Il ne faut pas attendre longtemps avant que nos plats arrivent. Après tout, ce n’est pas de la grande cuisine. En plus d’être très facile à faire, on peut faire beaucoup de préparation à l’avance et plus qu’à faire chauffer.

Je prends une bouchée de la crêpe que j’ai commandée et m’arrête dans ma mastication. De quoi il parle ? Je sens mon cœur s’emballer sous l’énervement. Me mettre au défi ? Sans qu’il n’arrive rien ? De quoi il parle ?

Il me propose un verre comme si c’était la continuation logique de sa proposition. Je n’esquisse pas un geste.

Le perdant ? Le perdant de quoi ?

Mais de quoi tu parles ? Parier qu’il n’arrive rien pendant le repas ? Mais qu’est-ce que tu racontes ? Qu’est-ce que tu veux qu’il arrive pendant un repas ?

Tout va bien ici ? Demande le serveur.

Mais dégage, toi. Ce sont des crêpes, tu t’attends à quoi. Je n’aime pas être désagréable avec les serveurs mais on est en train de discuter et l’autre se ramène pour voir s’ils ont réussi à faire des crêpes mangeables. Je ramène mon attention sur Leonard.

Et c’est quoi cette histoire de perdant ? Si le serveur renverse un verre, j’ai perdu parce qu’il arrive quelque chose ? Ou tu as perdu, parce que le sol était un peu trop humide ?

Je commence à m’énerver alors j’arrête de parler. C’est encore une idée de Leonard, donc elle est forcément débile. Je pousse un profond soupir d’exaspération. Mais comment ça se passe dans ta tête ? C’est soit le bordel, soit tu ne donnes pas assez d’informations à ceux qui ne sont pas dedans. Mais j’en ai marre de ne pas te comprendre.

Mais pourquoi il s’excuse lui ? Le serveur est un débile et… Ouai, ils doivent se comprendre certainement, entre crétins. Et qu’est-ce qu’il me raconte là ?

Il ne sait pas comme il fonctionne. C’est-à-dire qu’il dit des trucs sans même vraiment réfléchir. Il est encore plus stupide que je le pensais. Et qu’est-ce que viennent faire les Eclipses dans la conversation ? Moi aussi je suis Eclipse et je ne le mets pas dans la conversation.

Et pourquoi il parle de Pokémon ? Et eux non plus ne maîtrisent pas le feu. Quand ils l’ont craché, c’est carrément le bordel.

S’unir avec les… Par Arceus, c’est dégueulasse. Non, il n’a pas voulu dire ça. Mais débile comme il est, ce n’est pas impossible qu’il y ait pensé tranquillement sans penser à mal. Mais bon sang, c’est quoi ses idées ?

Je le regarde, les yeux vide.

Non. C’était quoi la question déjà ? Rappelle-moi, pourquoi on traine ensemble ?

C’est une question qui mérite d’être soulever je pense.

Est-ce que je me pose vraiment la question ? Quand j’entends la réponse, je comprends qu’en fait non. Je voulais juste l’entendre encore une fois. Je baisse la tête sur ma crêpe pour que Leonard ne voit pas les différentes réactions sur mon visage. Je crois que je rougis un peu, je souris et que je fronce les sourcils de colère en même temps.

Je suis contente d’avoir un ami, d’un autre côté, ça me fait peur. Je me demande quand est-ce qu’il va me trahir ? Dans un sens, il l’a déjà fait. Il a déjà manqué à sa promesse. Et pourtant, j’ai du mal à lui en vouloir. Je le regarde en levant les yeux, toujours la tête baissée, comme pour être discrète. Mon exaspération de tout à l’heure a entièrement disparu lorsqu’il a dit qu’on était ami.

Quand je le regarde, je repense à ce que je lui ai dit quand on s’est disputé. C’est sorti tout seul. Mais est-ce que je l’aime comme un ami, ou plus ? Je ne sais pas. Est-ce qu’on tient à un ami comme je tiens à Leonard.

Quand Leonard demande s’il y a un problème je redresse la tête, comme un enfant prit en train de faire une bêtise.

Non, aucun. Il n’y a pas de problème. C’est juste… Je parle très vite puis hésite. Tu es tellement… différent. Et puis… Je détourne le regard. Je n’ai jamais eu d’ami. On se dispute souvent. Tu m’exaspères.

