Esquisse et Alix: :

    « Monsieur le juge, mesdames et messieurs, bonjour.

    Aujourd’hui  permettez-moi d’aller droit à l’essentiel. Aujourd’hui  devant vous, un litige. Aujourd’hui, deux frères doivent en venir à la justice pour répondre à cette question : Qui d’eux deux mérite le plus de recevoir l’héritage de leur oncle, le Château de Cube ? »

   La  salle est bondée. Le brouhaha s’est éteint avec mes premiers mots. Ce public de curieux n’attend plus que la suite. Les chaises remuent dans le silence. Il n’y a pas de retour en arrière. Dressé sur le tabouret pour compenser ma faible taille de chat, je prends une dernière inspiration.

   « Mesdames, Messieurs, à ma droite, laissez-moi vous présenter Axel, un homme brave ayant vécu sa vie comme il l’entendait. Durant de longues années, il a refusé de céder à la pression de la société, poursuivi ses rêves. Qu’importe les épreuves, les menaces et confrontations, il est toujours resté droit dans ses bottes, accroché à ses idées. Il a hissé au firmament l’étendard de ses ambitions. Quoi qu’en disaient les autres, il a poursuivi ses passions jour et nuit. Tous les soirs, il a  gratté les cordes de sa gui-tard à s’en user les doigts. Tous ces efforts pour une récompense, pouvoir se tenir fièrement devant vous en cet instant. Fier de son parcours, fier de ses efforts, fier de l’homme qu’il est devenu.

    Et selon vous sa famille l’a-t-elle soutenue dans l’adversité ? Ha ! Quelle vision idyllique. Malheureusement, notre monde n’est pas aussi tolérant. Ce monde ne rêve que de nous implanter sa réalité. Pour preuve, voyez, ce corps de félin qui m’a été imposé à moi, humain dans l’âme. Non, ce monde ne rêve que de nous transformer, de nous moduler au gré de ses désirs. Nos rêves et espérances ? Des fabulations d’un soir insignifiantes à ses yeux. Qu’importe que l’on ne s’y attache, il s’acharne à nous changer, à dénigrer nos protestations. Qui sait ? Peut être qu’un jour, finirai-je par marcher à quatre pattes à la recherche de la pâtée ? Ce qui est sûr, c’est que des hommes et des femmes lui opposent une résistance tout aussi farouche. Ce sont des trésors qui apportent renouveau et beauté à notre monde. A mon sens, il n’est que moral de les soutenir dans leur lutte difficile. Et dans cette pièce, je suis convaincu qu’il y en a au moins un. Un homme qui n’a eu la chance d’être soutenu par ses proches. Nous avons un homme qui lutte pour ses rêves et qui nous émerveille de ses musiques chaque jours un peu plus. Un homme qui mérite notre respect le plus sincère. Un homme qui se tient à ma droite. Cet homme est Axel !

    Que dire de celui à ma gauche alors ? Homme d’affaires compétent ? Parangon de notre société ? Riche ? Mais riche de quoi exactement ? De bonheur ? De sourires ? D’espoir ? Non, Il ne possède qu’une chose et il y a tout sacrifié. Nous le savons déjà tous mais je vais tout de même le dire. Il l’a fait pour le pouvoir, pour l’argent. Mesdames, messieurs, un tonnerre d’applaudissements pour Zach, le vainqueur de la vie !

C’est indéniable, monsieur Zach, vous avez gagné jusqu’ici. Pour cela, je vous tire mon chapeau bien bas. Mais… Pourriez-vous nous en rappeler le prix ? Tromperie, trahisons, je vous le dis, c’est avec cela que vous avez payé ce titre. Vos habiles manigances vous auront mené bien loin sur la voie du succès, je vous l’accorde. Mais sur la voie de l’humain, vous avez marché à rebours. Je ne vous poserais qu’une question : n’en aviez vous pas déjà assez ? Il est dans la nature humaine de rêver. Dans votre cas malheureusement, j’appellerais plutôt ça de la voracité. Vous essayez de dévorer ce qui vous entoure pour n’en sortir que plus imposant. Pas que cela ne vous ait pas réussi, je vous le concède, vous avez gagné. Cependant, vous avez aussi perdu. En trompant ces inconnus, avec vos belles manières et vos paroles mielleuses, vous avez bâti votre tour d’ivoire. Une tour si grande que sa cime touche les nuages. Ils sont probablement les seuls qui ne vous en veulent pas d’ailleurs. Je vous félicite, vous avez créé une bâtisse que personne n’espère égaler. La seule chose qui rivalise avec son ombre est la foule qui gronde à ses pieds. Je vous souhaite de l’avoir pensée impénétrable, cette tour, car si ce n’est le cas, j’ai bien peur que nombre de gens ne soient tentés d’en forcer la porte.

