L’air frais du matin sentait le printemps. Ce n’était pas encore l’époque mais elle n’était pas loin. Il flottait dans l’air cette odeur de terre légèrement humide, d’humus léger et cette sensation que nous étions environnés par de petit cours d’eau transparent. Bien sûr, ce n’était pas vrai. Mais en fermant les yeux et en inspirant profondément, je pouvais presque imaginer les fleurs en train d’éclore et sur le point de libérer leur parfum et sur ma langue le goût sucré du nectar.

Il faut que j’arrête ce genre d’image. Ça ne me va pas du tout et je suis très mauvais là-dedans. Pour la saint Valentin, j’ai voulu écrire un poème pour Leonard. J’ai usé ma patience sur une feuille sans rien tirer de passable. Et quand je dis user ma patience, c’est vrai. J’ai passé au moins trente minutes dessus. Et vraiment concentrée. Mais entre les fautes d’orthographes par millier, et seulement pour celle que j’ai réussi à voir après m’être relue et le côté stupide et débile de ce que j’écrivais. J’ai juste abandonné pour aller me recoucher.

Depuis sa naissance, Ange nous laisse peu de repos. Elle commence enfin à faire ses nuits et moi, ça me fait du bien. Leonard aussi d’ailleurs. J’avais oublié ce que ça faisait de se réveiller le matin par soi-même. Je dois tout de même avouer que la première fois, le réveil a été brutal. J’ai cru qu’il était arrivé quelque chose à ma fille j’ai déboulé dans sa chambre prête à tout affronter. Evidemment, ça l’a réveillé et elle s’est mise à pleurer.

J’ai tout juste eu le temps de commencer à la consoler que Leonard n’arrive aussi pour s’en occuper aussi. D’près sa mère, ce n’est pas bon qu’on soit aussi réactif pour elle et qu’on le soit tout le temps tous les deux. Mais c’est mon bébé. Mon trésor. Il est hors de question qu’elle se sente seule ou abandonner par sa maman.

Toutefois, à force de cajolerie et de bons arguments, la mère de Leonard a réussi à me convaincre de me détacher de mon bébé, de la laisser parfois entre les bras de son père sans que je sois dans les parages.

Ce qui nous amène à aujourd’hui. Qu’est-ce que ce jour a de spécial ? Je suis loin de la maison, Leonard n’y est pas non plus et… C’est les grands-parents qui s’occupent de Ange. L’angoisse absolue. Et si elle a besoin de moi. Et s’il faut nourrir Ange. Mais elle m’assurerait qu’elle m’appellera immédiatement, si besoin. Et qu’il fallait que je m’évade toute seule pendant un temps.

Alors, j’ai pris mon équipe, mes baskets et j’ai couru, Vulca ma Goupix à mes côtés. La reprise de mes entrainements lui a fait du bien à elle aussi. Son poil est plus brillant, et elle a perdu du poids. Moi je reprends du souffle et je me sens mieux dans ma peau. Evidemment, je me suis découvert une poitrine beaucoup plus grosse qu’avant, mais elle devrait disparaitre avec le temps. Ouf.

Finalement, je trouve un endroit qui me semble correct. Je libère Toxizap, Nidoking, Feunard d’Alola, Mammochon, Ectoplasma et Malamandre. Ces six Pokémons et Vulca vont pouvoir s’entrainer. J’ai une arène à mainteir au top de sa forme et une nouvelle arène à conquérir. Donc, j’entretiens la forme de mon équipe Glace et surtout je développe mon équipe Poison.

Les Pokémons s’éparpillent et commencent à s’échauffer en suivant mes instructions. Vitesse, endurance, esquive d’abord. Puis Attaque et Défense. Mon Toxizap est encore trop jeune, mais je pense que ça ne pourra lui faire que du bien ce genre d’entrainement, même s’il ne fait que regarder.

