tw ; cyberintimidation

Lorsque j'étais enfant, je rêvais de me rendre à la grande école. Lorsque j'étais enfant, j'avais hâte de faire comme les adolescents. J'avais hâte d'apprendre, de me faire des ami·es et de goûter à un semblant de liberté. Je voyais la vie en rose, je n'avais aucune appréhension. Je pensais que tout se passerait bien. Je pensais que malgré mes tendances à me renfermer sur moi-même, je parviendrais à sortir de ma coquille, à m'ouvrir au monde et à faire l'expérience d'une belle scolarité. J'ai vu, j'ai vécu, et j'ai été déçu.
On m'a souvent dit que les adolescents étaient mauvais, que leurs intentions regorgeaient de malices, qu'ils seraient prêts à tout pour un simple regard approbateur, pour se sentir quelqu'un ; quitte à devoir rabaisser des confrères. Je l'avais souvent entendu, celle-là. Je n'avais jamais porté la moindre attention, pensant que les adultes exagéraient, parce que les adultes font toujours ça. Et pourtant...
Depuis mon arrivée dans cet établissement scolaire, j'ai vécu les pires années de ma vie. On m'a fait comprendre que je n'étais pas assez bien pour entrer dans le cercle des gens catégorisés de populaires - j'étais trop timide, probablement trop gentil, et très certainement trop naïf. On m'a souvent bousculé pour un rire, insulté pour un soupçon de murmures adulateurs. On a brisé cette personne que j'étais autrefois ; on a éteint cette lueur d'espoir, cette magie qui inondait autrefois mon regard de jeune bambin un peu trop pressé de grandir.

J'ai trouvé un certain réconfort sur les réseau sociaux, les jeux vidéos et sur les communautés en ligne. Un endroit où il n'y a besoin de montrer son visage, ou ne serait-ce que sa véritable personnalité. Un endroit où bon nombre de gens toxiques sommeillent, mais où il semblait plus aisé de les éviter. Et pourtant, même dans cet univers, ils ont réussi à me retrouver. Ils m'ont insulté sur toutes les plateformes, pensant qu'il s'agirait d'une bonne blague. Je les imagine pouffer de rire derrière leurs écrans, persuadés qu'ils deviendront de meilleures personnes si d'autres se sentent mal par leur faute. Je n'ai jamais compris pourquoi j'étais leur cible, en réalité, je n'ai jamais montré le moindre comportement hostile envers ces personnes.

Mais peut-être que j'aurais mieux fait de leur renvoyer la balle.

Encore cette nuit, je me suis allongé dans mon lit, fixant le mur, m'efforçant d'oublier ces mots abjectes que l'on tente d'implanter dans mon esprit. Je n'ai jamais osé en parler, de peur que cela ne mène nulle part, ou que cela empire la situation. J'ai souvent pensé à supplier mes parents pour changer d'école, mais même si les adultes ont tendance à exagérer les traits, dans certaines situations, leur réflexe est de minimiser les événements. Je n'ai pas la meilleure des relations avec mes parents, parce qu'on ne se comprend pas très bien. Leur expliquer qu'on tente de me pousser à quitter ce monde via les réseaux sociaux, et même entre ces quatre murs qui me font désormais davantage l'effet d'une prison que d'un établissement scolaire, ça ne servira strictement à rien.

Alors j'essaye de me changer les idées comme je le peux encore. J'essaye de me convaincre que je ne suis pas comme ils essayent de me décrire. J'essaye de continuer à survivre.
Je me rattache aux influenceur·ses parce qu'ils me donnent ce semblant de vision d'une vie plus belle - ils amènent un peu de joie dans mon quotidien. Je regarde souvent des lives et des vidéos, et pendant ce temps, je ne regarde pas mes réseaux sociaux. Pendant ce temps, je peux fuir le monde et laisser valser mon imagination. Peut-être qu'un jour, tout ira mieux.

Ce matin, on est dimanche et je n'ai pas de cours. J'appréhende demain avec inquiétude, sans savoir ce qui m'attendra mais en sachant que ça ne sera pas rose. Je ne vois plus la vie en rose. Tout ce qu'il y a de rose dans mon champ de vision, c'est cette tignasse devant moi ; des cheveux qui virevoltent au vent alors que leur hôte marche d'un pas décidé. Je m'attarde un moment sur cette chevelure, parce qu'au-dela de sa couleur particulière, il me semble l'avoir déjà vu quelque part.
Je... Je réalise quelques secondes après qu'il s'agit d'Alix. C'est un streamer que je suis activement depuis quelques semaines. Je ne m'attendais pas à le voir ici. Alors les influenceur·ses ont aussi une vie normale et ils font les courses comme tout le monde ?
Autant ça me paraît logique, autant je me sens déstabilisé par cette image plus que réaliste, me poussant à comprendre que nous sommes tous pareils, au moins un peu. Nous avons tous un vécu différent mais au départ, nous sommes humains.

