Sur le coup, Cael n'avait pas compris – pourquoi les hurlements avaient si brusquement repris. Et puis, il avait saisi l'information importante au milieu de ses discours incohérents : shiny. Ni plus, ni moins – ça semblait lui suffire qu'une bestiole soit différente de ses pairs pour justifier toute son hystérie. Soit.
Téléphone toujours à la main, égaré dans les photographies, Cael fixait le piaf-chauve-souris qui se tenait, par les serres et la tête à l'envers, à la branche fine d'un arbre à quelques mètres de là. Jolie bête qui les fixait, en penchant sa tête d'un côté, puis de l'autre, peu dérangé visiblement par l'agitation de la brune. Le petit Furaiglon étira ses ailes en poussant un cri, gonflant son plumage tandis qu'il se recroquevillait sur… sous sa branche.

▬ Euh... Ouais, 'fin je pensais plus tôt à...

Encore
un
cri.
Cael ne sursautait même plus – c'était finalement presque devenu habituel, ces intonations qui attiraient inlassablement tous les regards, et qui faisaient probablement fuir toute la faune enviro– Ah.
Non.
Pas toute la faune visiblement.

...
Tiens.
(Cael s'étonna du silence soudain – assourdissant).

▬ Lonnie, tu– Quoi ?

Mué par sa bonne conscience (uniquement), Cael rejoignit le chevet de la jeune femme qui rouvrait les yeux – fort heureusement, Myla était un petit gabarit, et la photographe ne s'était pas tenue si loin du sol (la chute n'avait donc sans doute pas été bien rude, disons).

▬ Tu t'es juste...

Non.
(Cette fois, il avait sursauté.)

Laissant filer d'entre ses lèvres un soupir de lassitude extrême (oh, Arceus, qu'elle était épuisante, celle-là), Cael s'installa à même l'herbe fraîche – les coudes sur les genoux, et le regard porté sur l'étrange manège du Ptitard en vadrouille.
On aurait vaguement dit une espèce de parade nuptiale, destinée à Lon...
Ah.
Oh.

▬ On dirait qu'il– (en pince pour toi) Que... Attends, quoi ? (des muscles dans... quoi ?) Euh, wow, c'est pas comme ça que ça fonctionne, c'est... (sérieusement ?) ... On est vraiment en train de parler de ça ? (oui.)

Enfin, non.
Il parlait de nouveau tout seul, puisque l'artiste s'en était retournée à ses muses.
Et Myla, qui venait de perdre son statut si particulier de seul chromatique de la scène, piétina l'herbe de ses petites pattes agacées. Pour la peine, elle décida d'aller s'en prendre au Furaiglon, qui demeura passablement... paisible.
Ses deux grands yeux se contentaient d'observer la renarde qui, bien qu'elle bondissait haut, ne bondissait pas assez haut pour l'atteindre.

▬ Eh, au lieu de répondre aux avances d'un Pokémon – au cas où t'avais un doute, t'as une touche, mais pas sûr qu'ce soit super légal –, regarde par là-bas. Tu mises sur qui ?

Ah...
Maintenant, c'était le Ptitard qui quémandait de l'attention.
Il roulait de nouveau des mécaniques – rien que pour Lonnie.
Il arrêtait sitôt que Cael jetait ne serait-ce qu'un minuscule coup d'œil dans sa direction.
No homo, bro – le jeune Météores avait compris le message.

Et Myla continuait de bondir, et le Furaiglon de la fixer. Jusqu'à ce que Myla s'immobilise, assise au sol, et la tête levée en direction de l'oiseau qui n'avait toujours pas bougé – trop serein, ou bien stupide, difficile à dire. Mais, comme il semblait se prendre pour un Nosferapti, Cael aurait eu tendance à miser sur la deuxième option – pas certain que vivre la tête en bas, quand l'organisme n'était pas prédisposé pour, soit une merveilleuse idée.

▬ Euh… Hein ? Ah ! Non, ils sont pas à moi, ceux-là. Arceus soit loué. Donc fais-en ce que tu veux.

À peine eut-il terminé que la brune avait déjà fait son choix – abandonnant sa proie à la Feunnec, la photographe se dirigea vers le Poliwag un peu louche qui continuait de rouler des mécaniques. Pour sûr, si Cael avait été en présence d'un tel Pokémon chez lui, il n'aurait plus jamais fermé l'œil.
Jamais.

