Tremblement imperceptible des mains, les doigts refermés sur la hanse du sac à dos balancé sur mon épaule. Sur ma hanche, trois Pokéballs alignées – l'une est vide, et Rhapsodie marche à mes côtés, grisé par la nuit tombée et l'expectative de ce qui va arriver. Il le sait, il le sent – ce soir est un peu particulier. Ce soir c'est le grand soir ; celui de tous les possibles. Devant moi, de l'autre côté du pont Ellis, le manoir Gray se dresse, impavide – je peine à faire circuler l'air dans mes poumons, et respirer n'est plus un réflexe. Je dois m'accrocher à l'idée pour ne pas m'évanouir – inspire, expire.
Je ne sais pas ce que je viens chercher, ici. Un badge ou une leçon, probablement – même si mon ego préférerait sortir victorieux de l'affrontement. Mais alors pourquoi elle ? Pourquoi Lise Gray en particulier, parmi tous les champions de Lumiris ?

Je recule d'un pas, mais Rhapsodie jappe et je m'immobilise. Je baisse le regard sur lui, et dans ses yeux le message est clair. Je n'ai plus le droit de reculer.
On n'a pas fait tout ce chemin-là pour rien – on ne s'est pas entraînés nuits et jours pour que je me défile maintenant. Mes Pokémons ont confiance en moi – du moins, les deux que j'entends utiliser dans cette arène – et j'ai confiance en eux.

Mais pourquoi je n'ai pas confiance en moi ?

Je m'approche, m'avance sur le pont jusqu'à discerner une silhouette qui m'est inconnue. Je jette des oeillades alentours puis, comme Rhapsodie ne paraît pas se méfier de la femme qui nous fait face – et qui n'est certainement pas l'hôte de ces lieux ; bien qu'elle soit charmante, elle n'a pas la même prestance que la championne – je m'avance et m'éclaircis la voix d'un raclement de gorge nerveux.

▬ Je– Bonsoir. Je suis Damien Delaunay, je viens prétendre au badge Hantise du manoir Gray.

Les intonations mécaniques – la phrase répétée cent fois face au miroir, dans l'espoir de ne pas défaillir au moment de la première sur scène.
Plus aucune chance de fuir – je sortirai vainqueur ou prêt pour une revanche.

Il est grand temps de rallumer les étoiles, dirait l'autre – pour nous, cette fois, il est grand temps de vaincre la nuit.

Rhapsodie recule d'un demi-pas lorsque la main de la jeune femme se tend vers lui – pour autant, cette fois, il ne gronde pas, ni ne montre les crocs. Il paraît plus... paisible, depuis son évolution. Plus en paix avec lui-même, et avec les autres.
On m'a souvent dit que les Pokémons évoluaient en fonction de leurs dresseurs ; je vois les miens changer mais j'ai l'impression d'être toujours le même – fragile, instable et faillible. À quel moment ai-je loupé un chapitre de notre histoire ?

▬ Pas de souci.

Les évolitions sont ma faiblesse aussi – même si Noctali a toujours été un peu plus cher à mon cœur, d'une façon ou d'une autre.
Et puis, avec le retour du sérieux, vient la question – j'avais entendu parler de cette étrange manie qu'avait la championne à interroger ses challengers avant que les laisser entrer dans l'arène, et j'admets que l'idée m'a laissé plutôt serein. C'était facile, sur internet, de trouver d'anciens challengers qui partageaient les questions qu'on leur avait posées, dans l'ancienne arène fée de la championne spectre d'aujourd'hui.
Rien d'insurmontable, pour quelqu'un qui, même non-natif de la région, avait pris la peine d'en apprendre l'histoire – et celle de Lumiris m'a toujours passionné, d'aussi loin qu'on s'est installés ici et que je m'y suis penché.

Je fronce les sourcils, un peu dubitatif – la question est complexe, terriblement précise. Pointue, comme elle dit – mais la réponse me frappe presque instantanément.
Avec elle, les souvenirs de ce jour-là – mes parents, ma sœur et moi étions loin des affrontements, calfeutrés chez nous, branchés sur les informations, en attendant que dehors la guerre cesse et que la vie retrouve son cours. Je me rappelle l'angoisse sourde des heures en suspens, les larmes de Victoria, terrifiée, et celles que ma mère contenait – et comme c'était rassurant de savoir mon père avec nous et pas sur les routes, ce jour-là.
J'inspire et secoue la tête, un peu fébrile – bousculé par les mémoires sombres.

