tw; deuil, trouble du stress post-traumatique, chantage, mention de tentative de suicide & mention d'auto-mutilation

Tu resserrais les bandages qui enveloppaient ton bras gauche en soupirant lourdement. En ce lundi matin, tu te préparais à faire quelque chose de productif pendant ta journée de congé, comme le membre responsable de la société que tu étais. Tu regardais ta réflexion dans le grand miroir de la salle de bain qui se dressait devant toi, replaçant quelques mèches blondes rebelles qui gênaient un peu. Dans la baignoire, ton petit Axoloto prenait son bain matinal, il semblait s’éclater. Ça en prenait peu pour le rendre heureux.
Tu aurais aimé que ce soit ainsi pour toi aussi. Mais bon… Peut-être, un jour.

Tu fis signe à ton Pokémon que l’heure du jeu était terminée en retirant le bouchon du drain avant de l’inviter à te suivre. Malheureusement, la membrane toxique sur le corps de ton Pokémon rendait votre communication un peu difficile, tu devais tout faire pour éviter qu’il ne fasse des niaiseries qui pourraient le blesser. Mais bon… Puppy, c’était Puppy. Il était particulier, et ne semblait rien craindre. D’ailleurs, une fois sorti du bain, tu t’empressais de lui remettre son collier et sa médaille pour éviter qu’il ne te fasse une crisette.

Aujourd’hui, tu finalisais enfin ton déménagement. Tu recommençais ta vie à zéro, à Mirawen avec un nouveau travail, loin de tout. Tu te sentais enfin prêt à faire ce grand saut, et le jour J était arrivé. Bien que tu étais grossièrement déménagé, ta mère t’avait écrit pour te dire qu’elle avait encore quelques unes de tes boites avec de tes effets qui s’y cachaient. Cela faisait quelques mois que tu vivais seul avec ton Pokémon dans cet appartement trop grand, et que tu n’avais pas revu tes parents. Ce serait relativement étrange, tu te disais. Tu ne leur parlais pas beaucoup de ces derniers jours, et pourtant, qu’est-ce que tu vivais, des choses.

Le trajet en autobus te faisait presque peur. Tu voyais les paysages familiers défiler sous tes yeux et un sentiment accaparant de nostalgie s’abattait sur ton petit cœur de poète.
À peine arrivé à Sunyra, l’autobus tournait un coin de rue où se trouvait ton école, ton lycée, là où tu avais passé la majorité de ton adolescence. L’espace d’un instant, il y avait des choses qui te revenaient à l’esprit…

Tout au long des années, vous étiez dans la même classe. Mais tout au long des trois premières années, tu as dû subir le harcèlement que certains de tes camarades de classe exerçaient sur Béatrice. Car les différences sont visiblement du matériel pour se moquer, non ?
Tu passais les trois premières années de ton adolescence à frotter les insultes qui étaient écrites sur le pupitre de ta meilleure amie, à ignorer les bêtises qu’on criait à votre sujet, à devoir physiquement te battre avec tes camarades de classe pour protéger celle que tu adorais. Et même si ça t’attirait des ennuis ou que tu allais pleurer dans les bras de ta mère, le soir, tu préférais largement cela à tourner le dos à la seule personne qui avait pris le temps d’apprendre à te connaître. Et d’ailleurs, vois-tu, Ludwig, malheureusement, ta meilleure amie avait des gens à dos, pour simple raison qu’elle existait. Les moqueries finissaient toujours par dégénérer, même si les professeurs et les parents intervenaient. Enfin, on vous disait qu’il y avait un plan d’intervention, mais ça recommençait toujours. Tu n’avais  jamais vraiment osé te défendre face à vos intimidateurs. Mais cette fois, c’était sans doute la fois de trop. La fois qui allait changer ta vie, certainement.

