les allées des matins d'été ▬ flora&damien.

Rhapsodie sur les talons – comme toujours. Les rues sont encore paisibles – bruyantes et animées comme une matinée placide de mi-printemps bourgeonnant. Le soleil, timide mais chaleureux, pousse les gens hors de chez eux ou sur leurs balcons – mais la rumeur de la capitale est encore tranquille, comme toujours un peu ensommeillée d'un hiver trop long mais qui me manque déjà, quoique j'apprécie la sérénité des allées les matins d'été. J'inspire et ça sent le soleil, le sucre et les fleurs – des collégiennes installées sur un muret bavardent au dessus de leurs téléphones, des couples flânent devant les vitrines des boutiques, des gamins courent un peu plus en avant de leurs parents en imitant des bruits d'avion.

J'en oublierais presque, alors que l'atmosphère murmure vacances, que mes examens ne sont plus très loin – et après, le grand vide, une angoisse sourde et muette, des points d'interrogation soigneusement alignés au fil de mes remises en question.
Qu'est-ce que je vais faire, après ?

Je fais défiler ma playlist dans mes oreilles, cherche quelque chose d'un peu plus rock et qui laissera moins de place à la mélancolie – satisfait de la sélection je relève la tête et me coule dans les rues, mains enfoncées dans les poches de mon sweatshirt (sombre mais fin ; ils annoncent des températures qui grimpent aux alentours de midi, j'avais pas franchement envie de cuire). Faudrait que je trouve un cadeau pour maman, un autre pour Victoria – la fête des mères et l'anniversaire de ma sœur bien trop proches l'un de l'autre pour pouvoir souffler (ou faire des économies) mais on s'y fait (on s'y prend au dernier moment).

Quand je bascule mon regard d'une vitrine à la rue, mes prunelles accrochent une silhouette qu'elles reconnaissent comme familière – il me faut quatre secondes pour vraiment réaliser, trois de plus pour me saisir de mon téléphone et trouver le contact
(pas bien difficile puisqu'il s'agit du premier dans les derniers messages envoyés).

retourne-toi ;D

J'appuie sur envoyer, relève la tête et me pare de mon plus beau sourire – et c'est étrangement facile quand il s'agit d'elle, de Flora Clifford ;
(comme si sa présence replaçait un truc dans mes rouages abîmés).

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Je baisse les yeux sur l'écran de mon téléphone quand je l'entends vibrer, retire mes écouteurs en les relevant sur Flora qui s'est enfin retournée. Rictus léger face à sa surprise et son malaise – quoique ce soit le même genre de gêne qui me bouscule j'ai l'art de faire semblant (brièvement) que je suis à mon aise dans cette situation.
Je réponds à sa bise en enroulant le fil de mes écouteurs autour de mon portable que je range dans ma poche, secoue la tête lentement – soupire, comme déjà las.

Je cherche des cadeaux... pour ma mère et ma sœur.

Grimace fugace comme pour signifier que ce n'est pas une mince affaire – quoique maman soit une femme simple qu'un bouquet de pâquerettes ou un sachet de thé ravirait.

C'est le fameux Flabébé ? je demande en désignant la fleur fragile installée sur sa tête – avant de m'adresser directement à elle. Coucou toi, c'est quoi ton joli nom ?

Rhapsodie se glisse contre mon mollet en reniflant Flora de loin – sans doute qu'il se souvient d'elle mais, comme nous ne nous sommes pas revus depuis le tournoi, difficile pour lui de se faire une opinion.
Bah, il s'y fera bien...

Et toi alors ? Pourquoi tu traînes si tôt dans les rues ?

J'espère que tu n'es pas pressée, diraient mes yeux s'ils pouvaient parler ;
j'espère que tu pourras rester, murmureraient-ils quand moi je n'ose pas
dire tu m'as manquée.