Et, tandis qu'elle s'acharnait à réunir les chromatiques pour un portrait de famille douteux, Cael, lui, se contentait d'observer. Les bras croisés, et l'air consterné – il avait dû dormir trois années de trop ; et le monde, pendant ce temps, était devenu fou.
C'était forcément ça, l'explication rationnelle de la connerie ambiante.

▬ … Francky ?

Elle était timbrée.

Quoique...

Jetant un nouveau regard en direction du Poliwag, tandis qu'il secouait la tête – qu'elle fasse donc toutes les photos qu'elle voulait, ils n'étaient plus à ça près – il songea brusquement que le patronyme collait bien à... un tel spécimen.
Il visualisait aisément le Kalosien moyen, une bière à la main posée sur un relief de son embonpoint, à rire grassement devant sa télévision – émission débile à l'écran qui diffusait six blagues graveleuses aux cinq minutes – puis à se rincer l'œil sur quelque clip classique de déhanchés et de maillots de bain.
… Ouais.
C'était définitivement quelque chose comme ça que le Ptitard lui évoquait.

Attiré par le son de la voix de Lonnie, Cael reposa les yeux sur elle – mais elle s'était de nouveau perdue.

▬ … Tu les as encore laissés manger ton âme.

Un rictus s'étira au bord de ses lèvres, avant qu'il hausse les épaules.

▬ J'suis plus très sûr de savoir de quoi tu parles, mais sinon j'voulais t'inviter à boire un verre, après. Pour me faire pardonner de la bousculade.

Ouais...
C'était l'excuse facile, ça.
Plutôt très téléphonée.
Classique.
Peut mieux faire sur vingt.

Il tendit la main en direction du Furaiglon, qui se contenta de la fixer en penchant sa tête sur la gauche – non, l'autre gauche.
Il lui manquait probablement quelques cases.
Est-ce qu'il savait au moins voler ?

▬ Enfin, t'es pas obligée d'accepter, hein. Mais ce serait bête de partir comme une voleuse alors que t'as moyen d'avoir une tournée gratuite. Deux, si affinités.

Voilà donc qu'il tâtait enfin le terrain.

D'acquiescement en acquiescement, Cael ne faisait qu'accorder à la chaîne son approbation. Boire, donner son adresse mail, le comptoir à l'entrée du parc – à défaut de pouvoir parler, approuver, contester, il faisait au moins mine d'avoir son mot à dire (son geste à faire). Comme si ça changeait quoique ce soit – pour le peu d'attention qui lui était accordée (puisqu'elle n'avait d'yeux (ahahah) que pour les chromatiques).

Même lorsqu'elle lui posa une question, et qu'elle n'attendit pas de réponse avant de s'éloigner, Cael, par réflexe, hocha simplement la tête. L'information ne percuta qu'une poignée de secondes plus tard, lorsqu'il la vit qui s'en allait vraiment. Alors, en claquant de la langue, il rappela Hécate à ses talons, qui bouscula Myla pour la forcer à notre suite.
Et à la suite du Ptitard, qui trottait allègrement à la suite de Lonnie (qu'il espérait certainement choper à un moment ou à un autre (spoiler : au moins, Cael et lui avaient un point en commun (était-ce véritablement une bonne chose ?))), la brune en tête de file.

Il releva les yeux lorsqu'il entendit battre des ailes près de lui – au dessus de sa tête, le Furaiglon, agrippé à une nouvelle branche et toujours la tête en bas, le fixer de deux grands yeux curieux.

▬ ...Pourquoi tu me suis ?

Le plume(au) se contenta de siffler gaiement. Allons donc...
Cael se désintéressa de lui, pressant le pas pour revenir à hauteur de la photographe.

▬ Goûter et apéro, souffla-t-il, amusé, en se penchant à son oreille.

Puis il se redressa, insolent, un sourire au bord des lèvres, jusqu'à ce qu'ils parviennent au comptoir à l'entrée du parc. Avisant la carte des boissons, il sortit son portefeuille de sa poche, de son portefeuille sa carte bleue (celle des pauvres, celle qui donnait l'illusion qu'il était un peu monsieur tout le monde après tout).

▬ Tu prendras quoi ?

Commandes passées, reçues, payées, Cael s'installa sur une petite table libre, un peu plus éloignée du comptoir que les autres, et replia ses lunettes de soleil dont il glissa une branche à son col.

▬ Bon ! Du coup, montre-moi un peu ces photos en avant-première, y'a mon Pokémon dessus quand même.

