Pourquoi ai-je accepté une mission aussi ridicule alors que mon travail à mi-temps suffit à subvenir à mes besoins ? Probablement parce que l'appel du gain est plus fort que tout. En même temps, c'est normal de vouloir améliorer son style de vie, mais est-ce vraiment la bonne idée de devenir la dogsitter d'un jour pour un vieille femme aigrie et malpolie ?

À 8h30 du matin, j'arrive chez Mme Turcote. Normalement, je suis censée être accompagnée d'une jeune fille en manque d'argent comme moi, or, je ne la vois point. Il suffit d'attendre quelques minutes pour voir une jolie brune au regard pédant débouler.

« Salut ! C'est toi la meuf qui m'accompagne ? Enchantée, ch'uis Manon ! »

Les présentations sont écourtées car la vieille bique nous attend. Nous entrons toutes les deux dans sa maison, puant le renfermé. Une déco vieillotte tapisse les murs, raccord avec la vieille femme qui nous accueille.

« Vous êtes en retard. » geint la mégère.

Je hausse le sourcil en luttant pour ne pas répondre à sa provocation. J'éclaircis ma gorge avant de prendre un ton mielleux :

« Bonjour Madame Turcotte ! Vous allez bien ? Il est où vot' pitit Pompom ? »

À peine je l'interroge qu'elle gueule le nom de son clébard. Alors que je m'apprête à voir un Ponchiot à sa mémère, un Lougaroc patibulaire fait son apparition.

« C'est lui ... Pompom ? »

La dame n'en a que faire de ma remarque et nous dicte le programme de la mission. Nous devons promener le canidé au parc du Saule puis au Pont Caeli. Par contre, je me demande où se trouve la logique parce que le Lougaroc n'a pas le droit de bouffer des Poichigeon mais par contre il peut se délecter d'une bonne glace et d'un clafoutis bien sucré. Gardant malgré tout mes commentaires pour moi, j'écoute les indications de Mme Turcote. Le chien doit être de retour à la maison pour 18h, ce qui nous laisse toute l'après midi pour jouer. À vrai dire, cette mission me botte plus que prévu : il est évident que Pompom s'entendra à merveille avec PP mon Granbull et qu'avec moi, le toutou va passer un super moment. Mais qu'en est-il de ma collègue ? Est-elle aussi à l'aise que moi avec les clebs ? Sera-t-elle gérer Pompom quand il le faudra ? Cette journée va me permettre d'apprendre à la connaître.

Finalement, la vioque nous jette dehors avec son toutou. Ayant prise l'initiative de prendre la laisse, je me mets accroupie devant le Lougaroc avant de lui faire sentir mon odeur.

« Salut toi ! Moi c'est Manon. T'es drôlement beau gosse tu sais ? Tu vas voir, on va bien s'amuser !, je lui susurre dans l'oreille d'un air complice, Tu pourras même t'amuser à faire chier les piafs, à condition que tu manges le clafoutis de ta maman une fois rentré ! »

Aussitôt, j'invite PP à nous rejoindre. Le doge, tout excité, fait la connaissance de Pompom. Après un sniffage de boule pour se dire bonjour, le chien rose revient vers sa maîtresse, attendant de recevoir son magnifique collier en faux diamants.

« Voilà ! Pas de jaloux, vous serez tous les deux attachés ! Et si vous êtes sages, je vous l'enlèverai au parc. »

Ensuite, je tends la laisse de Lougaroc à mon acolyte avant de l'interroger.

« T'es à l'aise avec les chiens ? S'tu veux je pourrais t'aider, j'ai rencontré un super entraîneur qui m'a appris quelques astuces pour gérer un pokémon virulent ! »

J'esquisse un sourire franc et amicale à la demoiselle.

« On y va ? J'ai envie d'aller me fumer une clope au parc moi ! »

Alors qu'on marche en direction de l'aire de repos, j'en profite pour faire de la lèche sympathiser avec l'inconnue.

« On t'as d'jà que tu ressemblais à une mannequin ? Parce que franchement t'es super bien foutue ! »

Sans gêne, je coince un bout de sa chevelure entre mes doigts.

« Surtout tes ch'veux quoi, comment tu fais pour qu'ils soient aussi BRILLANTS et ONDULÉS ? Aah, j'aimerais bien qu'ma tignasse ressemble à la tienne ... »

Les cheveux de la brunette doit demander un entretien faramineux. Je ne suis pas contre quelques conseils pour prendre soin de ma chevelure.