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Elle est mignonne, la Flabébé – et plutôt bien assortie à sa dresseuse.
Je me mords la lèvre en réalisant ma pensée et toutes celles qui en découlent – qu'elle aussi elle est mignonne, craquante dans ses hésitations qui transparaissent plus qu'elle ne le voudrait (j'imagine) et dans sa façon d'être,
ça se résume à ça et on me demanderait pourquoi la présence de Flora m'est plus agréable que d'autres et je répondrai pour tout, pour son sourire son rire son entrain ses yeux sa façon de replacer ses mèches derrière son oreille ses regards qui fuient puis qui reviennent et le cœur qu'elle met dans tout ce qu'elle dit, fait et entreprend (et son talent pour transmettre autant de choses en nombre limité de caractères dans un SMS qu'elle le fait de vive voix en face de moi).

Faire les mag...

Oh.

J'aurais pas osé te proposer.

J'aurais eu peur de déranger – peur qu'elle ait mieux à faire, quelqu'un à retrouver, au final je sais pas bien. Si on a parlé de tout et de rien y'a bien eu des sujets soigneusement évités, les questions trop téléphonées que même par écran interposés je n'ai pas l'assurance de poser – du genre de t'as quelqu'un ?
Peut-être parce que ç'aurait été admettre un peu plus que ce que je veux bien m'avouer – elle est belle, intelligente, passionnante et passionnée, c'est différent d'avec d'autres nanas, une étincelle qu'il n'y a pas au quotidien,
mais qu'est-ce que ça veut dire au fond ?
À partir de quel moment c'est acceptable de songer à elle comme autre chose qu'une amie ?

Va pour le Starbucks, j'acquiesce en bouclant mes pensées loin – très loin. Je vendrais même Rhapsodie pour un chocolat caramel.

L'Evoli lève les yeux vers moi et agite ses oreilles – comme s'il avait compris que je parlais de lui. Il s'écarte enfin un peu de moi, l'air d'avoir compris qu'il n'y avait aucune menace dans la présence de Flora et de son Flabébé.

Mais c'est moi qui invite.

Pas discutable – je la dépasse et prends la direction du Starbucks la plus proche, pour bel et bien clore le débat avant même qu'il s'entame, lui adresse un sourire qui en dit déjà long.
Et puis, le retour au sérieux – rien qu'un peu, tout juste ce qu'il faut pour aborder les sujets qui le demandent.

Ça va mieux, ta cheville ?

L'inquiétude pas feinte – comme de crainte qu'elle ne tienne pas le rythme. Ces douleurs-là, et j'en sais quelque chose, tendent à se réveiller quand bon leur chante, des années après avoir été supposément soignées.

S'il y a quoique ce soit tu me dis, hein ?

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Elle va mieux – elle va bien.
C'est tout ce qui importe – tout ce que je retiens.
Loin d'elle pendant sa convalescence j'ai quand même taché de la distraire dans nos échanges de pixels – tenté d'être là sans vraiment pouvoir l'être – en essayant d'ignorer qu'il y avait peut-être une ombre qui lisait par dessus son épaule. Je ne sais pas bien ce que je me suis imaginé, quand elle m'a parlé de celui qui la soignait – et dont j'ai déjà oublié le nom, soit dit en passant. Un peu tout, un peu rien – mille trucs à la fois et qui tordaient parfois quelque chose à l'intérieur, pas loin du ventre ou du cœur.
Jalousie tamisée mais crépitante entre les côtes.

Tant mieux, alors.

Je me suis fait du souci, tu sais – les mots ne filent pas, à la place rien qu'un sourire un peu plus appuyé.

D'ailleurs ! J'ai pas eu l'occasion de te le dire en face du coup, mais félicitations pour ton ruban ! Enfin, demi-ruban, mais c'est pareil. J'aurais adoré te voir sur scène...

Tu devais être magnifique – je lui tiens la porte pour la laisser entrer à l'intérieur du Starbucks, plutôt tranquille lui aussi. Les conversations sont basses et diffuses, on entend les cuillères qui heurtent les assiettes et les percolateurs qui ronronnent – mes yeux glissent sur les cartes au dessus des étagères et, finalement, je songe brusquement que ce n'est plus pour un chocolat caramel que je viendrais Rhapsodie.
Plutôt leur frappé au jus de baie Mago.