Alors que l’entrainement avance, Strepit, encore trop jeune, s’endort au pied d’un arbre, Vulca à ses côtés, le couvent comme elle couve Ange. Mon amie de toujours me ressemble énormément, ou bien je lui ressemble. Peut-être qu’on se ressemble mutuellement. Marquées par la vie, nous n’avons eu pendant longtemps que la compagnie de l’autre. Quand j’étais petite, je me suis mise à grogner quand j’étais mécontente et à pencher la tête sur le côté quand j’essayais de comprendre quelque chose. Et aujourd’hui, je le fais encore. Elle a été pendant longtemps ma seule famille, jalouse et possessive et méfiante du monde. Aujourd’hui, j’ai un bébé, un amoureux en la personne de Leonard. Vulca a aussi un bébé, Ange, et un amoureux, avec Albio. Je pense qu’ils sont aussi amoureux. Et Albio ressemble beaucoup à Leonard. Joueur, câlin, curieux. Peut-être que Vulca et moi ne sommes que deux éclats d’une même âme.

Oster, mon Nidoking et ma Malamandre ont disparu dans les bois. Ils s’entrainent au combat. Ma malamandre étant bien plus rapide et simple, elle évite le contact avec mon Nidoking, qui s’acharne à lui mettre des coups. Leur affrontement les a éloignés de la clairière, où il ne reste au centre que Pouiky et Albio, les deux Pokémons de glace que j’ai emmenés.

Et Incubus… L’Ectoplasma s’est éclipsé sans un bruit, comme à son habitude. Un promeneur va faire les frais de ses farces, dont il ne se lasse jamais. Je plains sa pauvre victime et espère qu’elle ne fera pas d’attaque cardiaque.

Je reprends doucement mon souffle et bois une gorgée d’eau lorsqu’un bruit me fige. Je tends l’oreille. Quelque chose approche. Je me tourne de trois-quarts vers l’origine du bruit. Je peux voir ce qui arrive sans donner l’impression de regarder. Je n’arrive pas à voir ce que c’est. Un Pokémon ? Un humain ?

Waaaah !

C’est un humain. Et un débile certainement. Je fais face au sous-bois et à l’origine de l’exclamation. Un jeune homme en sort et se place sous mon regard glacial. Je le dévisage sévèrement. C’est qui ce type qui se pointe au milieu des bois. Sérieusement, je suis un aimant à boulet et emmerde ou quoi ? Je pars vivre seule dans les montagnes, et je construis mon arène sur une ligne de migration d’abruti (bon en réalité, c’est une arène dans une réserve naturelle, évidemment que les gens allaient venir, c’est moi qui n’ai pas fait le bon calcul pour avoir la paix). Je redonne dans les monts gelés, je tombe sur un groupe de personne. Petit moment à la plage, pareil. Entrainement au cœur des bois, encore un idiot. C’est super ma vie. Aiment à boulet je vous dis.

Il dit ne pas vouloir m’espionner, mais il est trop bizarre ce gars. D’où il me connait ? Et ce n’est pas genre, il me connait parce qu’on s’est déjà vu, puisqu’il n’est pas sûr de qui je suis. Ou alors il joue la comédie et c’est un piège. Parce que soyons honnête, personne ne me reconnait. Même à Windoria, c’est pas toujours gagné. Y a eu ce truc à la mairie et j’ai dit y aller parce que… je ne sais plus c’était chiant. Bah le gars à l’entrée a pas voulu que j’entre sans prouver que j’étais la championne d’arène. Sérieusement ? On m’invite pour un truc où je ne veux pas aller et je dois en plus justifier que j’ai le droit d’entrée.

Et là, au milieu des bois, y a un gars qui me reconnait en tombant sur moi par hasard. C’est trop louche.

Suspicieuse, je lui réponds par l’affirmative. Et voilà qu’il est fan.

Mais t’es qui ? On se connait ?

Un fan, je sais ce que c’est. Et je sais aussi que je n’en ai pas. Il y a des gens qui s’intéressent aux Pokémons glace et viennent me côtoyer pour les étudiants, mais personne n’est fan de moi. J’ai un sale caractère, je suis agressive, méchante et franchement, je n’aime pas les gens. Alors je ne fais aucun effort pour démentir cette personnalité. Alors, un fan de moi, en plein cœur de la forêt. J’en doute.

L’habitude de l’entrainement me permet de voir un détail, et le coin gauche de ma lèvre frémit. Je retiens cependant mon sourire jusqu’à ce qu’Incubus surgisse de derrière l’inconnu et pousse son rire d’outre-tombe, terrifiant d’un écho spectral, grave et puissant. C’est ce genre de blague qu’il affectionne et qu’il n’arrive plus à me faire. Et surtout qu’il n’a plus le droit de faire dans la maison sous peine de faire peur à Ange et de me mettre sérieusement en pétard.