Je dois me ressaisir. Je fronce les sourcils et lui parle comme s’il venait de faire une bêtise alors qu’il vient juste de recevoir sa crêpe sucrée. Et puis tu es un idiot. Un crétin fini qui ne saurait pas différencier un ravin, d’une piscine à bulle.

J’avale un gros morceau de ma crêpe, un peu trop vite, un peu trop gros et je m’étouffe avec. Je tousse un grand coup et une partie du contenu de ma bouche finie sur Leonard. Là c’est gênant, pour moi.

Je me sens rougir. Comment va réagir Leonard. Moi je sais très bien comment j’aurai réagi s’il m’avait toussé à la figure comme ça. Je me serai certainement levée pour lui en mettre une dans la tronche. Ou alors je me serai simplement barrée en l’injuriant tellement violement que ce serait plus douloureux qu’un poing dans la figure. Ou alors j’aurai fait pire.

Cependant, je n’aurai certainement pas réagi aussi calmement que lui. Il se nettoie comme si de rien était, que je lui avais éternué dessus, presque par sa faute. Oui, c’est ça, je m’attends presqu’à ce qu’il s’excuse. Je ne comprends pas d’où il tient son calme. Pire encore, il ne faut pas longtemps pour que le serveur échange ma crêpe pour m’en offrir une autre. C’est quoi ce délire ? Je savais que les gens étaient stupides, mais j’ai l’impression qu’ici, on essaye de faire la compétition avec Leonard.

Bon, d’accord, j’exagère car je pense que j’aurai certainement fait pareil si j’avais été la serveuse. Mais tout de même.

Leonard reprend la conversation comme si de rien était. Et fait son Leonard. J’ouvre de grands yeux. Je ne comprends pas l’image. Pour moi, il parle juste de se jeter dans le vide quand je suis près de lui.

Mais tu es un grand malade ! Que je sois là ou pas, je t’interdis de te jeter dans le vide. Tu m’entends ? Mais tu crois vraiment que même si je suis là, j’arriverai à te rattraper ? Je n’ai pas d’aile, au cas où tu ne l’aurais pas remarqué. Mais tu es un danger public. Mais que pour toi en fait. Est-ce qu’au volcan on était déjà ami ? Tu es en train de me dire que quand on était au volcan, tu aurais été capable de te jeter dans le vide juste pour voir si je te rattrape ? Tu sais que si je te rattrape après t’avoir vu sauter dans le vide, je te casse les deux jambes pour être sûre que tu ne recommences pas.

Le serveur interrompt mes paroles. Je le regarde servir Leonard et repartir. Je n’aime pas parler quand un serveur est là. Déjà parce qu’on raconte ne le regarde pas et parce que je n’aime pas non plus entendre les histoires des gens quand je les sers.

C’est Leonard qui reprend la parole et je le regarde d’abord avec un air d’incompréhension. Si on est un duo, d’accord, ma mission est de le garder en vie. C’est une évidence, car je vois difficilement comment il pourrait se garder en vie. C’est d’ailleurs incroyable qu’il ne soit pas encore mort.

Mais je ne comprends pas quand il dit que je suis le ravin. Si je dois le garder en vie, c’est pour le protéger du ravin. Mais si c’est moi le ravin.

Tu veux dire que… Je me sens blessée et je ne sais pas pourquoi. Enfin, si je sais pourquoi, mais je ne comprends pas pourquoi ça me blesse. Tu veux dire que c’est moi qui suis dangereuse pour toi ? Que quand on est ensemble, je dois te protéger, parce que c’est moi qui amène le danger ? le demande-je d’une petite voix, la mine triste.

Je ne veux pas que Leonard soit blessé, ou court un risque, encore moins si c’est ma faute. Ce n’est pas bien alors qu’on reste ensemble. Je n’ai plus faim. La crêpe devant moi ne me donne plus du tout, envie quand je la regarde. Je voudrai juste partir pour que Leonard n’ait pas des ennuis.

Pourquoi est-ce qu’il ne répond pas ? Pourquoi est-ce qu’il n’a pas de réponse à me donner ? Est-ce qu’il croit que je suis trop stupide pour la comprendre ? Mais comment on est arrivé là ?

Je commence à m’énerver. En réalité, il ne sait certainement pas ce qu’il dit. Je suis sûre que Leonard dit n’importe quoi, tout le temps et qu’il est incapable après d’assumer ce qu’il a dit. Alors quand on lui pose une question un peu sérieuse, il est perdu. Il est comme tout le monde en fait. C’est un idiot, ça je le savais, mais en plus, c’est un lâche.

