Nouveau regard à l’écran pixelisé, tu fronces les sourcils. T’es pas convaincu de la pertinence -ou du bienfondé- de cette rencontre, mais soit.
Autour de toi, ton flambino, Drum, saute partout, essaie de faire des pirouettes mais se ramasse la gueule, se relève et continue. Il est aussi increvable que motivé, t’as aucun doute quant au fait qu’il devrait pouvoir te suivre in fine. Mais là n’est pas la question -ou si, en fait.
T’inquiète Drum, dès qu’elle arrive tu pourras t’défouler un peu.
Encore un regard sur l’écran pixelisé. Ce n’est pas qu’elle soit forcément en retard, c’est plus que t’es pas certain d’être au bon endroit. Elle t’a parlé d’un café, mais même si t’es posté devant, t’as un doute. Il y en avait deux qui pouvaient correspondre à « L’alternative » ; déjà, « L’alternative Coffee », ensuite, « L’alternatif ». Soit elle parlait du premier, soit elle s’était trompée sur l’accord pour le second.
Dans le doute, t’étais parti sur le premier. Avant de te dire que plutôt que douter, t’aurais peut-être, éventuellement, puis lui demander de préciser. Mais le faire maintenant -sachant que t’étais allé vérifier le lieu de rendez-vous seulement quelques heures plus tôt, alors que vous en aviez parlé la veille-, ça te paraissait quand même vachement nul.
Presque autant que de potentiellement te tromper d’endroit.
Tu tapes du pied, t’adosses au mur et regardes autour de toi. Puis, impatience coulant dans tes veines, tu sors encore et toujours ton téléphone pour ressortir votre conversation de la veille.
Kisara Amasis.
Son nom t’était vaguement familier, comme une image lointaine et déformée, un assemblage de sons qui t’était très lointain mais pas totalement inconnu. Alors, curieux, t’étais allé checker ce nom sur internet ; il en ressortait qu’elle était issue du même monde que toi. Peut-être ton père, ta mère, Séréna même, avaient évoqué pareil nom.
Au pire, tu t’en foutais complet.
Mais sachant cela, et avec en tête son instagram, tu t’attends à une princesse de type Séréna.
Ce qui n’est pas un mal dans ton esprit, en soi ; si elle est comme Séréna, alors tu devrais passer un moment sympa. Si elle est comme les autres gamines de ton milieu, t’auras envie de l’étriper donc tu t’en iras sans délicatesse aucune.
Et ton père sera heureux.
(Non)
En temps normal, tu serais un poil inquiet ; d’ailleurs, tu devrais l’être. L’idée en venant à Lumiris, c’est pas de refaire les mêmes conneries qu’à Galar -alors pourquoi tu t’en moques ? Pourquoi tu ne ressens aucune inquiétude, juste une vague indifférence ? T’es même pas fondamentalement excité à l’idée de la rencontrer -comme tous ses fans devraient l’être, au vu de la horde de commentaires et d’abonnés qu’elle comptabilise sur chacune de ses publications, même les plus triviales.
En fait, le problème, c’est que t’as un cliché bien encré dans le crâne. Celui d’une mannequin qui n’a rien à faire dans les rues, sur les toits, dans le monde sauvage de l’urbanisation. Celui d’une fille fragile, joliment maquillée, joliment habillée et joliment creuse. Celui d’une princesse bien loin des cités et de la poussière, qui vit d’or et d’adoration.
Pas le genre à se salir ou se casser un ongle, donc.
Pas le genre que tu devrais pouvoir supporter, en somme. Mais il y a Séréna, et Séréna est un peu comme ça (au moins en apparence) ; alors t’es là, à voir les choses du bon côté. Au pire, tu la laisseras en plan, au mieux, elle sera du côté Séréna de la force. (Et en vrai, t’es extrêmement loin de la réalité.)
Et puis des talons qui claquent, une tête blanche qui s’arrête à ton niveau, ton regard qui va du téléphone à ses yeux d’un bleu limpide -elle a des yeux magnifiques- et sa mine renfrognée pendant un instant.
Ah, tu t’étais trompé de café, finalement ?