Tu essayais de chasser cet horrible souvenir de ta mémoire pour rabattre la capuche de ton sweat contre ta tête pour te renfoncer dans ton siège et venir fermer les yeux. Tu devais te concentrer sur ta respiration, comme ta thérapeute te l’avait toujours conseillé.
Tu devais compter jusqu’à dix, et lorsque tu ouvrirais les yeux, tout serait revenu en ordre.
1…
2…
3…
4…
5…
6…

« Terminus de Sunyra, tout le monde descend ! »

Ah. C’était ton call.
Tu soupirais un peu avant de faire signe à Puppy de te suivre, alors qu’il se dandinait maladroitement pour sortir de son siège d’autobus et marcher à tes côtés. L’air pur de Sunyra emplissait tes poumons alors que tu regardais autour de toi. Tes mèches cendrées étaient balayées par le vent, tu osais revenir dans cette ville où tu ne te sentais pas particulièrement le bienvenu. Tu te sentais comme un criminel en cavale.
Avais-tu réellement fait quelque chose de mal… ou étais-tu simplement traumatisé par ta réponse à ce conflit ?

Tu sillonnais les petites rues pour finalement arriver à celle où tu avais grandi. Jamais en 24 ans tes parents n’avaient déménagé, et ça te rassurait presque. Tu te sentirais mal de voir une autre famille vivre dans ta maison d’enfance, dormir dans ta chambre, ou encore dans celle de…
Non, rien.

Alors que tu marchais d’un pas lourd, tu essayais d’éviter de te remémorer de ce que tu avais vécu, mais à chaque fois que tu passais par là, c’était inévitable. Surtout lorsqu’il s’agissait de la maison d’en face.

Elle.
Béatrice Bellerose.
Ah, Béatrice.
Elle faisait partie d’un gros chapitre de ta vie, Ludwig.
Un doux poison qui n’a que mené à ta perte, si l’on pouvait dire ainsi.
Une Kalossienne qui a emménagé devant chez toi l’été de tes sept ans. Ta seule amie, d’ailleurs. Car tu n’étais pas très doué pour te faire aimer de tes pairs, et tu étais encore moins populaire, d’ailleurs. Sauf que pour toi, Ludwig, une seule amie sur qui tu pouvais compter valait beaucoup plus que toutes ces personnes qui t’entouraient dans la salle de classe, que toutes ces personnes qui t’écoutaient jouer les dimanches ou lors des Jours Saints.
Elle était la personne qui prenait le plus de place dans ta vie, parce qu’elle comptait beaucoup sur toi.
Tu étais ses oreilles et sa voix.
Ta meilleure amie était diagnostiquée avec la maladie de Ménière depuis son plus jeune âge, menant à sa potentielle totale surdité. Pour lui amener ton soutien, tu n’avais pas hésité une seconde à apprendre l’ASL, tu voulais communiquer le mieux possible avec elle, même si tu la savais capable de lire sur les lèvres.
Béatrice était la personne pour qui tu aurais fait n’importe quoi. Tu lui partageais souvent tes troubles, et elle était la seule qui pouvait te comprendre. Elle te soutenait dans tes songes, comme tu la soutenais dans les siens.
Vous étiez inséparables.
Vous vous étiez rapidement liés d’amitié et aviez rendu la communication possible entre vous au-travers des années, même si la surdité de Béatrice ne faisait qu’empirer avec le temps. Tu passais tout ton temps chez ses grands-parents, et elle passait tout son temps chez tes parents. Vous faisiez absolument tout ensemble; elle était tout pour toi.
Pourquoi avait-il fallu que ça se termine ainsi…?

Tu respirais lourdement avant de passer cette maison pour te diriger vers la tienne. De toute façon, tu savais qu’elle avait déménagé il y avait longtemps de cela. Qu’elle avait une carrière, elle devenait quelqu’un, Béatrice.
Et toi, tu n’étais qu’un pauvre idiot qui se tapait encore sur la tête après toutes ces années.

Tu enfonçais la clé dans la porte pour ouvrir cette dernière, non sans être accueilli par le Ponchien de tes parents qui aboyait joyeusement, comme surexcité de te revoir débarquer chez eux. Tu pris le temps de retirer tes chaussures pour le caresser, avant de te relever pour voir que tu étais aussi accueilli par ta mère qui t’ouvrait les bras.
Tu étais heureux de vivre seul, mais les bras de ta mère qui te réconfortaient te manquaient plus que tout. Tu donnerais tout pour qu’elle s’occupe de toi, qu’elle prenne soin des maux dans ta tête comme elle prenait soin de toi enfant, lorsque tu étais malade.
Mais malheureusement pour toi, ta mère, bien que religieuse, ne faisait pas de miracles. Tu ne pourrais pas t’échapper de ce cercle vicieux qu’était le train de tes pensées, tes souvenirs qui te hantaient… Surtout ici, à Sunyra.