Je serre les poings en fixant mon assiette. Je n’ai presque rien mangé.

Je lui jette un regard noir, au garçon assis en face de moi. Je pense qu’on a fini tout court. Je garde le silence, mais dans ma tête, c’est le bordel. Pourquoi est-ce qu’il veut qu’on s’en aille ? Pourquoi est-ce que maintenant, il a l’air si sérieux ? Et pourquoi est-ce qu’il ne répond pas à ma question ?

Et si en réalité, j’étais vraiment un problème. Si en effet, j’étais dangereuse pour lui. Il est complètement stupide et naïf, surtout, je ne pense pas qu’il serait capable de mentir. Il est trop bête pour ça. Et puis… Et si justement, il cherchait le danger.

Hier encore, on s’est disputé parce qu’il s’entrainait pour se battre alors qu’il m’avait promis de ne le faire que pour se défendre. Que se passera-t-il quand il m’avouera qu’en réalité, il trainait avec moi pour se mettre en danger ? Que c’est parce que je suis un ravin et qu’il aime prendre des risques qu’il est avec moi ? Je ne veux pas qu’il prenne des risques. Mais je ne veux pas non plus qu’il soit loin de moi.

Pourquoi est-ce qu’il ne peut pas répondre à ma question ? Pourquoi est-ce qu’il est désolé ?

Je le regarde méchamment. Non, je ne comprends pas. Tout est toujours compliqué avec toi. Je me lève et dépose un billet sur la table et sort. Normalement, j’ai déposé le bon compte. Et normalement, il ne me reste plus grand-chose pour finir la semaine.

Dehors, il y a un petit vent frais et le ciel est couvert, de plus en plus sombre. Comme mon humeur.

J’attends Leonard, les bras croisés, impatiente. Je suis énervé, inquiète, triste… C’est le bordel.

C’est bon. Tu as réfléchi ? Pourquoi est-ce que tu ne peux pas me répondre. C’est pourtant simple comme question. Est-ce que je suis un danger pour toi ?

Puis, j’ai un flash. Notre première rencontre. Il ne pouvait pas ignorer ce qu’il s’est passé. Il était là. Et notre deuxième rencontre aussi, je me suis battu. Et même après, quand on s’est entrainé, en réalité, il a été plus proche du sac de frappe que du partenaire d’entrainement.

Je le regarde maintenant les bras ballants, une expression de compréhension sur le visage.

C’est pour ça que tu traines avec moi en fait ? C’est maintenant évident. Je ne suis pas gentille, je ne suis pas spécialement belle, on dirait que j’ai quinze ans et à côté de Leonard, je suis parfaitement stupide. Enfin, à côté de n’importe qui, je suis une ignorante.

Mais alors, on fait comment ? Moi je ne veux pas qu’il soit en danger et lui, c’est pour ça qu’on est ami. Le plus simple, ce serait qu’on arrête simplement de se voir. Au moins, il sera en sécurité. Mais moi, je veux continuer à le voir. Et lui veut certainement continuer à prendre des risques. Que je sois là ou non, il fera n’importe quoi. Donc nous séparer ne satisfera personne et ne servira à rien.

Je pousse un soupir. Tu sais quoi ? Laisse tomber. Ce n’est pas la peine. Rentrons.

La rue m’est partiellement inconnue. Je suis déjà passée par ici par le passé, mais passer est le bon terme. Je ne m’y suis pas arrêtée. Alors comment retourner chez Leonard. J’en ai marre de devoir suivre Leonard sans jamais savoir où aller ni où je suis. C’est insupportable.

Lorsque j’entends sa question, je me retourne et le regarde de mes yeux violets et froids. Bien sûr, chez toi. Ton père a embarqué toutes mes affaires. Quoi que je veuille faire plus tard, je suis obligée de repasser par chez toi. Parce que tout ce que je possède s’y trouve et que je n’ai pas les moyens de me racheter un dixième de ce que contient mon sac. Ni même mon sac. Rien que le repas qu’on vient de manger m’a mise dans la merde.

Faire autre chose ? Mais quoi ?

Qu’est-ce que tu entends par faire quelque chose ? Rentrer chez toi ce serait déjà quelque chose.

