Je chope la pokéball, toute enthousiaste. Mes sentiments négatifs se refoulent dans les abysses de mon esprit pour laisser exprimer ma joie. Plus tôt, la brunette s’est montrée adorable avec moi. Je l’ai bien vu chercher ses mots mais ce n’est jamais évident de consoler quelqu’un : c’est bien pour cela que je n’aime pas en parler. J’ai pas envie de mettre Astelle dans l’embarras à cause de mes états d’âme qui ne la concerne pas.

« Maintenant que l’Opération Dodoala s’est achevée, est-ce que tu veux qu’on fasse un petit jogging ? » me suggère-t-elle avec un rictus.

Je la contemple un moment avant de laisser mon cœur fondre. Ses grands yeux expriment tout ce dont j’ai besoin pour être rassurée. Astelle a sniffé la bonne odeur de sandwichs n’attendant qu’à être dévorés. Cela me ramène vite à la réalité : il est vrai qu’on est là, à la base, pour faire du sport. Je pouffe de rire en reprenant ses dires :

« T’as raison, oui j’veux qu’on fasse ce jogging. Sinon j’vais culpabiliser si j’bouffe et qu’j’me suis pas bougée le cul. »

Mon regard est beaucoup plus doux que mon énoncé. Mes pupilles brillent autant que les siennes, prêtent à lâcher les larmes. Je tends mon bras à Astelle pour la relever avant de la prendre dans mes bras, donnant tout mon peu d’amour maternel qui me reste. Je ne peux pas m’empêcher de faire la meuf, la dure, comme si de rien n’est, mais je ne supporte pas dévoiler mes vulnérabilités.

Une fois plus détendue, je m’écarte afin d'échauffer mes chevilles et gambettes.

« Évidemment, t’obliges pas à courir si tu ne veux pas ! Je fais tout le tour de la plaine et je reviens bouffer. »

Une fois le corps bien chaud, je démarre au quart de tour. Ma raison me pousse à trouver un rythme en synchronie avec ma respiration. Cette dernière est embarrassée par les crasses accumulées dans les branchies. Cela explique ma réticence au sport : j’observe une dégradation de mes capacités physiques d'années en années. Ceci dit, en les sollicitant d’avantage et en modérant le tabac, j’arriverai peut-être à retrouver un souffle adéquat. Pour l’instant, je m’épuise à la tâche en focalisant toute mon attention sur mon défaut.

Tout d’abord, je m’essaie à la respiration abdominale pour éviter à tout prix le point de côté. Le problème, c’est que j’ai débuté beaucoup trop brusquement, ne cédant aucun moment à mon corps pour respirer. À la moitié du parcours, je me retrouve toute transpirante en luttant pour ne pas abdiquer. Mes expirations sont très bruyantes et mon nez inspire de façon beaucoup trop intense. Mon cœur est prêt à exploser, sûrement le signe de devoir arrêter. C'est hors de question : j’arrive au trois quart, ce n’est pas le moment de se désister ! Je prends un nouvel élan, donnant à mes membres toute l’énergie nécessaire pour terminer la route. Ce n’est pas un footing ça : c’est une course contre le relâchement. Je n’ai même pas le temps d’admirer le paysage, trop obsédée par le mucus qui inonde ma gorge.

J’vais jamais y arriver, j’vais jamais y arriver ...

Pourtant, je rejoins le rocher où se trouve le campement. C’est pour moi un mirage dans le désert ; je me précipite vers le lieu tout en ralentissant mon allure. Je peine à le faire car je viens d’acquérir le rythme idéal pour courir. Je me stoppe un peu plus loin pour cracher mes tripes. J’ai fais un effort dont mon être n’a pas été préparé. Avec du recul, j’ai géré cela jusqu’au bout, sans renoncer.

J’arrive en traînant des pieds sur la carpette avant de m’affaler comme une baleine. Je n’ai même plus la force de sortir le repas alors je me contente d’annoncer:

« J-j’crois qu’il est temps de manger ... »

Encore deux minutes, je ferme les yeux pour récupérer. Le ventre qui gargouille va me réveiller brusquement.

Astelle eut droit à un câlin. Radieuse, elle déploya tous ses petits tentacules pour rendre à son amie une véritable étreinte de poképoulpe. Ah, euh... non, c’était Shyo qui s’invitait dans ledit câlin. Des tentacules mous pleins la figure, la jeune fille essaya malgré tout de tapoter gentiment le dos de Manon.

« Évidemment, t’obliges pas à courir si tu ne veux pas ! Je fais tout le tour de la plaine et je reviens bouffer. »
— Non-hon, je vais courir aussi, mais touuuut douuuuucement, répondit Astelle avec le sourire. D’ailleurs, Shyo va sûrement s'entraîner avec moi !

