Les soirées mondaines. Une aubaine pour certains, un cauchemar pour d’autres. Auguste se situait dans l’entre-deux ; pas particulièrement friands de ce genre de soirée, son appréciation dépendait souvent de l’organisateur et des gens présents et quelque chose lui soufflait qu’aujourd’hui, ça n’allait pas être une partie de plaisir. Un vernissage au musée des Saintes Dames de la paix. Il avait été expressément invité par l’artiste en question, très en vogue depuis ces dernières années et avec qui il avait de très bonnes relations. Il avait donc été incapable de refuser l’invitation. Le problème c’est qu’il n’y connaissait pas grand-chose, à l’art, et qu’il risquait de se sentir à-part au milieu des autres invités.

Le carton d’invitation en main, le Pulsar s’était présenté à l’entrée aux alentours de dix-neuf heures trente. Seul. Un autre problème. À part l’artiste – qui serait très occupée – il ne connaitrait sans doute personne. Il n’avait jamais côtoyé ce monde-là. Il ne doutait pas de sa capacité à s’insérer dans un groupe mais il craignait de rapidement s’ennuyer. Pour se donner du courage, il se répétait que cela ferait plaisir à la personne qui l’avait invitée et que, la connaissant, elle lui en voudrait pour les six prochains mois si elle ne le voyait pas aujourd’hui.

Une cinquantaine de personnes étaient à l’intérieur. Habillé pour l’occasion, Auguste se fondit rapidement dans la masse bien qu’il fut reconnu par deux fois. L’occasion pour lui d’échanger sur des sujets qui le connaissaient bien plutôt que de participer à un débat sur des toiles qu’il ne comprenait pas tout à fait. Il fut d’ailleurs surpris de voir aussi peu de monde inspecter les peintures. À croire que la plupart étaient là davantage pour faire bonne figure plutôt que par intérêt. Enfin, ce n’était pas Auguste qui leur jetterait la pierre.

« Auguste ! Tu es venu, quel plaisir de te voir ! »

Elodie. Un petit bout de femme avec un pied dans la quarantaine, était l’heureuse artiste qui exposait ici ses œuvres. Par principe, l’ancien champion d’arène s’était penché sur ces dernières et avait même pris la peine de lire quelques descriptions. Il n’avait pas tout saisi et avait eu beaucoup de mal à élargir la notion de beau au-delà de ce qui lui était visuellement agréable mais il se surprit à apprécier l’un ou l’autre toile qui, de premier abord ne lui avaient pas semblé sensationnel. Il avait même envisagé d’acquérir « Avarice » mais avait vite été dissuadé par le prix. Après des embrassades de circonstances, le garçon remit ses plus sincères félicitations à Elodie se fendit de l’un ou l’autre commentaire, jugeant son travail « puissant », « déroutant par moment ». Ce genre de phrase passait comme une lettre à la poste et l’artiste parut touchée. Puis, elle dût retourner à ses obligations et il se retrouva à nouveau seul.

Il y eut un discours qui accapara l’attention pour une dizaine de minutes, puis Auguste papillonna d’un groupe à l’autre, discutant tantôt avec un partenaire, tantôt avec un commanditaire ou encore avec un journaliste. En règle générale, il n’était pas issu du même milieu que les autres invités et cela se sentait par moment. Ce n’était heureusement pas son premier événement du genre et il veillait à ne pas gaffer. Donner une bonne image de lui ne pouvait que jouer en sa faveur, bien qu’il ne prenne pas cela trop au sérieux.

Conformément aux règles de la bienséance, il lui fallut attendre un moment avant d’aller jeter un œil du côté du buffet où l’attendaient toasts, verrines et autres délices. Si certains vernissages étaient festifs, ce n’était pas le cas de celui-ci. Tout ce beau monde discutait à n’en plus finir et à force d’échanger de sempiternelles politesses avec eux, l’ennui guettait le Pulsar. Auguste attrapa une nouvelle coupe de champagne et sortit prendre l’air sur le balcon où l’air frais lui fit un bien fou. Il commençait à étouffer à l’intérieur. Un soupir plus sonore qu’il ne l’aurait voulu s’échappa de ses lèvres alors qu’il s’accoudait à la rambarde de pierre. Il avait envie de s’asseoir et l’idée de quitter les lieux lui trottait dans un coin de la tête. Malheureusement, il était encore bien trop tôt pour partir.

La tranquillité d’Auguste ne dura pas longtemps car, à peine accoudé à la rambarde, le voilà déjà apostrophé par une voix féminine. Il reconnaissait que, vu le soupir qu’il avait poussé, n’importe qui aurait été tenté de se fendre d’un commentaire. Il n’avait pas été très discret pour cacher son ennui… Auguste était d’ailleurs incapable de répondre quoi que ce soit. Reconnaître qu’il préfèrerait être ailleurs n’était pas la meilleure chose à faire et il ne parvenait pas à penser à un mensonge crédible.

