La discussion se poursuivait et Dalia était l'une des personnes les plus ouvertes que Camille ait jamais rencontré. Elle semblait prête à s'ouvrir à Camille si cette dernière faisait l'effort de poser les bonnes questions. Ce n'était pas dans les compétences de la magicienne, mais elle trouvait qu'elle ne se débrouillait pas trop mal. Même avec Iris, elle n'avait pas eu autant de faciliter au début, et même encore maintenant, la magicienne avait toujours un drôle de sentiment lorsqu'elle s'intéressait de près à la vie de son amie. Peut-être parce que Camille avait littéralement fait intrusion dans la vie d'Iris. Elle était entrée par la fenêtre de son appartement et n'avait été trouvé que par les Pokémons Psy de la jeune femme. Qui l'avait accueillie avec gentillesse, comprenant les raisons de l'intrusion : récupérer un Evoli trop curieux. Mais malgré le temps passé, Camille ressentait toujours de la gêne vis-à-vis de cet épisode.

Avec Dalia, ce n'était pas pareil. Le courant passait, mais pas aussi bien qu'avec Iris, mais d'un autre côté, il passait différemment aussi. Elle se sentait un peu perdu dans sa vie et Dalia lui semblait perdue aussi, bien qu'elle semble plus à l'aise dans sa perdition. Camille se raccrochait à la coordination et à un univers connu, tremblant à l'idée de lâcher et elle avait l'impression que Dalia ne souffrait pas de cette lâcheté, mais de bien d'autres maux.

Des fièvres ? Ecrivit-elle.

Elle savait très bien ce qu'était une fièvre, et savait aussi qu'on pouvait avoir des migraines chroniques, mais elle n'avait jamais entendu parler de fièvres chroniques. Elle aimerait en savoir plus, mais elle aimerait aussi ignorer l'existence de pareilles choses. Elle était déjà peu rassurée à l'idée de tomber malade, mais connaître de nouvelles maladies ne faisait qu'alimenter sa légère paranoïa.

Quant à plonger dans l'inconnu, Camille avait déjà tenté l'expérience, plusieurs fois, et ça n'avait pas été très plaisant. Il n'y avait qu'une expérience qui avait éveillé en elle un plaisir déguisé qui était plus tard devenu une lubie. Après être entrée par effraction chez Iris, Camille avait pris un certain goût pour cette exercice. Elle avait d'abord travaillé des tours de magie, où elle s'attachait et se libérer, soit à cause d'une faille cachée dans les liens, soit par un crochetage. Elle avait fait les cages, les coffres, les cuves, les menottes, les cordes. Presque tout ce qu'elle pouvait faire. Mais rapidement, elle avait aussi joué à autre chose. Une chose qui la tenait éveillée la nuit. Elle se déplaçait dans les ténèbres pour pénétrer chez les gens sans un bruit. Par la porte, verrouillée ou non, les fenêtres, fermées ou pas. Par tous les moyens qu'elle trouvait difficile. Parfois, elle ne faisait que visiter la maison ou appartement, parfois, elle emmenait un souvenir brillant. Puis, elle se mit à faire les poches et les poignets des gens. Pas pour l'argent, mais parce qu'elle pouvait le faire. Parce qu'elle savait le faire. Et parce qu'il y avait toujours le frisson de se faire prendre. Ça n'avait jamais été encore le cas. Elle était trop prudente.

C'était là, le seul inconnu qui lui avait plu. Tous les autres étaient de mauvais souvenirs qu'elle essayait de chasser de sa mémoire.

Je ne trouve pas l'inconnu enrichissant. Il est terrifiant, et dangereux. J'ai failli me faire manger par des Dimoret une fois parce que j'ai voulu faire un pas dans l'inconnu. C'était horrible.

Une chance qu'elle n'ait pas amené ses œufs avec elle ce jour là. Ils auraient certainement fini en miette et cela aurait profondément chagriné la magicienne. Elle regarda son œuf, en se demandant ce qu'il pouvait bien ressentir. Est-ce qu'il s'inquiéter aussi de son éclosion et de découvrir le monde ? Puis elle se fit la remarque qu'un bébé ne se posait probablement pas la question avec sa naissance, alors un Pokémon dans son œuf ne devait pas s'interroger d'avantage.