Vous aviez passé l’après-midi à discuter autour d’une tasse de thé. Des choses classiques; est-ce que tu manges bien, est-ce que tu dors à des heures raisonnables, vas-tu encore à l’Église les dimanches… Tu aurais aimé être honnête, mais la réponse à toutes ces questions était non.
Par chance qu’elle ne voyait pas ce que tu cachais sous tes manches.

« Es-tu allé visiter Ingrid, récemment ? »

Ingrid ? Son nom faisait comme un écho dans tes oreilles que ton cœur tombait lourdement dans ta poitrine.

Ingrid.
Ingrid, ta grande sœur qui t’aimait et te protégeait depuis ta plus tendre enfance. Vos trois ans d’écart se faisaient particulièrement ressentir; elle était terriblement mature pour son âge. Elle ne vous dérangeait pas trop, Béatrice et toi, mais elle appréciait particulièrement votre présence. Elle prenait toujours le soin de vous emmener avec elle lorsqu’elle sortait, et elle veillait sur vous tel un ange gardien. Qu’est-ce que tu l’aimais, ta grande sœur. Qui ne pouvait pas l’aimer ?
Jeune adulte, ta sœur semblait également avoir trouvé l’amour. Un amour que tu ne partageais pas.
Tu n’arrivais pas à résonner avec l’énergie de cet homme qu’elle te présentait. ‘Un mec de l’université’, tel elle le décrivait. Si elle le trouvait mature, charmant et distingué, tu le sentais plutôt comme dangereux, effronté et perverti. Comment tes parents pouvaient-ils l’accepter ? Béatrice t’avait fait part des mêmes songes, d’ailleurs, et vous passiez la plupart de votre temps à parler dans son dos.
Tu ne l’aimais pas du tout.
…
Le lendemain du bal, tu t’étais réveillé sur une dizaine d’appels manqués de tes parents, et un message vocal. Il n’était déjà pas dans leurs habitudes de s’absenter de la maison pour la nuit, mais en plus de t’appeler autant de fois ? Tu sentais ton petit cœur palpiter, tes pensées craintives se formaient doucement, même si tu étais à moitié endormi.
Tu composais le numéro de ta messagerie vocale pour tomber sur le pire qui aurait pu arriver.
Ingrid avait été déclarée morte le matin même, à exactement 4h37. Un accident de voiture qui lui avait coûté la vie, même si elle s’était battue toute la nuit pour survivre.
Son petit ami faisait de la vitesse alors qu’il n’était pas en état de prendre le volant. Selon ses dires à lui, ils se sont disputés et il a perdu le contrôle du véhicule.
Il s’en sortait, avec des blessures graves, il avait survécu.
Ta sœur était décédée.

« Ludwig ? Tout va bien ? »

« Maman, pardonne-moi pour ce que je vais dire mais… Est-ce possible de ne pas parler d’Ingrid ? »

« Je comprends. »

Même si ça faisait déjà plusieurs années, la blessure était encore fraîche pour toi, et tu savais que tu ne surmontais pas tout à fait cette épreuve encore. Ça t’avait pris du temps, et tu t’étais vu mentir pour prétendre que tu allais mieux. Mais Ludwig, Arceus sait que ça ne va pas bien dans ta tête, même si tu essayais tant bien que mal de te battre pour prétendre du contraire.

« J’ai fait le tour de ta chambre pour aller chercher tes effets manquants, il y a deux boites qui t’attendent. Je… Je voulais te consulter pour savoir ce que l’on ferait des affaires de ta sœur. Pour ne pas prendre de décision impulsive… »

« Tu veux t’en débarrasser…? »

« Ludwig… Ça fait déjà sept ans qu’elle nous a quitté, et ton père aimerait que l’on passe à autre chose. »