D’habitude quand j’ai du temps libre, je déambule dans les rues, cherche la petite racaille, je m’entraine ou je joue avec Vulca. Mais que faire avec un crétin comme Leonard ? Je ne me vois pas arrêter des voleurs avec lui. Il serait même plutôt du genre à leur donner son argent gracieusement en les pensant trop malheureux.

Je leur regarde, perplexe. Aider les autres ? Je fais ça tout le temps. Je fais tout pour que les rues soient plus sûres, et quand je travaille, je fais en sorte que les clients soient bien servis.

Une expédition ? Pour ramener des trésors ? Qui fait des trucs comme ça ? Evidemment lui bien sûr. Mais… Une mission ? Un nœud se fait dans mon estomac. Ça, ça veut dire des dangers pour lui. Si je dis oui pour une mission et une expédition, c’est ouvrir la porte aux risques. Et l’expédition… on ne trouve pas de trésor dans un parc pour enfant. Et il propose ça parce que je suis là. Je suis sa source de danger.

Non, je refuse. Il ne fera pas de trop dangereux parce que je suis là. C’est hors de question. Ce que je m’apprête à dire me brûle la gorge mais il faut le faire sous peine de voir ce crétin faire des bêtises.

C’est peut-être un peu trop dangereux, non ? Tu ne voudrais pas… Faire… J’ai la gorge sèche. Un tour… dans… euh… les… boutiques.

J’ai du mal à dire ces mots et n’en reviens pas qu’ils sortent de ma bouche. Je déteste faire les boutiques, parce que je n’ai pas assez d’argent pour m’acheter quoi que ce soit. Cela s’entend dans ma voix que je préfèrerais faire n’importe quoi d’autre que ça. Mais Leonard ne sera pas en danger dans un magasin. Et je serai là en même temps. Donc, je ne le mettrai pas en danger.

Leonard n’a pas l’air convaincu non plus par ma proposition. Il fronce des sourcils. Qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’il ne veut pas ? Qu’il est surpris ? Il trouve peut-être ça complètement stupide. Mais c’est stupide. Je n’ai pas envie de faire les boutiques. Je n’ai pas non plus envie d’aller chez lui ou de l’emmener prendre des risques. J’ai juste envie de m’enfuir, loin d’ici, loin de lui, loin des problèmes qu’il pose.

Pourtant je reste.

Et je le regrette.

Avant, je n’avais pas ce genre de problèmes. Je ne m’occupais que de Vulca et elle ne s’occupait que de moi. On était bien ensemble. Tout ce dont on devait faire attention, c’était de trouver un travail pour manger et ne pas se faire surprendre par des connards. Bien sûr, mon équipe s’est agrandie, mais ça n’a pas posé plus de problème que ça.

Maintenant, je dois m’inquiéter pour Leonard aussi, et il est beaucoup plus difficile à surveiller. Surtout quand il ne tient pas ses promesses.

Leonard accepte de faire les boutiques et ça me met mal à l’aise. Je n’ai pas d’argent pour faire les boutiques. Je prends Vulca dans les bras et la serre contre moi. Sa présence me rassure un peu.

Et cette fois c’est à mon tour de froncer les sourcils. Je regarde mes vêtements, toujours en portant Vulca.

Pourquoi j’aurai besoin d’une robe ou d’un jogging ? Je ne suis pas si mal habillée que ça non plus. Certes mes vêtements commencent à dater, mais ils n’ont pas l’air si usés que ça. Bon, les extrémités des manches de mon manteau sont élimées et par endroit, les coutures semblent tenir par leur volonté propre. Le violet est plus pale par endroit, et il y a des traces à d’autres. Mon pantalon à une petite déchirure sous le genou gauche et mon T-shirt est passablement déformé à force de le mettre et de le retirer, sans parler de mes chaussures, dont les semelles commencent à se détacher. Mais j’ai vu des gens porter des vêtements neufs dans le même style.

Et de toute façon, je n’ai pas d’argent à mettre dans des vêtements. Ceux-là font l’affaire.

Je n’aime pas quand il parle de ma famille. Je trouve ça bizarre. Mon équipe n’est pas famille. J’ai une famille, et elle m’a abandonnée. Mon équipe ne m’abandonnera pas. Pour moi une famille, c’est ce qu’on n’a pas choisi et donc pour qui on a aucune valeur. Et dans ce cas, je ne veux pas de famille.