PP commence à tirer sur la laisse. Son impatience risque de contaminer son congénère, c'est pour cela que je donne quelque coup sec sur la bride pour le faire ralentir.

Megumi Kurotsuki serait donc belle et bien mannequin. Sa chevelure est naturelle – je suis tellement jalouse – et la simple utilisation de bons produits suffisent à la rendre brillante. Envieuse, je demande la marque de ses shampooings.

« Eeh, c'est quoi les soins qu't'utilises ? Je me demande si y'a moyen de réparer mes ch'veux, déjà qu'avec le tabac ça fait pas bon ménage ... »

Megumi n'a pas le temps de me répondre que Pompom commence à faire du remue-ménage. La jeune fille galère tellement qu'elle a faillit se vautrer sur le béton. Un rire involontaire s'échappe de ma bouche : il faut dire qu'avec ses grands airs, la voir trébucher lui fait perdre une certaine crédibilité. Sacré Pompom !

« Tu ne peux pas rester droit et tranquille toi ?! » s'énerve la jeune fille sur le clebs.

Ce dernier n'en a que faire de ses réprimandes, trop intéressé par les chaglams et les miaouss qui règnent dans l'avenue voisine. La demoiselle me lance un regard exaspéré, me quémandant implicitement de prendre sa place. Je prends donc l'initiative :

« Tu veux qu'on échange ? Ça a pas trop l'air ton truc, les pokémons chiens. »

Nous échangeons de toutous. Pour divertir le Lougaroc, je choppe la friandise de Mme Turcote dans mon sac banane, la présentant à Pompom.

« Ah-ah ! Assis. »

Je ne bougerai pas tant qu'il ne sera pas calmé. Le temps de traverser la rue, je lui fais promettre une friandise uniquement si il est sage. À chaque agitation, je stoppe la balade et marche dans le sens inverse des chats. Au bout de quelques longues minutes, le doge réussit à traverser la rue sans aboyer sur les pokémons. Pour le féliciter de son comportement, je lui donne enfin sa petite gâterie.

« Tu vois comment faut faire Megumi ? C'est pas compliqué. 'Faut s'armer de patience et rester ferme sans avoir à gueuler sur le pokémon ! »

Enfin, nous rejoignons plus paisiblement le parc. Aujourd'hui, le climat est doux, le soleil est caché derrière les nuages et une petite brise vient caresser nos nuques. À cette heure-ci, il y a peu d'affluence dans le parc ce qui signifie que les chiens auront du terrain pour jouer comme ils le souhaitent.

« Viens, on s'pose ici ! » dis-je à Megumi en pointant un espace vert au soleil.

J'installe au pied d'un arbre ma grosse écharpe d'hiver faisant office de nappe. Je convie mon acolyte à s'asseoir avec moi.

« Ok, on va lâcher les chiens. Mais faut pas qu'on se la coule douce : on va jouer avec eux ! »

Je vide mon sac sur le tapis.

« J'ai amené pleins de joujoux comme ça, ils risquent pas de s'ennuyer ni de s'éloigner pour aller bouffer les oiseaux ! »

Je sors le frisbee préféré de PP. À la vue de cet objet, le chien devient tout foufou, tirant la laisse jusqu'à ce que Megumi cède. Pendant ce temps, je libère le Lougaroc en captant directement son attention sur le jouet.

« T'es prêt Pompom ? On va jouer ! »

Granbull se tient assis devant moi, la bave aux babines, attendant que je lance. En position, je fais mine de me préparer à le jeter, créant ainsi du suspense chez les canidés. C'est alors que je balance le frisbee qui vole haut dans les airs ! PP est parti comme une fusée, le chercher.

« Vas y Megumi, pose tes affaires et viens courir ! »

Megumi galère comme pas possible avec les clébards. En même temps, je la comprends : au départ avec PP c'est pas toujours facile. C'est l'expérience avec des grosses brutes épaisses qui me permet d'appréhender plus facilement les pokémons patibulaires.

