Camille s’était perdue. Mais ce n’était pas un petit égarement innocent. Elle avait complètement dévié de sa trajectoire initiale. Mauvais choix à une intersection. Elle était arrivée par erreur dans le bois hurlant. Par erreur et par horreur. Là encore, elle avait pris une mauvaise décision : s’enfoncer dans la forêt pour essayer de trouver une autre route et prendre un raccourci pour retourner sur son chemin initial.

Or, elle s’était enfoncée dans les bois, serrant Milo dans ses bras, et avait trouvé une intersection et avait pris à gauche. Elle aurait du vérifier une carte ou un GPS car elle aurait alors vu qu’elle aurait dû marcher plus longtemps jusqu’à une autre intersection.

Et quand elle avait découvert son erreur, elle se maudit encore pour son pauvre jugement, elle avait suivi un sentier de Pokémon pour couper dans les bois.

Maintenant, elle était entourée de bruits terrifiants, d’ombre mouvante et de ténèbres.

Lorsque son pied se posa sur une brindille qui se cassa, s’en fut trop. Elle se mit à courir à l’aveugle, le visage fouetté par des branche basse. Elle trébucha souvent, manqua de s’étaler de tout son long. Elle réussit à continuer sa fuite éperdue tout de même, jusqu’à ce qu’au détour d’un tronc, elle percuta quelqu’un. Elle atterrit lourdement sur les fesses mais se remit sur ses pieds et essaya de fuir la personne qu’elle avait percuté et se cogna violement contre un arbre et tomba sur le dos.

Elle se massa le front en silence pendant que son Evoli lui léchait la joue avec inquiétude.

Voilà quelques semaines que les évènements de la centrale s’étaient déroulés. L’agitation qui en découlait s’est enfin calmée, du moins en surface. Je me souviens encore de tout ce qui a pus se passer après, tout est gravé au fer dans ma mémoire, de mon entrée dans ce bâtiment à la sortie. Tellement d’horreur et de drame. Et tout ça pour cacher que le gouvernement tenait captif un des pokémons légendaire de la région.

À peine étions nous sortis que les secours nous ont pris en charge. J’ai vu Ambroise, au moins il était vivant, mais bleu, tellement bleu à cause de l’hypothermie. J’aurais dû rester avec lui. Il est tellement jeune, j’aurais dû le protéger. J’aurais dû… Je n’ai été capable de rien. Je ne suis qu’une incapable...

Avec Aiko nous sommes restés quelques jours en unité de soin. Mon Caninos, après avoir été entièrement gelé par Lokrigan, avait subit malgré le vibra soin de sérieux dommages internes. Et ma blessure à la tête était plus sérieuse que je ne pensais, j’ai eu des points de suture et des examens pour vérifier qu’il n’y ait aucune séquelle.

Par la suite ce ne fus qu’interrogatoire et interview. J’avais transmis toutes mes notes et les documents récupérés au laboratoire à l’inspecteur Angelo qui nous accompagnait. J’ai dû répéter mon histoire à des dizaines de personnes. Encore et encore. Nous avons été remerciés, félicités, mais tout cela ne valait rien comparé aux traumatismes qui nous poursuivront longtemps, toute notre vie peut-être. Certains de mes camarades avaient gravement été blessés. Et des personnes étaient mortes là-bas. Combien de merci et de bravo pour effacer tout cela ? Un océan de gratitude ne suffirait pas.

Cette effervescence me pesait beaucoup trop. Il fallait que je parte. J’ai donc repris la route, trouver un endroit calme où m’isoler me ferait du bien.

Je commence par retourner dans la forêt, cette forêt qui était si magnifique, si douce et apaisante. Les rayons du soleil perçant à travers le feuillage des arbres, le son des pokémons sauvages vivant leur vie, les odeurs boisées, je sentais déjà mon angoisse et mon stress redescendre doucement. Aiko marchait à mes côtés comme toujours. Je tenais Milo, le jeune minidraco qui a rejoint récemment notre famille, dans mes bras. C’était encore un bébé, il ne pouvait pas se déplacer seul hors de l’eau encore.

