Avant propos:

Le bruyant murmure propre aux mégapole résonnait aux oreilles de l’homme. Les lumières des véhicules, lampadaires, éclairaient son visage fatigué, ses cheveux et vêtements crasseux ainsi que les canettes d’alcool couchés auprès de lui. Il avait le visage d’un homme de vingt et un an qui semblait pourtant en avoir vingt de plus. Entre ses lèvres était coincé un tube de carton, dont s’évadait une fumée claire.

Les lumières de la ville donnaient aux yeux vides du vagabond un éclat carmin. Sans prêter une quelconque allusions aux émanations magiques de la ville. L’homme regarda un moment ses pieds, suspendus dans le vide. Il était assis sur ce pont depuis un moment maintenant, sa guitare entre les mains. Il avait erré sans but dans les rues de Bloombury avant de s’asseoir sur le pont, de vider quelques bouteilles et de prendre son instrument pour chanter quelques vers, à défaut d’en descendre.

Chanter, c’était ce qui lui plaisait le plus. Ils pouvaient inventer une vie nouvelle, oublier ce quotidien incertain d'errance. Il s’agissait d’un doux moment où il pouvait s’adonner au mensonge.

“Il était, un errant, et savant, ménestre(l)
Qui savait le langage des mots et des maux,
Un virtuose des cordes, comme des scalpels,
Il partageait ses talents d’hameau en hameau.

Jamais les jours ne se ressemblaient pour lui,
A chaque matin son éclatante rosée
Un nouveau ciel étoilé chaque nuit
Dans ses chants chaque journée est consignée

Car il ne faut pas oublier”

Sa voix avait perdu en intensité, pour ne devenir qu’un souffle à la fin de son couplet. Ses doigts se mirent pourtant à danser sur les cordes avec plus d’intensité.

“L’émeraude et l’opale,
Sont des trésors qui ne font don
D’aucune marque, d’aucun son.”

Il répéta ce court refrain plusieurs fois, d’une manière entraînante. Il embraya avec la même énergie sur un nouveau couplet.

“L’éphèbe interrogeait chacune des journées,
« Quelles aventures allez-vous me racontez?
Métamorphosées en vers et pieds au soir,
Pour toujours les avoir gravé en mémoire ».”

Alors que les vers qu’il s’était murmuré s’achevaient, un autre chant s’éleva. Presque comme s’il répondait au sien. Ce chant exprimait l’incandescente passion d’un garçon vivant sur un monde de glace. Bizarrement, ce genre de thématique lui semblait familier. La suite de la chanson parlait d’une révolte de ce jeune garçon entre les étoiles contre ces créateurs. L’histoire était amusante, sujette à de nombreuses interprétations. Mais en déliter le sens maintenant, n’était pas vraiment important.

Guidé par sa curiosité, le crasseux musicien se retourna pour distinguer l’apparence de cet autre chanteur. Quelle ne fut pas sa surprise quand il découvrit, au lieu d’un autre éphèbe aux cheveux gras et à la mine abîmée, il trouva un bout de bois. Plus qu’un bout de bois, il s’agissait d’une baguette, elles étaient communes dans cette ville. C’était comme ça que se pratiquait la magie, après tout. Si le vagabond pouvait se passer de baguette pour recourir à sa magie, il était néanmoins beaucoup moins polyvalent que tous ses sorciers et leur précieux catalyseur.

Mais jamais, il n’avait vu une baguette chanter d’elle-même.

Un sourire passa sur son visage, alors qu'il détourna son regard de la brindille magique pour regarder à l’opposé. Il fit glisser son mégot définitivement éteint dans une de ses canettes et rehaussa sa guitare. Ses doigts recommencèrent cette valse avec les cordes, tandis qu’une mélodie calme et douce s’éleva pour accompagner sa réponse.

“C’est un conte bien distrayant,
Qui me semble bien important.
Pour être chanté sur un pont,
Pour cette prestation, nulle rançon,
Autre que celle de votre public
Bercé par votre musique”

Le ménestrel se contentait d'accompagner ces quelques mots avec des notes et des accords simples. Mais, progressivement, il entama une arpège un peu plus complexe.

"Éloquente Baguette, écoutez cela,
Pour remercier votre voix et son éclat.”

Le rythme de sa mélodie gagna en intensité alors qu’il commençait à fredonner un air, jovial.

“Il me faut vous parler d’un protagoniste,
Dont le dessein semble parfois égoïste,

Je commence !

Mon conte lui-aussi, se situe dans un pays
Tout couvert de neige, et tout de glace fait,
Son corps et son coeur étaient aussi réchauffés
Par une chaude passion pour les péripéties
Son insolence et son mépris des dangers
Avait failli, plus d’une fois, la vie lui coûter
Ceux qui décidaient, ne cessait de l’avertir
Du péril que son humeur faisait courir
A ce qu’il chérissait, ainsi qu’à lui-même”

Il enchaîna sur un refrain entraînant et dansant.

“De tout, il se fichait,
Seul le bonheur importait !
Et il dansait, et il dansait,
L’éphèbe ailé,
Déployant les ailes de la liberté !”

Le ménestrel s’emporta un peu sur le refrain, se prêtant une joie et une humeur joviale qui dénotait de son personnage. Et avec la même ardeur, il continua de chanter.

“Un jour, se réalisèrent et en un instant,
Les prophéties qu’on lui avait dîtes
Dépossédé de sa liberté bénite
Son coeur était froid, quand sa peine brûlait tant.”

Il reprit à nouveau sur le couplet, le chantant avec une gaîté qui contrastait avec le sens de ses vers.

“Si morale à cette histoire il y a,
C’est que la liberté doit être mesurée,
Elle ne doit pas atténuer tous les dangers
Ou c’est à la solitude, qu’elle vous destinera.”

Cette dernière strophe avait été teintée d’une tristesse un peu plus prononcée. La baguette ne lui répondrait plus.

Koniake serait partie avant que le sorcier ne revienne.