Au départ réticente à l'idée de courir, la jeune femme fait l'effort de prendre l'initiative. Elle saisit un des joujoux de PP et tente d'appâter le Lougaroc. Cela n'a aucun effet jusqu'à ce que Megumi dégote le jouet Skitty. Ce n'est pas celui qui fait le plus d'effet à mon chien, mais pour Pompom c'est autre chose !

Tandis que je m'allume une clope, ma collègue Pulsar fait tout son possible pour contenir son dégoût. Après quelques passes, elle finit par me renvoyer l'appât pour prendre le relais. C'est alors que j'effectue mon meilleur lancer pour envoyer le faux Skitty vers l'infini et l'au-delà. Les doges sont persuadés de pouvoir le rattraper, ils sont drôles.

« Tu fais pas mal d'effort mine de rien ! Pour une diva de ton genre, j't'aurais jamais imaginé pouvoir jouer avec ce toutou. » dis-je à la demoiselle en tirant sur ma cigarette.

J'aurai pensé qu'elle se plaindrait plus que ça mais elle reste calme. Il y a probablement possibilité de pouvoir faire connaissance, sans que ça tourne au vinaigre comme ma relation avec Cynthia.

Sans me soucier des toutous, je tape la discute à la demoiselle en robe noir. Le regard brillant, je contemple l'ombre de son imposant Ectoplasma.

« T'as un Ectoplasma !? C'est génial, il a l'air tellement cool ... »

Je montre à la jeune fille une pokéball que je jette en l'air, faisant apparaître ma timide et farouche Fantominus.

« Moi aussi j'en ai un ! Mais, c'est encore un Fantominus. C'est une flipette de première, pas aussi cool que ton Ecto' mais elle est toute choupi. »

Bibi est incroyablement terrifiée par Megumi, sans doute à cause de son aura imposante et intimidante. Elle se réfugie derrière moi, protéger par une Manon sans craintes ni faiblesse.

« T'es dresseuse pas vrai ? Ça serait cool qu'un jour on se fasse un p'tit combat ! »

Je fume en prenant soin de m'éloigner de Megumi. Je comprends que la fumée dérange et même à moi, elle commence à m'ennuyer. C'est alors que je prends une pose à mon sens « stylé » pour déclarer avec beaucoup de fierté :

« Tu as devant toi la future championne roche ! Un jour, tu seras obligée de m'affronter. »

Curieuse de découvrir la personnalité de la jeune femme, je l'interroge sur son métier.

« Tu es mannequin, pas vrai ? C'est bien un métier que je ne voudrais pas faire. Être sous les projecteurs, devoir surveiller mon poids h24, se faire des "relations" quitte à perdre ta dignité pour espérer signer des contrats onéreux. Ouep, t'as bien du courage. »

Je ne me rends même pas compte que je peux être indélicate. Toute benêt, je poursuis l'interrogatoire, quitte à devenir barbante :

« Et pourquoi t'es dresseuse ? T'es pas le genre de personne que j'imagine combattre en arène ... donc j'suis un peu curieuse. Qu'est-ce qui t'motive ? »

Étant plus intéressée par Megumi que Pompom, je ne remarque que trop tard l'absence de ce dernier. C'est PP qui m'extirpe de notre conversation pour signaler l'absence du Lougaroc.

« Oh-oh ... »

Je jette un œil inquiet à Megumi. Le moment n'est pas à la causette, il faut trouver Pompom au plus vite au risque de retrouver des cadavres de Chaglams sur les trottoirs de Sunrya ! Je me tourne subitement vers Bibi, surprise que mon attention se pose sur elle. Je lui donne l'ordre de chercher Lougaroc avant qu'il ne soit trop tard. Pendant ce temps là, Granbull m'aide à le chercher, reniflant le sol dans l'espoir de retrouver son odeur. Alors que je le crois perdu, PP semble avoir trouvé sa trace.

« IL EST PART LÀ !!! » je crie en direction de Megumi pour être sûre qu'elle m'entende.

Fouillant dans mon sac banane à la rechercher d'une friandise, j'appelle Pompom d'une voix toute mielleuse. Semblant apercevoir une touffe rouge planquée dans les fourrés, je me précipite dans sa direction.