La discussion revint sur un terrain qu'elle maîtrisait presque. La raison de son amour déraisonnable pour la coordination. Un spécialiste aurait une réponse tout à fait correct à apporter, mais Camille n'était plus allé voir ce genre de médecin depuis qu'on avait diagnostiqué un mutisme à la place d'un retard mental.

C'est beau. C'est incroyable. . C'était là la vraie raison. Depuis toute petite, je suis admirative des danses et des concours. Je n'ai jamais raté une seule émission d'un concours de coordination d'Hoenn. Je me suis souvent battue avec mon frère qui me volait la télécommande pour m'embêter. Mais tous les dimanches, je regardais la même émission ? Tu as des frères et sœurs ?

La réponse négative de Dalia amena un autre message de Camille. Tu as de la chance. Il ne faisait rien que m'embêter. Bon, on passait de bons moments en famille, mais quand il décidait de m'embêter, il ne savait pas s'arrêter. Un moment, juste avant un de mes entrainements, il avait caché toutes mes affaires dans l'appartement. Il s'est fait gronder, mais ça ne l'a jamais arrêté.

Camille aimait bien son petit frère, malgré ce qu'elle en racontait souvent.

L'oeuf était tiède dans ses bras.

Tu crois qu'il peut donner des coups de pieds, comme les bébés dans le ventre de leur mère ? Demanda-t-elle par écrit, ramenant sans transition la discussion sur l'oeuf.

Dalia souffrait manifestement d'une maladie orpheline. Camille ne put que s'apitoyer sur sa compagne du moment. Ce ne devait pas être facile à vivre tous les jours, de craindre une fièvre brutale. Camille n'avait pas une santé fragile, mais elle tombait régulièrement malade. Le froid prélevé toujours un gros tribu sur elle, tous les hivers, elle devait se tenir prête à l'accueillir. Elle en était presque ridicule à sortir les gros manteaux dès l'automne, à se couvrir toujours à l'excès. Ce qui ne l'empêchait pas de tomber malade ; Un rhume, une grippe. Ce n'était jamais agréable et même affaiblie, elle se forçait à s'entrainer, car elle ne pouvait pas se permettre de perdre des spectacles ou de perdre la forme. Mais elle se faisait plus de bien que de mal.

Je sais que c'est pas pareil. Mais je tombe aussi régulièrement malade. J'ai beau faire attention, il y aura toujours un moment dans l'année où je finis dans un lit avec une grosse grippe. C'est très gênant quand ça tombe pendant les tournées ou les spectacles. J'ai déjà dû faire une série de spectacles avec une fièvre, au point de faire presque un malaise sur scène. Heureusement, mes Pokémons peuvent se débrouiller par eux-même sur de courtes périodes. Mais les gens payent. Quand ils ont pas le spectacle habituel, ils sont contents.

Le silence avait été long le temps pour Camille décrire un si long message. Il n'avait été perturbé que par le bruit des gens et des Pokémons qui jouaient dans le coin.

J'étais prête. Je crois. Je ne sais pas. Mais il se passe toujours des choses horribles. Même quand c'est dans un endroit sécurisé. Une fois, je me suis retrouvée poursuivie par des voleurs parce qu'on m'a demandé d'aider un garçon au centre Pokémon. En plus, il n'était pas très agréable.

Le résumé n'était pas tout à fait exact. Bunji avait été pris à partie par la bande de voleurs, Camille avait dû l'aider au centre et il avait agacé la femme qui était partie sur un coup de tête retrouver les voleurs. Chose qu'elle avait faite et elle avait même réussi à voler les voleurs, qui s'en étaient aperçus. Ils s'étaient lancés à sa poursuite jusqu'à ce qu'ils abandonnent.

La discussion revint sur les œufs. Camille regardait maintenant le sien avec un œil nouveau.

C'est bizarre tout de même.

Je ne sais pas comment le nommer. Certains de mes Pokémons n'ont jamais entendu leur nom de leur vie. Milo est le seul à bien le reconnaître grâce à mes parents. Nami et Rico c'est grâce aux spectacles. Peut-être que Furo se reconnaitra. Les autres, je suis sûre qu'ils n'en savent rien. Je ne sais même pas comment le leur apprendre.

Camille avait nommé tous ses Pokémons mais ne leur avait jamais dit évidemment.