Tu t’isolais, ton deuil, qu’est-ce que tu le vivais mal. Tu ignorais les messages de Béatrice, et même si elle venait cogner à ta fenêtre, tu fermais les rideaux sous son nez. Tu n’étais pas d’humeur à la voir, alors tu t’enfermais dans le noir, à pianoter sombrement pour nulle autre que toi-même. Même la musique, elle ne t’inspirait plus. Tu avais abandonné tes cours, ton rêve de devenir un grand musicien. Sans Ingrid, la foule te semblait beaucoup trop vide. Pourquoi étais-tu tombé si bas ? Toi-même, tu ne savais pas. La seule chose que tu savais, c’était qu’elle te manquait terriblement. Tu t’étais surpris à même souhaiter la mort d’un pur étranger, parce que c’était ce que ton beau-frère était devenu pour toi. Tu étais sacrément bas. Trop bas.
Si bas que remonter n’était pas dans tes idées, et tes parents ne savaient plus quoi faire de toi. Tu ne laissais personne te voir, te parler. Tu t’isolais beaucoup trop. Tu sombrais dans un épisode dépressif sans fin, duquel tu avais mis trop d’années à te remettre.
Lorsque tes parents étaient absents, tu te surprenais souvent à faire des siestes dans la chambre de ta grande sœur. Tes parents n’y avaient jamais remis les pieds depuis son décès, et pourtant ? Toi, oui. C’était sans doute irrespectueux, mais tu avais terriblement besoin du réconfort de ta sœur. Même absente, tu cherchais un moyen de la sentir encore vivante. Au-travers de son journal, de ses livres, de sa boîte vocale que tu appelais presque tous les jours. Tu cherchais désespérément une façon de combler ce vide, d’avoir une conclusion pour faire ton deuil.
Mais Ingrid était secrète. Elle ne tenait pas de journal, rien de tout cela. Mais au-travers de sa bibliothèque, tu trouvais des livres, des recherches qu’elle faisait. De l’astrologie ? Ta sœur était passionnée de l’astrologie. Tu ne le savais même pas. Après tout, tes parents vous imposaient des croyances bien ancrées, tu n’étais pas étonné qu’elle cachait ce en quoi elle croyait.
Et tu avais pris un après-midi entier pour t’intéresser aux recherches de ta sœur. À ses livres, à sa passion, l’astrologie. Et étrangement, tu sentais aussi ton intérêt vibrer. Un signe ? Était-ce ici la réponse que tu recherchais, cette façon de rendre ton dernier hommage à ta sœur ?
Sans le savoir, vous partagiez une passion commune. Et tu allais tout faire pour lui faire vivre son rêve au-travers de toi, tu avais trouvé ta nouvelle hyperfixation qui t’aiderait à retrouver un semblant de vie normale malgré ta grande rechute.

« Laisse-moi au moins regarder dans ses affaires une dernière fois, peut-être que je trouverais quelque chose qu’elle a laissé pour moi… »

Ta mère te regardait tristement avant de glisser sa main contre la tienne, comme pour te montrer qu’elle était présente pour toi et qu’elle était bienveillante. Toi, tu voulais simplement protéger ta sœur et son intérêt secret pour les étoiles.

« Mon Laporeille… Je pense que tu devrais éviter, aujourd’hui. Tu as fait beaucoup de chemin depuis le décès d’Ingrid, et je pense que pour éviter que tu rechutes, il serait mieux que tu n’y ailles pas. »

Elle avait raison, même si ça te faisait de la peine.
Tu soupirais légèrement, puis tu sortis de table après en avoir eu la permission. Retourner dans ta chambre vide te faisait étrange, c’était chez toi sans être chez toi. Les deux cartons t’attendaient au milieu de la pièce, ils étaient remplis. Comment aurais-tu pu oublier ces objets ? Étaient-ils vraiment importants ? Tu t’agenouillais contre le plancher pour délicatement ouvrir le premier carton qui était posé devant toi et… soupirer.
Ta mère avait vraiment gardé tout ça ?
Ton cœur se resserrait lorsque tu voyais des photos de ton bal des finissants.