Qu’est-ce que tu veux ? Dis-je pendant que l’autre se remet de ses émotions.

Ce garçon me crispe. Il a entendu parler de moi ? Dans quelle circonstance au juste ? Parce que des gens qui ont entendu parler de moi, c'est pas souvent bon. Généralement, c'est un groupe de pote où le grand frère d'un type que j'ai passé à tabac. Ces types reviennent m'emmerder parce que le voleur qu'ils ont comme petit frère est rentré en pleurant, le bras cassé, et qu'ils viennent chercher vengeance. Ce garçon pourrait être l'un d'eux, sinon pourquoi serait-il là ?

Quoi qu'il n'a pas l'air d'un bagarreur ou d'un gars des quartiers mal famés. Mais il pourrait très bien jouer son rôle à la perfection pour me piéger et me prendre par surprise. Même s'il n'a pas l'air particulièrement fort, l'apparence ne veut pas dire grand chose au combat. J'en sais quelque chose. Pendant longtemps, on me prenait pour une gamine sans défense, et on découvrait l'erreur que bien après, quand il était trop tard.

Et il croit vraiment m'avoir surprise ? Ce garçon aurait réveillé un Ronflex rien qu'en respirant dans la pièce d'à côté. Les gens ont toujours tendance à croire qu'ils sont spéciaux, ou qu'ils surprennent tout le monde, qu'on ne s'attend jamais à les voir ou je ne sais quelle bêtise. La réalité est que les gens sont stupides et une bande d'incapables. Ce n'est pas eux qui vont suprendre quoi que ce soit ou qui que ce soit.

La surprise et la frayeur que mon Ectoplasma lui inflige m'arrache un sourire. C'est bien fait pour lui. C'est ça que j'appelle surprendre quelqu'un. Mon Pokémon est devenu maître dans cet art et il ne cesse de s'améliorer. En me prenant par cobaye par exemple, mais en s'aidant aussi de Vitia ma Dimoret. Elle aussi aimme surprendre les gens et faire des blagues. Sauf que ses blagues sont bien moins agréable que celle d'Incubus. Généralement, quelqu'un finit blessé ou quelque chose dans le genre, alors qu'Incubus se contente d'une bonne grosse frayeur avant de partir en rien. Je ne dis pas que ça ne donne pas de cauchemars aux gens, mais au moins, ils sont entiers.

Encore un qui veut devenir champion. Avant de vouloir le devenir, je savais à peine à quoi il servait, mais manifestement, il y a plein de crétins qui veulent en faire leur métier.

Alors deux choses. La première est qu'il te faudra être beaucoup plus discret que ça pour me surprendre. La seconde est que tu arrives trop tard. Mon arène de Glace n'est plus à prendre. Il faudra que tu te battes contre Ethan lorsque ce crétin aurait enfin décidé de se bouger le fion et de prendre ses responsabilités.

Je regarde vers les arbres, un bref moment, perdu dans mes pensées.

Mais j'ai l'impression d'entendre ce discours très souvent : je veux devenir champion. Je veux apprendre à me battre. Comment je peux protéger les gens. Je singe en parlant, les idiots qui sont venus me voir pour me demander de l'aide depuis que j'habite près de Voltapolis. Et aussi ceux qui ont eu assez de courage pour venir à l'arène de Glace ou me parler dans les rues de Windoria. Quand tu dis tu t'intéresses aux champions ? Tu entends quoi par là ? Juste aux personnes comme un crétin de fan ?

J'ai besoin de connaître ces vraies motivations avant de lui proposer mon idée. Je ne peux pas la faire à n'importe qui et n'importe comment.

Et pourquoi tu veux devenir champion ?

Et il savait, Mercurio. A quel point les gens ne pouvaient pas tous être juste sympas, à quel point il pouvait se confronter à l'ingratitude et l'injustice. Lui qui pouvait être si naïf, il le savait mais ne s'y faisait jamais. Dans le milieu artistique, il avait été confronté à toutes sortes de réactions de là part de personnes qu'il ne connaissait même pas. Les compliments les plus doux - parfois bien trop - et les insultes les plus violentes.
Se détacher. C'est toujours ce qu'il avait appris à faire, pour ne pas trop se laisser submerger par ce monde, bien trop différent du sien au final.
Mais le vrai monde, celui qui laissait tomber les masques et les écrans, pouvait frapper bien plus fort.