Oops ?
… Vraiment Allen ? C’est vraiment tout ce qui te vient en premier ?
J’me suis planté d’café hein ? … désolé.
Tu ranges rapidement ton téléphone tandis que Drum vient se positionner tout droit à ta gauche, comme également pris en faute. Tu te racles la gorge et ramènes les épaules en arrière, te sens petit sous son regard d’azur, comme si cette poupée de porcelaine était un tant soit peu intimidante.
Pour toi, elle l’est.
Un peu.
Kisara Amasis, donc. Enchanté, Allen Blackburn-Jagger. Tu… veux qu’on y aille direct, ou on se pose cinq minutes ? J’suis pas convaincu convaincu, en fait.
Tu le lui as déjà dit, d’ailleurs, mais qu’importe. Elle a l’air sacrément têtue également. Si pour elle, ce genre de spot dangereux est bon pour des shooting photos… (et bien certes, mais non.)

Elle était plus petite que toi -et notons que tu n’es pas des plus grands-, menue, mais élancée et tout dans sa posture dégageait une impression royale.
Royale, c’est précisément le terme qui correspondait le plus à la poupée qui venait se planter devant toi. Elle était charismatique à n’en point douter sur ses photos, mais tu ne prêtes guère attention à ces choses-là ; photoshop passe souvent par là, et quelque chose de figé est toujours plus aisé à truquer. Toi, t’es pas dans les apparences ; le toc, les jolies images, ça ne t’atteint pas. Toi, t’as besoin de sensations, du toucher, de sentir que la personne existe, de la voir réelle, son teint rosé, ses yeux criants de tangibilité -en fait, elle te semble juste réelle.
D’aucuns se seraient émerveillés sur sa beauté irréelle, mais toi pas. Toi, tu ne réfléchis pas outre mesure à sa plastique, t’es juste content de voir qu’elle existe. Pas que tu en aies douté ; mais ces filles-là semblent appartenir à une autre planète (alors qu’elles sont issues du même milieu que toi), nager entre les nuages d’un monde idyllique dans lequel le commun des mortels n’aurait pas même la place d’y mettre un orteil ou d’y lancer une œillade. T’es juste rassuré d’avoir la sensation qu’elle vit sur le même plan de l’univers que toi, même pour cinq minutes.
Tu n’aurais pas supporté une conversation de plus de cinq minutes, justement, si tel n’avait pas été le cas.
Pour autant, elle t’impressionne. Surement dans le mannequinat faut-il être forte, puissante et oui, impressionnante ; sûrement aurais-tu dû t’en rendre compte en connaissant Séréna depuis si longtemps. Mais elle est justement ton seul et unique exemple, et tu ne trouves rien d’excessivement impressionnant chez Séréna -ou autant qu’on peut se sentir impressionné par une grande sœur quand elle va vous niquer la gueule après une énorme connerie, t’en sais trop rien, t’as pas de grande sœur. Tout ça pour dire que sur le coup, oui, Kisara Amasis t’intimide presque.
Presque.
Trompé de café ? Non, ne t'en fais pas. Je suis toujours sceptique lorsque je rencontre quelqu'un, il y a pas mal de catfish dans ce monde, malheureusement. Enfin... bref.
Tu… réalises lentement, et tes épaules se détendent immédiatement l’information transmise au reste de ton système nerveux. Donc plus méfiante que sceptique, c’est ça ? Oh ! OK ! T’as aucun mal à le comprendre (enfin si vu que t’as la méfiance d’un bambin qui vient de naître un peu), donc ça te laisse assez imperméable. T’affiches juste un sourire chaleureux, déjà ravi de ne pas être source d’une quelconque mauvaise humeur ou responsable d’une quelconque connerie. (Agréable sentiment…)
Pour autant, tu sens un silence s’installer et te contentes de… te perdre tout seul dans ta tête. Donc le silence, tu ne l’entends même pas.