Je me glisse dans la file – il n'y a qu'un jeune couple et un groupe de trois étudiants devant nous (les plus bruyants du Starbucks, sans doute, heureusement ils commandent à emporter et je suis presque certain de n'être pas le seul soulagé) – et me tourne vers Flora en glissant mon sac sur mon épaule pour en tirer mon portefeuilles.

C'est quel dôme le prochain ? Tu sais déjà quel ruban tu veux ?

Je voudrais qu'elle parle toute sa vie de concours – parce qu'il y a quelque chose qui brille dans ses yeux quand elle s'emballe sur le sujet, l'éclat singulier de ceux qui ont quelque chose pour trembler,
quelque chose pour rêver.

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Je passe commande à mon tour, tends les billets à la caissière et récupère ma monnaie avant d'observer autour de nous – je désigne une table proche de la vitrine, avec vue sur la rue, près d'une étagère qui expose des sachets de thé odorants.
Je profite du déplacement pour regarder ailleurs tandis qu'elle termine sur des mots qui frappent un peu trop près du cœur – je me mords la lèvre et dissimule mal ma gêne. Deux fois en moins de trois minutes – et je ne sais pas bien ce que je suis censé répondre, comment rétorquer, qu'est-ce qu'elle attend ;
la vérité, Flora, c'est que j'ai jamais donné de courage à personne, moi,
et que je ne suis pas certain de savoir comment faire.

Perché sur le tabouret j'ouvre la bouche, la referme, tergiverse – l'hésitation dure tout juste trois secondes mais j'ai l'impression que c'est une éternité.

J'suis pas très concours, mais... Enfin, j'ai décroché la troisième place de leur concours à Windoria, là, je sais toujours pas comment ni pourquoi, d'ailleurs, mais... Tu pourrais presque me donner envie de m'y mettre, juste pour pouvoir me vanter d'avoir le ruban de ton dôme à toi.

Toi parmi tous les autres,
toi et toi seule.

Je serai là pour t'encourager. De A à Z. Bientôt on n'entendra plus parler que de la merveilleuse coordinatrice que tu vas devenir.

Elle ira loin – j'en suis certain. Parce qu'elle a déjà accompli tant de choses – bien plus que beaucoup d'autres à nos âges. La passion suffit à tout dépasser – les épreuves, les difficultés, les coups du sort. Quand on aime on s'en moque, quand on aime on s'en tire – on devient capable de tout.
Elle est capable de tout.

Et je veux être aux premières loges.

De tes victoires, de tes défaites ;
ça m'est égal,
partout où tu voudras de moi.

Mes yeux plongés dans les siens – je ne remarque même pas avec quelle intensité je la fixe tandis que je parle ; que je ne me dérobe même pas malgré mes mots qui en disent trop, étalent un peu trop mes états d'âmes. Je ne réalise que lorsqu'on appelle nos noms et que le charme est rompu – j'inspire comme si je sortais d'une apnée trop longue, détourne le regard et me lève.

Bouge pas, j'y vais.

Je ramène nos boissons, pose le thé devant elle et me réinstalle – de nouveau les prunelles fuyantes et la rue est fascinante.

... Une idée de quelles boutiques visiter, après ?

Terrain bien moins glissant
que le dédale des sentiments.

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Je ris doucement avant d'avaler une gorgée de ma boisson – et sa fraîcheur me fait du bien, tant pour parer aux températures grimpantes de la journée qui s'annonce que pour apaiser les idées qui tournent en boucle dans ma tête sans que je sache trop leur donner sens. Il y a quelque chose entre nous qui me dérange, un sentiment étrange et des hésitations qui bousculent nos élans – je pèse tous mes mots alors que d'habitude ils m'importent peu, mais avec elle j'y songe et les agence un peu mieux pour qu'ils soient doux mais n'en disent pas trop et je me demande,
en dire trop de quoi ?

Ils l'avaient dit pourtant, à la météo.