Cette dernière année de lycée était probablement la plus belle année de ton adolescence. Tu irais même presque jusqu’à dire de ta vie entière. Ton entourage s’était calmé, plus rien ni personne ne comptait. Il s’agissait de toi et Béatrice contre le reste du monde. Vous viviez d’un amour passionnel, vous étiez intimes, sérieux. Un amour d’adolescents qui n’avait pourtant rien d’éphémère; vous étiez faits l’un pour l’autre.
Autrement que tu vivais ton histoire d’amour parfaite, tu ne te souciais pas vraiment du reste. Tes notes n’avaient jamais été aussi hautes, même si ce n’était rien de spécial, au moins tu n’étais pas en échec. Tu jouais toujours à l’Église, même si tu songeais doucement y renoncer, tu touchais à plus d’instruments et tu commençais à suivre des cours de chants. Ton horaire était chargé. Tes parents voyaient tes anxiétés se calmer, tu reprenais du poil de la bête. Tu avais des projets; tu comptais faire des études dans une des plus grandes écoles de musique à Lumiris…
On te faisait toujours la remarque que ta passion était ironique car ta partenaire était désormais sourde. Et pourtant ? Elle semblait t’encourager et trouver un moyen de profiter de ce que tu jouais. Les vibrations que ton piano, que ta guitare faisaient menaient à faire profiter Béatrice de ce que tu créais. Tu étais heureux qu’elle t’encourage.
Vous viviez la belle vie, car quelques mois plus tard, tu avais été accepté dans cette prestigieuse école. Chose que tu avais célébré avec ta douce, tes parents, ta sœur et… ton horrible beau-frère. La fin de l’année pointait enfin son nez; vous aviez lancé vos souliers sur le toit de l’école et vous aviez enfin fait vos adieux à ces salles de classe. C’était difficile de comprendre qu’il s’agissait de la fin, et qu’un nouveau chapitre s’ouvrirait pour vous deux en tant qu’adultes. Le monde s’ouvrait à vous, et tu l’attendais, tu étais prêt.
Vint enfin le moment que ta petite amie attendait avec impatience; le bal.
Elle s’y était préparée pendant toute l’année. Elle était magnifique, dans sa robe blanche. Elle avait l’air d’une princesse, tu te trouvais terriblement chanceux. La soirée s’était si bien passée, tu te sentais réellement comme si votre rite de passage à la vie adulte était en train de se faire. Béatrice et toi aviez même été nominés Prom King et Prom Queen, à ta grande surprise. Bon, tu savais que c’était un peu par pitié pour elle; tu trouvais même cela complètement hypocrite, mais tu n’allais pas te plaindre de ce titre. Il était plutôt flatteur, et il s’agissait de votre dernière soirée, après tout. Qu’est-ce que tu en avais profité, en gardant ta promise dans tes bras, en dansant au milieu de cette grande foule. Malgré les angoisses que tu ressentais habituellement en public, ce soir-là, tes craintes s’étaient estompées. Vous étiez tous les deux, vous étiez les personnages principaux, comme si le reste du monde n’existait pas.

Avec les mains tremblantes, tu n’arrivais pas à relâcher la photo. Tu sentais les larmes te monter aux yeux alors que tu passais au-travers de cette boîte; c’était la boîte de souvenirs que tu avais oubliée volontairement. Tu aurais dû la voir venir.
Même si ça te faisait de la peine, tu continuais de fouiller au-travers, à te torturer à la vue de toutes ces lettres d’amour, des portraits et dessins que Béatrice faisaient de vous deux, des photos, des polaroïds… Tu sentais une vive douleur te prendre en plein cœur, comme si ton torse brûlait sous ton sentiment de regret et de nostalgie.
Qu’est-ce que tu t’en voulais d’avoir tout gâché.
Tout ça à cause d’un deuil que tu n’arrivais pas à procéder.
Peut-on t’en vouloir ? Peux-tu VRAIMENT t’en vouloir ? Tu n’es pas complètement à blâmer, tu ne pouvais pas complètement contrôler tes réactions à cette tragédie. Pour toi, tu te voyais devenir un grand musicien, marier Béatrice, célébrer avec ta famille, vivre une belle vie et mourir une belle mort.
C’était tout le contraire.
Et c’était le moment ultime lorsque tu tombais sur ton ancien téléphone, qui était là, au fin fond de la boite. Tu figeais, en tendant doucement le bout des doigts pour le toucher.
Devais-tu…?