Son regard émerveillé, grand ouvert à la nature qui nous entoure m’amuse. Il a tant de chose à découvrir. Une belle vie s’offre à lui avec Aiko et moi. Du moins je l’espère. À condition que je puisse m’en occuper et le protéger. Ce que je n’ai pas sus faire avec mes camarades. Ce que je n’ai pas sus faire avec Aiko…

Il a beaucoup changé après tout ça. Il est devenu plus renfermé que d’habitude, plus méfiant. Il ne laisse plus personne s’approcher de nous. Il n’a plus confiance envers les autres. Et, à l’opposé, il est beaucoup plus proche et encore plus protecteur envers moi. L’attaque de Lokrigan l’a marqué plus qu’il ne voudrait le faire croire. Je sens bien qu’il prend ça pour une trahison. Il ne veut plus que l’on soit blessé. J’aurais aimé qu’on ne le soit jamais.

Je repense à ma famille, restée à Jadielle, à ma sœur, Jeanne. Elle qui est si compétitive, si pleine de courage et de détermination, qu’aurait-elle fait à ma place ? Quitter mes parents, mon foyer, était-ce vraiment une bonne idée ? N’aurais-je pas mieux fait de rester chez moi ? Je ne sais pas. Je ne sais plus.

Toute perdue dans mes pensées que j’étais, je n’ai pas remarqué le changement d’ambiance autour de nous. La forêt a changée. Plus d’oiseaux qui chantent, plus de fleur, plus de soleil. Tout est devenu sombre. Les arbres sont devenus oppressant, les sons effrayant. La panique grimpe crescendo. Crac, une brindille. Mon cœur s’emballe. Je me retourne. Bam. Quelque chose où quelqu’un me rentre dedans. Je perd l’équilibre, mais ne tombe pas. En revanche la terreur me fait recroqueviller, serrant Milo contre moi et cachant mon visage. J’entends seulement Aiko grogner devant moi. Que va t-il m’arriver encore ?

Partiellement sonnée, la jeune femme essaye de se rappeler ce qui s’était passé. Ses idées se remirent en place comme les pièces d’un puzzle. Que venait-elle faire dans ce bois ? Rien. Elle s’était perdue. Pourtant, elle s’était déjà jurée de ne plus trainer dans cette région, de l’éviter à tout prix, de tout faire pour ne plus se perdre dans la forêt, garder les créatures de la nuit loin d’elle. Elle était magicienne pas combattante. L’aventure pour elle se passait dans un endroit sécurisé, sur scène, ou avec des gens pour la protéger. Pas toute seule dans une forêt terrifiante.

Sa course folle avait folle, comme dans son nom. Elle avait perdu tout ses repères et son sens de l’équilibre, ce qui était une chose incroyable. La magicienne était pourtant fière de son équilibre qu’elle considérait comme parfait. Elle était convaincue de pouvoir faire le poirier sur une main durant un séisme ou au cœur d’une tempête sur un bateau. Mais la peur lui avait pris tous ses moyens, et elle était devenue une petite fille qu’elle n’avait jamais été : maladroite et pataude.

Allongée sur le dos, elle reprenait peu à peu conscience de son état et de sa douleur au crâne. Milo, son Evoli se frottait contre sa joue pour essayer de la ramener à la raison. Se massant le front, la magicienne se redressa tout doucement. Le sang affluait avec violence dans son crâne et battait le tambour avec une régularité que n’égalait que sa furie. Elle eut envie de se laisser retomber mais l’esquisse de sa chute, et la pensée même du lâcher rebond de sa tête sur l’humus lui fit entièrement reconsidérer la question. Elle préféra donc s’asseoir et essayait de retracer ce qui venait de se passer.

Cela ne lui prit pas la moitié de la manœuvre pour que la gravité aide ses idées à se remettre en place. La course folle, la peur et la chose qu’elle avait percuté avant l’arbre. Son sang ne fit qu’un tour alors qu’elle jeta un regard précipité vers la personne qu’elle avait percuté. Mouvement qu’elle regretta immédiatement. Elle se dit que ce devait être ça avoir la gueule de bois. Une expérience qu’elle n’avait jamais vécue et qu’elle ne voulait jamais vivre. Elle ferma les yeux et essaya de se ressaisir.

Elle regarda doucement vers la personne qu’elle avait percutée. Elle a tellement mal au crâne que le sentiment de gêne qu’elle ressent d’habitude à la moindre occasion reste bloqué loin de son esprit, certainement quelque part au bout de ses doigts, ou dans son coude droit.