Tes pensées, globalement, ressemblent à quelque chose comme « cool, j’ai pas fait de connerie ! bonne nouvelle ! – parce que justement, parlant de connerie, j’aimerais pas me remanger une Shirley. Si elle avait pu foutre le feu à l’appart de maman pour se venger, elle l’aurait fait. En même temps, c’était son problème si elle était susceptible aussi. Puis – parlant de susceptibilité, toutes les petites princesses le sont terriblement, comme Allison -oh Allison, et puis sa cousine, là, qui piaillaient à longueur de journée et » Et ça ne s’arrêtait jamais.
T’avais pas encore -ni tes parents ni tes profs, d’ailleurs- trouvé le bouton off. Ou même une option « slow motion », qui aurait été une alternative tout aussi utile. Mais non. T’en es absolument dépourvu, donc de Kisara Amasis, te voilà à Galar, et le retour à Lumiris te fait légèrement claquer des dents dans ton sursaut.
Légèrement, tu commences à être habitué.
Tu baisses les yeux sur des rubans qui sont en train de s’entourer autour de tes bras et ton regard rejoint la créature qui est joyeusement prête à te saucissonner. Ok, peut-être pas, mais on saisit l’idée. Tu lui souris en retour, sans t’en dégager ou broncher (t’es capable de cette patience qu’avec les pokémons ou presque, et à court terme).
On dirait qu'elle t'aime bien.
Tu lèves le regard vers sa dresseuse et lui offres un nouveau rire chaleureux, tandis que la nymphali te libères -si tu puis dire, tu aurais pu t’en libérer aisément dans tous les cas.
Elle est super mignonne. Et elle va bien avec sa dresseuse.
C’était pas de la drague, précisons-le. Le monde vaste de la séduction est parallèle à celui dans lequel tu évolues. Pour toi, c’est juste un fait, un fait objectif. Mais après tout, l’on devait souvent lui faire la cours, l’erreur serait compréhensible.
On peut rester quelques minutes, j'ai envie d'un café.
Tu lances un regard au comptoir avant de le lui reporter et hoches la tête ; chez toi, un café ce serait juste la fin du monde, donc tu vas pencher pour un chocolat chaud.
Sinon, elle va découvrir les portes de l’enfer, et ce n’est vraiment pas le but.
Tu la suis donc sans rien ajouter -c’est pas vraiment nécessaire- et commandes rapidement un chocolat chaud. Ta boisson étant commandée après celle de ta partenaire de la journée, elle arrive un peu après et -et cette attente est interminable. Tu souffles sur une mèche de cheveux qui te barre légèrement la vue (faudrait que t’ailles chez le coiffeur prochainement), t’appuies sur le comptoir et te mets à taper un rythme du bout des doigts. Une oreille attentive reconnaîtrait d’ailleurs la BO d’un film à gros budget sorti récemment, dont l’acteur principal, en sus, était souvent cité sur sa chaîne pokétube. Cela traduisait d’une autre impatience que tu ne pouvais de toute façon pas encore nommer ou prononcer -sauf que dans ton calvaire, tu laissais parfois s’échapper des indices subtiles (ou non) de ce genre. Et puis après ce petit (easter egg) morceau improvisé, tu te mets à jouer avec un petit sachet de sucre en papier (avec lequel tu repartiras, donc)(t’aimes sucrer tes boissons), puis une cuillère puis, enfin, avant que tu ne t’attaques aux prospectus placés à côté, ta boisson arrive.
On va dire qu’elle ne t’a pas déjà trouvé, au mieux bizarre, au pire insupportable. (Au pire justement, ça te libérera du temps)
Vous allez donc enfin vous installer, elle attendant un peu que ça refroidisse, toi vidant déjà ton sucre dans ton chocolat (ouais, sans même goûter. T’aimes le sucre.)
Du coup, Allen. Tu lèves la tête pour la regarder dans les yeux en l’écoutant. C'est la première fois que je rencontre un amateur de parkour, je t'avoue. Je ne m'y connais pas vraiment, pour être honnête. Mais comme je t'ai dit, j'ai souvent voulu faire un shooting photo dans un endroit un peu insolite, et en hauteur. Enfin... c'est plutôt ma photographe personnelle qui m'en a parlé, mais ça peut être amusant.