Tu figeais en voyant les commentaires sur le post qui avait été orchestré par Béatrice. Tu savais que vous étiez en mauvais termes après votre violente dispute qui avait mal terminé, mais étais-tu horrible au point d’être accusé de ces choses ?
L’avais-tu aussi mal traitée ? Certes, vous vous étiez mal parlé, mais tu n'avais pourtant pas levé la main sur elle... Alors... Pourquoi ?
« On est de tout cœur avec toi et on te croit, Béatrice. »
« J’ai toujours trouvé Ludwig bizarre et contrôlant avec toi. »
« Les hommes violents n’ont pas leur place dans notre ville ! »
« Si je le vois, il va y passer. »
« Tu es une victime et il doit payer les conséquences sociales. »
« Il ne mérite pas le support qu’il reçoit avec sa musique. »
Chaque commentaire que tu lisais, chaque menace te glaçait le sang petit à petit. Alors que tu sentais l’anxiété vivement monter en toi. Était-ce vraiment ce que les gens pensaient de toi ? Que tu étais un monstre, que tu étais étrange et que tu étais une horrible personne ?
Ce qui te faisait de la peine, c’était surtout que la plupart des gens qui commentaient ces choses étaient des gens que tu avais côtoyés auparavant. Tu n’étais pas le bienvenu, tu avais désormais une réputation de batteur de femmes.
Alors que tu commençais à retrouver la motivation de te lancer une carrière en musique, les gens avaient sauté sur l’opportunité pour te démolir. Sauf que Ludwig, toi et moi savons activement que ce post était mensonger. Tu avais toujours traité Béatrice avec amour et patience, même si votre dernière dispute avait été pire que désagréable et que vous vous étiez dit des choses que vous regrettiez tous les deux.
Mais ce qui te faisait encore plus mal que tous ces commentaires qui défilaient, c’était la situation en elle-même. Tu ne savais pas Béatrice ainsi, avait-elle autant changé depuis votre rupture ? Ce n’était pourtant pas son genre de faire cela, et c’était sans doute ce qui te crevait le plus le cœur.
Mais ce que tu ne sais toujours pas, c’est que ce n’était pas Béatrice derrière ce post, c’était son actuel petit ami qui te voyait activement comme une menace. Et tu étais la personne toxique ? Si tu savais entre quelles mains elle se trouvait actuellement, tu serais surpris.
Mais bon. Ce n’est plus ton problème, maintenant. Tu es tout seul.

Tu n’osais pas ouvrir ton téléphone pour voir tous ces reçus, tu avais peur de ressentir à nouveau cette panique qui te hantait depuis maintenant deux ans. Elle était une des raisons primaires de pourquoi tu avais fui Sunyra pour Mirawen. Tes sentiments étaient difficiles à comprendre, tu t’en voulais et tu te détestais pour le ressenti que les gens avaient envers toi.
Ludwig. Ce n’est pas ta faute si les gens croient des mensonges sur toi… Mais je comprends que tu te sentes comme ça, la pression de savoir l’œil public rivé sur toi est terriblement grande et intimidante, je ne t’en veux pas. Si tu veux, on peut changer de vie, on peut essayer de se relever ensemble. On n’est pas si différents, toi et moi. C’est sûrement pour ça qu’on s’entend bien et que la vie nous a mis sur le chemin l’un de l’autre. Oh, certes, je ne suis rien d’autre que ton narrateur. La petite voix dans ta tête, la personne qui te connaît mieux que n’importe qui, mais tu sais… Tu me ressembles beaucoup. Je ne sais pas si tu es inspiré de moi, ou si c’est moi qui suis inspiré de toi. Peu importe. Reprenons, qu’en dis-tu ? Tu dois sortir d’ici.
Vite.

« Maman, je pense que je ne prendrai pas ces cartons… »

« Je comprends, préfèrerais-tu que je les jette ? »

Tu soupirais un peu, en venant jouer dans les bouclettes blondes qui tombaient doucement contre tes épaules, avant de souffler.

« Si tu veux juste tout mettre au grenier… Ça ira, je crois. »

Tu savais que ta mère comprendrait, tu lui avais toujours tout dit, surtout concernant tes problèmes avec Béatrice. Mais elle ne pouvait pas tout arranger, tu avais quand même ton bout de chemin à faire. Elle te sourit, elle savait que ça te rassurait toujours, et que c’était ce dont tu avais besoin en ce moment. Elle s’approchait de toi pour t’enfiler un collier avec la croix autour du cou, avant de t’embrasser doucement sur le front.

« Je sais que les temps n’ont pas été facile, mon garçon, mais j’espère que tu t’accroches… Et que tu gardes la foi, tu sais que Dieu et qu’Arceus veillent sur toi. »

« Je suppose. Je sais surtout que toi tu veilles sur moi. »

Tu essayais de sourire pour convaincre ta mère que tu allais bien. Alors qu’elle baissait tristement les yeux.