« Attention Pompom, je te tiens !! »

Je ne cherche pas vraiment à l'attraper, mais à jouer avec lui. Je ne veux pas qu'il nous considère comme ses ennemis, mais comme ses amis. Le toutou sort de sa cachette, bondissant en ma direction pour me faire peur. Je suis prise d'un fou rire lorsque je regarde PP foncer sur lui, attrapant la peau de son cou pour l'entraîner dans sa chute. Finalement, notre présence empêche Lougaroc de commettre ses méfaits. Tournant mon regard vers Megumi qui m'a rejoint, je lui enseigne avec la même sagesse que mon éducateur favori.

« Le but, c'est de l'épuiser. Va falloir faire un peu d'sport, il va falloir changer ta tenue si tu ne veux pas te salir ... » je la reluque de haut en bas.

Lougaroc s'approche de moi. Ayant senti l'odeur de friandise, face à moi, il pose ses deux pattes arrières sur la terre et lève ses pattes avant, faisant le beau. Je le félicite, attendrie par son acte.

« C'est bien Pompom ! C'est la vieille qui t'as appris ça ? T'es un bon toutou, bon toutou ! »

Je lui offre sa récompense en ébourifant affectueusement sa caboche. PP, un peu jaloux, vient nous interrompre en se chamaillant avec Pompom.

« Bon ! Et si on poursuivait la balade ? J'crois qu'on doit aller au ..., je sors mon petit carnet rempli de notes en tout genre, au pont Caeli. On y va ? »

En deux temps trois mouvements, la diva enfile sa tenue de sport. Je la mire avec des gros yeux, impressionnée par sa rapidité. À sa place, j'aurai trébuché en essayant de remettre mon pantalon. Une fois parée, nous filons tranquillement vers le Pont Cæli.

Il n'y a pas grand monde aujourd'hui. Probablement parce que le soleil se fait timide derrière les gros nuages et probablement parce que nous sommes en semaine. Le vent rend les toutous tout fous, notamment PP qui ne peut pas s'empêcher de se battre avec la brise. Quant à Pompom, il est complètement obnubilé par les vélos. Ces foutus cyclistes inconscients roulent à toute vitesse sur le pont piétonnier, manquant plusieurs fois de nous heurter tant ils sont nombreux. En voilà un qui nous klaxonne pour qu'on le laisse passer : nan mais il se prend pour qui avec son minou de mes deux sur l'épaule ! Ils sont absolument sans respect. Et le Lougaroc l'a bien senti : la laisse glissant des doigts de Megumi, le canidé carapate à tout allure vers le cycliste.

« REVIENS ICI ! JOKA ! »

Je me tourne vers la brune en râlant, un peu irrité.

« T'es sérieuse ? T'arrives pas à tenir une laisse ? Si t'as pas d'poigne, fallait me le filer l'chien. Forcément ça allait arriver. »

Je m'arrête et je soupire. PP arrête de tirer comme un fou sur son collier et vient s'asseoir au pied de sa maîtresse. Contemplant Pompom grogner après le cycliste effrayé, je ne peux m'empêcher d'esquisser un sourire. Après avoir rattrapé Megumi qui commence à cavaler, je la stoppe en lui barrant le chemin avec mon bras.

« Attends. Laisse le encore un peu ... »

Voir le gaillard paniqué lorsqu'il se rend compte qu'il est poursuivi, pas fier sur son tas de ferraille, me fait grandement jubiler. Il a qu'à pas se la péter et se croire le roi de la piste, c'est le karma qui lui envoie ce pokémon.

« On va le laisser courir un peu, ça lui fera pas de mal pis ça donnera une bonne leçon à ce connard qui se croit tout permis avec son vélo de merde. »

Puis, je libère mon doge, lui intimant l'ordre de poursuivre son copain. La consigne bien reçue, Granbull tape son meilleur sprint en espérant rattraper le Lougaroc.

« PP court pas aussi vite mais il va pas le perdre de vue. On peut courir tranquille. »

Soudain, quelque chose me pousse dans le dos. C'est Bibi, encore terrifiée par l'Ectoplasma de la mannequin et qui se planque derrière mon dos en se faisant toute petite. Sa présence est si discrète que je l'ai oublié alors qu'elle aussi peut s'avérer utile. Je lui demande donc de rejoindre Ectoplasma or, il est hors de question pour la Fantominus d'interagir avec son aînée. Je me montre plus rassurante en lui expliquant qu'elle va rejoindre Granbull et non Ectoplasma. Soumise, Bibi ne proteste pas et s'en va rejoindre les pokémons.