Et tant que l’on parle de porte, pourriez-vous m’indiquer les invités de votre demeure, ceux qui y apportent un peu de chaleur humaine ? Excusez-moi, j’avais précisé que je ne poserais plus de question. Celle-ci m’a malheureusement échappé. Pour me racheter, laissez-moi donc y répondre. La malheureuse réponse est que les pierres de votre tour sont bien froides, monsieur. Vos tromperies ont attisé les foules, mais vos trahisons n’ont fait qu’éloigner vos amis. Lors d’un creux de votre vie, vous  aviez pourtant trouvé un groupe de compagnons, des gens charmants, vraiment. Vous aviez bien des projets d’avenir, vous et eux. Vous rigoliez en imaginant votre librairie. Un « concurrent à la bibliothèque des rats » que vous disiez. Un endroit resplendissant. Aujourd’hui propriété d’une chaîne de T. Probablement que tout cela aurait pu être évité si vous étiez resté, ou même parti sans la caisse de la boutique, notez. Pari gagnant, il semblerait, monsieur le copropriétaire de ladite chaîne de T. Quel est le dicton déjà ? D’une pierre deux coups ? Mais ils devraient vous remercier, non ? En tant que patrons de cet établissement rentable, ils ne devraient plus jamais manquer de quoi que ce soit, si l’on omet les rêves évidemment.

Mesdames, Messieurs, je vous demande d’applaudir le génie économique et l’accomplissement social de l’homme à ma gauche, Zach !

    Et vous, mesdames, messieurs en face de moi. Quel choix ferez-vous aujourd’hui ? Aujourd’hui, qui mérite donc d’être récompensé pour ses actes ?  Acclamerez-vous aujourd’hui cet homme qui s’est battu pour son rêve à la seule force de ses bras ou celui qui a écrasé celui des autres pour y parvenir ? Aujourd’hui est un jour spécial car vous avez le choix. Alors rêvez, rêvez d’un monde de couleur et de passion. Rêvez, de vos joies, de vos désirs.

Rêver de votre avenir et ne laissez personne le saccager.

    Merci de m’avoir écouté, je laisse ici la place à mon collègue. Monsieur Zei, impressionnez-nous. »

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    Je m’assois. Reprend mon souffle. J’ai beau ne rien en avoir laissé paraître, ma tirade m’a fatigué. Choisir les mots justes. Les énoncer sans faillir à leur sens. Captiver. Un exercice difficile que j’espère avoir réussi. Je dois bien ça à cet homme. Alex s’est déjà bien battu, il n’est que justice qu’il gagne, au moins cette fois.

Perdu dans mes pensées je ne remarque pas tout de suite que Zei à commencé sa plaidoirie.

« … réclamer un bien matériel qu’il considère lui revenir de droit »

    Parce que ce n’est pas le cas peut être ? Réveille toi mon grand ! Évidement que ça lui appartient : sa famille lui a mis des bâtons dans les roues alors qu’il cherchait le bonheur. C’est normal qu’il se serve maintenant qu’il le peut ! Ce n’est que juste rétribution. Ils peuvent même s’estimer heureux, si j’étais à sa place, c’est pas le château que j’aurais pris, mais tout ce dont elle m’a privé. Argent, Meuble, jusqu’à la dernière chaussette que je leur auraient fait payer.

