seconde chance à la vie. Car vous avez trauma bond et parce que tu as été l’un des seuls à vouloir l’aider lorsqu’il avait le plus besoin d’aide.

Ainsi, en cette sombre et froide nuit du 27 Février 2018, un corps fut retrouvé dans la rivière avoisinante de Voltapolis. Un corps qui était si méconnaissable qu’on ne pourrait en reconnaitre son identité et pourtant. Tout était en place pour monter l’assassinat de Gregory Watson. Le jeune policier un peu trop arrogant. Un appel qui avait mal tourné? Il était si jeune, il allait bientôt avoir 26 ans.

Ainsi, tu laissais tomber le rideau sur scène, laissant derrière toi toute trace qui te liait à Gregory Watson. Un meurtre presque parfait. Un homme de main qui devait un peu trop d’argent au Parrain avait été arrêté et mis derrière les barreaux, qui était ton dit assassin. Ainsi, le cas avait été clos en quelques semaines d’enquête. Tu avais beaucoup à faire avant de complètement disparaître….

- Excuse-moi du retard, ma mère me faisait chier. Alors c’est quoi le truc? Tu sais que si elle me pince dehors à 2h du mat, elle va totalement m’fumer?!

« Montes, on bouges. »

- On? Babe j’ai de l’école demain matin moi…

« J’t’ai pas demandé ton avis. »




Pas beaucoup de gens avaient assisté à mes funérailles. Ni ma mère, ni mon frère William, ni Elijah mon petit frère. Ni mon père. Ni Lestat, ni Aaron. Quelques collègues de travail seulement. J'y aurais assisté moi-même, mais je crois que j'aurais été reconnu. Je n'ai eu que des bribes d'un informateur.

Je ne l'ai pas bien pris. J'aurais espéré que ma mère et mes frères viennent à se rappeler de moi. Ils ont été informés, c'est sûr.
C'est sûr.
...Peut-être qu'ils ont oublié de le dire à ma mère ?
Peut-être qu'elle est encore occupée ?
J'aimerais qu'elle soit simplement occupée.

Tu allais vraiment faire ça…?
Bien sûr. Sans scrupule. Sans regret.
Nous avions complètement floué le système. Je ne savais pas comment Lestat y était arrivé. Avec de l’argent et des bons contacts, on pouvait parvenir à tout… L’important, c’était que je disparaisse, ni le Parrain ni Burton ne devaient savoir où je me trouvais. Et peut-être que je pourrais vivre un semblant de vie normale…


- Babe? Baaaabe? À qui tu parlais?

En la voyant arriver dans la chambre, je m’empresse de secouer cet air tristounet et lui tendre le bras pour l’inviter dans une jalouse étreinte.

« Huh? Ah. Ça? C’était ma thérapeuthe, elle me suit depuis que je suis gosse. Je sais pas si j’dois trouver ça adorable ou creepy tu réalises que ça fait plus de 15 ans qu’elle me suit? Pfft. ~ »
Un rire forcé, un baiser sur la tempe et elle n’y voit que du feu.

Pourquoi?

Ah.
Parce que pour elle, j’ai toujours été Elijah. Je vivais une vie fabriquée, bien sûr en ayant été assez intelligent pour avoir un nom identique à celui de mon frère pour flouer les pistes. Piper n'est pas stupide, mais facile à berner.

Mon intuition me disait à l’avance que j’allais tout perdre à titre de Gregory.
Après tout, comment pourrais-je gagner la confiance d’une adolescente de 16 ans, alors que j’en avais 26 moi-même à l’époque. Je ne sais pas ce que je lui trouve. Elle n’a jamais été mon type, et elle n’était pas naïve. Piper, c’est une fille qui aurait plu à Elijah. J’osais me justifier ainsi, même si cette relation était injustifiable.

Selon mes pièces d'identité, j'ai 23 ans actuellement. Des pièces d’identité que j’ai pu falsifier grâce aux recherches de Lestat et un homme de main du Parrain qui me devait une dette. Ils n’y ont vu que du feu. Ainsi, j'ai pu recommencer à 0. Recommencer cette vie que je m'étais imaginé alors que je me faisais passer pour mon petit frère.
Sauf que je ne suis pas mon petit frère. Certes, nous partageons le même nom et nous sommes tous les deux roux. Mais ce n'est qu'une simple coïncidence, selon nos cartes d'identité, nos certificats de naissance et nos histoires touchantes...
Absolument. Rien. Ne. Nous. Lie.




D’un commun accord, nous avons décidé de quitter Voltapolis pour de bon.
Artiesta devins rapidement notre nouvelle demeure.
Ce fut plus fort que moi, je devais perdre mon temps et mon peu d’argent pour retourner au sein de la police. J’allais faire les choses proprement cette fois.
Elijah Lawrence allait devenir l’officier que Gregory ne serait jamais.

Quant à elle?
Elle faisait ses trucs de son côté. Je ne savais pas que Pip-Squeak s’y connaissait en mécanique.
Étonnement, elle se débrouille vachement bien dans son domaine. Ça m’intimide presque à vrai dire.