Aux dires de Dalia, finalement, ça ne devait pas être de si grosses fièvres. Cela semblait être des gênes, une petite difficulté. Camille se demandait à quel point, Dalia minimisait la douleur, et pourquoi. Certainement pour ne pas avoir de pitié de la part de Camille, ce qui était peine perdue car la jeune femme s'apitoyait déjà sur le triste quotidien de cette inconnue avec qui elle passait du temps. Avoir de la fièvre n'était pas amusant, même un petit peu, alors l'avoir régulièrement, sans pouvoir vraiment s'habituer, ce ne devait pas être amusant.

La magicienne regarda Dalia avec une intense perplexité. Le rhum et la grippe pouvait s'attraper par les autres, elle le savait, mais que le froid n'aurait aucune incidence, elle en doutait beaucoup, sinon comment expliquer qu'elle ne tombe malade qu'en automne et en hiver, quand il commençait à faire froid. Mais en y réfléchissant bien, même en se couvrant bien, même trop, elle tombait malade. Ce qui allait plutôt dans le sens de la théorie de Dalia. Mais au bout d'un moment, elle ne devrait plus tomber malade. Et pourtant, c'est toujours le cas. Peut-être que cette année sera différente.

Jusqu'au froncement de sourcil sévère que Camille envoya à Dalia. C'était peut-être un accident mais ce n'en était pas moins peu agréable. Elle faisait de la magie, et s'il n'y avait pas de chant, c'était pour une bonne raison. Elle ne pourrait jamais annuler un spectacle de chant pour la simple et bonne raison, qu'elle ne chantait pas. S'imaginer sur scène, avec comme seul outil sa voix et comme seul spectacle des chants la faisait frissonner. C'était bien trop stressant pour elle.

La philosophie de Dalia ressemble bien à celles des vieux maîtres dans les films : Fais le, ou ne le fais pas. Il n'y a pas d'essai.

Comment on sait qu'on est prêt ?

Si quand on pense être prêt, on ne l'est pas, alors la question se posait. Parce qu'avant de le savoir, il faut le penser et si on pense on n'est pas, alors on n'est jamais prêt. Cette pensée se mit à tourner dans la tête de Camille en essayant de trouver une fin de réflexion mais elle revenait toujours au début.

Ce qu'avait fait Bunji, Camille ne s'en souvenait pas. Certainement qu'il a été désagréable avec eux. En tout cas, il avait eu une attaque de confusion et n'était plus coordonné. Mais peut-être que Camille avait simplement la poisse. Un genre de Miaouss noir. Ce n'était pas une idée plaisante, surtout qu'en dehors de sa vie normale, elle ne manquait pas de chance et de réussite.

Ce n'est pas important. Je ne crois pas. C'est juste qu'une de mes amis a essayé de leur parler et qu'ils n'ont pas réagi du tout. Elle les a appelés sans résultat. Ce devait être frustrant.

Elle réfléchit un instant.

Je ne crois pas qu'ils réagiraient aussi si tu les appelais par leur nom d'espèce. Peut-être qu'ils regarderont parce qu'il y a un bruit interloquant, mais ils n'ont pas l'habitude d'être appeler tout court.

Mais la solution de Dalia rappela juste à Camille qu'elle n'avait pas vraiment d'amis pour le faire à sa place. Iris était loin et Maya était trop étrange. Elle ne la connaissait pas assez pour lui confier ce genre de chose. Elles n'avaient qu'un début de spectacle et un peu d'entrainement ensemble. Elle se sentait bien avec elle, mais pas autant qu'avec Iris et elle craignait un peu l'exubérance de la jeune femme.

Tu veux essayer de les appeler pour voir ?

Si Dalia les appelait, deux Evolis tourneraient la tête vers elle, perplexe avant de reprendre leur jeu.

Je ne sais pas trop. Kora peut-être, si c'est une femelle. Sidon pour un mâle.

Camille préféra ne plus relever ce genre de frustration. C’était difficile à expliquer la source du mécontentement de Camille quant aux remarques de Dalia. Même elle avait des difficultés à se l’expliquer clairement mais il y avait comme une frustration profonde dans ce cas certaine personne disait et aussi dans cette incapacité à leur répondre rapidement, ce qui rendait les questions, les interruptions ou les corrections impossible et absurdes en fin de compte.