Enfin, Megumi et moi cavalons derrière la joyeuse troupe. PP de son côté, a rattrapé son pote : il peine à reprendre sa respiration tant ses poumons sont encrassés par le goudron des cigares. Mais le toutou ne lâche pas l'affaire : il aboie, tente de mordre la queue de son congénère mais rien à faire car Pompom est obsédé par sa proie. Fantominus, elle, a également rejoint les canidés. Mais n'ayant pas reçu d'ordres supplémentaires, elle se met à paniquer ne sachant quoi faire. C'est alors que PP prend les choses en main : soudainement doté d'intelligence, il effectue une Cage-Éclair pour emprisonner le Lougaroc. Il n'y arrivera pas seul : il lui faudra l'aide de Bibi ou de l'Ectoplasma étranger pour le stopper.

***

Après quelques longues minutes de cavale, nous parvenons enfin à maîtriser le loup. Le cycliste s'est arrêté, en rogne. A priori, Pompom aurait pété son pneu, le monsieur ne pouvant plus poursuivre sa belle promenade en vélo. Lorsque nous atteignons le petit groupe, le cycliste nous passe un savon.

« Il est à vous le Lougaroc ? »

Je prends les devants, m'avançant devant l'homme avec un regard méprisant.

« Ouais pourquoi ? Z'avez un problème ?
- Vous allez devoir me repayer le pneu !! C'est inadmissible de laisser un Lougaroc comme ça, j'aurai pu avoir un grave accident !
- Ah ouais ? Et vous pensez pas qu'en roulant comme un malade sur une piste piétonne ça peut être dangeureux ?
- Pardon !?
- On aurait pu nous aussi avoir un accident à cause de vous ! Vous roulez en plein milieu du pont !
- Mais je vous ai klaxonné ! C'est de votre faute si vous ne vous bougez pas !
- Et alors ? C'est si compliqué que ça de rouler sur les pistes cyclables !? Vous n'étiez pas prioritaire à ce que je sache alors vous avez pas à nous faire la morale ! »

J'ai envie de le maudire, lui, son vélo et toute sa famille. Pauvre Megumi, elle va devoir gérer la querelle. J'espère qu'elle est douée niveau social.

Ma partenaire de mission prend part à la dispute. Son air méprisant collé sur sa figure, elle démonte le cycliste en le rabaissant et en lui ordonnant de foutre le camp. Le mec très grognon, fini par mettre fin à cette altercation n'envenimant pas davantage sa situation. Sauf qu'en remontant sur son vélo, alors qu'il commence à pédaler, il se rend compte que son vélo n'avance pas et l'homme réalisé trop tard qu'il fonce droit sur la rambarde.

« Beeh ?! »

D'abord choquée, je finis par éclater de rire. Ce n'est pas très sympa de se moquer de quelqu'un qui vient de faire une chute mais la spontanéité de l'événement est juste tordant.

« Il nous reste normalement une étape, allons-y, Manon.
- Ouais, cassons nous vite d'ici avant qu'on ait des problèmes. »

C'est pas très malin de notre part : nous avons attiré l'attention des passants. Je saisis rapidement la laisse du Lougaroc et donne celle de PP à Megumi. J'attrape le poignet de cette dernière avant de carapater comme une folle.

Nous arrivons chez le marchand de glace ambulant, PP et moi complètement essoufflés. Voulant m'éloigner le plus vite possible des lieux du crime, je pose ma sacoche bourrée de pièces sur le comptoir du glacier, tapant lourdement ma main sur le bois.

« UNE GLACE euh ...
- Euh ... Bonjour ? »

Zut, j'ai un trou de mémoire. Qu'a dit l'autre vieille folle à propos du parfum préféré de Pompom ? Je lance un regard désespéré à ma collègue, espérant qu'elle ait une meilleure mémoire que moi. Pour occuper le commerçant qui s'impatiente, je lui pour passer ma commande.

« U-une glace Choco-Passion ! »

Le monsieur soupire puis se met au travail. Je reviens vers Megumi pour lui demander si elle veut quelque chose. Cela ne veut pas dire pour autant que je vais tout payer, je pense qu'une princesse comme elle est suffisamment friquée pour se payer une glace. Pendant que la crème glacée se pose délicatement sur le cornet croustillant, je fais une remarque à Megumi, encore stupéfaite de son intervention.

