Ça fait près de 20 minutes que le Haydaim me dévisage. Si ses yeux étaient des armes, je crois qu’il m’aurait tué un million de fois. Parce qu’il sait que ça va mal finir. Que je vais faire une connerie. Mais c’est faux. Je ne fais que créer des attractions dans les attractions. C’est tout. Et celle d’aujourd’hui s’annonce grandiose. On va faire voler personne. On va pas se faire niquer le plaisir par des Farfurets protecteurs à deux balles. On va pas non plus se faire chier comme des rats morts. Et bien entendu, on ne va en aucun cas déroger aux règles de l’attraction. Quitte à faire des conneries, autant faire en sorte qu’on puisse pas me les reprocher après.

“Et le Polonais dans tout ça?”

Tout le monde est invité à profiter du spectacle, ou mieux: à participer. Mais je n’ai aucun doute sur le fait que seuls les plus courageux, les plus téméraires, ou les plus idiots se risqueront à me suivre dans cette entreprise. Comme d’habitude, tout est calme. Le Haydaim inspecte les alentours de droite à gauche, constamment, tant il a appris à me connaître et qu’il sait de quoi je suis capable. Enfin, non. Il pense savoir. Mais il a encore rien vu. Parce que ce qui l’attend aujourd’hui, va bien au delà de toutes les conneries que j’ai pu lui faire subir ce mois-ci.

Un léger sourire en coin, je me retourne vers l’arrière du traîneau. Le soleil commence à se coucher. Le Haydaim va bientôt rentrer au bercail pour la dernière fois de la saison. Mais il ramènera également une petite surprise. Debout, dos à la piste, je ne semble m’adresser à personne.

-Mes amis. Cela fait de nombreux mois que nous sommes ensembles. Vous m’avez vu évoluer, en bien comme en mal. Je vous ai vu évoluer aussi. Nous avons toujours été ensembles, je le sais, c'est ancré en moi. Depuis les tréfonds des océans, jusqu’au sommet du Volcan Eneka. Depuis ce jour, où nous nous sommes battus main dans la main, où nous avons terrassé nos adversaires ensemble. Sous la même bannière, en poussant le même cri de guerre. Je sais, au fond de moi, que vous n’attendez qu’une chose: sentir à nouveau une telle excitation. L’occasion de déchaîner votre fureur à nouveau. Et c’est pour ça que vous m’avez suivi, depuis votre nid détruit à Port-Corail, jusqu’ici dans les terres glacées de Windoria. Joignez-vous à moi, à nouveau! Que la déferlante s’abatte à une nouvelle fois!

Rien ne se produit. Comme si je m’étais adressé au vent et aux arbres. Et puis, je lève le poing. Je n’ai qu’un mot à prononcer. Un seul. Pour que l’idéal et la réalité ne fassent plus qu’un. L’adrénaline et l’excitation poussant mon cœur à battre à toute vitesse, je ne peux tenir le suspens plus longtemps, et prend une grande inspiration d’air gelé.

-CHAAAAAAAAAAAARGGGEEEEEEEEEEEEEEEEZ

C’est alors que la neige se met à voler, non pas venue du ciel, mais de la terre. Les épines des sapins se retrouvent ballottées de tous les côtés, à en tomber sur le sol immaculé. La terre elle-même semble alors gronder de fureur. Et puis je les entends hurler. Leur rage, leur soif de destruction, mais surtout leur solidarité fraternelle contenue dans ce cri du cœur. Des butes de neige explosent de part et d'autres de la piste, et le chaos s’empare alors du monde.

L’arme secrète: le retour:

Escortée par mon cortège, (que dis-je, mon armée!) de Coquiperl tous plus vénères les uns que les autres, je file à tout allure, sur le traîneau tiré par le Haydaim en sueur fuyant pour sa vie. Sur les côtés, les Farfuret ont fuit. Seuls les plus courageux osent s’en prendre à la menace mais sont rapidement débordés. Et moi, je jubile. Rien ne peut plus m’arrêter! Pas même le regard froid de Capucine qui pourrait bien m'attendre à l'arrivée! Je. Les. Annihilerai. Tous.