En revanche, la question de Dalia, n'était pas dénuée d'intérêt. Mais Camille avait la réponse à ça.

Je sais que je suis prête, quand je peux faire mon tour, sans me tromper, même en pensant à autre chose. Je sais que le tour est prêt quand on peut faire ça.

Elle tendit son œuf à Dalia et se leva. Elle frappa deux fois dans ses mains puis après une pause, une troisième fois. Milo et Enya se rapprochèrent en gambadant. La différence entre les deux évolis était subtile, indiscernable pour une personne non avertie. Camille frappa encore une fois dans ses mains et ses Pokémons s'assirent devant elle. Elle calqua trois fois des doigts successivement. Posa un genou à terre, une main au sol, face à Dalia et les Evoli grimpèrent vers son épaule, l'un après l'autre. Milo, le premier, passa derrière la tête de Camille comme pour aller sur l'autre épaule, mais de sortie jamais de derrière Camille. Ce fut comme s'il était évanoui. Enya suivit sa route et quand elle passa derrière Camille, elle apparut sur l'autre épaule mais aussi sur la première épaule, comme un effet miroir. Ce n'était pas loin de l'effet escompté d'une attaque Reflet, que Camille dissimula en hochant de la tête au rythme d'une musique inaudible par un autre qu'elle.

Les deux Pokémons perchaient sur son épaule se tinrent debout, en équilibre alors que la dresseuse se leva, les bras tendus. Puis d'un coup, Camille claqua des mains et Milo poussa un petit Rugissement depuis le dossier du banc, juste à côté de Dalia. Usant de la diversion et d'une Vive-Attque, le petit Pokémon avait fait un détour pour se placer là. Le temps que Dalia regarde Milo à ses côtés, ce fut Enya qui avait disparu des alentours, ne laissant que Camille qui revint s'asseoir à sa place et gratifia Milo d'un câlin généreux, pour le plus grand bonheur du Pokémon.

Un tour est prêt quand je peux faire ça.

C’était peut-être quelque chose de lourd, un processus long, mais Camille avait toujours travaillé come ça. Elle était peureuse, n’aimait pas l’imprévu et improvisé rarement. Même dans ses spectacles, lorsque quelque chose se passait mal et qu’elle rattrapait le coup, ce n’était pas de l’improvisation mais un recours finement réfléchi et travaillé.

Si on savait ça, on arrêterait de parler du talent magique de Camille et de sa prédisposition pour la magie et l’illusion. Elle ne faisait que travailler, sans cesse, sur la seule chose qu’elle appréciait. On pouvait considérait que c’était une forme de talent, une telle ardeur au travail, pour Camille, c’était logique, que faire d’autre sinon ? Elle faisait ce qu’elle appréciait. C’était tout.

Camille regarda Dalia appeler les Pokémon. Deux d’entre eux réagir, mais ce n’était pas ceux à qui appartenaient le prénom. Milo ne prêta pas attention à son nom, câliner par Camille, il n’avait que faire du reste.

La question des noms était un peu compliquée. Parce que c’est joli, je crois. Tu as peut-être raison aussi, ça va plus vite à écrire. Ça a dû jouer.

C’était vraiment le genre de chose que Camille faisait par instinct, et pas par réflexion. Parfois, le pratique allait plus vite que le logique. Elle écrivait beaucoup et ne trouvait des façon plus courte de dire certaines choses.

Je ne sais pas. Je ne fais pas évoluer mes Pokémons. Furo a juste volé une pierre feu dans mon sac et a dû la caser ou quelque chose. Nami a trouvé elle-même la pierre Eau dans un court d’eau et a insisté, tout comme Rico. Pour les autres, je ne sais pas trop comment ils ont fait leur compte. Ils ont parfois, juste évolué. Je ne sais pas trop comment ça marche.

Camille aimait la magie et la coordination. Elle avait appris à bien traiter ses Pokémons, mais n’avait en dehors de ça, aucune idée de ce qui se passait dans leur tête, comment ils évoluaient ou autre. Elle avait appris pour les pierres un peu par hasard.

Les apparences, encore et toujours. Magie ou illusion. Faire croire que c’était naturel et facile. Mais Camille n’oubliait jamais la quantité de travail derrière chaque tour. Elle était trop perfectionniste, et tout était trop difficile pour elle, elle ne pouvait pas rester au top sur scène si elle ne travaillait pas tous les jours avec ses Pokémons et si elle ne travaillait pas pour elle-même.

