Si tu avais su ; si tu avais su que Lumiris allait perdre sa lumière, si tu avais su qu'Izaiah allait y perdre son sourire ; si tu avais su que tu avais tout à y perdre ; aurais-tu fait les choses différemment ?
Te serais-tu levée le matin en le remerciant pour les oeufs, pour les crêpes, pour les efforts qu'il faisait afin de rendre votre cohabitation la plus douce possible ? Aurais-tu souri devant ses blagues maladroites et te serais-tu excusée pour toutes les insultes, remarques acerbes ? Le volcan en éruption se serait-il endormi pour préserver une paix précaire dans un univers en pièces ?
Si tu avais su qu'il ne t'était pas acquis, l'aurais-tu serrée dans tes bras après cette fameuse nuit en le remerciant de sa présence, pour son amitié ? Si tu avais su...
Le temps est compté et tu le comprends davantage désormais : chaque seconde s'efface et tu ne peux savoir ce que la suivante réserve. En une fraction de secondes, Lumiris perdait sa lumière et tu perdais ton repère.

Pendant que les éclairs déchiraient le ciel, illuminaient la nuit, pendant que le tonnerre grondait sa colère et faisait trembler les enfants derrière les fenêtres de leurs maisons éclairées et chauffées, ton coeur refroidissait au-deçà du zéro jusqu'à se fissurer et se briser. Dans ce sac, dans cette pokéball inutilisée, résidait la lettre de ses aveux - de son départ - ton retour en enfer et tu suffoquais. L'air n'entrait plus dans tes poumons. Le monde autour de toi accélérait, ralentissait, disparaissait.
Tu n'avais plus prise sur cette existence, elle ne t'appartenait plus, elle se perdait dans le bruit des gouttes de pluie martelant le sol, bruit sourd, bruit assourdissant. Solitude hurlante aux oreilles, sifflement constant.
Tu existes - et tu aurais souhaité cette nuit-là que ta vie se soit éteinte entre leurs mains. Que le monstre créé ait été étouffé avant qu'il ait eu le temps de fuir. Tu existes et cette nuit-là, exister te détruisait.
Izaiah t'avait abandonné.
Si seulement tu avais su ; lui aurais-tu demandé une nouvelle nuit entre ses bras, un nouvel instant pour te sentir désirée véritablement, dans toute son inexpérience de l'instant, dans toute la détresse de ton âme ? Une nuit pour t'abandonner volontairement dans des bras aimants, pour une fois, consentante, et non pas pour l'argent - ou sous obligation quelconque. Une nouvelle nuit pour te sentir à ta place, une nouvelle nuit pour te sentir aimée.

Si tu avais su, est-ce que tout aurait été différent ?
« Qu’est-ce que tu r’gardes toi ? » Ton regard brûlant, fiévreux d’une rage qui ne s’apaise pas, se plantait dans la personne à la billetterie du parc safari. Qu’est-ce qu’elle regardait, hein ? Tes pantalons entièrement déchirés, ton regard rouge par le manque de sommeil, par les nuits alcoolisées – par les nuits qui s’effaçaient de ta mémoire, mauvais mélanges – par la douleur qui étreignait ton cœur et la solitude qui demeurait. Qu’est-ce qu’elle regardait ? Tu portais toujours le pull d’Izaiah, tu n’étais pas nue, elle ne pouvait pas t’interdire l’entrée dans ce putain de parc, alors pourquoi elle te dévisageait comme de la vermine ? C’était elle, la vermine. « Fais juste me donner cputain de billet et accepte mon argent au lieu d’me dévisager, connasse ! » Elle souffle du nez et ne semble pas vouloir gérer un client comme toi alors elle prend la liasse de billet que tu avais obtenu en laissant toute dignité de côté – c’était ça, la rue. C’était ça, ton élément. La pure médiocrité.
Elle te donne un billet et tu lui lanças un dernier regard noir avant d’entrer dans le parc Safari et de t’asseoir sur un banc en regardant les pokémons. Asriel était avec toi, hors de sa pokéball et tu en profitas pour sortir tes autres pokémons ; Ramoloss, Candine et Fantyrm.
Tu ne savais même pas pourquoi tu avais dépensé l’argent de la semaine dans ce billet, seulement que tu l’avais fait. Parfois, Izaiah venait ici et si Izaiah venait ici, peut-être que Lucian aussi ? Peut-être que tu risquais de le croiser ? Peut-être… peut-être que tu pouvais le voir en venant ici ? Tu ne savais pas où le trouver. Tu ne savais pas comment le trouver. Et quand tu appelais, il n’était pas là. Tu tombais toujours sur son répondeur. Il travaillait beaucoup. Ce devait forcément être ça. Il ne pouvait pas t’avoir dit d’appeler si t’avais besoin et ne pas te répondre. Il n’avait pas le droit. Il devait juste ne pas avoir le temps, ne pas voir les appels. Il devait y avoir une explication.

Ton Fantyrm tournait un peu partout, s’amusait à déranger les pokémons autour de vous pour le simple principe de les déranger et toi, tu regardais la nature qui s’étendait autour de toi. Tu la regardais tout en scrutant la foule – tout en cherchant Lucian, traquant sa présence dans les alentours – te demandant où il pouvait bien se cacher. Tu voulais. Tu voulais lui parler. Tu voulais lui dire qu’Izaiah était parti, tu voulais lui dire. Tu voulais lui dire que tu avais besoin de lui, de sa présence, que tu avais besoin de te sentir en sécurité parce que tu avais l’impression que tout pouvait te brûler, te détruire, que tout était réuni pour te faire péter un câble – que le monde voulait se jeter sur toi et te dévorer.