-Alors deux choses. La première est qu'il te faudra être beaucoup plus discret que ça pour me surprendre. La seconde est que tu arrives trop tard. Mon arène de Glace n'est plus à prendre. Il faudra que tu te battes contre Ethan lorsque ce crétin aurait enfin décidé de se bouger le fion et de prendre ses responsabilités.
-Eurm... D'accord...

En vérité il n'avait pas voulu la surprendre, alors... si ce n'était pas le cas alors tant mieux... Et il ne connaissait pas du tout l'homme que la championne évoquait.
Après tout, ce n'était pas l'arène de glace, qu'il visait.

-Mais j'ai l'impression d'entendre ce discours très souvent : je veux devenir champion. Je veux apprendre à me battre. Comment je peux protéger les gens.

Et si le roux était d'un naturel calme.
Il n'appréciait pas ça. La manière dont elle singeait des rêves certes simples et banaux, mais des rêves tout de même. Des rêves dont la noblesse résidait justement dans leur désir de protéger et d'être accompli.
Sans doute pouvait elle se permettre de les singer parce qu'elle les avait déjà accomplis.
Et, de cette surprise pure et cette curiosité naïve qui s'étaient peintes sur le visage de Mercurio, ce fut un dégoût et une désillusion qui les remplaça.
Mais pas un mot ni une protestation ne sortirent de sa gorge nouée.

Pourtant elle n'en avait pas fini, la championne de glace. S'il avait su, sans doute aurait il tenu sa langue.

-Quand tu dis tu t'intéresses aux champions ? Tu entends quoi par là ? Juste aux personnes comme un crétin de fan ?

Un crétin de fan.
A ce moment là, l'estomac du jeune homme se retourna. Lui même ne qualifiait pas ses fans comme ça - sauf, quand même, ceux qui partaient dans les extrêmes... Mais lui était il parti dans ces extrêmes pour une présentation maladroite ?
Certes, Mercurio était maladroit, réservé, émotif et nerveux. Mais même lui savait qu'il ne méritait pas autant de mépris pour une question innocente.

-Oui oui, c'est exactement ça...

Avait il soupiré, en balayant de la main ce qu'il venait de faire, comme si ça n'avait plus d'importance maintenant.
Et en effet, ça n'en avait plus.
Pour le roux, les champions, comme les artistes, se devaient de vendre un certain rêve. Au delà de leur humanité, ces titres devaient inspirer, faire rêver et motiver. Et c'était justement pour ça que Mercurio s'était créé un nom de scène, un masque, "Fortunato" qui ne lui ressemblait pas du tout au naturel.
Mais la, ça ne lui instaurait pas du rêve. Juste une réalité froide et moqueuse, mais au final si banale et quotidienne.
Et Mercurio oubliait souvent le quotidien, perdu entre son propre monde et celui de la scène.

-Et pourquoi tu veux devenir champion ?

Encore une fois.
Allait elle le mépriser ?
Car son rêve à lui n'était pas si différent. Devenir plus accompli. Se battre pour son rêve. Se rapprocher de ses pokémons et se battre à leurs côtés.
A croire que tout ça n'étaient que des rêves risibles.

-Sans doute pour les mêmes raisons stupides. Rien d'intéressant.

Avait il dit d'un ton acide, mais pas méprisant non plus.
Car il avait compris le message.
Pour la grande championne, le débutant qu'il était était aussi dérangeant qu'un moustique.
Et tout compte fait, le crétin de fan qu'il était préférait ravaler sa curiosité, ravaler sa fierté et ses questions, pour simplement s'éclipser.
Car plus que déçu, il était énervé. Et il ne voulait pas laisser cette colère prendre le dessus sur lui.

-Désolé de vous avoir dérangée, championne. Je ne suis encore qu'un débutant, alors je vais vite m'éclipser...

Et il avait fait exprès de l'appeler par son titre.
Car il savait, que pour certaines personnes, cela créera toujours un fossé.