Je m'élance vers lui, sans trop réfléchir. Je pense que j'ai les larmes aux yeux, mais en réalité, je ne saurais l'affirmer. Je ne suis ni un groupie, ni une personne armée de mauvaises intentions. J'ai juste besoin de lui parler, de m'assurer qu'il est bien existant. J'aimerais bien prendre une photo avec lui, mais si je le dérangeais ? S'il en arrivait à la même conclusion que tous les autres, et s'il ponctuait notre échange d'une insulte ? J'avais peur... Mais j'avais besoin de cette interaction. J'ai atteint son épaule et, en m'excusant deux ou trois fois, je l'ai salué.

« Hmm ? On se connait ? »

J'ai figé. Je ne savais pas quoi dire, ni comment le dire. Je restais là, muet comme une tombe, à attendre que les mots sortent de ma bouche sans que je fasse le moindre effort.

« Et ben... est-ce qu'un Chacripan a mangé ta langue ? »
« N-Non m'sieur Alix ! »

Je n'avais aucune idée du pourquoi, ni du comment j'en étais arrivé à l'appeler monsieur, mais il était trop tard pour reculer. Décidément, ma phrase l'avait fait rire. Je ne savais pas s'il se moquait de moi, ou s'il trouvait simplement la situation cocasse... Alix était difficile à suivre, parfois. Je ne le connaissais pas personnellement, mais lorsque je regardais ses lives, il me donnait cette impression qu'il était imprévisible.

« Laisse-moi deviner. Tu veux un selfie avec m'sieur Alix ? Faut pas avoir peur de demander hein, je vais pas te mordre. Sauf si tu me le demandes, mais c'est pas gratuit. »

Je ravalais ma salive sans trop comprendre s'il était sérieux, avant de rire nerveusement. J'ai hoché la tête pour la photo... Je ne suis pas très photogénique, et je ne sais pas bien sourire. Plus maintenant. Mais l'idée d'avoir un souvenir de cette rencontre me plaisait bien. J'ai tendu mon téléphone et... clic. C'était fait. Je tremblais un peu, je n'avais pas l'habitude de demander ce genre de choses.
Alix m'avait ensuite arraché mon appareil des mains. J'avoue avoir eu très peur, je pensais qu'il comptait me le voler. Mais j'ai vu son visage... et j'étais encore plus perplexe. Il avait les sourcils froncés, il grimaçait et ensuite, il m'a montré l'écran et surtout, les notifications qu'il y avait dessus.

« Tu m'expliques ce que ça signifie ? »

J'ai attrapé mon téléphone et j'ai lu. Il s'agissait d'un des nombreux messages de haine que je recevais à chaque jour ; une nouvelle moquerie parmi toutes celles que je n'osais plus compter. Je tâchais de les ignorer, mais lorsqu'il m'a posé cette question, je n'ai rien su faire de mieux que de baisser la tête, fixant le sol, honteux. Mais Alix m'a pris par les épaules, et il m'a secoué. Violemment. J'aurais cru perdre la tête, et peut-être que ça ne m'aurait pas dérangé. Au lieu de ça, ça m'a réveillé, et j'ai sursauté.

« Ne laisse personne te parler comme ça, tu m'entends ? Écoute petit, j'ai moi aussi vécu de l'intimidation lorsque j'avais ton âge. Faut pas se laisser faire. Montre leur que t'es intouchable, et que s'ils continuent, tu feras pire qu'eux. Tu dois te battre. Tu sais quoi ? S'ils refusent de t'écouter, dis leur que je vais aller leur casser les genoux. Ils te croient pas ? T'as notre selfie comme preuve. »

Je...

Je ne savais pas comment réagir. J'avais envie de pleurer. De joie ou de colère ? J'en savais rien. Alix devait partir et... après m'avoir tapé l'épaule, il m'a tourné le dos pour se rendre je ne sais où. Je l'observais partir, je le regardais s'éloigner... Je voulais le retenir. J'avais tant de questions à lui poser.
Alors même les gens comme lui pouvaient être des victimes ? Je voulais savoir comment il avait fait pour s'en sortir. Je voulais qu'il m'apprenne à ne pas baisser les bras... Je voulais qu'il m'apprenne à ne plus souffrir.