▬ Pardon, je– Hyouga a été... Meira a combattu av–avec son Arcanin. C'est avec lui qu'elle a mis Hyouga en déroute... sur le Volcan Eneka.

Je balance mon poids d'un pied sur l'autre, mal à l'aise. Je jette un œil à Rhapsodie, et lui n'a pas bougé d'un iota – le regard porté droit devant, sur le manoir où tout va se jouer pour nous ce soir.
Je glisse mes doigts contre ma nuque, un peu dépassé par les souvenirs troublants – les images floues d'une époque sombre qu'on espère oubliée.
(S'ils savaient...)

Mes pas résonnent dans la grande salle du manoir, se répercutent contre tous les murs épais plongés dans la pénombre. Les chandeliers valsent doucement, éclairent l'arène d'une lueur tamisée, presque lugubre. Mon souffle s'apaise – l'ambiance pourrait être angoissante et pourtant elle me sied trop bien pour que je la craigne.
Lueur vive et claquement sec des talons sur le marbre – je relève la tête et réprime le tremblement de mes mains. Je demeure immobile tandis que Lise – et c'est bien elle, cette fois, aussi puissante qu'élégante (séduisante, mais l'adolescent ne l'avouera jamais) – descend les marches et s'avance sur le terrain.
J'acquiesce, lentement – inspire profondément pour que ma voix ne tremble pas.

▬ Bonsoir, Lise. Le Manoir est superbe... Merci de m'accorder de ton temps.

Je tâcherai de ne pas te le faire perdre.

Bourrasque violente qui m'arrache presque un sursaut lorsqu'une Lugulabre s'en mêle – un frisson glacial remonte le long de mon échine mais c'est grisant, cette idée que ce soir se joue peut-être un moment important. Mon premier défi d'arène – ma première bataille contre toutes mes failles. J'ai trop de choses à prouver – à moi-même et au monde entier – pour me laisser dépasser par la peur cette fois – je n'ai pas le droit d'abandonner.
Je crois en ses mots : je porterai la marque de ce combat à tout jamais.

Corayôme apparaît et je fronce les sourcils – analyse rapide qui m'arrache un rictus. Il n'est certes, de prime abord, pas le plus terrifiant des adversaires, mais je n'envisage pas l'étendue de son panel de capacités – et l'expérience de la championne rendrait n'importe quel Pokémon dangereux.

▬ Tiens... Je n'avais jamais vu l'évolution de Corayon de mes propres yeux. Rhaps', tu commences.

Noctali s'avance, la tête haute et fièrement campé sur ses pattes, plus sombre que la nuit qui règne au dessus du manoir (et plus bleu que les voies lactées les plus belles). Un Corayôme...

▬ Vise ses défenses physiques : utilise Morsure et enchaîne avec Assurance !

Frappe fort.
Et prie le ciel de n'être pas si mauvais que tu le crois.

{ battle song }
Tandis que les premiers heurts retentissent dans l'arène, crocs qui claquent et percent les défenses de la cible sans pitié, lutte déjà acharnée dès les premiers assauts lancés, je lève la tête et balaie les estrades des yeux – je me retrouve muet de stupeur, un frisson dans tout le corps et des sueurs froides le long l'échine ; le souffle presque coupé et des tremblements dans les mains.
Je pensais qu'on serait seuls.
J'avais pas prévu ça – pas prévu un public pour assister à ma gloire ou à mon humiliation. J'ouvre la bouche et puis je la referme – la musique couvrirait presque leurs bruits, presque alors j'essaie de les oublier.
Je ferme les yeux, pour ne les rouvrir que lorsque Lise lance à son tour sa première offensive.

Rhapsodie tente une esquive mais le Spectre est plus fourbe – il n'attaque pas de face, toujours dans le dos et le temps qu'il comprenne (que je réalise) il est déjà trop tard. Il titube en grondant sous les Feu Follets qui mordent sa peau et le Châtiment qui suit ne l'épargne pas, il aboie et ramène son ventre à terre, les muscles tendus par la douleur et la fourrure gonflée par l'envie d'en découdre.

▬ Rhaps, calme ! Soigne-toi, d'abord !