Bien sûr, elle ne s’en plaignait pas. Elle adorait ce qu’elle faisait et n’arrivait pas à s’imaginer faire autre chose, vivre autrement. C’était juste impossible pour elle. Ça ne lui traversait d’ailleurs jamais l’esprit. Malgré le travail et le temps que ça prenait, Camille ne voyait rien d’autre. Elle n’imaginait pas ce que pouvait faire les autres de leur vie. Elle avait déjà vu des gens faire autre chose, mais elle ne concevait pas leur vie comme étant vivable. Ou acceptable.

Dalia lui expliqua ensuite comment, ou pourquoi ses Pokémons évoluaient. C’était très compliqué et ça n’intéressa que vaguement Camille. Ses Pokémons pouvaient bien évoluer comme ils voulaient, elle n’en avait cure, pour une raison très simple : elle ne savait pas encore comment s’en servir pour ses spectacles ou plutôt, elle ne connaissait pas toutes les possibilités que pourraient lui offrir les Pokémons évolués. Seuls ceux qui ont déjà évolué lui avaient montré leurs possibilités.

Elle fit non de la tête sous les pluies d’explication. Elle avait bien tout compris. Elle n’avait juste pas saisi l’intérêt. Des souvenirs flous de l’école lui revenaient en mémoire, quand on parlait de ce genre de choses en classe, mais elle n’avait rien retenu, juste assez pour avoir la moyenne au contrôle et passer à autre chose.

Tu en sais des choses ? Comment tu fais pour tout retenir comme ça ?

La magicienne était loin d’être stupide et très loin de se sentir idiote. Mais les connaissances la traversaient sans s’imprimer en elle. Elle ne gardait que ce qui pouvait améliorer ses tours de magies. Si bien qu’elle avait développé de grandes compétences en chimie, mais des compétences bien peu courantes. De même, ses connaissances en physiques et mécaniques étaient toutes utilisables en spectacles et si elle était capable de faire un moteur pour simuler un vent et construire un automate, elle serait bien en mal de changer une roue de voiture ou faire fonctionner une machine à café.

Tu as appris dans les livres ? Tu lis beaucoup ?

Ce n’était pas le cas de Camille. Elle avait bien apprécié un ou deux auteurs, mais les histoires ne la faisaient pas rêver et les mots n’évoquaient rien pour elle. Juste une série de lettres, avec un vague sens, mais sans image. Peut-être manquait-elle d’imagination ? Peut-être pas. Elle ne s’était jamais posée la question. Ce qu’elle se demandait en revanche, parfois, si elle était différente des autres. Vraiment différente. Pour elle, elle ne dépareillait pas vraiment. Bien sûr, elle ne parlait pas, mais certaines personnes économisaient leur mot quand d’autres pouvait bavardait pendant des jours sans s’arrêter. Elle n’en était que l’opposé. Elle appréciait les glaces et la coordination, d’autres les Burger et les combats d’arène. Pourtant, elle croisait des gens qui s’intéressaient à tout, retenaient tout, avait un ensemble de connaissance exhaustif et infini.

La conversation glissa sans heurt vers la lecture. Les sujets s’enchaînaient tranquillement, entre les deux femmes qui n’avaient rien en commun. Camille caressa son œuf, et continua à le dorloter inconsciemment, lorsque Dalia lui répondait. Ce n’était pas facile de discuter avec son téléphone, mais Dalia continuait à vouloir rester sans se plaindre et sans montrer de signe d’impatience.

Camille n’avait pas eu l’école à la maison, Elle n’en aurait pas vraiment voulu. Ça aurait certainement voulu dire que son frère l’aurait eu aussi et c’était déjà assez pénible de le voir le soir à la maison et certaines années au collège et au lycée. Les deux enfants s’appréciaient mais il y avait des limites. Malgré leur tendance à s’ignorer, ne les empêcher pas de se croiser dans les couloirs et parfois à devoir passer des messages de la part de leurs parents. Et bien souvent, le petit frère n’avait aucune envie de suivre les instructions de sa sœur silencieuse, même si c’était la demande des parents. Aujourd’hui, Camille se disait qu’elle n’aurait pas supporter de l’avoir dans les pattes toute la journée. Et puis, elle avait déjà du mal à se faire des amis, si elle n’allait pas en classe avec eux, elle serait définitivement seule. Ce ne serait pas très grave, mais elle serait certainement un peu moins heureuse que maintenant.