De la nourriture spécialisée pour Vulca ? Je jette une regard à la Goupix dans mes bras qui me regarde et me lèche doucement la joue. Vulca doit manger des trucs… Spécialisés ? Les Goupix ne peuvent pas manger comme nous ? Ou juste de la viande ? Est-ce que ça coute cher ?

Parce que les CT, c’est hors de prix et que pour la même raison que mes vêtements, je n’ai pas d’argent à mettre dans de la nourriture inutile. Mais si c’est nécessaire, je l’achèterai pour Vulca.

Mettre du neuf ? Est-ce que ça se voit tant que ça que mes vêtements sont anciens ? Et puis ça veut dire quoi ? Mettre du neuf. Les vêtements sont propres, pas déchirés, ou pas trop, et me vont à peu près, ce n’est pas la peine d’en racheter.

Du rechange ? Je n’ai déjà pas assez de place pour les affaires que j’ai déjà. Et pour avoir acheté pour le plaisir, il faudrait de l’argent. Et le plaisir d’acheter. Quant aux achats compulsifs, ce serait montré un contrôle de soi pathétique. Comment peut-on agir sur un coup de tête ? Pouf. Je passe devant une boutique et pouf, je rentre et ressors avec quelque chose dont je n’ai pas besoin. Nous ne sommes pas des sauvages.

Je ne comprends pas les gens qui réagissent à leurs envies, juste comme ça, sans réfléchir.

Si ça peut lui faire plaisir, on peut aller dans une boutique pour lui acheter des friandises. Mais pas trop, parce que sinon, elle ne va pas arrêter d’en manger. Déjà qu’elle dévore mes friandises. Si on peut appeler ça des friandises. Peut-être que si j’arrêtais de prendre des gâteaux dès que j’ai un peu plus d’argent que d’ordinaire, je pourrais avoir des vêtements neufs ou alors arrêter de m’inquiéter pour certains repas. Mais d’un autre côté, ma vie serait encore plus triste.

Sinon, l’idée de Leonard n’est pas complètement stupide. Elle l’est, mais moins que les autres. Surtout que je viens de payer cher pour des crêpes. Alors peut-être que…

D’accord, on peut aussi s’acheter de quoi faire un repas. Mais c’est ton idée, c’est toi qui payes. Bien joué. Un repas de gagner sur la stupidité de Leonard. Il n’osera pas refuser. Déjà parce qu’il est beaucoup trop gentil. Et surtout trop stupide.

Allons-y… c’est par où ?

Nous marchons, jusqu’à atteindre la boutique de nourriture Pokémon. Je la connais. Enfin, je suis passée devant bien souvent, sans jamais y entrer. Je suis convaincue que c’est un truc de riche. Et quand on y entre, c’est toujours un truc de riche. Que ce soit la richesse des odeurs ou des couleurs, cette boutique respire un savoir-faire riche en compétence.

Il n’y a pas beaucoup de monde et une vendeuse en tablier se dirige vers nous rapidement. Je me tends et la regarde méchamment. Elle vient nous emmerder avec des questions stupides.

Je peux vous aider ? Exactement ce que je disais. Vous cherchez peut-être quelque chose pour votre Goupix. Est-ce que je peux vous proposez de lui faire goûter ceci ?

Bien sûr. Pas besoin d’attendre de réponses, ce serait tellement trop facile. La voilà qui déjà va chercher un bonbon dans une caisse et s’agenouille en le présentant un Vulca, la paume ouverte.

Ma Goupix renifle en s’approchant un peu puis me regarde en reculant en glapissant doucement.

Tiens, c’est bizarre. Je savais les Goupix difficiles, mais c’est le premier à refuser cette friandise.

Ce n’est pas bizarre. Elle ne prend pas ce que n’importe qui lui donne. Dis-je d’un ton cassant. Vulca ne connait pas la vendeuse et celle-ci s’attend à ce qu’elle se jette sur ce qu’elle lui présente.

Je prends la friandise de la main de la vendeuse et la propose doucement à Vulca en m’agenouillant. La goupix se jette dessus avec avidité et un petit rire s’échappe de ma gorge et un grand sourire apparait sur mon visage.

Doucement, gourmande. C’est le bonbon, pas mes doigts que tu dois manger.