Débarrassé de sa flûte de champagne qu’il avait posé un peu plus loin, le Pulsar se tourna vers la jeune femme s’approchant de lui. La lumière du jour, même si elle déclinait, lui permit de voir le visage de cette inconnue qui, pour finir, ne lui était pas si étrange que cela. Il écarquilla les yeux, comme s’il peinait à le croire, et la surprise laissa peu à peu place à un grand sourire.

« Je ne m’attendais pas te voir ce soir, Séréna. »

Elle n’était pas le genre de personne qu’on oubliait. Voilà longtemps qu’ils ne s’étaient plus vus et les nombreux mois passé hors de Lumiris n’avaient pas aidé Auguste à garder contact avec elle. Ils avaient fini par s’éloigner mais il gardait un bon souvenir d’elle. De plusieurs années sa cadette, sa compagnie s’était révélée agréable. Aussi, c’était avec une expression chaleureuse qu’il accueillit ces retrouvailles. Le hasard faisait parfois bien les choses. Une vieille connaissance surgissait pile au moment où il commençait à s’ennuyer de pied ferme.

« Pas encore mort, non. » répéta-t-il sans trop savoir si elle lui reprochait de ne pas avoir donné de nouvelles. « Tu n’es pas la première à me demander cela. Malheureusement pour toi, je suis en pleine forme. Tu viens d’arriver ? »

Il avait disparu des radars pendant plus de six mois, laissant ses relations avec les gens de Lumiris s’étioler à mesurer que les semaines passaient, surtout avec les gens dont il n’était pas très proche. Séréna faisait partie de cette catégorie. Elle était adorable, il en convenait, mais ils n’avaient pas eu le temps de nouer une relation durable. Il avait tenté de revoir un maximum de personnes depuis son retour mais concernant Séréna, cela lui paraissait bizarre de surgir de nulle part après des mois de silence radio.

« Tu as l’air de bien te porter aussi. Quelles nouvelles depuis la dernière fois ? »

Elle avait sans aucun doute vécu tout un tas d’expériences plus ou moins intéressantes. Puis, Auguste était quelqu’un de curieux et s’il posait cette question, c’était davantage par intérêt que par politesse.

« Ça me fait plaisir de te voir » ajouta-t-il, les lippes toujours tirées par son sourire le plus sincère.

Il était difficile de ne pas se perdre dans ses yeux. Séréna était une très jolie femme, il émanait d’elle une aura qui rendait compliqué – pour ne pas dire impossible – le fait de détourner le regard une fois qu’elle était parvenue à le captiver. Eh. Vu ainsi, Auguste se dit qu’il était normal de la trouver dans une galerie d’art.

Auguste ne cacha pas son amusement quand elle lui annonça n’avoir pas grand-chose à lui raconter, suivi par une liste d’exploits – sans doute non-exhaustive – qui en aurait fait verdir de jalousie plus d’un.

« Médaillée d’or, rien que ça. » souligna-t-il. « Toutes mes félicitations, en tout cas. »

Parce que tout le monde pouvait se targuer d’avoir fini sur la première marche du podium d’un concours qui, connaissant Séréna, devait être prestigieux. Elle n’était pas le genre de personne à concourir si elle n’avait rien à y gagner. C’était l’impression qu’elle lui avait toujours donnée, du moins. Elle se portait comme un charme. Tant mieux. C’était là tout ce qu’il lui souhaitait. Si certains naissaient avec une avec cuillère d’argent dans la bouche et se voyaient des portes ouvertes dès le berceau, le Pulsar n’avait jamais été jaloux et leur souhaitait au contraire toute la réussite possible.

« Des rumeurs ? C’est original, ça. »

Son sourire s’effaça et il soupira. Son regard se porta vers le jardin en contrebas, le temps de chercher par où commencer. Il n’était pas énervé de savoir que des racontars le précédaient, au contraire il était même content de voir Séréna s’intéresser à la question plutôt que de se fier aux bruits de couloir. Plusieurs de ces rumeurs ne faisaient pas son éloge et l’ancien champion avait espéré qu’après ces longs mois passés sur un autre continent, celles-ci se seraient faites plus discrètes. Il l’avait un peu cherché. En quittant la région de la sorte, en ne mettant que de proches amis au courant, il avait lui-même attisé ce feu.