La jeune fille regarda son amie partir comme une fusée : Zouuuu !
Après avoir invitée le Poulpaf à descendre pour l’accompagner, elles entamèrent ensemble un footing léger. Avec ses petits tentacules et son corps tout mou, Shyo rebondissait plus sur le sol qu’elle ne courait. D'ailleurs, le poképoulpe ne semblait pas très à l'aise dans cet exercice. Ses membres inférieurs étaient vraiment riquiquis, et faire de grands bonds paraissait lui demander beaucoup d'efforts.
Tout en trottinant, Astelle se retourna pour l'encourager.  

— Oh ? Mais que vois-je...? Je suis poursuivie par une future championne ! Une ravissante petite poulpe d'amour et de compétition ! s'exclama la jeune fille d'une voix enjôleuse. Oh la la, si jamais elle parvient à me rattraper... je crois que je vais lui faire un si gros câlin que la trace de ses ventouses va me rester imprimée sur les joues pour toute la semaine à venir !

Il n'en fallait pas plus pour l'encourager. Plus remontée que ne saurait la motiver une foule en délire, Shyo rattrapa Astelle dans un sprint aussi fulgurant que sautillant, avant de s'imprimer de façon quasi-indélébile sur sa frimousse.



Astelle VS Shyo : Victoire du poképoulpe.

Reprenant son souffle, et ayant littéralement un poulpe en guise de visage, la jeune fille revint au camp où Mini-senpai continuait de paresser dans sa casquette.  Elle regarda autour d'elle. Où était passé l'autre pokémon de Manon, le petit Jojo ? Toujours juché sur le dos de Doduo ? Pour y voir plus clair, elle écarta délicatement un tentacule de ses yeux.

Le Doduo était…

Ah ! Juste derrière-elle. En train de l’observer de son regard fixe.
Ce qui n’était pas du tout du tout du tout effrayant…

Avec un sourire un peu figé, la jeune fille se déplaça de manière à garder le pokéoiseau dans son champ de vision. Juste au cas où. Et puis, elle vérifia où en était son amie. Dans un bel effort d’athlétisme, Manon s’élançait sur la plaine comme un Frison sauvage. En soufflant comme le pokébuffle susnommé et l’air toute dépeignée.

— Oh la la… dit doucement Astelle. Il faut y aller mollo au début…!

En plus, Manon faisait vraiment le grand-tour ! Et dire qu'elle n'était encore qu'à mi-chemin... Astelle n'osait pas imaginer dans quel état lamentable elle allait retrouver son amie après tout ça... En prévision de son retour, la jeune stagiaire sortit une serviette de son sac, et la thermos de thé aux herbes que Tata Ombline lui avait préparée.

— Tu veux faire un petit peu d’exercice, toi aussi, Mini-senpai ? demanda-t-elle à son petit dragon paresseux. ...maintenant que j’y pense, je ne suis pas sûre de t’avoir déjà vu te déplacer tout seul… je ne suis pas sûre que ça soit très bon pour ta santé…
Dans sa casquette, le Minidraco rose se tortilla avec la suffisance d’un petit Chenipote bien gras.
De cette façon un peu prétentieuse qui semblait dire : « J’te bats à la course quand tu veux, poupette. »

— Ah oui, vraiment ? Voyons ça tout de sui…
Dans un tir de lumière rouge, Mini-senpai s’arracha du sol avec sa casquette. La Draco-Rage le propulsa à travers la plaine, où il fila en rase-motte au-dessus des herbes, comme un petit skateur-à-casquette professionnel.  
— C’est de la triche, Mini-senpai ! s’exclama Astelle en lui courant derrière.

Astelle VS Mini-senpai : Victoire de la pokéfeignasse.

***

Ayant accueillie Manon avec de chaleureuses félicitations, Astelle regarda son amie s’effondrer avec un petit air de « je te l’avais bien dit... » sur le visage. S’asseyant à côté de l'arpenteuse des plaines, la jeune fille profita qu’elle se soit allongée sur la carpette pour lui tapoter délicatement le visage avec une serviette humide.

— Plus doucement la prochaine fois, d’accord ? L’important, c’est d’être régulière dans tes efforts.
Astelle dégagea doucement les cheveux humides de transpiration du front de son amie, et y installa la serviette fraîche. Après quoi, elle laissa Manon se reposer un peu.

