C’était beaucoup de travail. Astelle aurait dû se douter qu’on ne ferait pas d’elle une coordinatrice professionnelle en deux petites journées. Après avoir écouté les paroles de son professeur avec beaucoup d’attention, la jeune fille hocha doucement la tête.
— Je… je comprends.
Si j’avais tout plein de temps, je pense que j’arriverais à quelque chose, mais…
Avec la petite semaine qu’il lui restait, c’était beaucoup moins sûr.

En dépit des apparences, Astelle était de nature méticuleuse. Planifier une prestation – de la manière que Lisa venait de lui expliquer – lui paraissait tout à fait dans ses cordes. Ce genre de préparatifs lui rappelait son travail à la Dracoposte, où le quotidien était soigneusement calibré en fonction des horaires et des compétences de chacun.
Cependant, elle ne se sentirait jamais en confiance avec une prestation trop rigide, qu’elle n’aurait pas eu le temps de perfectionner.

Dans cette situation, mieux valait qu’elle s’habitue à quelques tours, suffisamment polyvalents pour être réutilisés et réadaptés à l’envie, d’un numéro à l’autre. De plus, agir dans le feu de l’action était tout autant sa spécialité (et bien souvent la raison pour laquelle elle se faisait gronder).

C'était donc décidé, le jour du concours : elle improviserait dans les grandes largeurs !
La jeune fille tourna un regard attendri et déterminé sur ses deux compagnons, qui sculptaient des formes dans la soie gelée. Rien qu’avec la séance d’aujourd’hui, la petite tête d'Astelle fourmillait d’idées !

Après avoir remercié Lisa dans une demi-courbette orientale, la coordinatrice-en-herbe décida de mettre à profit les dernières heures de jour pour s’entraîner avec ses amis pokémons. Geler les Sécrétions de Chenipotte était une option valable. Par contre, il serait difficile de trouver un environnement adéquat pour apprendre à manipuler le Lance-Flammes de Mini-senpai. Afin de tirer pleinement parti de toutes les spécificités du petit dragon rose, il leur faudrait encore beaucoup de pratique, d’essais et d’erreurs.

Participant à l’entraînement avec enthousiasme, quémandant parfois des conseils à son professeur, ou à la Feuforêve, qui avait manifestement l’habitude de ce genre d’exercices, Astelle testa différentes combinaisons de capacités avec ses pokémons jusqu’à ce qu’il n’y ait presque plus de lumière.

Finalement, c’est toute couverte de Sécrétions gluantes, et du givre dans les cheveux (une gerbe de soie partiellement congelée lui avait explosée au visage au cours de ses expérimentations), qu’elle revint vers Lisa. Avec une attitude plutôt penaude.

— J’étais en train de repenser à ce que tu m’as dit : au sujet de la musique… commença la jeune fille, avec une petite moue consternée. Tout ce que je connais de la musique, moi : ce sont les petits airs d’accordéon que Pépé Joffrey nous joue au village, les soirs de fête… et autant dire que si le thème ne porte pas sur les fromages-en-cube ou les cacahuètes de l’apéro : je ne saurais jamais quoi choisir…

Apparemment, le répertoire musical de Pépé Joffrey était assez limité.
(Pour sa défense : c’est parce qu’Astelle se couchait tôt, et qu’elle n’entendait pas le genre de chansons qu’il jouait après 22h.)

Tout en écoutant la réponse de la coordinatrice, et les conseils que celle-ci lui prodiguait, la petite postière réalisa que ce grand bougre de voyageur était parti avec son sac. Vu que celui-ci contenait toutes ses affaires, il faudrait absolument le contacter d’ici ce soir, sinon Astelle n’aurait même pas de quoi se changer avant de dormir. Et impossible de fermer l’œil sans se mettre en pyjama !

Mais il était temps de se mettre en route, avant de se faire surprendre par la nuit.
Silencieuse tout au long du chemin du retour, avec Kesla pour leur ouvrir la voie, et Anatide pour assurer l’arrière-garde, la jeune fille semblait profondément plongée dans ses pensées.

Pendant ce temps, Lisa eut l’occasion de découvrir que le voyageur lui avait laissé un certain nombre de messages... pour le moins curieux. Elle put le recontacter afin de s'arranger avec lui, et décider ensemble où se retrouver pour dîner.

C’est finalement aux abords d’Artiesta, dont les couleurs et les lumières brillaient comme un joyau dans l’obscurité, qu’Astelle se décida à livrer le contenu de ses pensées.
— Je… je crois que j’ai un thème. Ou une ligne directrice. Ou quelque chose… que j’aimerais exprimer dans mes prestations.

Sa voix était un petit peu hésitante. Un petit peu timide. Pourtant…
— Je crois que je voudrais me battre, continua-t-elle, en se retournant vers Lisa avec un sourire embarrassé. Le jour du concours, il y aura… différentes personnes qui vont me regarder.