Je ne lis pas beaucoup.

Elle ne lisait même presque pas. Cela ne l’intéressait pas. Même les ouvrages traitant de coordination avaient du mal à garder sa concentration. Elle n’avait rien contre les livres, mais cela ne la passionnait pas.

On ne m’interrogeait pas à l’oral. Et je ne posais pas de question.

Etait-ce une scolarisation normale ? Pour Camille oui.

Je ne pose pas souvent de questions en général. Peut-être parce que c’est compliqué.

En tout cas, elle avait réussi tous ses examens, eu tous ses diplômes avec des notes honnêtes. Elle avait fait ce qu’il fallait pour faire ce qu’elle voulait. Mais elle n’était jamais allée dans une école de théâtre. Elle était immédiatement montée sur scène et avait forcé son passage sur les planches. Elle ignorait la chance qu’elle avait eu d’être bâtie en scénarium. Mais aussi d’avoir du talent et beaucoup travailler, sans relâche pour être ici aujourd’hui.

C’était comment l’école à la maison ?

On pouvait dire de certains professeurs qu’il n’était très coopératifs. Ecrire les questions n’était pas vraiment le problème, lorsqu’il s’agissait d’une question, mais Camille ne pouvait pas interagir avec eux après. Même ceux plein de bonnes volontés, s’ils ne connaissaient pas la langue de signes, ne pouvait répondre qu’à une question de Camille. Si elle voulait rebondir et en posait une nouvelle, il fallait attendre la rédaction de la nouvelle question. C’était une perte de temps, de rythme et surtout, les autres se dispersaient en profitant de cette petite pause.

Parfois, j’avais une amie qui pouvait traduire. Mais personne n’a vraiment pris la peine de bien comprendre la langue des signes.

Ce n’était pas un reproche. Camille ne l’avait jamais reproché à personne. Elle n’avait pas appris à être comme ça. Elle était différente, les autres n’avait pas à subir sa différence et à devoir se plier à elle pour la comprendre. C’était gentil de leur part de faire un effort mais c’était tout. Elle n’avait jamais eu d’ami assez proche pour faire le pas. Ce qui n’était pas le cas depuis son arrivée à Lumiris.

Certains professeurs préféraient que je n’intervienne pas en classe. Pour ne pas perdre de temps. Et que je les pose à la fin des cours.

Mais Camille étant une élève moyenne, peut-être même un peu en-dessous de la moyenne générale, elle ne venait pas chercher de réponse. Elle n’avait de toute manière pas besoin d’avoir de bonnes notes pour faire ce qu’elle voulait et elle l’avait bien démontré.

Quant à vivre une scolarité normale, dans une école, Camille ne saurait dire si c’était bien ou mal.

Je traînais avec un groupe de ma classe, en restant un peu en arrière. Puis je rentrais chez moi. Rien d’incroyable. Il y avait parfois des bêtises, des accidents ou de mauvaises blagues, mais rien de génial.

La magicienne n’était l’élève turbulente, ni celle qui est de toutes les fêtes. On l’invitait, parce qu’elle était jolie, gentille et qu’elle ne prenait pas de place. Peut-être qu’on se moquait d’elle dans son dos. Peut-être qu’elle était juste un monstre foire. Elle ne l’avait pas ressenti ni vécu, alors elle n’en avait cure. C’était du passé.

Je ne suis pas la mieux placée pour parler de vie à l’école. J’ai toujours été la dernière du groupe. En plus d’être la spectatrice. Même au lycée, j’était la fille cool qui fait de la magie, mais c’était tout.

Ce fut vraiment la magie qui fit qu’elle fut pleinement acceptée dans un groupe, autrement que comme suiveuse, mais bien comme personne apportant du prestige. Mais elle n’en était pas pour autant plus mise en avant.

Il y a bien un truc, c’es que c’était long. Les cours ne m’intéressaient pas. En dehors du sport, et la physique-chimie. C’était sympa.

A la maison, ça devait aller plus vite. Au moins, j’aurai pu faire des choses plus intéressantes plus longtemps.