Cela lui plait beaucoup. La vendeuse me montre les boîtes et mon sourire s’efface immédiatement. Je crois que je blêmis un peu aussi. C’est tout simplement hors de prix. Ou plutôt, hors de mes prix. Mais ce serait injuste que je mange un restaurant et que Vulca n’ait pas ses bonbons. Mais là…

J'entends Leonard parler à la vendeuse mais je n’écoute pas. Je fixe les boites de différentes tailles. J’hésite sur la taille. Je tends la main vers une petite boite puis la retire. Je prends une plus grande regarde son prix et la repose en essayant d’être naturelle.

Je me baisse pour prendre Vulca dans mes bras. La Goupix renifle vers les boîtes avec envie puis me regarde en jappant doucement. Je laisse échapper un petit couinement d’indécision en caressant ma Goupix. Je ne sais pas lequel prendre. Je tends de nouveau la main vers une boite et Vulca s’agite dans mes bras pour essayer d’atteindre le rayonnage. Je recule en ramenant mon bras pour mieux tenir mon Pokémon.

Doucement. Vulca, non. Si tu ne te calmes pas, je n’en prends pas. Elle semble comprendre et se calme tout de suite, pour mieux le lécher le bout du nez. Je l’embrasse sur la truffe, retourne à l’étagère. Je ferme les yeux au moment de prendre une boite. Elle parait immense et quand j’ouvre les yeux, je constate que j’ai pris la deuxième plus petite mais le prix est déjà grand. Je pousse un soupir et rejoins Leonard à la caisse.

Je pose la boite et sert Vulca, fourrant mon nez dans sa fourrure. Je regarde le Tortank prendre une grosse caisse et le regard froid que la vendeuse me lance. Je le lui rends sans aucun remord et pose Vulca pour sortir mon porte-monnaie. Quand elle m’annonce le prix, je sors mes deux derniers billets et récupère la monnaie. C’est encore moins que ce que je pensais.

Je retiens une grimace, prends la boite et reprends Vulca dans les bras et sors rapidement du magasin.

Une fois dehors, Vulca s’agite dans mes bras et saute à terre et me regarde fixement ou plus exactement la boite que j’ai en main. Je m’accroupis devant elle et ouvre doucement la boite. Ma Goupix s’avance précipitamment vers moi.

Non. Doucement. Assis. Elle m’obéit et je sors un bonbon. Tout cet argent pour si peu de friandise. C’est trop nul. Bisou.

Je pose un dos sur ma joue et Vulca vient y faire une petite léchouille puis se rassoit. Je lui donne le bonbon en souriant. Tu n’en as pas beaucoup gourmande, alors il faudra y faire attention. J’ai droit à une crêpe et toi à des bonbons. Pour le reste, on verra bien.

Je me relève, et me tourne vers Leonard. Tu veux ramener ça à ta mère tout de suite ?

Je ne veux pas retourner chez lui. Ou plutôt, je veux récupérer mes affaires et partir loin. Je n’aime pas ce qui se passe depuis hier. La dispute, la panique, la discussion avec la mère de Leonard, leur gentillesse. Ils sont vraiment trop gentils, c’est presque inquiétant. Non, pas presque. Ilssont super inquiétant, comme s’ils préparaient quelque chose. La façon dont le père a ramené mes affaires.

Tu veux aller où ? J’ai choisi cette destination, à ton tour. Je suis sûre qu’Arnold peut se débrouiller avec des cartons. Et si ce n’est pas le cas, et bien c’est de ta faute. Mais on ne rentre pas tout de suite.

Voilà c’est décider. Et je sens que je vais le regretter.

Leonard a vraiment confiance dans ses Pokémons. J’ai aussi confiance dans les miens, mais il ne me viendrait jamais à l’esprit de les envoyer seuls ramener un colis chez moi. Peut-être en fait. Je les laisse faire tellement plus de chose. Toutefois c’est bizarre de voir le Tortank partir avec son chargement. Oster ne le ferait jamais. Je ne lui demanderai jamais. Parce que je n’ai pas de maison, et que je ne fais pas ce genre de commande.

Pour manger quoi ? Mais on mangerait où alors ? Chez tes… parents ? Tu fais la cuisine pour ta… famille ?

J’ai toujours cuisiné pour mes Pokémons et moi, j’ai du mal à concevoir qu’on puisse cuisiner pour d’autres êtres humains. A part dans un restaurant.

