J'ai entendu dire que plus on participe aux évènements de Windoria plus on a de récompense. Ce n’est donc pas ma passion pour la cuisine qui m’a attiré ici mais bien l’appât du gain.

Contrairement à l’extérieur, il fait incroyablement chaud dans la serre. J’enlève mon manteau et visite les lieux telle la bonne touriste que je suis. Les rayons du soleil illuminent les magnifiques fruits poussant sur les arbres. Il y en a de toutes les couleurs et pour tous les goûts ! C’est malin de ma part de ne pas promener PP dans le jardin botanique sinon il se serait rué sur les arbres et aurait pissé sur les fleurs. C’est d’ailleurs très agréable d’être toute seule, cela laisse moins de place aux imprévus souvent provoqués par mes bestioles.

En revenant sur l’allée, je découvre un table interminable où jonchent de multiples ustensiles et ingrédients propice à la cuisine. Un peu plus loin, j’aperçois Philipe Etchebest – avec 10 ans de plus – parler à une équipe déterminée. J’écoute d’une oreille distraite leurs conversations : on dirait que je me retrouve en pleine épreuve de Top Chef et que je suis la seule mongole venue taper la visite. Je vois tous ces cuisiniers partir aux quatre coins de la serre tandis que le grand chef m’aperçoit.

« Eh toi, t’es pas parti avec les autres ?

- Eu-euh, non ...

- Qu’est-ce que t’attends, dépêche toi ! »

Je suis totalement confuse et déstabilisée par ce que dégage le chef : on ne rigole pas avec lui. J’aurai très bien pu lui avouer que je visite simplement les lieux et que je me casse mais non, telle la victime que je suis, je réponds un simple « Oui Chef ! » avant d’aller faire la cueillette.

Oh putain, dans quoi je me suis embarquée. Il faut savoir que je ne sais rien faire en cuisine si ce n’est que réchauffer des plats au micro-onde. Mes parents nous faisaient peu à manger, souvent ce sont des trucs vites faits qui se préparent en deux-deux mais jamais de la grande gastronomie. Avec mes maigres compétences, je ne suis absolument pas dans mon élément.

Je me sens trop bête, j’ai même pas écouté les consignes. Je me contente alors d’observer les autres : tout le monde respecte la flore en ne piquant pas les fleurs ni en piétinant la verdure. C’est un peu par hasard que je tombe sur une boîte métallique remplis de baies méconnus. Je reconnais une Prine, une Tronci, une Tamato et les trois autres me sont inconnus. Le stress me fait grelotter et suer des mains : qu’est-ce que je vais bien pouvoir en foutre ? Je dois prendre une décision.

Je reviens vers le grand cuisinier comme un Snubbull battu.

« Chef, je dois avouer quelque chose ... »

Il vient d’abord aider quelques cuisiniers avant d’écouter ma confession. Je zieute ces participants super motivés et inspirés à réaliser leurs chef-d’œuvre. Leurs plats embaument la serre d’une odeur appétissante : au moins il y en a peu qui font cramer leur nourriture.  

« Qu’est-ce qu’il y a, je t’écoute ? »

Je déglutis bruyamment avant de lâcher le morceau en balbutiant.

« J-je j’ai jamais cuisiné de ma vie, je sais pas faire. »

L’homme me fait de gros yeux ce qui m’incite à lorgner mes pieds.

« Et alors ? On est là pour apprendre ! Il y a forcément des choses que tu sais faire, qu’est-ce que t’as déjà fait ? »

Je me gratte nerveusement le bras puis le menton. Je fais mine de longuement réfléchir alors que les réponses sont toutes faites.

« Euh … Je sais …. Réchauffer des plats … Mettre des pizzas dans le four … Oh, et je sais faire des sandwichs. »

J’ai l’impression que le Chef ignore dans quoi il s’est embarqué. Dans son fort intérieur, il doit se demander sur quelle planète j’ai vécu. Heureusement, c’est un homme au grand cœur et qui n’abandonne pas ses engagements.

« Bah voilà, tu pourrais faire des tapas. »

Je lui montre les ingrédients que j’ai dans le coffret. Il reconnaît une baie Repoi, Pumkin et Yapap. Rien qu’avec cela, il arrive à me proposer des choses que je n’aurai jamais imaginé : transformer la Yapap en purée, la Pumkin en une soupe, la Repoi en jus et se servir des baies restantes pour les tapas.

Gentiment, nous nous dirigeons vers la table de travail. Le Chef ne bougera pas d’un cil : c’est moi qui va chercher les ingrédients et les assembler. J’amène le pain, de l’huile d’olive et du fromage de Lait Meumeuh. Le plus compliqué va être de transformer mes fruits en bouillis : heureusement la technologie fait bien les choses, il m’a suffit d’apprendre à utiliser la machine pour pouvoir faire mes soupes. Sous les conseils du chef, la Yapap et la Tamato garde une certaine consistance pour tartiner les morceaux de pain. L’ordre est simple : un filet d’huile d’olive, la sauce Tamato et deux tranches de fromage. Le cuisinier bedonnant m’invite à couper des zestes de Résin pour relever mes tartines.