Fais semblant de ne rien comprendre, vas-y ; je détourne le regard mais mes joues et ma nuque me brûlent alors je descends quelques gorgées de chocolat jusqu'au brain freeze qui ne suffit pas à m'anesthésier.
Je me redresse d'un rien, saisit le col de mon sweat et l'agite dans l'espoir de faire passer un peu d'air entre mon t-shirt et ma peau – peu serein à l'idée d'ôter mon pull et d'ainsi dévoiler mes bras, qu'importent tous les bracelets qui dissimulent les ravages de mes poignets.

Tant que tu ne me fais pas porter tous tes sacs entre deux défilés dans les rayons, moi ça me va.

Mon regard frôle son visage et s'y attarde un peu – détaille la façon dont une de ses mèches s'échappe de ses épaules pour frôler ses cils, les tâches de rousseur discrètes éparpillées sur ses pommettes et qui la rajeunissent d'un rien, lui donnent l'air plus douce encore – puis je baisse les yeux sur Rhapsodie assoupi à mes pieds, comme si de rien n'était.
Comme si chaque eye contact prolongé ne me faisait pas chavirer.

Mais du coup... Puisque trouver un crop-top vient de passer numéro un sur la liste des priorités, je te propose qu'on y aille tout de suite en terminant de boire sur la route !

Comme pour ponctuer je me lève, récupère mon sac à mes pieds et le bazarde sur mon épaule, avant de tendre mon bras libre à Flora, sourire aux lèvres.

Si mademoiselle veut bien.

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On déambule dans la rue et il y a quelque chose de simple et d'évident dans ce tableau, quand nos pas épousent la même cadence et que sa tête repose brièvement sur mon épaule – et je me demande de quoi on a l'air vus de loin, si on ressemble à ces deux-là qu'on croise et qui se tiennent de la même façon que nous, les bras emmêlés, le sourire imprimé et des banalités au bord des lèvres,
ces deux-là qui ont l'air de s'aimer sans s'interroger et mon cœur se serre une seconde quand je songe à l'une de mes précédentes escales à Nemerya –
des mèches peroxydées deux prunelles fatiguées une voix raillée par la clope et les turbulences, les mots qu'il a prononcés et qui ne m'étaient pas destinés,
ça vaut quoi l'amour
ceux que je me suis empressé de compléter cent fois en pensée et puis même prononcés,
ça vaut quoi l'amour quand celui qu'on porte n'a toujours que blessé ?

Hm...?

Je cligne des yeux en les reposant sur Flora – réalise soudain comme je me suis égaré, et m'empresse de me recentrer,
d'enfermer au loin ces idées noires qui n'ont pas leur place ici,
pas leur place aujourd'hui.

Ah ! Euh, je crois que pas loin y'a une boutique où ma mère avait vu des figurines dont elle est dingue... T'sais, le genre taillées dans le bois, vernies juste ce qu'il faut... Elle a craqué sur un Archéduc la dernière fois, il était magnifique ! Mais comme elle l'a pas pris, j'aimerais bien voir s'ils l'ont toujours...

Comme je ne suis plus bien sûr de l'adresse, je transfère mon gobelet dans mon autre main pour libérer la seule tout à fait mobile et récupérer mon téléphone – je cherche le nom de la boutique et trouve l'adresse, enclenche le signal GPS pour me repérer.
Effectivement, l'endroit ne me semblait pas familier pour rien – je range mon portable, avale une gorgée de chocolat pointe du doigt dans le vague.

En avant toutes !

Mais je prends mon temps – on avance de flaques d'ombre en flaques de soleil, selon les caprices des quelques nuages et les irrégularités des bâtiments. Paisibles et pas si pressés – et le temps ne compte plus vraiment.

D'ailleurs, j'aimerais bien un Archéduc, pour de vrai... Elles sont belles ces bêtes là. Y'a des Pokémon en particuliers que tu voudrais en ce moment, toi ?

Peut-être qu'on pourra aller en chercher quelques un ensemble, toi et moi,
l'invitation silencieuse,
parce que je n'ose pas.

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C'est plus fort que moi – je ris.
C'est gêné, c'est nerveux, c'est désabusé, et pourtant c'est plus sincère et plus franc que tout ce que j'ai pu rire ces... Attendez, ça faisait combien de temps que je n'avais pas éclaté de rire comme ça ?