« Je ne pensais pas m’absenter si longtemps. Deux ou trois semaines tout au plus, c’est ce que je me disais quand mes parents m’ont appelé pour les aider à sauver la pension. »

En dépit de ses souhaits d’indépendance et de sa soif d’aventure impossible à assouvir, Auguste demeurait très proche de sa famille alors quand il avait eu vent que la pension familiale, fruits des efforts de nombreuses générations de d’Epernelle, menaçait d’être perdue, il n’avait pas réfléchi à deux fois avant de prendre le premier bateau pour Hoenn.

« En voulant bien faire, ils s’étaient retrouvés mêlés à des histoires louches et des gens peu scrupuleux. Je ne te fais pas un dessin mais ils ont essayé d’en profiter. Les sortir de là m’a pris plus de temps que je ne l’avais prédit. »

Dès qu’une affaire finissait en justice, il ne fallait pas s’attendre à ce que ce soit réglé rapidement. Auguste ne revenait toujours pas du temps qu’il avait passé avec des avocats pour monter un dossier en béton. Lui qui avait naïvement cru être de retour avant que quelqu’un ne s’aperçoive de son départ.

« Les semaines sont devenues des mois… J’ai d’abord quitté les Rangers. Je crois qu’il me fallait juste une excuse pour démissionner. » ajouta-t-il en pinçant les lèvres, comme s’il ressassait de mauvais souvenirs.

Il avait appris des tas de choses avec les Rangers de Lumiris et pour ça, il ne les remercierait jamais assez mais depuis le jour où il avait pris sa hiérarchie en grippe, la flamme s’était peu à peu éteinte. Le Pulsar était un homme constamment en recherche de nouvelles expériences et il lui arrivait fréquemment de se lasser, au point qu’il laisse tomber ses projets pour en commencer d’autres. Se prendre la tête avec ses supérieurs avait accéléré ce moment. Une excuse. C’était tout ce dont il avait besoin pour quitter leurs rangs.

« Rendre ma casquette de champion d’arène a été plus compliqué. Je suis fier de ce que j’ai accompli pour le devenir et une partie de moi s’accrochait à ce titre. J’avais tout fait pour le mériter mais après réflexion, il était plus juste que je laisse la place libre à la relève. Qui voudrait d’un Champion pas même présent pour disputer ses matches ? J’ai préféré laisser sa chance à quelqu’un d’autre, en me disant que je n’aurais dans le pire des cas qu’à reprendre ma place lors de mon retour à Lumiris. »

Ce qui n’aurait pas été difficile. Auguste était un bon dresseur. Astucieux, capable de s’adapter à toutes les situations et il avait à ses côtés des compagnons dont la force n’était plus à démontrer. Si un nouveau Champion Psy apparaissait, il était certain de pouvoir l’écraser pour reprendre sa place. Le brun était capable de faire preuve d’humilité mais il connaissait ses forces. Faire cela était tout à fait dans ses cordes.

« Du coup désolé de te décevoir mais il n’y avait vraiment rien de palpitant. J’aurais préféré vivre des aventures exaltantes mais je n’ai eu droit qu’à des problèmes familiaux et judiciaires. Je me suis juste octroyé deux semaines de vacances sous le soleil d’Alola avant de revenir par ici. »

Le garçon se dérida en vidant d’un trait ce qu’il restait dans son verre. Maintenant que tout cela était derrière lui, il arrivait à en rire mais il mentirait en disant que ça avait toujours été le cas. Cette histoire avait été une véritable source de stress pour lui. Entre les nuits agitées et l’angoisse d’échouer… Bah ! Il était heureux d’avoir pu tirer un trait sur tout cela. Son séjour à Alola lui avait permis de retrouver la sérénité qu’on lui connaissait. Le soleil, l’océan et les jolies filles avaient le pouvoir de faire s’envoler tous les soucis.

« Je suis curieux. Tu parlais de rumeurs tout à l’heure alors raconte-moi quelles sont les derniers ragots en vogue à mon sujet. Si tu as osé venir me parler ce soir, c’est que ça ne devait pas être si terrible. »

Et Arceus savait les horreurs qu’il avait entendu par le passé. Pour son propre bien, il avait appris à ne pas prendre cela trop à cœur et avait compris qu’il susciterait toujours les jalousies d’autres gens. Il n’y pouvait rien. À partir du moment où l’on réussissait mieux que d’autres, on était voué à être la cible des langues de Sevipers.

Auguste opina du chef lorsqu’elle mentionna de futures vacances à Alola. Bénéficier d’une maison de vacances à condition de partir avec elle, c’était une offre difficile à refuser. Le genre de marché où il avait tout à gagner. Il ne s’agissait sans doute que d’une proposition lancée un peu à l’aveugle sans qu’elle n’y ait réellement réfléchi, le Pulsar sans doutait. Entre s’organiser et trouver des dates qui leur convenaient tous les deux, c’était beaucoup d’effort pour des vacances entre deux personnes dont la relation tenait pour le moment plus de l’entente cordiale que de l’amitié.