« Dis moi Megu', c'est toi qui a déraillé la chaîne du mec t'à'l'heure ? C'était violent un peu, non ? Ok c'est un bobo-cycliste qui se croit tout permis mais est-ce que ça méritait d'aller aussi loin ? »

Tu m'étonnes que Bibi est terrifiée par la demoiselle et son pokémon, ils forment un duo effrayant. Il vaudrait mieux pour moi ne pas la mettre en colère parce que ses yeux rubis perçants pourraient me liquéfier sur place.

Megumi semble aussi paumée que moi : c'est bête qu'on ait pas prit note des parfums préférés de Pompom. Alors, dans le doute et la panique, je demande au Lougaroc d'aboyer lorsque je pointe sa saveur favorite.

« Allez Pompom ! Dis moi ! Tu veux du chocolat ? De la vanille ?
- Waf ! » me répond-t-il la gueule dégoulinante de salive.
« Fraise ? Melon ? Passion ? Mangue ? Cerise ? Framboise ?
- Waf ! » il remue la queue avant que son attention dérive sur les Poichigeons qui picorent près des poubelles.

Soulagée que ma manœuvre ait fonctionné, je commande deux glaces supplémentaires pour les canidés. Le glacier pousse un soupire en me dévisageant, clairement il n'apprécie pas son job. Quel intérêt d'ouvrir une boutique ambulante si on n'aime pas le contact avec la clientèle ? Dans tous les cas, l'homme n'a pas le choix car il va devoir piocher dans ma poche remplie de pièces pour dégoter le montant exacte de ma commande et faire son taff.

Megumi répond à mes interrogations, me révélant sa haine incommensurable pour le sexe masculin. Pour elle, le cycliste mérite amplement son sort. Ayant l'image répugnante de mes frangins en tête, je pouffe de rire avant de faire une remarque.

« Ça s'voit, t'as pas eu d'frères toi ! J'te jure, ça t'immunise à vie. J'devrais t'envoyer faire un stage chez moi, t'auras la chance de rencontrer un gros crado qui traine dans toutes les affaires louches possibles et inimaginables, et l'autre qu'est un bagarreur qui ne sait pas contrôler ses émotions et qui s'dénigre tout l'temps. »

La demoiselle change de sujet, revenant sur l'objectif de notre mission. En effet, nous arrivons au bout : la dernière étape c'est la glace, après cela il va falloir ramener Pompom chez sa môman. Je jette un coup d'œil sur mon téléphone pour regarder l'heure mais mon attention se fait haper par un message d'Astelle. Un petit sourire au coin de la lèvre, j'abandonne mon acolyte pour répondre à son SMS.

Sans que je m'en aperçoive, le Lougaroc s'en prend à des piafs qui le narguent. Alors que Megumi tente de m'aborder, son pokémon fait des siennes. Ectoplasma s'apprête à taquiner les oiseaux tandis qu'un autre pokémon de la jeune fille l'intercepte à temps. La dresseuse le gronde, tandis que je songe à faire un selfie avec Pompom.

Daignant finalement décrocher mes yeux de mon téléphone, je remarque que ma partenaire est dans la panade et que le glacier attend désespérément que je vienne chercher mes glaces. Je fonce le rejoindre en me confondant en excuses puis en le remerciant, ce à quoi il me répond un « au revoir » glacial. Qu'est-ce qu'il est froid ce monsieur ! Je retourne sur le banc en sifflant pour appeler les toutous. PP est très réactif, déjà assis devant moi les babines baveuses mais Pompom semble moins réceptif.

« Pompom ! Viens y'a les glaces !! »

Je me tourne vers le Lougaroc en gigotant le cornet afin de l'appâter.

« Allez, viens prendre ta glace ! »

Miraculeusement, le loup brun-rouge arrête sa chasse aux ziozios. Il se précipite vers moi pour m'arracher des mains ma glace favorite, la Choco-Passion. Mon visage se décompose : il a chipé ma préférée, la réduisant en miette sur le sol pour s'en délecter.

« Ma ... ma glace ... »

Je me retrouve avec des saveurs que je déteste. Complètement dégoûtée, PP aura le droit à une double dose de crème glacée puisque je n'aime aucune de celles qui restent. Je pousse un long soupir et, résigné, je m'allume une clope.