Veux-tu bien, s'il-te-plaît, cesser immédiatement de lire dans mes pensées ?

Je me ressaisis, porte de nouveau la paille en carton à mes lèvres avant de préciser les détours empruntés.

J'y songeais... Y'a un tas d'endroits à Lumiris que je connais pas, et même si j'aime bien traîner seul des fois je dirais franchement pas non à une aussi bonne compagnie que la tienne.

Disséminer les indices pour lui dire qu'elle est un peu particulière, un peu plus que les autres – je ne réclame jamais la présence de personne au cours de mes escapades ; amis, famille, ils me sont presque toujours imposés d'une certaine façon mais pas elle, pas elle,
elle c'est moi qui voudrait bien
qu'elle soit auprès de moi.

J'avoue que je suis plutôt porté sur les Pokémon Spectre et Ténèbres. J'attends d'ailleurs que cette chose capricieuse, là, (je pousse doucement Rhapsodie du pied, qui bondit pour esquiver) veuille bien évoluer en Noctali, mais il a pas l'air trop décidé.

Virage à gauche au trottoir, tout droit jusqu'au croisement et première boutique à droite – je me répète mentalement le trajet tout en suivant le fil de la conversation.

Mais j'aimerais bien me faire une équipe solide et... Je sais pas, depuis le tournoi j'ai... envie de m'essayer aux combats Pokémon, je crois ?

Je hausse les épaules, comme si ce n'était rien – qu'une lubie futile qui m'aura bientôt passée, une envie du moment mais j'oublierai vite, peut-être
(pourtant l'idée traîne et ne m'a toujours pas quitté).
C'est un peu la faute d'Hazel, un peu celle de Flora – deux nanas pleines d'ambition autour de moi, des projets plein la tête et ça m'inspire, de me dire que moi aussi, peut-être, un jour,
peut-être que je deviendrai quelqu'un.

C'est là !

Je désigne la boutique au tournant – change de sujet, encore,
pour éviter tout ce qui pourrait me heurter.
L'échoppe a ce côté vintage qui plaît bien à maman – je crois que j'aime bien aussi. La devanture en sculptée est peinte en un émeraude délavé, dans mes souvenirs l'intérieur sent le bois frais et comme un relent d'hiver qui s'attarde un peu – il suffirait de fermer les yeux pour se croire au milieu d'une forêt, rien qu'à l'odeur du pin et des écorces.

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Un combat ? Nous deux ?
Je reste muet, quelques instants – à m'interroger sur le pour et le contre d'une telle entreprise. Quitte à choisir, évidemment, je crois que tout le monde préfère commencer les combats par quelques entraînements sporadiques contre ses amis, avant de s'attaquer à plus gros morceaux. Bonus effectif si lesdits amis ont un peu plus d'expérience dans le domaine et peuvent nous conseiller, nous autres débutants malhabiles.
Et puis, Flora le dit bien – on en apprend sur nos Pokémons, mais aussi sur nous-mêmes. Je n'ai aucune idée de ma volonté de vaincre, aucune idée de ma capacité à gérer le stress et la pression, l'inquiétude d'envoyer mes alliés au combat et de les voir se blesser, aucune idée d'à quel point je suis ou non capable de garder le contrôle, aucune idée de si je suis capable d'encaisser les défaites.
Il y a des choses que je n'apprendrai qu'avec la réalité concrète du terrain.

Ok, vendu. Cet été, quand j'en aurai fini avec mes révisions et mes examens, on s'organisera un combat. Ça me laisse le temps de préparer au mieux mes Pokémons d'ici là.

Ensuite – ensuite, on verra.
Peut-être que mon immense carrière sera avortée avant même d'avoir été entamée – ou peut-être que je me mettrai à rêver plus haut, plus grand. Peut-être que je déciderai de remplir l'étui à badges qu'on m'a offert l'année dernière et qui prend la poussière sur mes étagères.
Peut-être que...

Quoi ?