« Sous ses airs de gentilhomme, Axel est bien loin d’être aussi parfait qu’il vous a été présenté »

    Nous sommes ce que nous voulons être. C’est ce que tu dénigres qui fait de lui ce qu’il est. Nos manières et nos habitudes sont ce qui nous définissent. Un acte isolé n’a rien à voir avec notre nature essentielle. Je suis humain car je me comporte comme tel. Ces vêtements et mon étiquette le prouvent. Et si cela s’applique pour moi, ça doit être vrai pour les autres. Si cela dépendait du fait qu’il m’arrive de suivre frénétiquement un laser des yeux, qu’est-ce que cela voudrait dire ? J’en suis convaincu, je suis humain. Je vous le dis, je suis humain. On ne peut pas m’enlever cela.


    L’heure du verdict approche, il faut que je gagne. Je le dois.

Zei:

Ezylone:

Allons bon. Me voilà bloqué dans cette grande pièce austère où rien n’est fait pour vous donner l’envie de sourire. Que ce soit les bancs rustiques sans le moindre confort, les murs vides de toute décoration ou encore les mines sérieuses de chaque personne présente pour ce jugement, c’est à vous faire pleurer un clown. Et je ne parle même pas de la voix horripilante de la boule de poils ridicule qui se fait l’avocat des pauvres et des opprimés. Pas très étonnant venant d’un change-forme me direz-vous. S'il pouvait au moins abréger...  

Me fichant royalement de la vie soi-disant dure de ce pauvre Axel, je jette quelques regards en direction des quatre hommes en costume pourpre qui se démarquent parmi toutes les robes noires. D’accord, j’ai peut-être été un chouïa trop loin en essayant de dérober le dernier gadget utilisé par les archimages, mais que voulez-vous, sans ambition on ne va pas bien loin dans la vie. Cela dit, je ne comprends toujours pas pourquoi ils ont décidé de m’envoyer ici plutôt que de me laisser moisir dans l’une des nombreuses geôles du royaume. Certes l’ambiance générale n’y est pas beaucoup plus joyeuse et devoir défendre les intérêts économiques d’un étranger n’est pas pour me plaire, mais avouez que c’est assez déroutant comme punition.

« En trompant ces inconnus, avec vos belles manières et vos paroles mielleuses, vous avez bâti votre tour d’ivoire. »

La vision d’un chat ayant l’audace de se penser mon égal a de quoi mettre ma patience à rude épreuve il est vrai, mais c’est surtout la façon dont sa voix raisonne entre ces murs qui est perturbante. Comme si un certain malaise prenait doucement forme au creux de mes entrailles. Pourtant, craindre un échec face à un félin miniature n’est pas dans mes habitudes.

Nouveau regard en direction de mes geôliers qui restent de marbre, parfaitement droits dans leur costard à la fois si éloigné et si proche de leur robe classique. Ils ne m’offrent pas le moindre indice sur la réelle signification de toute cette mascarade. Qu’est-ce que les archimages manigancent encore ?

Coup d’œil vers ce Zach qui n’a rien pour me rendre ma confiance habituelle. Il garde ce petit air suffisant, se tenant parfaitement droit et ne laissant pas voir le moindre signe d’affection vis à vis des paroles du chat. Je crois que je dois renvoyer à peu près la même image. Ce qui ne m’empêche pas de continuer à me torturer le cerveau à la recherche du but de tout ceci.

« Vos tromperies ont attisé les foules, mais vos trahisons n’ont fait qu’éloigner vos amis. »

Nouveau frisson qui me parcourt l’échine en sentant le poids de ces mots qui paraissent se jouer de moi. Pourquoi faut-il que je me sente si mal ? Et depuis quand est-ce que je donne de l’importance aux idioties que ne peuvent que colporter ces animaux qui ne sont bons qu’à nous imiter ? Un simple sourire suffisant pour tenter de garder le contrôle de mon image, j’ai l’impression que ses accusations ne vont jamais prendre fin. Comment peut-il autant parler ? Sûrement un complexe de taille.

« Impressionnez-nous »

J’ai beau garder ce même air impassible et multiplier les techniques d’auto-persuasion, je me sens toujours aussi peu sûr de moi lorsque mon tour vient. Pire, c’est comme si chacune de ces paroles m’avait ôté, petit à petit, tout ce qui fait habituellement ma force. Et des paroles, il en a balancé un paquet.

Malgré la goutte que je sens couler le long de ma nuque, je puise dans les dernières ressources qu’il me reste pour assurer le rôle qui m’a été confié. Pas pour sauver les fesses de cet homme qui m’est étrangement si semblable, mais parce que je ne me remettrai jamais d’une défaite face à greffier.  