Papillonnant des yeux, Camille finit par se lever et s’approche doucement de la jeune femme qui semble aussi terrorisée qu’elle. Un Caninos grognait méchamment à ses côtés, et Camille s’arrêta en se demandant s’il allait vraiment l’attaquer. Milo se dressa entre elle et lui et grogna, lui aussi. Enya sortit de sa balle, et vint seconder son semblable. Les deux Evolis durent rjoint par Furo, l’Evoli blanc, Nami, l’Aquali et Rico, le Voltali. Les Pokémons de Camille avaient du répondre à un appel particulier et semblait bien décider à défendre leur dresseuse.

Camille posa une main douce sur l’épaule de la jeune fille et lui sourit.

J’ai peur, il y a encore plus de bruit autour de nous. Des grognements de toute sorte. Allons-nous être dévoré tout crus ? Après avoir avoir vécut tout ça nous allons bêtement finir dans l’estomac des créatures de la forêt ? Que c’est pathétique…

C’est moi qui suis pathétique, j’entends et sens Aiko devant moi qui grogne de plus en plus férocement. Il tente de nous défendre, moi et bébé Milo. Et moi… je ne fais rien. Je n’ai pas sus le défendre à la centrale et maintenant…

Suis-je vraiment une bonne dresseuse ? La bonne personne pour m’occuper d’eux ? Est-ce que je mérite qu’ils m’accompagnent alors que je ne peux même pas les protéger ? Je me sens si impuissante…

Je sens quelque chose me toucher l’épaule. D’un réflexe je me crispe et rentre encore plus ma tête dans mon cou. Mais ce n’est pas une attaque, rien de plus ne se passe. Lentement et furtivement je me redresse pour regarder autour de nous. D’abord je vois Aiko, et une famille d’Evoli prêt à étriper mon ami. Je relève le regard. Il y a une jeune femme très bien habillé qui me regarde et me sourit. Je ne comprend plus rien. On s’est téléporté ou bien ? Non, nous sommes toujours dans cette sordide forêt. Je suis abasourdie, je n’ai aucune idée de quoi faire ou comment réagir. C’est tellement incongrus. Où sont les monstres qui voulaient nous manger ? Les bruits bizarre et tout le reste ?

Camille hésite à retirer sa main de l’épaule de la jeune femme en la sentant se crisper. Une personne normale aurait certainement dit des mots réconfortants pour la rassurer. Une personne moins normale l’aurait certainement insulté ou se serait moquée de l’inconnu avec un méchanceté volontaire ou non. Or Camille n’était dans aucune de ces deux catégories, car elle aurait été bien mal à l’aise de prononcer un mot. Elle se contenant de lui sourire, avec une expression à la fois rassurante et désolée. Ce qui ne donna pas un résultat très probant.

La magicienne remarque le regard de la jeune femme et devine que le Pokémon grondant est sans doute son Pokémon, car elle n’a pas l’air plus inquiète que cela en le voyant. Cela rassure Camille, et l’inquiète aussi, car la menace qu’il représente pousse ses propres Pokémons à se montrer menaçant. Bien qu’ils soient plus nombreux, ce sont des Pokémons de concours, de théâtre. Ils se défendront et viendront à bout de leur adversaire avec facilité, mais pas sans blessure. Or, Camille ne voulait pas que des Pokémons soient blessés, encore moins les siens. Chacun était important à ses yeux et pour ses spectacles. Si le Pokémon inconnu était celui de la jeune femme, le combat était inutile.

La magicienne tapa donc deux fois dans ses mains, en claquement sec et autoritaire. Les Pokémons de Camille se calmèrent, mais elle dut insister pour qu’ils arrêtent tous de grogner et reviennent vers elle. Nami et Rico n’en cessèrent pas moins de regarder avec méfiance le Caninos.

Le calme à peu près revenu, Camille se tourna de nouveau vers la jeune femme. Elle fit apparaitre entre ses deux doigts une petite carte, qu’elle tendit à l’inconnue.

Bonjour, je m’appelle Camille. suivit d’une autre carte. Est-ce que ça va ?

Elle ne pouvait pas faire plus sur le moment. L’idée d’avoir des cartes avec des questions et des réponses préremplies avait grandement amélioré ses moyens de communications. Pas autant que l’utilisation d’un carnet ou d’un téléphone pour écrire ses messages, mais c’était un gain de temps important. Elle avait une carte pour oui, pour non, pour je ne sais pas et quelques autres réponses simples.

Elle espérait sincèrement que la panique quitterait l’inconnue. A cette pensée, Camille se rendit compte que sa peur était presque entièrement partie face à la nécessité de venir en aide à quelqu’un.