Je cille un peu lorsqu'elle s'écarte, et porte mes doigts à ma joue, là où les lèvres de Flora se sont posées une seconde auparavant. Je n'ai rien vu venir – la surprise est totale. Je sens mes joues me brûler de nouveau, et je noie mon malaise dans les dernières gorgées de ma boisson dont je jette le contenant à la suite de Flora en entrant dans la boutique.
Je salue le vendeur, la voix un peu enrouée par le malaise qui peine à se dissiper – le genre de charme envoûtant qui vous laisse un peu confus – et laisse mon regard traîner sur les étagères couvertes de sculptures taillées à la main,
travail d'artisan passionné.

Qui sait... je souffle en lui lançant un regard en biais. Peut-être qu'en vrai ce sont des géodes maquillées.

En défilant dans les allées, je cherche du regard le fameux Archéduc qui a tant plu à maman – au lieu de quoi je tombe sur un bouquet de fleurs dont les détails sont si précis qu'ils ont dû prendre mille ans à être taillés avec tant de soin. Sur la tige la plus longue, un Flabébé semble assoupi, protégé par les feuilles qui s'enroulent autour de sa silhouette fragile.

Presque aussi mignonne qu'Aphrodite, t'as vu ?

Je repère un Chinchidou creusé dans un bois clair et grisonnant – on dirait celui de ma sœur, avec sa bouille friponne.

Oh, tiens. C'est quoi ton Pokémon préféré, en vrai ?

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Je m'esclaffe de la mauvaise plaisanterie de Flora à l'égard de sa petite Flabébé qui fait la moue – même s'il faut avouer que j'ai été surpris moi aussi. J'aime la regarder faire – cette façon qu'elle a d'interagir avec ses Pokémons, cette douceur dont elle use toujours à leur égard. J'ai pour habitude de croire qu'une personne qui maltraite les Pokémons ne peut que maltraiter les hommes également – et qu'il faut être doué d'une sensibilité certaine pour aimer profondément ces créatures comme elle le fait.
Je m'attendris malgré moi, le regard qui glisse d'Aphrodite au visage de Flora.

Evoli aussi, sans hésitation.

J'aime ce qu'il représente – l'idée qu'on devient ce que le monde fait de nous, quoiqu'on puisse y résister, comme le fait Rhapsodie, et comme le font d'autres Pokémons qui refusent d'évoluer, pour une raison ou pour une autre.

J'adore Absol, aussi. Beaucoup en ont peur ou le détestent parce qu'on raconte qu'il est de mauvais augure, mais moi je le trouve noble et magnifique.

Lorsque la tête de Flora se pose sur mon épaule je me mordille la lèvre, un peu surpris, avant de suivre son doigt du regard – et la statuette qu'elle désigne me laisse bouche bée. Tous les détails sont superbes – la moindre courbe, la moindre touche de peinture et de vernis, tout a été pensé et réalisé à la perfection. L'oeuvre est superbe – indescriptible.

Nom d'Arceus...

Je m'approche doucement pour jeter un œil au prix et retiens à grand peine une grimace – heureusement que j'ai prévu large, aujourd'hui. En même temps, je n'ose pas imaginer le nombre d'heures passées à peaufiner l'Archéduc – un travail pareil mérite bien salaire à la hauteur.

Continue de regarder si tu veux, je vais demander s'ils font les papiers cadeaux. Hm, appelle-moi si tu trouves un joli Chlorobule !

Je m'éclipse en m'assurant qu'elle ne me suive pas et presse le pas jusqu'auprès des caisses, non loin des présentoirs que j'ai déjà remarqués la dernière fois que je suis venu avec maman – j'échange quelques messes basses avec le caissier et, moins de trois minutes plus tard, je retrouve Flora dans les rayons, sourire mutin aux lèvres.

Ils les font ! Et en plus leur papier est vraiment joli.

Je me saisis de l'Archéduc de bois avec mille précautions – comme de crainte de l'abîmer au moindre des chocs –, et rappelle Rhapsodie qui s'en est allé renifler plus loin les étagères les plus basses – j'aimerais bien éviter qu'il lui passe par la tête de mâchouiller l'une des statuettes.

Tu veux voir autre chose ici ou on passe en caisse ?