« Photographe personnelle », ça a le don de te faire très légèrement reculer dans ton siège. Ce genre de choses te rappellent qu’elle n’est pas une amateure qui se trouve jolie et s’affiche à l’occasion ; c’est son job, elle est connue et peut se targuer -innocemment, sans prétention- avoir des personnes à son service à elle. Tu la fixes sans rien dire dans un premier temps, sourcils froncés et lèvres scellées, dans une sorte de mine concentrée. Qu’elle n’y connaisse rien au parkour ne t’étonnes pas des masses, c’est pas forcément ultra connu et tout le monde ne s’y intéresse pas de toute façon. Et cela ne t’étonne d’autant pas qu’elle ressemble à une princesse. Pour de l’insolite, elle en aurait en quelque sorte, oui ; mais c’était pas trop dangereux juste pour de l’insolite ?
Quant au dernier argument…
Lui, tu l’entends totalement.
Hmmm... mais je suis un peu impolie, je crois. Tu n'as pas eu trop de mal à trouver le café, au moins ?
Nope t’inquiète.
A ton tour, tu bois une gorgée de ton chocolat chaud, avant de capter du coin de l’œil que Drum en en train d’enchaîner sa troisième roulade. Oops.
J’suis arrivé à Lumiris y a pas longtemps, j’aurais dû te demander plus de renseignements plutôt que d’attendre que tu m’en files si j’avais un souci. Y a pas d’problème. T’es d’ailleurs passablement soulagé qu’il n’y en ait pas eu. Mais du coup j’l’ai trouvé facilement en fait. Tu savais qu’il existait un « Alternatif » ? J’ai cru que j’m’étais planté et que tu m’avais attendu dans l’autre, pour ça que j’ai mal interprété ton expression. My bad. Désolé haha. T’enchaînes sans vraiment lui laisser le temps d’en caser une, puis tu retournes pour une gorgée ou deux à ta boisson. Ça brûle un peu, mais c’est pas désagréable, t’aimes bien cette sensation de chaleur -surtout en plein hiver. A Galar, les températures sont parfois… plus impressionnantes qu’à Lumiris, disons. Ecoute, pour le parkour… Tu soupires. Disons que j’suis open pour te montrer des trucs, t’en expliquer d’autres. Ça peut être marrant alors ouais pourquoi pas. Mais ça peut être vachement dangereux, et faut être pas mal sportif, agile et surtout, entraîné. Le prends pas mal hein, mais voilà, juste une histoire de sécurité. J’ai pas trop envie qu’une superstar glisse du toit à côté de moi et que, sachant pas voler, j’arrive pas à la rattraper et donc, éventuellement, que sa communauté dans sa globalité cherche ensuite mon adresse pour adresser son… mécontentement. Une sacrée tirade. Une sacrée tirade que tu ponctues même d’un sourire pour lui montrer qu’elle n’a pas à mal le prendre et que tu la charries -mais que sur le fond, t’es sérieux. Risquer ta vie, pas de souci. Mais t’aimes pas l’idée d’être responsable, même un peu, de la sienne. Être responsable de la vie de quelqu’un d’autre, c’est terrifiant. Du coup ouais… C’est comme tu l’sens, mais faudrait qu’on parle de tes attentes avant, et qu’on voit pour un spot insolite mais sans risque. Pour toi et ta… « photographe perso » du coup, c’ça ? Tu sais pas combien de personnes sont nécessaires pour un shooting photo. T’es même pas capable de te poser la question.
Et Drum vient de foncer dans la vitrine du café.
Par chance, tu n’es pas en train de boire, donc tu écarquilles juste les yeux avant de t’excuser vivement auprès de ta vis-à-vis, aller récupérer le pokémon (en t’excusant aux gens autour) et revenir t’installer, le lapin calé sur tes genoux. Hum… Dans un autre registre. Vu que t’as plusieurs poké’ avec toi, c’est que tu dois un peu t’y connaître pas vrai ? T’as euh, une recette miracle concernant les piles électriques ? La réponse de ta mère à ce sujet : « j’ai jamais réussi à te gérer toi, on appelle ça le karma. » Sympa la maman, merci.