J'avais encore du chemin à faire mais suite à cette rencontre, mon regard avec retrouvé une petite lueur d'espoir. Elle n'était pas très visible, et elle se cachait bien, mais je savais qu'elle existait. Je ne devais pas me laisser abattre.

« Alix... tes cheveux... »
« Hm ? Qu'est-ce qu'ils ont, mes cheveux ? »
Différents. Ils étaient différents. Un changement flagrant. Ils faisaient pencher les têtes, et leurs prunelles ne s'en détachaient. Toi, tu esquissais un rictus suffisant - les mimiques d'un homme ravie. Tu avais eu de nombreux choix et le tiens était celui qui te correspondait le mieux. Celui vers lequel tes yeux ne cessaient d'observer. Et tu avais pointé ta future décision qui, aujourd'hui, te rendait heureux de pouvoir enfin t'exprimer. De pouvoir être toi-même.
Ce choix qui t'avait coûté mainte préjugés, plusieurs questionnements. Parce que Alix, tu devais faire honneur à ce qui se trouvait dans ton pantalon.
Elles ne devraient pas être associées à un genre.

Tu te remémorais une histoire que l'on t'avait auparavant raconté. Sans trop savoir pourquoi, alors que tu avais remarqué cette famille d'Alola se balader dans la rue, tes souvenirs te jouaient des tours.
Frappé. Intimidé. Moqué.
Il était au sol, incapable de se relever. Ce n'était pas la première fois qu'il se faisait bousculer. Tu n'étais pas là, Alix, mais c'est ainsi qu'on te l'avait raconté. Cette anecdote, ce combat du passé. On t'avait raconté les injustices de cette vieille époque, des injustices qui, encore aujourd'hui, osaient vouloir persister. On t'avait raconté les horreurs de l'humanité. Parce qu'autrefois, on pensait qu'être différent ce n'était pas bien - les humains avaient peur de la différence.
Tu ne comprenais pas. Tu observais tes mains et tu voulais des explications. Jamais on ne t'avait reproché l'allure qu'avait ton épiderme ; et tu ne l'avais pas choisis. Parce que personne n'avait la prétention de naître dans le corps qu'il désirait, mais toi tu avais la prétention d'acclamer qu'il y avait de la beauté en tout. Que cette variété était ce qui rendait le monde unique et magnifique.
Elles ne devraient pas être associées à une hiérarchie.

Cette jeune fille avait de beaux yeux. C'était ce que tu pensais, lorsque tu l'avais vu. Et pourtant, elle n'aimait pas ce qu'elle voyait dans le miroir - ça ne lui convenaient pas. Tu n'avais jamais compris. Tu voyais de la brillance et en plongeant ton regard vers eux, tu parvenais à apercevoir la beauté de son âme. Ils étaient grands et expressifs, ses yeux.
Mais elle ne les aimait pas. Parce qu'ils étaient banals ; qu'ils n'avaient rien d'exceptionnels. Qu'ils constituaient cinquante-cinq pour cent de la population mondiale.
Tu les comparais à une forêt - à tout ce bois qui rendait la nature puissante et imposante. Tu les comparais à ta boisson chaude favorite, le chocolat ; celui qui renfermait un soupçon de vanille. Tu les comparais à la fourrure de cet Evoli que tu avais vu gambader joyeusement dans les hautes herbes lorsque tu n'étais encore qu'un bambin ; il t'avait marqué.
Mais rien à faire - elle ne savait les apprécier.
Elles ne devraient pas être associées à des standards.

Pendant l'une de tes sorties, tu avais vu un enfant qui pointait de son index un morceau de tissu qu'il avait aperçu dans un rayon du magasin de vêtements. Sa mère, qui était à ses côtés, avait hoché la tête simplement. « Celui-là, tu es sûr ? »
Le garçon avait acquiescé. Alors que la femme lui demandait pourquoi il avait jeté son dévolu sur ce vêtement, et pas un autre, sa progéniture lui avait expliqué son choix. Il avait décrit l'objet de ses convoitises avec une série d'adjectifs ; et il avait conclu en disant que c'était elle qu'il préférait. Parmi toutes les autres, ses yeux ne voyaient qu'elle. Et s'il pouvait tout choisir dans cette optique, il le ferait. Parce qu'elle lui donnait l'impression d'être lui-même, et qu'il voulait voir la vie ainsi.
Tu avais souri ; tu partageais son avis.
Elles ne devraient pas être associées à des jugements.

Elles sont belles. Elles se reflètent et savent se rendre jusqu'à vous. Vous ne pouvez les toucher ni les sentir, mais vous pouvez les admirer.
Il ne faut jamais oublier que, tout comme le dit le titre d'un certain film, il y a les goûts et les...