Un nouveau battement d'ailes.
Cael tourna la tête.
Le piaf se tenait là. À trois pas de leur table.
Pour la première fois, Cael le vit à l'endroit.

Les prunelles de Cael allaient et venaient, de Lonnie à Furin, de Furin à Lonnie. Un détail (en était-ce vraiment un ?) l'avait de nouveau frappé. Si, la dernière fois, la brune avait eu l'air de retrouver de la cohérence dans son existence ses gestes lorsque le Korillon avait daigné coopérer à ses ordres, cette fois, c'était le phénomène inverse qui venait de se produire. La clochette s'en était allée grignoter et, aussitôt, la photographe avait semblé perdue, cherchant à tâtons sur la table, à la recherche d'on ne sait trop quoi – son verre, visiblement. Quoiqu'il en soit, elle avait au moins trouvé quelque chose.
Et Cael, lui, trouvait peu à peu du sens à tout ça (peut-être).

Il ne fit pourtant pas le moindre des commentaires, et se contenta de porter sa paille à ses lèvres, sirotant une gorgée de son virgin mojito (oui, le virgin était bel et bien précisé sur la pancarte) sans quitter la brunette du regard.

▬ Déso, le truc le plus alcoolisé qu'ils ont, ici, c'est du panaché.

Il se fendit d'un léger rictus, et se pencha d'un rien vers elle au dessus de la table – oubliant, l'espace d'une… non, de plein de secondes, qu'elle ne pouvait de toute façon pas le voir.

▬ Le parc est tout public. On évite de se mettre misères devant les enfants, t'sais. Même si, bon, c'est pas les nôtres…

Cael avait beau faire mine, il ne trompait personne – ce type était clairement de ceux qui adorent les enfants. S'il était père, il serait papa poule – il se serait voulu papa, d'ailleurs, s'il n'avait pas été célèbre. L'existence qu'il menait, c'était une vie qu'il se refusait d'imposer à d'autres.
Il ne connaissait que trop le poids des ragots, des flashs, des tabloïds, de ces vautours qui vous rongeaient jusqu'à l'os – et c'était pour ça, aussi, qu'il ne laissait personne l'approcher de trop près, trop longtemps. Il ne laissait pas les gens s'attarder autour de lui, pour ne pas que la lumière les dévore eux aussi.
Il en avait vu trop brûler puis se consumer – il avait vu Driss s'éteindre et puis demeurer dans l'obscurité pour protéger la chair de sa chair, sa fille, son sang, la petite aux grands yeux gris qui lui souriait si simplement sans rien savoir de leurs orages de grands.
Ça lui suffisait.
Lui non plus ne prendrait jamais ce risque inconsidéré.

▬ … Hein ?

(Non, Cael ; Lonnie n'a pas parlé.
C'est juste toi qui rêvassais.)

Il cligna des yeux, un peu désemparé – ça ne dura qu'un instant, le temps d'une inspiration, et puis il s'était repris. Il réalisa alors ce qui l'avait arraché à ses contemplations : la tête d'Hécate posée sur sa jambe, et ses grands yeux jaloux qui l'observaient. Profitant d'être débarrassée de Myla, penchée sur la gamelle, la Ponyta profitait de l'attention de son dresseur qui lui était (presque) toute destinée.
Encore un peu confus, il glissa ses doigts entre ses crins pour la flatter.

▬ En vrai… Si tu veux qu'on aille prendre une vraie murge, un jour… En échange de mon adresse mail, tu me laisses ton numéro.

Prendre une vraie murge...
Sitôt qu'il les eut prononcés, Cael en vint à regretter ses mots.
Pourquoi était-ce toujours si facile, d'envisager le trouble cotonneux de l'éthanol et tous ses ravages abrutissants – alors même qu'il les avait fuis depuis si longtemps ?

Ouvrant de quelques pressions du doigt sur l'écran son répertoire, Cael s'immobilisa brusquement. Sourcils froncés, et les prunelles portées en direction de son interlocutrice, il était presque certain d'avoir mal entendu.

▬ … Assas… Quoi ?

L'éloquence était à son comble.
Il n'eut de toute façon pas le loisir de protester plus longtemps – parce qu'une petite voix s'éleva sur leur gauche, arrachant Cael à sa contemplation béate de l'autre en plein délire. Ses yeux accrochèrent alors la silhouette d'un jeune homme – fin d'adolescence ou jeune adulte, il n'aurait pas su dire précisément – dont il croisa brièvement le regard.
Ce regard-là, Cael le connaissait pour l'avoir déjà trop souvent vu.
Et, quand bien même il savourait ses rares instants d'anonymat et que c'en était probablement terminé pour aujourd'hui, il sentait toujours ce petit quelque chose qui palpitait en lui chaque fois qu'on le reconnaissait au hasard d'une allée.