Il s'ébroue et tout autour de lui jaillissent des gerbes semblables à une poudreuse fine et qui s'en vont apaiser ses brûlures pour qu'elles ne l'handicapent plus. Il se redresse, la tête haute, sa noblesse retrouvée désormais que la douleur s'en est allée, et j'en fais de même – le menton levé et mon regard plongé droit dans celui de Lise Gray.

▬ ... Je suis terrifié.

J'aurais pu mentir mais quel intérêt ? Je ne suis pas un sur-homme, je ne suis qu'un gamin et je n'ai aucun badge – je suis un putain de livre ouvert et elle n'est pas idiote. Personnification de l'angoisse en personne, elle n'aurait jamais gobé le moindre de mes mensonges éhontés.

▬ Si ça tenait qu'à moi j'aurais déjà pris mes jambes à mon cou. Mais j'ai trop attendu ce moment... Et eux aussi.

Geste vague de la main, pour désigner Rhapsodie et les deux autres Pokéballs accrochées à ma ceinture – ce soir, cette nuit, il n'est pas question que de moi.
Ce soir, cette nuit, c'est à eux que je m'en remets.
J'inspire.

▬ Changement de tactique : Rhaps, utilise Ball'Ombre !

Damien semble savoir ce qu'il fait.
Ça ressemblait presque à un compliment.
Reste à savoir si j'en serai toujours digne à la fin.

{ battle song }
Assez humble pour admettre l'inverse ?

▬ Qu'est-ce que t'entends par là...

Je baisse les yeux sur Rhapsodie, tandis qu'il charge entre ses crocs, gueule ouverte et tête jetée en arrière, une balle obscure chargée d'étincelles pourpres – je serre les poings tandis que l'offensive part et je ne sais pas bien ce que je suis censé comprendre.
Admettre l'inverse ?

▬ ... Je suis terrifié mais j'ai la rage. J'ai la rage et... perdre ou gagner je m'en fous. Je me suis entraîné comme un dingue mais c'est pas pour gagner, c'est pour prouver que je suis capable de me tenir face à toi même si j'fais que trembler. J'en aurais jamais été capable y'a trois mois mais aujourd'hui je suis là et je... J–Je veux... Je veux apprendre, Lise.

Apprendre et devenir fort – apprendre et ne plus avoir honte.
Ne plus avoir honte d'exister, ne plus craindre tous ces regards qu'on nous porte depuis les gradins.
D'une façon ou d'une autre – je ressortirai de cette arène grandi d'une nouvelle leçon.
Ce sera ma victoire, quoiqu'il en soit.

La Ball'Ombre se désagrège au contact de la surface lisse d'un Abri dressé à la dernière seconde entre le Corayôme et le reste du monde, mais je ne cille même pas. Évidemment – elle n'aurait jamais risqué de perdre son Pokémon aussi simplement. Elyas me l'a appris bien avant elle et je l'avais déjà compris – au plus longtemps nos alliés demeurent à nos côtés, au plus nos adversaires seront désavantagés.
Pour l'instant tout se joue au coude à coude, et si son Pokémon semble ne pas montrer signe de faiblesse je sais qu'il a souffert des offensives précédentes – et si Rhapsodie garde la tête haute c'est par fierté, par audace et par orgueil.

Même quand le ciel semble s'effondrer sur lui et que les roches l'ensevelissent – j'ai vu arriver sa chute mais je n'ai rien dit, rien tenté.
J'ai un autre As à ma manche mais il est pour plus tard – plus tard, j'espère.
Les débris tremblent et il s'en extirpe à grand peine, les pattes tremblantes et visiblement blessé de parts en parts. Pourtant, il tient debout – je demeure silencieux et immobile, quelques secondes, pour m'assurer qu'il tient bien l'équilibre ;
qu'il en a encore à revendre.
Et puis, comme il ne cède pas, je m'avance d'un pas – c'est pas terminé.

▬ Utilise Vibrobscur puis tâche de l'finir !

{ battle song }
Corayôme tombe et mon souffle est tremblant. Je ferme les yeux, une seconde, et j'inspire tandis qu'autour de nous le public hurle et fait trembler jusqu'au sol – est-ce que c'est mon nom que j'entends qu'on crie ? J'étouffe un hoquet et rouvre les paupières pour balayer l'assemblée du regard – je tremble encore mais il y a quelque chose de grisant dans la sensation ; c'est comme d'être ivre et tout-puissant, c'est comme d'être stone et lancé à pleine vitesse sur une autoroute sans phares.