« Vous impressionner ? Je ne vais pas avoir besoin d’aller jusque-là pour faire mieux que ce ridicule plaidoyer. Mais puisque vous insistez, laissez-moi vous montrer comment on fait sans avoir besoin de monopoliser la parole pendant des heures. »

Je me redresse et tous ces regards inquisiteurs braqués dans ma direction me glacent immédiatement le sang. Mon cœur rate un battement et je sens mes doigts horriblement froids. Heureusement, je n’ai jamais eu la moindre difficulté à envoyer le fond de ma pensée sans y aller par quatre chemins. Parce que oui, de ce que j’ai compris de ce fameux Axel, il n’est pas si angélique que ce qui est affiché par le chat.

« Comme il est facile de pointer du doigt les défauts assumés d’un homme. Mais à qui la faute si cette société ne nous laisse d’autre choix que de rechercher l’enrichissement personnel ? Qui blâmer quand le résultat est davantage valorisé que les moyens ? Non, la seule chose dont est coupable cet homme est de ne pas chercher à cacher sa réussite.

Son frère que vous nous décrivez si droit et si honnête l’est-il réellement ? Doit-on seulement juger la façade d’un homme ou ce qu’il est au plus profond de lui-même ? Un artiste dites-vous, qui n’a pour seule ambition que la beauté de ses chansons ? Un homme éloigné des désirs d’enrichissement dont vous incriminez Zach ? C’est peut-être ce qu’Axel cherche à nous montrer, mais je vais vous dire, il n’est pas si différent de son frère en ce point. Il est seulement plus doué pour le cacher. J’en veux pour preuve qu’il se trouve aujourd’hui devant nous pour réclamer un bien matériel qu’il considère comme devant lui revenir de droit.

Un bien matériel ayant appartenu à cette même famille qui vous nous l’avez dit, n’est pas en accord avec la voie qu’il a décidé de suivre. Rien d’étonnant à cela quand on voit qu’il préfère profiter d’une vie comme bon lui semble, pour ne se retourner vers ceux qui l’ont élevé que lorsqu’il est question d’héritage. Aussi fier de son parcours soit-il, il n’en est pas moins attiré par les richesses comme tout un chacun.

Je ne pense pas avoir besoin d’en dire beaucoup plus, mesdames et messieurs, pour que vous vous rendiez compte que sous ses airs des gentilhomme, Axel est bien loin d’être aussi parfait qu’il vous a été présenté. Préférez-vous favoriser un homme qui privilégie la réussite et l’assume pleinement, qui ne se cache pas derrière de faux semblants, ou un homme qui n’a que faire de l’avis des autres, qui se contente de suivre égoïstement ses seules envies, et qui n’hésite pas à faire volteface dès qu’un gain potentiel fait son apparition ? Je suis sûr que les êtres avisés que vous êtes ne peuvent que partager mon avis sur la question. »

A peine mon discours terminé, je m’incline légèrement et me rassois, mes jambes ayant du mal à ne pas me trahir. Mon cœur n’a cessé d’accélérer à mesure que les mots m’échappaient. Et toujours cette même fichue impression que quelque chose ne tourne pas rond.

Quelques coups de marteau sur une table en bois et l’atmosphère se fait encore un peu plus pesante, me clouant presque au sol.

« Messieurs, je vous remercie pour vos prestations. Le jury termine de se concerter pour annoncer un verdict. »

Je regarde à nouveau en direction des costards pourpres. Et cette fois, je peux très clairement distinguer ce sourire condescendant se dessiner sur leurs lèvres. Est-ce un test ? Un gadget à base de magie d’illusion visant à rendre fou la personne ciblée ? Est-ce que je vais devoir finir ma vie dans cette salle glauque ? Ou toute cette mise en scène n’était-elle qu’une mascarade visant à faire mon propre procès par le biais de cet inconnu qui m'est familier ?

« Les délibérations sont closes. »

L’adrénaline est à son maximum. Mais une forme affreusement désagréable, que je n'avais jamais expérimenté. Je me sens beaucoup trop concerné. Comme si le verdict n’allait pas seulement décider d’une stupide question d’héritage, mais qu'il risquait de sceller mon propre sort.