Un sourire au bord des lèvres, il ouvrit la bouche et…

▬ … Tu p–

Et cette phrase, une fois de plus, n'aurait jamais de fin.

Il ferma les yeux, glissant ses mains sur son visage, écoutant sa camarade déblatérer des histoires auxquelles il ne comprenait pas un seul mot – c'était quoi, d'abord, ces histoires de tueur à gages ? – tandis qu'il se demandait encore par quel sortilège il se trouvait là.
Pourquoi n'avait-il pas fui quand il en avait encore l'occasion ?

Adressant un regard sincèrement désolé au jeune homme qui n'avait rien demandé, il poussa un profond soupir lorsqu'enfin la photographe se tut.
Arceus soit loué.

▬ … C'est bon, je peux en placer une ? Oui ? Merci.

Ses intonations avaient peut-être été un rien plus agacées qu'elles ne l'avaient été jusqu'à présent – mais, ciel, il se demandait réellement ce qui ne tournait pas rond chez elle par moment.
Lorsqu'il reporta son attention sur l'adolescent, ce fut pour lui adresser un sourire confus.

▬ … Si tu promets de ne pas dire mon nom trop fort, tu peux te joindre à nous. Tout comme elle dit la madame, sauf que… Eh, attends, Lonnie, c'est quoi ces histoires de tueur à gages d'abord ? … Non, peu importe, j'ai pas envie de savoir. Tu t'appelles comment, toi ?

Au moins, le nouveau venu avait-il l'air plus calme que sa première comparse de la journée.
(Même temps… Difficile de faire pire.)

Lorsque l'adolescent les rejoignit, Cael se contenta de lui adresser un sourire qu'il espérait le plus chaleureux possible. Décalant sa chaise de sorte qu'ils aient tous les trois une parcelle de table raisonnable, il s'y accouda, laissant filer son regard de la photographe au gamin, du gamin à la photographe. Sans se départir de son sourire, il jeta à Kaneo un regard un rien désolé – comme pour s'excuser de l'étrange compagnie en laquelle ils se trouvaient. Au moins n'avaient-ils pas besoin de faire la conversation – elle y parvenait très bien toute seule.

Il sursauta lorsqu'elle se releva brusquement, bousculant table et chaise sur son passage – attirant du même coup et pour la millième fois les regards sur eux – et les Pokémon ne furent pas en reste. Myla fit un bond en arrière, Hécate piaffa, et le Furaiglon gonfla ses plumes dans un élan de stupeur. Cael grimaça brièvement, portant une main à ses Pokéballs, prêt à rappeler la fugueuse potentielle – pourtant la renarde n'en fit rien, et se contenta d'incliner la tête, observant l'étrange manège de la brunette.
Laissant filer d'entre ses lèvres un soupir presque amusé, Cael se tourna vers le nouvel arrivant du trio.

▬ … Alors, donc… Parle-moi de toi. Qu'est-ce que tu...

Et voilà l'autre qui recommençait à hurler.
Sourcil haussé, Cael avisa la Pokéball qui s'était immobilisée dans la poussière au sol. Ah… Tiens donc, il semblerait que leur cher Francky ait officiellement rejoint la petite troupe.
... Non, vraiment.
Cael n'aurait vraiment pas aimé l'idée de cohabiter avec un Pokémon pareil.

▬ … Ma foi, vu comme il te faisait du gringe… C'aurait été idiot qu'il rentre pas.

Il jeta un coup d'oeil au Furaiglon qui, la surprise passée, était revenu picorer dans la gamelle. Est-ce que...? Était-il, à l'heure actuelle, capable d'assumer la charge d'un troisième Pokémon ? Ne valait-mieux pas attendre que le tournage soit terminé, et qu'il ait un chez soi digne de ce nom plutôt qu'une chambre d'hôtel louée par l'équipe ?
Probablement que ce serait plus sage.

▬ Désolé, Kaneo, souffla-t-il en se penchant dans sa direction – même s'il ne baissa pas le volume de sa voix, cherchant délibérément à ce que la jeune femme l'entende. Elle a pas la lumière à tous les étages, mais elle est (presque) inoffensive.

Presque.
Gros, gras, grand, rouge.
Souligné trois fois.