Nous nous approchons du centre commercial, et je me tends. Mon regard surveille les environs, et surtout la foule. Il y a des gens qui entrent et qui sortent de boutiques, mais nous sommes toujours à l’intérieur. Je n’aime pas les centres commerciaux. Je ne raffole pas de la foule qui s’y déplace, qui s’y rend. Et puis. Il y a trop de boutiques, sur trop d’étages. Il y a des escaliers, des escalators qui vont dans un sens, mais pas dans l’autre. Et il y a des arbres dans de grands pots à fleur. Je trouve ça stupide.

Je regarde les alentours avec méfiance et concentration si bien que la question de Leonard me surprend, simplement parce que je n’écoutais pas.

De quoi ?

Je le regarde rigoler, en haussant un sourcil perplexe. Il a dû faire une blague, qu’il a trouvé drôle. Mon cerveau retrace la question entendue inconsciemment. Une question débile.

C’est quoi cette question ? Je ne sais pas. Je n’ai jamais eu de bijou, et ce n’est pas vraiment ce qui m’attire. Je réfléchis un instant. Je n’ai pas les oreilles percées, du coup j’imagine que les boucles d’oreille ce n’est pas la peine. Et comme je n’ai pas le droit aux bagues selon tes propres règles du jeu, il me reste que les colliers. Donc j’imagine que la réponse serait un collier.

Quelque chose refait surface dans mon esprit. Je ne vois pas bien ce que c’est mais j’ai le souvenir que c’était beau. D’un air absent, je continue de parler.

Il y a aussi ce truc, qu’on peut mettre dans ses cheveux, pour les tenir, comme un élastique mais en plus joli. Ça c’est beau. Mais il faut des cheveux loin dans ce cas. Je me secoue.

Et toi ? C’est quoi ton bijou ? Oh je sens venir le truc stupide et… C’est quoi ça ?

Je m’arrête devant une grande boutique, grande ouverte. Je ne vais jamais dans ce coin, du coup je ne connais rien ici, mais j’ai déjà vu ce genre d’enseigne. A l’intérieur, il y a toujours des bruits bizarres, comme des objets qui tombent, roulent et s’écroulent avec fracas. Les gens y entrent en groupe, c’est pour ça que je n’y vais pas dans les autres bâtiments de ce type. Dessus, il y a écrit un mot, mais déjà que la plupart des mots est incompréhensible, celui-là ve vraiment rien dire. B-O-W-L-I-N-G. Des initiales peut-être.

Il a un problème avec les poings Américains ? Leonard semble faire une fixation dessus. Pourquoi est ce que je voudrai un poing américain, en plus ce n'est pas un bijou c'est une arme. Et de toute façon, je ne veux pas de bagues. Je n'en ai jamais porté mais j’imagine facilement que ca3ne doit être agréable. Avoir le doigt pris dans un cercle. C'est ridicule.

Quant à mettre des méga gemme dedans. J'ai déjà un bracelet pour mes mega-gemmes. Pourquoi les vouloirs en bague ? En plus, ça serait un peu trop bling bling.

J’essaye d’imaginer quelqu’un portant une méga-gemme à chacun de ses doigts. Il aurait l’air ridicule. En regardant Leonard de haut en bas, je me dis qu’il pourrait le faire. Que c’est bien son truc de faire une connerie comme ça et pire encore, d’en être fier.

Je regarde Leonard perplexe. Avoir les cheveux longs m’irait bien, dit-il, je ne pense pas. Mais d’un autre côté, je n’ai pas vraiment essayé depuis que j’ai décidé de me couper les cheveux moi-même et de les garder courts.

Je n’ai pas spécialement envie d’avoir les cheveux longs. Ça me gênerait plus qu’autre chose. Mais j’aime bien les trucs pour tenir les cheveux. Même les petites pinces. Ça évite d’avoir des cheveux devant les yeux.

Quand il répond à ma question, je pousse un soupir dépité. Ça ne me surprend pas de lui. Bien sûr qu’il portera une série de bague avec des mega-gemmes dedans.

T’es vraiment un crétin. Dis-je dans un soupir exaspéré. Si avoir des méga-gemmes prouvait qu’on avait des Pokémons puissants, on se battrait pour en posséder.

Devant le bâtiment, Leonard répond en partie à ma question.

Les fléchettes je connais et j’imagine que ce que tu appelles pinball, c’est un flipper. Mais, c’est quoi un bouling ? C’est un autre jeu pour café ? Comme les arcades ? Pacman, Punch-out ? Metal Slug ? Je travaille dans des cafés. Si tu veux jouer, à ça tu vas forcément perdre. En revanche, je n’ai pas les moyens, enfin, pas envie de mettre des sous dans des jeux auxquels je joue gratuitement d’habitude. Et de toute façon, quel intérêt ? On gagne des prix en battant les scores ?