« Aïe !

- … T’as jamais appris à tenir un couteau ou bien ?

- S-si mais j’ai jamais fait ça ... »

Malgré ses soupirs, le Chef me donne de précieux conseils. J’utilise un couteau à zeste – c’est sûr qu’avec un couteau de boucher je vais pas aller loin – avant de déposer deux trois écorces sur les tapas. Enfin, un petit tour au fourneau et le tour est joué.

« Bah tu vois que tu sais faire ! »

Il l’a dit tellement haut et fort que je suis persuadée que tout le monde a entendu. Je rougis mais lorsque je goûte mes petites œuvres, je n’en reviens pas. C’est vraiment moi qui ai fait ça ? Le patron me donne quelques bons filons avant de porter sa voix pour que tout le monde prenne en compte :

« Vous voyez, même si vous n’avez pas forcément les compétences vous pouvez toujours faire de bons petits plats. Venez goûtez ses tapas ! Elle n’a jamais cuisiné mais pour une première c’est pas mauvais. »

C’est sur ces dires que le chef repart avec une tartine à la bouche, goûter les plats des autres concurrents. Quant à moi, j’expose mes misérables tartines sur un plateau d’argent pour que chacun puisse essayer. Une fois le stock liquidé, je me sentirai légitime d’aller manger chez les autres.

Le stress ne m’a pas quitté mais je suis quand même fière d’avoir réalisé quelque chose de mes propres mains. Je sors mon téléphone portable pour crâner devant mes frères et sœurs. J’ai vraiment eu beaucoup de chance que le Chef soit si gentil avec moi et qu’il m’est apporté autant de savoirs en si peu de temps. Peut-être vais-je révéler en moi une nouvelle passion ?

A la maison, Astelle n'avait jamais eu le droit de toucher aux couteaux.
Ou aux plaques chauffantes. Ou au mixeur. Ou au frigidaire. Ou à toutes ces choses susceptibles d'exploser.
Du coup, maintenant qu'elle s'était gavée des délicieux poffins – épicés juste comme il faut – du mignon petit rouquin, sa curiosité était comme légèrement titillée.

Le mignon petit rouquin.
Alias : Maxim Loyd.

Tristement réduit à son physique.

Inquiète à l'idée qu'on se fâche tout rouge contre elle (vu qu'elle avait quand même pillé librement les placards), la jeune fille furetait aussi discrètement que possible dans la serre exotique. Se rapprochant de la cuisine sans vraiment oser y entrer.

C'est alors qu'elle eut une idée de génie.

Elle pouvait se déguiser.

Et ce qu'il y avait de réellement terrifiant avec les personnes loufoques comme Astelle Dumas...
Ce n'était pas tant qu'elles avaient des idées bizarres...
...que le fait qu'elles trouvaient toujours le moyen de les réaliser.

Après un petit détour furtif (et interdit) dans la penderie, où le champion Narcisse conservait une garde-robe de spectacle et des accessoires de concours, la jeune fille revint complètement transfigurée (parce qu'elle portait un masque, déjà, mais aussi un petit chapeau de cérémonie à froufrous, traditionnel de Hoenn, et des sandales en bois giganteeeesques qui claquaient très fort quand elle marchait. Côté discrétion, on repassera.)

Yup, elle avait l'air d'un vrai pitre.
Non pas que ça l'ait jamais arrêtée.

Très fière de son petit effet, Astelle se dirigea aussitôt vers la première cuisinière-venue.
La jeune fille était visiblement munie d'un système de guidage intégré, car honnêtement, le masque était un peu trop grand, et elle n'y voyait plus grand chose depuis qu'elle l'avait enfilé.

Manon Dubell, notre première cuisinière-venue.
Alias : miss « Poum-poum », « Tchaa-tchaa »

A ce stade, il était encore difficile à dire si Astelle avait reconnue sa meilleure amie.
Ou si elle n'y voyait vraiment, mais vraiment rien du tout derrière son masque.

— Salut ma grande ! Brigade d'inspection des tapas, lança Astelle en faisant semblant d'avoir une voix plus rauque. Vas-y, fais péter la marchandise !

La pauvre cuisinière avait à peine eu le temps de bafouiller "euuuuh" que la main de la petite gloutonne masquée avait déjà fait l'aller-retour sur son plateau. Mystérieusement, les tapas semblaient disparaître en approchant de son visage. Comme s'il existait derrière ce masque une autre dimension. Un néant impossible. Un trou noir dont l'existence n'était justifiée que par l'absorption quasi-industrielle de tapas.

L'heure était grave pour Manon Dubell.
Bientôt, elle n'aurait même plus un tapas à partager aux autres cuisiniers.