Le poképoulpe toujours sur la tête, la jeune fille regarda la sportive s'endormir en souriant.
Elle paraissait plus calme, maintenant. Et pas juste parce qu'elle s'était évanouie. Astelle n'était la sûre de ce qui s'était passé, mais Manon avait un air un petit peu plus serein depuis tout à l'heure. Elle lui toucha délicatement le bout du nez.
C'était comme ça qu'elle préférait la voir. Sereine. Pas évanouie, évidemment !

A son réveil, Manon se retrouva nez-à-nez avec une Astelle assise à la mode de Hoenn : sur ses talons, avec quelque chose dans sa posture qui lui conférait comme une petite touche d'élégance humble, pour gentiment servir un gobelet de thé aux herbes à son amie.
— C’est une infusion de Tata Ombline, avec pleins d’herbes aux noms biscornus dedans. Et encore plus de miel d’Apitrini, parce que sinon, elle sait que je n’en bois pas !

Et maintenant, c’était l’heure des sandwiches.
— Et maintenant, où qui sont les sandwiches ? chuchota la petite postière d'une voix pressante.

La première chose que je vois à mon réveil, c’est la bouille baveuse de Shyo. Cette dernière me fait des gros poutous sur les joues avec un air taquin. Encore un peu sonnée, je relève le dos avant de poser ma main sur la tête du poulpe.

« hmM.. Désolée d’pas t’avoir amené Shyo ... »

Soudain, une petite serviette humide tombe sur mes cuisses. Je la reprends, sans trop me poser de question. Je me frotte l’œil en zieutant le pokémon. Shyo est là, toute suintante et joyeuse. Celle-ci se rapproche d’Astelle comme pour mener mon attention sur la jeune fille.

« C’est une infusion de Tata Ombline, avec pleins d’herbes aux noms biscornus dedans. »

J’étire mes membres comme pour m’oxygéner l’esprit. Si je suis bien, je me suis endormie, on m’a posé un petit chiffon sur le front – qui m’a d’ailleurs bien rafraîchit – et on m’accueille avec une tisane toute chaude. Mon visage s’illumine d’un grand sourire et je remercie Astelle en tripotant gentiment sa pommette.

« T’es trop mignooonne ! J’te prends ça avec plaisir. »

Il ne me tarde d’apaiser mon corps en buvant ces herbes bienfaisantes. Je reproduis la même posture que mon amie puis je dérobe la tasse de ses mains. Après quelques gorgées, je lâche un soupir d’aise.

« Elle est super l’infusion de ta Tata ! J’aimerais bien savoir quelle plante elle utilise. Après le sport ça fait du bien ! »

Je finis par changer de position, optant pour me poser sur les fesses, les jambes arqués. Ma copine me rappelle miraculeusement les sandwichs.

« Ah, les sandwichs ! »

Au même moment, mon estomac grogne me faisant pouffer de rire.

« Tu fais bien d’me l’rappeler, mon estomac a faim aussi ! »

Je dégote de mon sac les St Graal. Rien qu’en sentant l’odeur de pain et de crudités, j’ai les babines qui salivent. Ce n’est pas tout : j’ai recopié à la lettre les salades concoctés par ma sœur et j’en ai répliqué une d’entre elles. J’ai déjà mangé le repas-test donc ces barquettes devraient être comestibles. En dessert, j’ai opté pour des barrettes à la baie Chocco fourrés au caramel. J’espère que ma pote aime ça.

En lui détaillant tout le menu, je me jette sur mon pain. Mon énergie revient avec une dose d’endorphine me shootant l’esprit. J’ai nié à quel point c’est délicieux de se nourrir après un effort physique. Ceci dit, j’ai poussé le bouchon un peu trop loin, j’aurai pu éviter la syncope en tirant moins sur la corde.

« J’aurai peut-être pas dû aller aussi vite mais au moins, je me sens bien plus sereine ! », je fais part de mes commentaires à Astelle en vidant la bouteille d’eau.

Je n’ai d’ailleurs pas manqué à mon devoir de dresseuse : même s’ils ont rien branlés, j’alimente généreusement mes deux pokémons qui sont aux anges. Je me demande si l’odeur de bouffe ne va pas ranimer le Doduo ; je garde à œil sur celui-ci, trop fascinée par son côté nain de jardin.

« Au fait, vous avez couru aussi ? Pauvre Shyo, je lui avais promis une séance de sport intense et je les laisser sur le banc de touche ... »

Je mire un instant la concernée avant d’enchérir.

« Mais elle a l’air super contente et prendre du bon temps avec toi, je doute qu’elle s’est ennuyée ! Raconte moi, qu’est-ce que vous avez fait ? »

Je plante mes yeux bruns dans ceux de mon amie en ouvrant la boîte à salade. J’en profite pour lui faire part des ingrédients de l’entrée en espérant la convaincre d’y goûter. C’est vraiment très rare que je mets autant de peine à assembler les mets et les lier d’une super bonne sauce, j’espère qu’Astelle le remarquera.