« Ton père et moi, on trouve ça difficile sans toi. Tu nous manques beaucoup… »

« Vous me manquez aussi. Mais ma place est à Mirawen… »

« Je comprends. »

Tu voulais surtout t’en échapper. Tu adorais tes parents, plus que tout, mais la religion, et surtout la pression de rapidement guérir de tes maux, t’étaient insupportables. Tu venais serrer doucement la petite croix entre tes doigts, tu préférais déjà ça à un chapelet, et puis, tu aimais bien les bijoux. C’était un cadeau discret de ta maman.

« Tu aimes ton nouvel emploi ? »

Tu ricanais un peu.

« Oui, c’est bien. Je trouve les cours privés beaucoup moins stressants que les cours de groupe… Et la plupart de mes élèves sont très intéressés. C’est une opportunité en or que l’académie de musique m’a donnée, j’imagine qu’ils ont vu… quelque chose que je ne vois pas en moi. »

Ta mère passait doucement ses mains contre tes joues qu’elle posait son front contre le tien, en souriant. Ça ne manquait pas à te faire soupirer de bien-être.

« Oh, mon Ludwig, si tu savais. Tu n’avais que trois ans que tu pianotais déjà, et avec tous les cours de musique, tes excellentes notes et ton historique à l’Église ? Je ne me suis pas douté une seconde qu’un jour, tu aurais une grande place dans ce monde. Et tu sais, les enseignants sont souvent ceux qui font la différence chez les jeunes. »

Tu soupirais un peu, en regardant autour de toi. Ça te faisait plaisir, ce que ta mère te disait, cependant, tu ressentais tout de même une forme d’inconfort…

« Je suppose… Écoute, maman, sans offense… Je pense que je vais partir, moi. »

« Déjà ? Tu ne veux pas dîner avec ton père et moi ? »

Tu pinçais les lèvres en secouant légèrement la tête. Tu étais un peu saturé par les souvenirs et les émotions que tu avais vécus aujourd’hui, tu savais que c’était pour ton plus grand bien de partir aussi loin que tu pouvais, de tout laisser derrière toi une bonne fois pour toute. Tu souris légèrement en prenant les épaules de ta mère, qui semblait à nouveau attristée par ton départ.

« Faisons ça chez moi la prochaine fois, qu’en dis-tu ? J’ai presque terminé la décoration, bientôt ce sera convivial pour de la visite. »

Le sourire de ta mère se cassait en une triste expression alors qu’elle hochait la tête, avant de te serrer à nouveau dans ses bras. Le savait-elle ?
Tu la prenais tendrement contre toi, dans une étreinte qui se faisait rassurante, alors que tu pouvais la sentir hoqueter sous ses sanglots.

« J’aurais aimé t’enlever toute ta tristesse, et rendre ta vie un peu meilleure pour te garder longtemps avec moi… Promets-moi que tu ne fais rien de stupide, Ludwig, je t’en prie. »

Tu sentais ton cœur se déchirer sous les implorations de ta pauvre maman inquiète alors que tu ne pus que répondre par un lourd soupir et que tu resserrais tes bras contre le corps frêle de ta mère. Un câlin qui durait quelques minutes, avant que vous ne vous sépariez enfin, et que tu l’accueillais avec un sourire chaleureux alors que tu essuyais une larme contre sa joue.

« Ne pleure pas, s’il te plaît. Ça me fait de la peine quand tu pleures. »

Tu savais qu’elle avait mal. Mais c’était ce qui avait de mieux pour toi, et ta mère ne pouvait que te rendre son sourire malgré ses joues remplies de larmes. Elle te caressait doucement les épaules, avant de te guider vers la porte, non sans passer par la cuisine pour te donner les 15 plats et pâtisseries qu’elle avait faites pour toi. Ça te faisait rire un peu, de la voir aussi investie, ta mère adorait cuisiner… Elle avait même donné un Poképuff à Puppy, ça te faisait tellement plaisir.

« On se revoit bientôt, Lulu ? »

« Oui, je te le promets. Prends soin de toi. »

Tu l’embrassais sur la joue que tu partais sous son œil de maman inquiétée. Non sans jeter un dernier coup d’œil à la maison de Béatrice, il y avait un souvenir qui t’avait échappé…

Béatrice.