Brusquement tout n'est plus que braises, tout n'est plus que flammes – la chaleur vive m'étouffe une seconde avant que je reprenne souffle et que mon attention se porte en direction de Lise. Il n'y a plus rien d'autre au monde que nous deux – nous trois. Il n'y a plus qu'elle, moi, et Rhapsodie au milieu. Trinité singulière et sur nos peaux la colonne incendiaire fait danser des reflets étranges.
Au milieu du tumulte il n'y a plus que sa voix qui déchire la cacophonie assourdissante des cris et des crépitements et –

Et je demeure muet, la bouche ouverte mais silencieux.
Je l'observe et elle est royale, elle est souveraine – déesse du chaos au milieu des flammes et je m'incline sans un geste ni sans un mot.
Regarde-toi et je serre les poings un peu plus fort ;
les enfants là-haut et je ne serai plus jamais personne ;
la haine, la rage et elles ont régi toute ma vie ;
DAMIEN ! et je ne cille pas, le regard droit et la tête levée,

je murmure

▬ Merci.

et les flammes s'évanouissent.

J'ai la gorge nouée et les yeux qui brûlent – les inspirations lourdes et je pourrais pleurer mais je tiens bon, j'humecte mes lèvres et je déglutis pour me donner contenance mais je défaille, une seconde, rien qu'une ;
ce n'est pas qu'une leçon, ce soir – ce n'est pas qu'une épreuve pour me bousculer c'est
un nouveau départ c'est
le début de quelque chose et peut-être
de quelque chose de grand.

Rien ne sera plus jamais pareil – et la réalité me frappe aussi brusquement que la première offensive du nouvel adversaire est lancée.
Je ne suis plus le même qu'avant.

▬ Rhaps, reviens, je souffle sitôt qu'il s'écroule, vaincu par les assauts sur son corps déjà trop affaibli en le rappelant dans sa Pokéball, que je garde au creux de mes mains, un instant. C'était toi le vrai champion ce soir.

Je relève la tête et décroche de ma ceinture la Pokéball de mon deuxième Pokémon – celui avec lequel j'entends bien l'emporter. Mon plus bel As ; l'atout dans ma manche.

▬ Je vais tâcher de t'offrir un combat aussi mémorable que celui que tu m'accordes ce soir, Lise Gray.

C'est une promesse.

▬ Eden, à toi !

L'Absol au pelage nocturne apparaît sous un tonnerre d'applaudissements qui continuent de me faire trembler – mais je n'ai plus le droit de reculer, plus maintenant, encore moins maintenant. Alors je relève ma manche et je secoue mon poignet – les deux perles réagissent comme en symbiose et, aussitôt, dans une gerbe d'étincelles vives, Eden emprunte sa forme de combat – puissante et sublime.


▬ Échauffe-toi avec Danse-Lames et frappe fort ! Utilise Tranche-Nuit !

{ battle song }
Elle paraît surprise – comme prise de court par la démonstration soudaine de puissance de mon Absol – et je fronce les sourcils sans comprendre – ai-je fait une erreur ? Mon regard coule de la championne à mon Pokémon et puis s'en retourne sur la première – les premiers ordres tonnent et Eden s'agite, sa corne luit sous les lueurs des chandeliers tandis qu'il se prépare à frapper. Le premier coup est porté sans sommation – la lame fend les ténèbres et jusqu'au cœur de la Banshitrouye désormais blessée. Il recule d'un bond et se campe fièrement sur ses pattes, muscles bandés, prêt à parer le revers qui viendra forcément.

La voix de Lise attire mon attention et mon regard se décroche de son Pokémon pour se poser sur elle et – et ses mots me troublent et je demeure silencieux mais
au milieu des décombres qui s'élèvent au dessus de nous pour se rassembler au dessus de l'Absol
je
souris.

▬ ABRI !

J'ordonne – fort, galvanisé par la puissance d'Eden qui court jusque dans mes propres veines. Ce n'est pourtant pas une première – mais ça n'a jamais été comme ça.
Ça n'a jamais été aussi intense – intense au point de m'en faire trembler tout entier.

▬ Prépare-toi à encaisser, riposte avec Laser-Glace !