La solitude n’étant pas un problème, Camille aurait volontiers troqué ses temps de trajet et de sociabilisation contre du temps pour la gymnastique, les concours, la magie et l’entrainement.

Moins seul. Camille ne s’était jamais vraiment demandée si elle était seule, ni sentie seule. Sa différence l’isolait forcément, mais c’était dans sa nature et dans sa vie courante. Même au sein de sa famille, elle se sentait différente et peu intéressée par les autres. Aujourd’hui encore, qu’elle était bien entourée, elle ne se souvenait pas avoir senti de la solitude. Elle était telle qu’elle était, et finalement, les autres étaient un bonus agréable et sécurisant. Sans plus.

Elle haussa donc les épaules avec indifférence lorsque Dalia parlait de se sentir moins seule. Ça devait dépendre des gens.

Quant à perdre son temps, oui, Camille perdait son temps. Elle avait ses objectifs, et savait ce qu’elle voulait faire et chaque année, le comment se dessinait avec un peu plus de précision. Apprendre l’histoire, les mathématiques, la biologie, ou une langue étrangère, cela ne l’intéressait pas.

Oui. Surtout avec les cours de langue. C’était d’un ennui.

Aujourd’hui, Camille pouvait comprendre deux langues étrangères écrites et une à l’oral, mais ce n’était certainement pas l’école qui lui avait appris ça, et certainement pas avec les cours dont la moitié était sur l’oral et le parler. Ce n’était d’aucun intérêt pour elle. Quant aux mathématiques, c’était beaucoup trop abstrait pour Camille.

A la maison, j’aurai pu apprendre plus vite à coudre. Et j’aurai pu faire des expériences et de l’exercice plus souvent. Toutes ces heures perdues à écouter une femme à moustache parlait de gens morts…

Difficile de s’intéresser à un cours lorsque la professeure ressemblait à vieil homme et parlait d’un ton monocorde et râpeux. Ce n’était pas agréable, et ça donnait juste envie de fuir la classe le plus vite possible.

Tes parents ne travaillaient pas ?

Camille savait très bien qu’avec ses deux parents au travail, jamais elle n’aurait eu l’école à la maison. Et s’il fallait prendre un professeur, autant aller à l’école public. Elle était gratuite au moins.

La question sur la langue des signes était à la fois naturelle et un peu bête. On pourrait se dire que c’est une langue nouvelle, avec pour but de permettre la communication avec des personnes ne pouvant utiliser des sons. Mais d’un autre côté, les langages avaient beaucoup d’influences culturelles et imaginer une langue des signes universelle, bien qu’étant un beau projet, était utopique.

La langue change avec les pays. Certains signes sont littéraux.

Elle fit la lettre F en langue des signes avec ses doigts, et lui fit faire un mouvement horizontal de balayage de l’extérieur vers l’intérieur au niveau de sa bouche ouverte.

Ce signe, c’est fromage pas exemple. C’est un F qu’on met dans sa bouche. Dès qu’on passe en anglais, j’imagine que ça n’a plus beaucoup de sens. On ne peut pas parler en mimant les sons, ce seraient trop long, même si pour certains mots, c’est ce qu’il faut faire car il n’a pas de signe attribué ou qu’on ne le connait pas.

Beaucoup de signes étaient semblables à celui du fromage. Une lettre associée à une gestuelle. Bien sûr, au début, il aurait été facile d’imposer une langue des signes universelle et personne ne s’en plaindrait aujourd’hui. Pas vraiment en tout cas. Mais elle serait alors bien plus complexe à apprendre pour les pays dont les racines linguistiques différeraient radicalement des pays fondateurs de cette langue. Elle se propagerait moins bien ou pire, pourrait être mal comprise par les personnes ne la connaissant pas. Cette langue avait pour volonté de permettre à des personnes ne pratiquant pas la parole de se faire comprendre facilement de leur entourage, pas de faire des discours à l’humanité tout entière.

C’est assez facile la langue des signes. Si tu sais écrire, tu n’as qu’à apprendre l’alphabet. C’est un peu long pour faire des phrases, mais ça te permet de communiquer. Puis après, tu apprends les signes courants et j’imagine que c’est comme toutes les langues après. On apprend du vocabulaire et on pratique.