Après avoir posé mes tapas sur un joli présentoir, je me torture quelques minutes pour savoir si j'en mange un ou non. J’ai déjà goûté mon œuvre mais je serais curieuse de tester la deuxième version de tartine. Brutalement, un monstre fait son apparition tel un screamer d’un film d’horreur.

« AaaAH »

J’ai sursauté comme une débile et en général, ce n’est pas recommandé de me faire ce genre d’ânerie. Je lâche un «  P’TAIN » d’agacement et de stupeur jusqu’à ce que mon attention se focus sur la voix de la personne déguisée.

« Vas-y, fais péter la marchandise ! »

Ce ton m’est très familier mais l’horrible masque déstabilise mon processus de reconnaissance vocal. Je n’ai même pas le temps d’y réfléchir que cet intrus est en train de bouffer toutes mes créations !

« Hop hop hop hop, on va s’calmer. »

J’arrache le plateau de sa bouche avant la disparition intégrale des tartines. Mon regard est dur mais mon comportement contraste totalement avec mes intentions puisque je lui en offre une supplémentaire.

« J’suis contente en tout cas qu’ça plaise ... »

Je n’aurai pas d’avantage d’avis mais est-ce vraiment important ? Je me suis amusée à cuisiner avec le chef et à acquérir de nouveaux savoirs culinaires, rien que cela me suffit. C’est avec une forte confiance et de bonnes intentions que je me m’apprête à réaliser un gâteau au chocolat. Je chope une tapas, laissant la dernière à l’abandon.

Trouvant facilement une recette sur Internet, je vais chercher les ingrédients et le matériel adéquats pour une bonne préparation. Je me fais une queue de cheval, me retrousse les manches et passe à l’action.

***

Une ellipse est primordiale pour épargner les lecteurs d’une série de désastre. Touiller c’est bien plus dur que je ne l’ai imaginé, tout ce labeur m’a mit sur les nerfs et j’ai fais que des conneries : j’ai fondu le chocolat directement dans la casserole, j’ai foutu toute la farine dans le beurre et les œufs – mélanger cela en faisant en sorte qui n’y ait le moindre grumeau a été l’Enfer – puis j’ai chauffé le four beaucoup trop fort. Résultat, ma pâtisserie ressemble à un foie cramé. Il est super lourd, dur et le brûlé bousille la saveur de la Baie Chocco. Je risque de me faire taper sur les doigts avec ce beau gâchis.

Trop honteuse, je décide d’ingurgiter un maximum de cette daube dans un coin. J’aurai jamais dû faire ça pour six personnes, j’ai été trop à l’aise sur ce terrain inconnu. Je n’ai pu finir les deux quarts du gâteau tant mon bide est sur le point d’exploser.

«  Vas y *burp* ça m’saoule j’vais m’griller une clope dehors. »

C’est ainsi que Manon Dubell se casse d’un air pataud pour entamer une grande balade digestive.

Une démone marchait sous la neige.
Enfin, elle titubait à demi en se tenant le ventre.
Sa bedaine avait été mise à rude épreuve aujourd’hui, mais avant de rentrer se reposer, il lui restait une tâche cruciale à accomplir.

C’est pourquoi elle traquait les grandes traces de pas dans la neige.
Elle rejoignait la silhouette solitaire, qui fumait silencieusement à l'écart des festivités.

Manon Dubell, notre coupable.

Qui avait pris la fuite, après cet homicide involontaire.
Incapable de supporter le triste état dans lequel elle avait mise sa victime.

— Tu n’avais pas besoin de t’enfuir : toutes les preuves ont disparu ! annonça la démone en relevant vers son interlocuteur un masque tout couvert de taches de chocolat. Personne n'a rien vu. J'ai tout mangé.

Personne ne saurait jamais quelles atrocités...
...à l’encontre de la recette respectable du gâteau au chocolat avaient été commises aujourd’hui.
Il y avait des horreurs qu’elle était prête à taire, par amour, par amitié.

Pardon, gâteau au chocolat.



Astelle t’avait aimé tout au long de ces dix-sept années d’existence.
Tu avais été son allié dans les moments difficiles, et son plus cruel ennemi les jours précédents la visite médicale.

Mais aujourd’hui, votre idylle touchait à son terme.
En dépit du traitement affreux que la criminelle-pâtissière t’avait infligé.
La jeune fille était prête à passer ces horreurs sous silence.
A passer du côté obscur de la pâtisserie pour couvrir la fuite du coupable.

De sa meilleure amie.

La gourmande masquée retira délicatement ses accessoires de concours, pour découvrir une frimousse non moins couverte de chocolat.
— Ce gâteau au chocolat… euuuuh, ce sera notre petit secret, d’accord ? murmura Astelle à l’adresse de son amie. Maintenant… est-ce que tu veux bien qu’on aille voir si la pharmacie est ouverte… ?
Son petit ventre émettait des gargouillis réprobateurs, qui n’auguraient rien de bon.
Prenant la main de Manon dans la sienne, elles partirent à la recherche de médicaments contre les maux d’estomac.