À l'autre bout du terrain, la vague de puissance s'élève et soulève la poussière qui me force à plisser les yeux – Eden, solidement campé, s'apprête à relâcher toute la puissance de sa propre attaque contre l'onde brûlante qui s'élance.
Il rugit, et le laser jaillit – traverse le terrain tout entier.

La puissance du choc des deux capacités qui entrent en collision me force à reculer, un bras devant le visage tandis qu'autour le sol tremble et qu'un silence s'est brièvement installé dans l'estrade. Le souffle court, je relève les yeux et cherche Eden du regard –
sa silhouette, n'importe où,
au milieu de la poussière des débris pulvérisés qui retombe.

{ emotional victory song }
Le silence est assourdissant – les murmures montent des estrades tandis que tout le monde attend et mon cœur bat trop fort, mon souffle tremble tandis que mes prunelles cherchent par delà la poussière et la poudre.
Hoquet en sursaut lorsque je devine la silhouette d'Eden, écroulé au sol, immobile. J'esquisse un pas en avant – m'immobilise lorsque je le vois qui s'agite et se redresse. L'équilibre fragile mais vaillant, un geste après l'autre et il se tient debout – abîmé mais la tête haute et le cœur noble. Le mien manque trois battements mais je relève la tête – le menton levé, fier de mon allié.

Alors, seulement, j'aperçois la Banshitrouye mise à terre. Elle n'esquisse pas un geste.
Elle, contrairement à mon Absol, ne se relèvera pas.
J'ouvre la bouche et la referme – rendu muette par l'ovation qui monte brusquement des estrades et auquel le rugissement vainqueur d'Eden se mêle tandis qu'il retrouve sa forme initiale. Sa puissance ne court plus mes veines mais c'est autre chose,
autre chose de plus fort encore et je ne comprends pas
je ne
comprends
pas.

Lise rappelle mon adversaire à elle et puis s'avance, et je demeure immobile – si je bouge mes jambes cèdent –, mon regard porté droit sur elle mais sans encore réaliser pourquoi j'entends mon nom partout pourquoi c'est moi qu'on acclame. Les lumières se tamisent un peu et Lise s'arrête et tend la main et
là
juste au creux de sa paume
petite couronne obscure qui scintille sous les reflets des chandeliers.

Je m'en saisis, du bout des doigts et avec mille précautions – je l'admire sans encore réaliser ce que je tiens au creux de la main. La sienne sur mon épaule me force à relever la tête et à soutenir son regard – sans ciller, toujours pas.

▬ ... Merci.

C'est tout ce qui m'échappe – un merci qui vacille et ma voix qui se brise. J'inspire et je reprends – reste digne – alors que je réalise, doucement.

▬ Merci pour tout. Pour le combat, pour... les encouragements. Merci de... croire en moi.

Je referme mes doigts sur le badge, doucement.
Il est là.
Il est là.

▬ Si j'étais champion d'arène, je voudrais être comme toi.

J'aimerais être de ceux qui bousculent des trajectoires toutes entières et donnent un nouveau souffle à leurs challengers – une nouvelle raison d'être.

▬ Je reviendrai. Quand j'aurai obtenu mon quatrième badge. Sans faute.

C'est une promesse – la promesse de ne pas m'arrêter là.
La promesse de revenir – plus fort et plus grand.
Sans plus trembler, cette fois.

Je rappelle Eden dans sa Pokéball puis je recule, d'un pas et puis de deux ; je lève les yeux en direction des estrades et – grisé, emporté par l'ivresse, je brandis mon premier badge sous un énième tonnerre d'applaudissements (et je cille de voir briller les yeux des enfants).

J'adresse un dernier regard à Lise et à son équipe qui l'entoure – et un sourire, plus fier et plus franc – puis j'incline la tête en guise d'ultime salutation avant de tourner les talons.

Dehors, la nuit est claire et fraîche – je lève les yeux et la lune est belle.
J'avais promis à tout le monde – Flora, Allen, Hazel, Arya, Jenna et puis les autres – de les prévenir de l'issue du combat quand j'en sortirai – mais je n'esquisse pas un geste pour me saisir de mon téléphone. Pas maintenant. Pas tout de suite.
Ce moment-là n'appartient qu'à moi – moi et mon cœur emballé, moi et ma vue trouble ; je crois que je pleure mais peu importe, peu importe.

J'inspire.

Dans ma main, le badge Hantise.

Dans mon dos, le Manoir Gray.
Devant moi, le reste du monde.