Je regarde Leonard avec surprise. Ce n’est pas ce qu’il dit qui me surprend. Je penche plutôt sur ma propre réaction. Je rigole doucement.

Tu es curieux ? Toi ? Comme c’est surprenant, je ne t’en croyais pas capable. Allez. Viens monsieur le curieux. Il y a des scores à engranger.

A l’intérieur, je reconnais un coin. Non je ne le reconnais pas vraiment. Disons que j’aperçois ce que Leonard voulait dire quand il parle de nombreux jeux pour café. On dirait une mini fête foraine. Sans la carabine mais il y a un panier de basket.

Ouai, ouai. T’inquiète, je connais le principe des bornes d’arcades. Je ne suis pas stupide. Allez. Viens. On va casser du zombi.

Je me dirige vers une borne avec un grand écran. Il y a deux fusils et des vidéos du jeu passe devant l’écran. C’est un rail shooter tout ce qu’il y a de plus standard. Avec des zombis. C’est assez primitif. Je pose une main sur le premier fusil relié à la machine. Mais Leonard me montre ce que c’est le bowling.

J’avais entendu des bruits étranges en entrant. Des bruits de chute, de trucs qui roulent et encore des chutes. Mais je ne me suis pas posé la question, trop obnubilée par les bornes d’arcades. Je n’en avais jamais vu autant au même endroit. Dans les cafés, il y en au mieux deux, voire trois, grand maximum.

Je lâche l’arme de l’arcade et me dirige pour voir ce qu’il se passe. Il y a une dizaine de couloirs, avec des gouttières de chaque côté. Les gens prennent des boules. Elles sont grosses et paraissent lourdes. Je suis une bonne combattante, mais je ne suis pas taillée en muscle.

Les gens prennent de l’élan et jette la boule vers des quilles. Certainement pour les faire tomber.

Un bruit victorieux. Toutes les quilles tombent et il y a des cris de victoire. Les quilles sont nettoyées et d’autres sont mises à la place.

Si je comprends bien, il faut faire tomber toutes les quilles avec les boules. Ça n’a pas l’air difficile. Allons-y.

Je me dirige vers le comptoir. Je m’arrête un instant pour répondre à Leonard.

Tu ne sais pas ce qu’est Metal Slug ? Sérieusement ? C’est un jeu d’arcade. On joue un soldat et on avance dans un terrain rempli d’ennemis. On tire partout, il y a des explosions. On peut avoir des tanks, pleins d’armes et à la fin des nouveaux, on a des supers bosses. C’est amusant.

L’hôtesse nous demande de retirer nos chaussures et notre pointure.

Ma pointure… Euh… Je retire mes chaussures en réfléchissant. Comment je peux connaitre ma pointure ? Comme je le sais déjà. Je retire mes baskets et je vois l’étiquette. Mais oui, c’est écrit dessus. Je suis trop forte.

Je donne mes chaussures et ma pointure et elle m’apporte des chaussures moches. Bof, ce n’est pas grave. Nous donnons nos noms pour je ne sais quelle raison et nous dirigeons vers la piste qu’elle nous indique.

Sur l’écran, il y a mon prénom. Je le reconnais. Le deuxième doit être celui de Leonard. Je n’avais pas pensé l’écrire comme ça.

Je présume que c’est à moi de commencer. Sans plus attendre, je prends une boule et essaye de la soulever. Elle est très, très lourde. Il y a un chiffre dessus : 15. Je ne sais pas ce que ça veut. Je me dirige vers la piste et la lance. Non seulement, elle n’avance pas vite mais elle va directement dans la gouttière.

Je fronce les sourcils. Mais c’est nul. Comment tu veux lancer une boule aussi lourde ? Je jette un regard à côté et vois les gens le faire à une main. Je sais que je suis pas forte à soulever des haltères, mais tout de même, s’il faut lancer vingt kilo à chaque fois, en quoi c’est amusant ? Ma voix est agacée. J’avais envie d’essayer, j’ai essayé, maintenant je ne veux plus continuer. C’est trop nul comme jeu. J’ai l’air complètement nul.

Pendant la boule continue sa lente descente, je vais m’asseoir et croise les bras, la mine boudeuse.