« J'te jure, ce Lougaroc teste nos limites. Heureusement qu'on a bientôt fini ... »

Je me vautre sur l'assise, croisant mes jambes et allongeant mes bras sur le dossier. La mannequin à quelques mètres de moi, j'en profite pour faire la discussion ...

« J'suis toujours sur le c*l, j'arrive pas à comprendre pourquoi t'aimes pas les mecs ? Qu'est-ce qu'ils t'ont fait ? Ok ce sont des brutes écervelés qui ne jurent que par leurs poings mais ils ne sont pas moins inhumains que certaines filles. »

... ou plutôt, mettre mon nez dans des affaires qui ne me concerne pas. Mon regard se noircit lorsque je me remémore d'affreux souvenirs.

« Pour avoir côtoyé les deux sexes, crois moi que les filles sont les pires. Elles jouent avec ton cœur jusqu'à ce qu'elle se lasse de toi puis te jette dans une poubelle en prenant soin de briser ton ego pour augmenter le leur. »

Ça sert à rien de s'énerver toute seule, Manon. Je tire une longue taffe pour m'apaiser. En songeant à ma petite copine actuelle, je nuance mes propos.

« Après, heureusement qu'elles ne sont pas toutes comme ça ... y'en a ce sont des amours. Elles peuvent être affectueuses, à l'écoute et savent prendre soin de toi ... mais c'est pour ça, je comprends pas comment on peut détester une partie de l'humanité car nous sommes tous différents. Peu importe notre genre. »

Mon regard brun se plante dans les yeux rubis de Megumi. Fumant ma cibiche, je me tais pour l'écouter attentivement. Pendant ce temps là, les toutous sont en train de convulser parce qu'ils ont mangé trop vite. Le froid de la crème devrait les calmer.

Étant convaincue que Megumi va me livrer les raisons de sa haine envers la gente masculine, je suis surprise de la voir sur la défensive. Et me traiter de fille facile. En effet, la brune pense que mes multitudes expériences font de moi une frivole mais qu'elle, elle n'a pas besoin de cela pour avoir une opinion aussi affirmée. La demoiselle choisit ses petites amies minutieusement et de toute façon, si on ose la heurter dans ses sentiments, elle renvoie la pareille en dix fois pire. Peut-être que Megumi ne connait pas les harpies parce qu'elle en est une. Ses remarques me font tiquer mais je garde mon sang froid en rationalisant : cette meuf n'a pas le même vécu que moi, ni la même culture, ni les mêmes valeurs. Si cette dernière est fermée d'esprit, je ne peux rien n'y faire. Heureusement pour elle, je n'ai pas trois grammes d'alcool dans le sang car je déteste être prise pour quelqu'un que je ne suis pas.

« Sinon, je suis humble et gentille. » conclue-t-elle, en toute modestie.

Je ne peux pas m'empêcher de pouffer de rire, tandis que Megumi soupire en fuyant du regard. Tirant sur ma clope, je surveille les doggos se battant pour avoir le dernier cornet, toujours attentive aux paroles de ma partenaire.

« Je ne t'ai pas dit d'apprécier mon point de vue et de t'y accorder. J'ai juste dit que je ne les appréciais pas, ton avis n'y changera rien, Manon. »

Je ne peux pas m'empêcher de lui répondre :

« Ça, j'l'ai bien compris. Mais j'comprends pas comment on peut haïr la moitié de l'humanité, sans aucune raison. Y'a bien un truc qui te ... »

Soudain, le glacier pousse un râle de surprise mêlé à de la colère. Je bondis de mon assise en observant le monsieur se débattre avec sa machine à glace. Les paroles de la demoiselle se synchronisant parfaitement avec la catastrophe du glacier, je me mets à douter de l'innocence de la jeune femme. Après tout, elle a bien jeté le cycliste par dessus le pont.

Je me rasseois, un peu hébétée. Je vais faire comme si il ne s'est rien passé et garder le silence. Finalement, Megumi me propose de rendre Pompom à sa maîtresse. En checkant une nouvelle fois mon portable, je remarque qu'il est bientôt l'heure.

« O-ouais, allons y.
- Et si tu pouvais souffler ta fumée amère ailleurs que dans mon visage, tu seras adorable.
- Ah, désolée ... »

Je fais pourtant gaffe mais madame a l'air un peu compliqué. En me relevant, je saisis les deux laisses en tendant celle de PP à Megumi : hors de question qu'elle paume une nouvelle fois le Lougaroc.