Ne t'en vas pas que tu aurais voulu lui dire, reste près de moi, murmure jamais prononcer et aujourd'hui - que jamais tu ne pourrais prononcé alors que la tempête fait rage dans ta tête - dans ton esprit.
Tu t'es plongée dans l'océan infini de tes démons, et ils te tiennent à la gorge, t'étouffant, t'empêchant de respirer, t'asphyxiant. Qu'attendais-tu comme finalité, Eleanore ? Tu as provoqué exactement ce que tu as recherché et désormais, tu veux tout reconstruire. Mais tes mains ne sont pas faits pour bâtir, seulement pour détruire.
Pour arracher la joie, pour arracher le sourire de ceux qui t'entouraient, le tâcher de sang et faire couler les larmes. Tu étais le monstre des placards - comme tu le disais toi-même. Tu étais la colère, tu étais la rage, tu étais la destruction et la rancune, tu étais la vengeance violente et cruelle, la personnification de tous les torts et travers de ceux qui t'avaient « élevés ». Ils avaient injecté leur venin pour faire de toi un poison ambulant, poison sans antidote.

Tu l'avais vu s'approcher de toi, tu l'avais vu s'accroupir pour s'intéresser au Ramoloss qui avait décidé de suivre un jour, de rentrer volontairement, en forçant presque les choses dans la pokéball. Il était seul et la solitude le pesait. Il était seul et il voulait de la compagnie. Il était aussi désespéré que toi. Tellement désespérée que tu te retrouvais à tenter de trouver Lucian au hasard dans un Parc Safari alors que tu ne savais même pas s'il avait déjà mis les pieds dans cet endroit. Si désespérée que tu avais essayé de l'appeler à tellement de reprises malgré l'absence de réponses. Si désespérée.

Tu avais simplement haussé les épaules en souhaitant qu'elle s'en aille, souhaitant qu'elle ne décide pas de te parler, souhaitant qu'elle se contente de la présence des pokémons. Comme tu le faisais tout le temps, tous les jours. Il n'y avait qu'eux pour te supporter de toute façon. Eux et... Izaiah. Eux et cet ange qui était parti quelque part dans cet univers parce que tu étais parvenu à le faire fuir - comme tu le faisais toujours.
Il t'avait tendu la main et avait fini par partir. Il t'avait tendu la main et t'avait aidé jusqu'au moment où son départ allait te briser en tellement de morceaux irrécupérables et puis, il avait quitté Lumiris. C'était ce que ça donnait, de s'attacher.

Sursaut violent, sursaut brusque.
Tu n'avais pas prévu qu'elle te parle et sa voix t'avait violemment surprise. Tu poses ton regard épuisé et détruit sur sa personne et tu as envie de lui reprocher de s'imposer - mais tu te contentes d'hausser les épaules. « Ramoloss. » Rapide réponse pour une question si simple. En même temps, ton Mygavolt était le seul de ton équipe « Il n'a pas de nom, en fait. » Et soudainement, un cri qui survient alors que tu regardes une femme visiblement enceinte et un pincement au coeur s'étreint. C'est sans doute pour ça que tu bouges et que tu fais signe à Asriel d'arrêter le pokémon.  « Sois gentil, fais juste cage éclair et toile gluante. » Asriel se lance rapidement à la poursuite de l'autre pokémon alors que tu te tournes vers la personne. « On retrouvera le sac, en attendant, tu devrais sans doute t'asseoir. »

Tu avais très légèrement haussé les épaules - te disant que de toute façon, c'était déjà un miracle que tu aies demandé à ton pokémon d'aller arrêter le voleur de sac. T'étais pas la personne la plus tournée vers les autres, clairement pas une sauveuse. T'étais pas Izaiah. Et tu ne le serais jamais, tu ne serais jamais cette personne qui avait décidé de quitter ton quotidien, de foutre le camp de Lumiris, de t'abandonner. Tu étais seule désormais, terriblement seule. Et on espérait que tu te préoccupes des personnes autour de toi ? C'était pas dans tes cordes. T'étais égoïste - purement et terriblement égoïste.

Tu les avais écouté en silence - sans jamais rien dire. Tu n'avais pas connu cet état, toi. L'arrivée d'Eden dans ta vie avait été toute une surprise. À l'hôpital, on t'avait parlé de déni de grossesse. Comment voulais-tu désirer avoir un enfant quand ta vie était le plaisir des autres et puis, puis la rue ? Ce n'était pas un endroit où une enfant pouvait vivre et grandir. C'était sans doute pour ça que tu l'avais foutu dans les bras de son père.
Parce que t'étais pas faite pour être mère - oh que non, t'étais pas faite pour t'occuper d'un enfant. Suffisait de voir où tu en étais maintenant, toujours aussi putain de paumée; toujours dans la rue.

Tu les avais regardé tour à tour en soupirant légèrement. « Asriel reviendra avec ton sac quand il aura maîtrisé l'autre pokémon. On peut lui faire confiance. » Tu n'avais rien de plus à dire d'autre et tu avais haussé les épaules. Tu avais observé Candine qui se dirigeait vers la femme enceinte sans que tu n'aies rien de plus à dire. Franchement, pourquoi on te demandait d'être sociable, hein ? Tu te demandais bien toi. « S'ils peuvent t'aider, autant les rappeler. Sinon, autant les laisser se promener. C'est pas comme si t'allais être en état de partir dans la seconde. » Brusque ? Peut-être. C'était pas grave. T'étais comme ça.