L’inconnue me sourit. Pourquoi elle me sourit ? C’est bizarre. Oh ! Peut-être pour me rassurer ? C’est vrai qu’on est dans une forêt absolument terrifiante qu’on ne peut pas dire que je représente l’image de la sérénité actuellement. Aller Kana, comme à l’entraînement : inspire – expire.
J’observe un peu plus attentivement la situation autour de moi, maintenant que je ne suis plus en panique et que mon souffle est de nouveau régulier. Les pokémons sont encore en position de combat, grognant et près à attaquer au moindre signe. C’est tendu, je n’ai pas envie qu’ils soient blessé, que ce soit les miens ou ceux de l’inconnue. De toute évidence ils sont à elle, quelles seraient les probabilités qu’une famille d’évoli sauvage se promène par ici et attaque Aiko pile à ce moment sinon ?

La jeune femme tape deux des mains et ses pokémons se calment instantanément. Ça c’est de la coordination, je suis impressionnée. À mon tour je pose une main sur Aiko pour lui faire savoir que tout va bien. Il s’assoit à côté de moi tandis que je me redresse. Je vérifie que Milo, le jeune minidraco n’ait rien lui aussi. Il a surtout eu très peur, je leur donne chacun une friandise pour faire passer ce mauvais moment.

Je remarque alors que la jeune femme me tend deux cartes, l’une disant « Bonjour, je m’appelle Camille. » et l’autre « Est-ce que ça va ? ». Ce n’est pas courant comme méthode de communication. Peut-être est-elle muette, ou un autre problème avec sa voix ? Ou alors elle est malentendante et donc muette par effet domino ? Comment puis-je lui répondre dans ce cas ? Je ne voudrais pas l’inquiéter sur mon état. Oh, je sais ! Je lève un doigt pour signifier de patienter et pose Milo avec Aiko pendant que je farfouille dans mon sac. J’en sors un carnet et un stylo. J’écris rapidement une réponse à l’intérieur avant de le tendre à Camille.

« Bonjour Camille, je m’appelle Kanaliou. Je vais bien merci, plus de peur que de mal ? Et vous ça va ? Rien de cassé ? »

Heureusement que je suis plus à l’aise à l’écrit. J’aurais eu énormément de mal à prononcer toutes ses phrases sans bégayer.

Camille se sentit soulagée. L’inconnue sembla aller mieux, rassurée, ce qui était tout à fait l’objectif de la manœuvre. Après la panique, voir quelqu’un d’autre rassurait un peu. Dans d’autres circonstances, cela aurait été bien mieux, comme dans un café autour d’une glace. Mais hélas ce n’était pas le cas et la situation était bien plus inquiétante que prévu. D’un autre côté, elles ne seraient certainement pas parlées si ça n’avait été des circonstances.

Et parler, un bien grand mot. La nommée Kanaliou répondit à Camille par écrit. Le cœur de Camille fit un immense bond dans sa poitrine, pleine de joie. En temps normal, elle ne se serait pas tant emballée en voyant cela, s’imaginant que l’autre la croyait sourde et aurait demandé gentiment et doucement en langue des signes, plus d’informations, sur le moyen de communication de Kanaliou.

Mais pas là. Là, Camille se mit à signer très vite, passant que la jeune femme la comprendrait.

Bonjour. Tout va bien pour moi, mais j’ai eu une très grande peur. Je suis très heureuse de te rencontrer. Ça te dit de continuer avec moi, parce que pour être honnête, ce bois me terrifie et je me suis perdue. J’aurai voulu éviter l’endroit mais j’ai raté un tournant et me voilà là. J’ai aussi entendu des bruits, c’est pour ça que j’ai paniqué. Désolé de t’avoir percuté.

Mais l’autre ne compris manifestement pas. Peut-être était-elle aller trop vite. Non, c’était autre chose. La même que d’habitude. Une expression désabusée sur le visage, Camille fit surgir une carte de sa main.

Je ne suis pas sourde. Tu peux parler normalement.

Cette carte servait beaucoup trop souvent pour le message qu’elle véhiculait. Certains essayaient d’apprendre la langue des signes, pour lui parler. C’était gentil, mais le seul intérêt était qu’ils la comprenaient plus facilement. Mais la magicienne, bien qu’habituée, ne comprenait pas le lien entre mutisme et surdité.

Tu veux une glace. ce n’était pas la bonne varte.

Tu vas où?