« Allez, on y va les toutous ! Tu vas revoir ta mémé, Pompom ! »

Je caresse affectueusement son poil rouge. En vrai, j'aime bien ce canidé. Une fois qu'on le comprend, il est assez facile à apprivoiser – même si il tire toujours autant sur la laisse. Nous décampons d'ici, en direction de la maison de Pompom.

Sur le chemin, l'ambiance est glaciale. J'ose plus en placer une, au risque de contrarier la demoiselle. J'ai beau l'air de bonne humeur, Megumi n'est pas très réceptive. Allez Manon, courage, il reste vingt minutes et après tu te tires avec la récompense. Alors, dans un dernier élan de sympathie, je cause avec la mannequin.

« T'es une Pulsar, pas vrai ? Ça se voit avec ton caractère et tes pokémons forts. C'est quoi tes rêves à toi ? »

Ce changement de sujet va peut-être apaiser les tensions. Je lui présente, toute fière, ma carte de dresseur neuve. Elle a été fabriqué il y a peu : je tiens à en donner une à chacune de mes connaissances, histoire de garder un contact et me faire connaître dans la région. Il est inscrit toutes les coordonnés nécessaires avec une photo de mauvaise qualité de ma tronche. J'esquisse un grand sourire à la jeune fille, tandis que j'écrase mon mégot sur une poubelle étant sur notre passage.

« J'espère qu'un jour, tu m'recrois'ras dans ma future arène. On pourra s'affronter d'ici-là ! »

Proclamer ce genre de chose me donne du courage pour poursuivre ma route. Toute enjouée, j'observe la réaction de ma partenaire. Nous voilà à quelques pâtés de maison de notre destination, j'espère que tout se passera bien jusqu'à notre arrivée.

J'ai visé juste : Megumi est une Pulsar et elle a également pour objectif de devenir championne d'arène. J'esquisse un long sourire lorsque la jeune fille me dit qu'elle aime le challenge et c'est ce qui l'a motivé à rejoindre le groupe. C'est l'une des raisons pour laquelle j'ai intégré les dresseurs car je suis en quête d'aventures et de sensations fortes. Malgré nos personnalités très différentes, quelques unes de nos valeurs se rejoignent.

« T'as complètement raison, vive l'aventure ! »

Tout comme la mannequin, je brandis mon poing vers le ciel.

« Bientôt, j'vais combattre le champion de type Sol pour disputer mon deuxième badge. Et ça, ça va être du challenge. »

Megumi renchérit en me promettant de m'affronter avant même que j'ai mon titre de championne. Je lui jure que je ne l'oublierai pas, d'autant plus que, comme l'a dit, j'ai besoin de mettre en applications mes connaissances.

« Ça, ma vieille, t'en fais pas ! J'peux t'défier quand j'veux. » lui dis-je sur un ton un peu provocateur.

À son tour, la demoiselle m'offre sa carte de visite. Je la retourne dans tous les sens en me disant que son style colle parfaitement à la gothique. Je glisse le petit carton dans ma poche.

« On s'appellera et tu me donneras rendez-vous, on se mettra un challenge et un gage pour rajouter du piment.
- Ça marche. C'est parfait. »

Nous nous échangeons des sourires carnassiers. Je suis ravie d'avoir une connaissance Pulsar de plus dans mon carnet d'adresses, c'est d'autant plus motivant de s'entraîner lorsqu'on se sollicite un dresseur. Finalement, le retour s'est merveilleusement bien passé : Pompom est tellement accaparé par PP qui tente de le mordiller, qu'il ne réalise pas que nous sommes déjà arrivés. Devant l'entrée, je sens un immense sentiment de soulagement : c'est fini. Cette quête harassante est terminée. C'est avec beaucoup d'entrain que je toque à la porte.

Je me souviendrai toujours de cette odeur de pot-au-feu dans cette vieille demeure. Elle me rappellera ma rencontre avec une nouvelle rivale atypique. Même si la récompense est maigre et que la mémé nous crache dessus, j'ai passé un super moment avec ce Lougaroc qui a pu s'amuser avec un collègue canidé. Malgré nos maladresses et notre laxisme, j'espère que Pompom gardera un bon souvenir de nous.