Son venin commençait à te paralyser soudainement, tu t’empoisonnais à l’idée de penser à elle et tu faisais de l’anxiété. Oh, mais Ludwig, Béatrice n’avait en rien été toxique.
C’était toi.
TU avais été toxique envers elle. Et par conséquent, tu n’avais plus de ses nouvelles depuis un an, déjà. Elle avait cessé de t’envoyer des textos, cessé de supplier tes parents pour des nouvelles et cessé de cogner à la fenêtre de ta chambre. Elle avait complètement disparu de la carte, et tu étais inquiet. Tu ne t’en étais pas particulièrement soucié depuis votre dispute, pourquoi ? Pourquoi l’avais-tu laissée tomber, l’avais-tu ignorée ? Tu ne voulais pas adresser la situation, alors que pourtant, tu lui avais lancé un cri du cœur, que perdre ta sœur avait changé ta vie en mal et que tu avais peur que tes idées sombres te consomment.
Elle ne méritait pas de subir ton trop plein, ta crise qui avait failli te coûter la vie. Tu te sentais tellement stupide.
Tu devais réparer les choses. Du moins, y avait-il réellement quelque chose à réparer, ou était-ce seulement ce que tu espérais croire ?
Il n’y avait plus rien entre vous. C’était embarrassant pour toi d’espérer le contraire, à vrai dire.
Tu avais mis plusieurs jours à y réfléchir, quelques sessions pour en parler avec ta thérapeute, peut-être qu’elle pourrait t’aider. Sauf qu’elle te l’avait dit, la seule personne qui pourrait le réparer, qui connaissait les bons moments pour le faire… N’était nul autre que toi-même. Et c’était enfin le moment.
À ta grande horreur, elle t’avait bloqué et unfriend sur tous les réseaux sociaux. Tu avais même essayé de lui envoyer un message SMS, et il ne s’était jamais rendu, soit elle avait bloqué ton numéro ou elle l’avait changé. L’internet n’avait pas vraiment de secrets pour toi; tu avais un compte pour partager tes pensées négatives que personne ne connaissait. Tu étais surpris lorsque tu avais réalisé que Béatrice ne t’avait pas bloqué sur celui-ci. Tu avais fait quelques petites recherches, savoir comment tâter le terrain.
Tu ne l’avais jamais tâté, au final, parce que ta lueur d’espoir s’éteignait lorsque tu découvris que Béatrice ne t’avait pas attendu.
Elle était déjà diplômée d’une grande école d’arts, elle n’habitait plus chez ses parents et elle était en couple. En couple avec quelqu’un d’autre que toi.
Elle réussissait.
Pas toi.
Elle réussissait.
Sans toi.
La nouvelle t’avait pris de court, et t’avait énormément blessé. Tu t’étais senti complètement stupide.
Mais à quoi t’attendais-tu, Ludwig ?
Tu n’es pas le personnage principal. Tu n’es pas le centre de l’univers. Il ne cesse pas de tourner lorsque toi tu cesses d’avancer.

Tu ne savais pas trop comment réagir, et un sentiment intense de négativité t’avait pris au ventre. Tu ne voulais plus poursuivre tes projets ici, les reprendre où tu les avais laissés. Quel est le but d’avoir une arme si tu ne sais pas viser ?

Tu avais tout raté.
Tu avais échoué à ton plan A.
Tu avais tout gâché, encore.

Était-ce la goutte de trop, celle qui t’avait poussé à devenir la suite de la pire version de toi-même ?

Tu as voulu creuser ta propre tombe.
La vie t’a enfin poussé dedans.

Cette pensée te faisait sourire tellement ton souvenir était douloureux. Et tu ne pouvais t’empêcher de détourner la tête pour te remettre en direction du terminus, l’esprit sombre et le cœur gros. Tu savais, à ce moment précis, que tu ne remettrais plus jamais les pieds à Sunyra.
Si les gens étaient passés à autre chose et que tu n’étais plus aux dernières nouvelles depuis un moment, tu t’étais enfermé dans une tour d’ivoire entourée d’épines. Si les gens ne te regardaient plus de travers et qu’ils étaient passés à autre chose, toi, tu te punissais pour des actions que tu n’avais même pas posées. Pour un manque de communication qui avait été exagéré en mensonges.
Meilleure chance la prochaine fois, Ludwig.