Mais les choses vont relativement bien.
Je me sens… Bien?
C’est étrange…
Un peu trop étrange. Et je n’aime pas ça.




Ça y est! J’ai réussi à décrocher mon badge, pour la seconde fois.
Mais je le sais, cette fois, c’est la bonne.

Les affaires vont bien.

J’ai enfin mon boulot fixe et stable, j’ai même été promu à Inspecteur! Inspecteur Lawrence, ça sonne bien!

Tout va bien!
Tout va bien.
Tout va bien…?


Depuis quelques temps, ma petite amie a remarqué que Bonnie n’allait pas si bien que ça.
Je m’en veux un peu, je bosse tellement depuis ma promotion. Je devrais vraiment faire plus de temps pour Bonnie, elle me suit depuis… Depuis toujours en fait.

- Babster? Bonnie n’a pas l’air dans son assiette, elle refuse de manger depuis hier matin…. Je m’inquiète un peu à vrai dire…

Je ne m’attendais pas à recevoir cet appel aussi vite honnêtement.
Mais était-ce étonnant, après tout ce qu’elle a enduré?

Il n’en faut pas plus pour que je rentre à la maison, je monte les escaliers par trois, non sans manquer de me planter royalement à quelques reprises. Bonnie, tu n’as pas le droit de me faire ça. Attends-moi encore un peu.

En ouvrant la porte en trombe, je m’accroche d’abord à la poignée, non sans reprendre mon souffle. Puis d’un pas lent, je me dirige vers ma chambre, y trouvant sans surprise ma partenaire. Puis ma vieille Laporeille qui est… Pire qu’amorphe.
Je sens mon frêle cœur se resserrer face à cette scène.

Oh je suis bien conscient qu’après tout ce qu’elle a enduré, elle mérite un repos. Mais aussi tôt?

« Eh… »

Si je viens d’abord enlacer ma partenaire, déposant même une baiser contre son front, voilà que je tends une main vers la Laporeille. Elle ouvre lentement les yeux vers moi. Et c’est plus fort que moi. Je retire ma main, non sans m’excuser. J’en suis tout bonnement incapable.

Je suis lâche.
Je l’ai toujours été.
On voit des patrons se répéter, non ?

- Elijah…!

« Pas maintenant Pip-Squeak… »


J’étais trop lâche pour accompagner Bonnie une dernière fois.

J’avais été trop lâche pour lui apporter les soins nécessaires il y a 20 ans.
Était-ce le prix à payer pour ma connerie? J’avais pourtant si peur ce soir là.
Pour la première fois, mon univers tout entier avait basculé.
Et voilà que pour la troisième fois, je perdais ce maigre équilibre.

Et pourtant, j’étais trop lâche.
Trop lâche pour accompagner Bonnie une ultime fois.

Et pourtant, j’ai tellement pleuré.
Oui Gregory a pleuré, choquant, n’est-ce pas?
J’ai longuement pleuré, seul, sur mon balcon, a m’empoisonner avec mes cigarettes.
J’ai pleuré puisque la seule chose qui me rattachait encore à ma mère n’a pas pu me suivre aussi longtemps que je l’aurai aimé.
Moi qui étais enfin prêt à me reprendre en main.
Moi qui étais prêt à recommencer ma vie.

Bon, organiser mes propres funérailles auxquelles personne n'a assisté et falsifier une identité complète n’était sans doute pas la façon propre de se reprendre en main, non...
Mais c’était mon unique porte de sortie. Et la seule façon de vivre la vie inventée de toute pièce que je désirais tant avec Piper.

Piper?
Oui, parlons-en.


Piper c’est… Ma routine.
Ma stabilité que je n’ai jamais eu encore.
Piper ne consomme pas. Piper ne boit pas. (Faux, elle boit mais c'en est pas un problème d’addiction)

Piper c’est… Je dirais ma raison de m’accrocher encore?
Oh elle a un caractère bien trempé assez chiant, elle me tombe facilement sur les nerfs. Et pourtant? J’aime entendre sa voix chiante, j’aime entendre son arrogance, j’aime quand elle me sass et me prend de haut. Oh je la remets très souvent à sa place, mais elle a le mérite de me divertir. Même si je ne suis pas toujours d’accord avec les bêtises qu’elle me sort.

Mais bon, elle ne sait rien de la réalité. Elle ne sait rien de Gregory d’ailleurs et c’est… Très bien ainsi. Moins elle en sait, mieux que je me porte.


Cela fait maintenant 2 ans qui se sont écoulé depuis et… Ça va bien?
Selon mes pièces d'identité, je vais célébrer mes 25 ans en juillet.
Selon la vraie timeline, je vais célébrer mes 30 ans au mois d'avril.
J’ai un appartement plus qu’agréable en Artiesta, Piper est encore à mes cotés.
Certes, les journées ne sont pas toujours rose mais bon, it is what it is.

Je commence à apprécier cette routine tranquille de boulot > passer du temps avec Piper > dormir et on recommence.

Est-ce ça avoir une vie normal?

je m’ennuie presque de mon ancienne vie haha….
...Je me demande parfois ce qu'est devenu Lestat. Mais bon.
Je n'ai pas le droit de me soucier de lui.