Un feu discret couvait dans ses paroles.
Ce n’était encore qu’une simple braise, mais déjà… elle véhiculait des échos paisibles et chaleureux.

— Ma maman, Tata Ombline, Manon…
Pour des raisons très différentes, j’aimerais leur montrer…
…que je sais me débrouiller. Que j’ai de l’énergie à revendre. Qu’il n’y a pas à s’inquiéter pour moi.
C’est ce que je voudrais qu’elles ressentent… en me regardant.

La flamme d’Astelle ne manquait ni de force, ni de courage. Correctement alimentée…

…sans doute deviendrait-elle un jour un formidable brasier.

— Tu avais mon âge quand tu as commencé… murmura Astelle d’une voix rêveuse, se remémorant la silhouette gracile de son professeur, en train de valser sur scène.
Écoutant les compliments de son aînée, ses joues s’empourprèrent un peu. Et puis, dans un geste d’affection spontané, la petite postière s’empara délicatement du bras de la coordinatrice pour qu'elles marchent ensemble jusqu’à Artiesta.

Ainsi donc… Lisa pensait qu’elle avait un avenir dans cette voie-là. Que le jour où elle monterait sur les planches, elle serait capable de délivrer une bonne prestation. Et donc, qu’à condition de s’y mettre sérieusement, peut-être pourrait-elle devenir…
Coordinatrice Pokémon…
Participer à des Concours. Obtenir des Rubans. Concevoir un numéro. Apprendre à ses pokémons à utiliser leurs capacités de manière à faire le spectacle.
De manière à faire sourire le public. De manière à inspirer les gens qui lui étaient chers.

Sous les lumières flamboyantes et éclectiques d’Artiesta, le regard d’Astelle luisait d’un espoir timide.
C’était juste une possibilité, qu’elle osait à peine effleurer du doigt, qu’elle essayait de ne pas prendre trop à cœur. Pas encore.
…mais elle avait l’impression de sentir une nouvelle voie se déployer sous ses pas. Une voie à laquelle elle n’aurait jamais pensé. Restait à savoir si elle possédait suffisamment de détermination pour l’emprunter...
Légèrement confuse, Astelle se réfugia à nouveau dans le silence. C’est l’air songeur qu’elle parcourut le reste du chemin. Sans jamais lâcher la main de son professeur.

Et puis…
Magicarpe !

Parvenue sur la plazza, Astelle Dumas ouvrit deux grands yeux ronds.
Décidément… ce bougre de Bunji d’Izabe n’avait même pas besoin d’une scène pour faire son spectacle. Catastrophée par le sort terrible ayant échu à ce pauvre Magicarpe, la jeune fille se précipita pour le saisir à bras-le-corps.
— P-p-pas de panique ! Je vais vous remettre à l'eau...!
Alors même qu’il se débattait à grands renforts de Trempette, Astelle mobilisa tous ses efforts pour le rejeter à l’intérieur du bassin de la fontaine ! Plouuuuf ! Voilà, il était sauvé ! Mais aussitôt hors-de-danger, le poképoisson récompensa sa bonne volonté d’un sale coup de nageoire : lui expédiant une grosse gerbe d’éclaboussures dans la figure !
Ce corniaud n’aurait cessé de faire Trempette pour rien au monde, pas même le temps de dire merci !

L’espace d’un instant, la moutarde lui monta au nez.
Dégoulinante, Astelle plongea soudain le bras dans le bassin afin de saisir ce Magicarpe mal-élevé par la queue, puis de l’extirper des flots ! Là, face à son air de poképoisson perpétuellement déconfit, la petite postière lui indiqua d’un geste très strict l’écriteau qui y trônait.

Le pokémon se calma tout net.

Comme s’il savait lire. Mais ils sortaient d’où, ces Magicarpes qui vous frottaient le menton à la demande et tenaient compte des panneaux indicateurs ?
D'ailleurs, privé de son droit d'exercer sa Trempette, il avait même l’air un peu malheureux.

Astelle se retourna vers le voyageur avec une grimace désabusée.

— …dites, le Magicarpiste ambulant, vous auriez une serviette dans votre sac ? Et puis mon pyjama aussi, interrogea-t-elle de cette voix abrupte qu’elle prenait toujours avec lui, avant de se tourner vers la coordinatrice, et de lui adresser des petits mots doux qui coulaient comme du miel. …j’aimerais bien aller chez toi, moi aussi, Lisa. Et emprunter ta douche.
La jeune fille fit pensivement mine de mastiquer ce qu’elle avait dans la bouche.
— L’eau avait un goût bizarre. Et je crois que j’ai avalé un peu de vase par le nez quand le Magicarpe Cascadeur m’a éclaboussée.
Astelle renifla piteusement ses vêtements souillés.