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Stupeur de nouveau à son invitation – et pourtant, ce n'est pas l'idée déplacée qui s'est faufilée la première dans mon esprit (je l'ai bel et bien eue, l'espace d'une seconde qui m'a presque fait honte, mais en deuxième temps). La première idée, c'était surtout que je n'ai, moi, presque jamais invité personne jusque dans ma chambre – il y a définitivement, dans la chambre de quelqu'un, bien trop d'indices sur qui est réellement cette personne. La mienne est bordélique et impersonnelle – ma psy saurait très bien quoi en dire et elle l'a déjà fait : que le désordre c'est le même que dans ma tête et que je ne me sens pas plus chez moi dans cette région que dans mes baskets. Je préfère dire flemme, c'est quand même plus générique.

Je... Écoute, oui, pourquoi pas ? Ça nous épargnera quelques dollars de main-d'oeuvre supplémentaire, ça peut pas être si mal. Va pour l'emballage à domic–hm ?

Il me faut trois secondes pour comprendre ce qu'a déniché Flabébé – celle d'après je m'en saisis doucement en remerciant Aphrodite pour son aide. La statuette est bien plus petite et plus légère que celles que nous avons dénichées auparavant – beaucoup plus abordable, aussi – et pourtant pas moins belle. Les lumières artificielles la font déjà briller de mille feux – je n'ose imaginer le rendu sous les rayons naturels du soleil.

Je hausse un sourcil à sa remarque, ricane doucement en secouant la tête.

Nan ! Si tu tiens tant que ça à payer un truc, faudra trouver autre chose. C'est pour ma sœur. Et puis, Chlorobulle, ça a une signification particulière. Alors, j'y tiens.

Le regard un peu lointain et la voix ténue – Victoria était ravagée le jour où sa jeune pousse ne s'est plus réveillée, alors qu'elle n'était auprès d'elle que depuis quelques mois lorsque c'était arrivé. Sa voix tremble encore parfois lorsqu'elle en parle, et Chlorobulle demeure son Pokémon préféré à ce jour, bien qu'elle ne sache se résoudre à en capturer un nouveau. Je crois que je comprends même si ce n'est que par empathie – je suis incapable d'imaginer une vie sans Rhapsodie. Sans les autres aussi, évidemment, et de plus en plus à mesure qu'on avance ensemble, mais lui c'est particulier, c'était le premier, il a cette valeur sentimentale un peu plus chère à mon cœur et c'est incomparable.

Je réalise que mon silence s'est un peu trop prolongé, alors je secoue la tête pour retrouver le fil de mes idées – me penche vers elle pour déposer un baiser sur sa joue à mon tour, frôler fugace avant de m'écarter et de reprendre la direction de la caisser.

Allez, viens. On a encore un crop-top à te trouver avant que tu ne cuises dans ton pull.

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Force est de constater que je n'avais pas retiré suffisamment pour deux achats aussi onéreux, bien qu'ils en vaillent largement la peine – me voici donc forcé de dégainer la carte bleue. Et si Flora paie en toute simplicité j'ai, pour ma part, fait désactiver la fonction sans contact de ma carte dès que je l'ai reçue. Alors je tape le code et patiente le temps que toutes les autorisations soient accordées, refuse également le paquet cadeau avec un sourire et puis m'en reviens auprès de Flora.

Mon sourire ne fait que s'élargir, l'air de rien, lorsqu'elle repasse son bras autour du mien et repose sa tête sur mon épaule tandis que nous nous offrons de nouveau aux rues paisibles de la matinée qui s'étire lentement.

Avec plaisir. J'en ai peut-être pas l'air mais j'aime beaucoup les jolies choses plutôt uniques.

Les jolies personnes plutôt uniques.

Je me mords la lèvre en regardant les boutiques autour – dissimule mal mes pensées. Fort heureusement, mon rire vient fendre mon malaise et le dissiper tandis que je repose les yeux sur la jeune coordinatrice.

Ah... Par contre, les belles fringues, c'est pas trop mon truc. J'suis pas un friand de shopping quand c'est pour moi. Donc... clairement au feeling, bouclé en dix minutes quand je tombe en rade d'un truc.