Astelle respirait le bonheur.
Chaque geste de son amie, chaque petite attention la faisait doucement rosir de plaisir.
Se réchauffant les mains contre son gobelet d’infusion, la jeune fille répondit comme si les mots cherchaient à se précipiter hors de sa bouche, dans une petite inondation joyeuse.
— On a fait la course ! …et j’ai perdu les trois fois.
Contre Shyo, qui a tout donné. Tu peux être fière de ta petite championne ! Je l’aime !
Contre Mini-senpai, qui a triché. Ce gros paresseux. Il devrait commencer à s’inquiéter de sa ligne !
Et contre le Doduo aussi, je crois… même si je ne sais pas si ça compte. Je ne l’ai jamais vu courir, puisqu’il a tendance à se téléporter dans mon dos…

Elle accepta une fourchette, et ne se fit pas prier à attaquer la salade. En vraie petite herbivore.
Bientôt, ses joues furent toutes pleines de baies et de crudité, et elle retourna à son amie un sourire gourmand.

— C’est vraiment bon !
Ou plutôt… comme ils disent à la télé :

« Le croquant de la salade est mis en valeur par le mariage harmonieux des textures, liées ensemble par la sauce aux arômes subtils de yaourt et de ciboulette, le tout se mélange dans la bouche pour une explosion de saveurs ! »

...

Astelle rabaissa doucement la fourchette dont elle s'était servie pour illustrer son propos.
Le temps que Manon encaisse le choc de l'avoir vue se lancer dans un commentaire gourmet de présentateur télé, elle s'empara discrètement des sandwiches aux crudités, pour les partager avec le Minidraco et le Doduo. La jeune fille dissimulait son visage sous sa frange, la tête baissée, et les joues aussi rouges que les baies Tamato qui décoraient le plat de salade.

Elle s'était laissée aller.
Un petit peu plus que d'habitude, cette fois.

Grignotant son sandwich comme un petit animal, elle jeta furtivement à Manon un regard par en-dessous. Un petit peu anxieuse, comme un coordinateur pokémon attendrait la note du jury après sa prestation.
Ses lèvres s'ourlèrent d'un petit sourire timide, qui semblait presque demander...
"Permission d'être bizarre, chef ?"

Le récit d'Astelle m'a bien fait rigoler. Je regarde ma petite Shyo, heureuse de gloutonner.

En dévorant mon sandwich, j'écoute attentivement les compliments sur mon déjeuner. J'ai l'impression de me retrouver à Top Chef et d'avoir réussi l'épreuve. J'incline mon dos comme pour faire une révérence avant de ricaner.

« Merci pour toutes ses belles paroles ! »

La moue de ma copine traduit son appréhension. J'affiche un plus grand sourire que le sien avant d’ébouriffer ses cheveux.

« M'fais pas cette tête, t'es marrante ! Je suis contente que ma bouffe te fasse de l'effet ! »

Je recoiffe prestement sa tignasse avant de brouter ma salade comme une Écrémeuh.

« Ch'viens de loin pourtant. Chui pas du tout doué en cuisine ! J'me demande même chi ma mère a déchà cuichiné. » énonce-je la bouche pleine.

L'après-midi défile vite quand je conte mes péripéties culinaires à mon amie. Ceci dit, la digestion et la fatigue nous invite à siester sur la carpette. Je m'étale sur le tapis, bercée par les nuages. Cette sensation de bien-être est bien supérieure aux effets de la nicotine sur mon corps. J'ai l'impression d'avoir prit soin de moi et je n'ai plus à culpabiliser de manger des chips avant d'aller me coucher.

Lorsque le soleil s'allonge sur la plaine, c'est qu'il est l'heure de décamper. Je sais pas depuis combien de temps j'ai pioncé, je suis surprise de revoir le paysage tout orangé. Shyo se repose au creux du bras d'Astelle et Jojo picore continuellement l'oiseau qui nous lâche pas des yeux. Un frisson d'effroi traverse mon échine : depuis quand il nous matte comme ça ? Est-ce qu'il nous a observé dans notre sommeil ? Le petit singe, me voyant levée, saute sur moi comme pour m’accueillir. Il a du se sentir seul avec ce piaf muet.

J'interpelle la brunette pour signaler mon départ. Je pense qu'elle aussi elle doit se rentrer et je ne voudrais pas qu'elle tombe sur quelqu'un de malintentionné en chemin. Je l'accompagne donc un bout de route avant de se séparer. Je me hâte de retrouver ma couette bien chaude et moelleuse qui me transportera au pays des rêves.