Les messages longs laissaient de long silence dans la conversation. On aurait pu croire que Camille préférait être sur son téléphone que de parler avec Dalia, ou qu’elle passait son temps à chercher des vidéos à lui montrer.

Le sujet des parents continuait son chemin et la magicienne porta une main à la bouche avec un grand sourire, sa manière à elle de rire. Workolique était un mot qu’elle n’avait jamais entendu et qu’elle trouvait très drôle. Mais les explications de Dalia était cependant triste et Camille se sentit bête d’avoir ri.

Je suis désolée.

Pas besoin de téléphone pour ces mots, elle avait une carte de prête, qu’elle montra à Dalhia en moins d’une seconde. La force de l’habitude.

Qui s’est occupé de toi alors ? Ça ne devait pas être drôle.

Camille avait grandi dans une famille soudée et aimante. Toutes les branches de la famille s’appréciaient, même s’il y avait des nuances et des désaccords et ils se retrouvaient souvent pour de grands repas. La femme savait qu’à tout moment, il lui suffisait d’appeler à l’aide pour trouver un membre de sa famille prêt à lui fournir le soutient nécessaire.

Ma famille est très soudée. Je ne peux pas vraiment savoir comment tu te sens. Ecrivit-elle. Mes parents avaient des emplois moins prenant, et s’arrachant pour qu’un des deux puissent s’occuper de mon frère et moi. Jusqu’à ce que je sois en âge me m’occuper de mon frère seul. C’était tout de suite moins sympathique.

Expliquer la langue des signes était finalement plus difficile que Camille ne le croyait. Et elle pensait déjà que c’était difficile. La magicienne n’aimait pas ce qui était difficile ; A l’exception faite de la difficulté en magie et en coordination. Dans ces deux domaines, peu importait la difficulté pour Camille, il n’y avait que l’objectif et la réussite.

Elle fit non de la tête à Dalia. Camille avait souvent été grondée pour ça, mais elle ne bougeait pas les lèvres en signant. C’était demandé généralement pour aide à la compréhension et elle-même avait appris à lire sur les lèvres en même temps que sur les mains. Mais ce n’était pas ce qu’elle voulait dire.

Je veux dire qu’on n’a très peu de signe pour les bruits. On ne signe pas les syllabes. Ou très peu. On préfère signer les lettres.

Et alors que Camille ne voulait pas apprendre à Dalia à signer, la voici en train de montrer les signes des lettres de l’alphabet, les unes après les autres. Si Dalia essaye de l’imiter, Camille corrigerait les positions des doigts. Et en insistant discrètement, la magicienne pourrait bien apprendre à Dalia les signes de base. Ce n’était pas si difficile de la manipuler quand on y pense.

Quant au sujet des parents. Camille était un peu triste pour Dalia. Ne pas savoir vers qui se tournait, voir des visages différents tout le temps et pas d’amour. Camille imagina une petite Dalia assise à une grande table dans un manoir ancien à manger de la soupe entourée de domestiques sans visage. Une vision digne d’un film tragique. Quant à préférer ses parents loin, Camille y avait pensé par le passé et maintenant dans sa vie d’adulte, ils lui manquaient mais elle était tout de même heureuse d’être indépendante tout en sachant qu’ils étaient là, quelque part, pouvant toujours être là pour la sauver.

J’adore mon petit frère. C’est juste parfois compliqué et qu’on a très peu en commun. On est juste différent.

Elle réfléchit un instant et ajouta. Je suis surtout différente. Ça a dû être plus difficile pour lui que pour moi.

Camille se disait souvent que son frère avait dû vivre avec comme grande speur la fille bizarre et muette, qui traînait toujours dans l’ombre du groupe cool. Ce n’était pas très loin de la réalité, même si cette dernière était qu’il était le petit frère de la jolie fille discrète du groupe cool des grands. Le plus dur a dû être quand elle s’est mise à faire des spectacles de magie. A cette époque, elle devait vraiment passer pour la fille bizarre, avec des tenues parfois extravagantes. Au point qu’il ne voulait plus rentrer avec elle le soir, s’arrangeant pour travailler avec ses amis quand ils finissaient en même temps.

Je ne vois pas souvent ma famille depuis quelques temps. Je devrais retourner à Hoenn pour les voir un jour. Mais je suis tout le temps occupé.

Camille ne remarqua pas le malaise de Dalia.