Je faisais bien les soldes, plus jeune – depuis Volucité je n'en suis plus capable. Les boutiques bondées m'oppressent et me chavirent, j'y angoisse et m'y asphyxie. Je n'y reste jamais longtemps – sait à peine y mettre un pied. Je préfère les périodes plus tranquilles – ou bien commander.

Par contre... fais gaffe quand tu tires la langue, tu ne sais jamais ce qui pourrait lui arriver.

Rictus prononcé – mon regard dans le sien et cette fois je ne me dérobe pas ;
peut-être parce que je ne sais pas trop moi-même ce que ces mots pourraient bien signifier.

Une menace ou une promesse – allez savoir,
même si moi j'ai bien ma petite idée.

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Je plonge dans ses yeux – son regard clair et franc, qui se pose sur moi sans détour et dans leur reflet je pourrais me croire un peu plus beau, un peu moins raté. Je deviens fou, je perds la tête ; c'est déraisonné, déraisonnable – je voudrais nier mais je la connais cette sensation quand c'est moi qu'elle regarde, parce que cette chaleur, cette douceur et cette tendresse je les ai déjà connues, brièvement. Pas assez – pas assez pour pouvoir tout à fait y goûter, pas assez pour apprendre à l'apprivoiser ; encore novice dans ce dédale étrange de peut-être et de pourquoi pas.

Je n'ai pas voulu – je n'ai pas cherché ; c'est arrivé d'un seul coup et sans prévenir, ou peut-être peu à peu et sans que je le remarque, je ne sais plus bien. On parlait, des heures, presque tous les soirs – c'était devenu une habitude et quand la routine changeait je m'ennuyais, elle me manquait. Quelques passe une bonne journée le matin, quand je savais qu'elle commençait bientôt sa première heure ; et puis des fais de beaux rêves avant de fermer les yeux qui un jour en silence se sont changés en j'espère que tu rêveras de moi mais que je n'ai jamais écrits.

J'ai sacrifié quelques heures de sommeil dans des confidences un peu bête, des rêveries enfiévrées de deux heures du matin – j'ai attendu sans l'avouer, sans oser lui en parler ;
j'ai hâte de te revoir, tu sais.
J'ai cherché des indices entre les lignes, cherché dans ses gestes un quelque chose qui dirait moi aussi je suis un peu seule sans toi et j'en vois cent j'en vois mille mais j'ai peur Flora,
peur de sur-interpréter quand tu me regardes comme ça et que moi

je défaille
et me défile.

L'inspiration est tremblante quand elle s'éloigne – et j'en veux à mes mains qui n'ont pas su la retenir et qui n'osent pas la rattraper, j'en veux à tout mon être qui se tient loin par crainte parce que je sais comme j'émiette tout ce que je touche comme j'abîme tout ce que je frôle,
comme tout ce que j'aime je le gâche et j'aimerais
pour une fois
que ce soit différent.

F–Flora, attends.

Je la rattrape et mes doigts sans s'interroger viennent se glisser entre les siens, s'emmêlent et se raccrochent doucement comme pour dire je suis là
même si les bons mots pour parler de
toi
et de moi
je ne les ai pas.

Et je prête une attention particulière aux rayons – si ça lui tient à cœur alors ça tient au mien aussi ; ce qui la fait sourire c'est bien tout ce qui importe – pour dénicher quelque chose qui pourrait lui plaire et qui lui ressemble.

Je suis heureux... mieux, le plus heureux des hommes de la tournure que la matinée a prise quand je t'ai croisée.

Je ne la regarde pas quand je murmure – pas encore.
C'est la seconde d'après que je me tourne vers elle, dans un rayon désert, entre les cintres et les étagères, sa main dans la mienne, épaule contre épaule et la proximité dont je ne cherche pas à me dégager,
ses yeux dans les miens,
du bout des lèvres pour trouver
le courage d'oser.

Tu m'as manquée. Vraiment manquée. Et j'ai – j'étais terrifié que ça soit plus trop pareil en te revoyant, même si on parlait, c'était... Mais en fait je... c'est mille fois mieux que ce que j'imaginais.

C'est mille fois mieux que ce que je rêvais.