Au sujet des rumeurs lancées sur lui, Séréna l’avertit qu’elle était susceptible d’en ajouter une de plus, montée de toutes pièces, dans la liste. Cela ne manqua pas de faire s’esclaffer son interlocuteur, qui entra dans le jeu sans se faire prier.

« La plupart des rumeurs sont des inventions, ça ne fera pas beaucoup de différence. Voyons si tu sais te montrer aussi douée que les autres dans la conception de ragots. »

Il en avait déjà entendu des vertes et des pas mûres. La plupart n’avaient aucun fondement mais il arrivait à Auguste de saluer la créativité de certaines d’entre elles. Comment les gens arrivaient à inventer ces histoires en partant de rien l’impressionnait toujours, surtout qu’il n’en voyait pas l’utilité. Quelques-unes n’étaient que des calomnies destinées à ternir sa réputation mais étrangement, c’étaient celles-là qu’il comprenait le plus. Elles pouvaient être expliquées de manière logique puisqu’elles sentaient la jalousie ou le ressentiment à plein nez. D’autres ne trouvaient aucune justification à ses yeux.

Il l’écouta avec attention. Les yeux plissés, il la dévisageait en quête d’un signe indiquant l’endroit où elle avait glissé sa farce. Comble de l’originalité, il y avait même une rumeur concernant son décès. Ben voyons. Ce devait être la troisième ou la quatrième fois qu’il l’entendait, celle-là. Encore que, compte tenu des circonstances, cette rumeur se tenait un peu mieux que les fois précédentes. Quant aux quatre dernières, hmm… Auguste réfléchit, grattant une barbe inexistante à mesure qu’il analysait chacune d’entre elles.

« Content d’avoir fait jaser en mon absence. Ah ! J’aurais été triste que l’on m’oublie, moi qui adore être le centre de l’attention. »

De l’ironie à peine voilée. Il ne fuyait pas la lumière du projecteur mais sans avoir une bonne raison d’y être, il ne cherchait pas constamment à se mettre en avant. Auguste appréciait aussi la tranquillité et les choses simples, hors de question pour lui de vivre en permanence sa vie de sorte à focaliser l’attention sur lui.


« Pour être honnête, elles me paraissent toutes crédibles. » avoua-t-il enfin en haussant les épaules. « Je n’ai jamais été transparent sur ma vie intime et les ragots là-dessus sont légion. Puis, j’ai fait des choses dont je ne suis pas fier à cause de l’alcool. »

Il aimait faire la fête et avait abusé de la bouteille à de multiples occasions. Il avait ainsi fait et dit des choses qu’il regrettait et perdre un match à cause de l’alcool aurait tout à fait pu lui arriver. En plus des spéculations constantes des gens au sujet de sa vie amoureuse, les trois premières étaient des rumeurs tout à fait crédibles.

« Pour la secte, je ne sais pas. Ça me semblait tiré par les cheveux mais d’un autre côté, je crois que j’ai entendu cela à propos de la plupart des célébrités donc non, je pense que celle-ci est vraie. Si tu devais en inventer une rumeur, je dirais que c’est celle sur ma défaite. Je suis raisonnable, en général, c’est très rare que des inconnus me voient dans un sale état. »

Il sortait moins qu’avant, c’était important de le noter. Il n’avait plus autant de temps, ne pouvait plus fréquenter aussi librement les bars et il y avait toujours cette appréhension de s’afficher en public s’il buvait trop – ce qui lui était arrivé plusieurs fois par le passé. Ceux qui savaient qu’il avait une bonne descente étaient en général des gens de confiance. Pour le public non-averti, il ne buvait que socialement.

« Alors, j’ai bon ? » demanda-t-il avec l’innocence d’un enfant.

Toute tentative de corruption était passible d’élimination. C’étaient mots pour mots les paroles de Séréna. Faute d’enjeu dans cette farce née d’un regard complice entre eux, Auguste n’avait rien à perdre en cas d’élimination, réduisant ainsi l’avertissement à néant. Et pour être tout à fait honnête, il ne savait pas lui-même quelle partie avait amenée la jeune femme à penser qu’il essayait de l’amadouer. Il avait répondu en justifiant la raison pour laquelle il écartait les autres possibilités, prouvant ainsi qu’il s’était penché sur la question et n’avait pas donné une réponse au hasard. Rien de tout cela n’était destiné à la corrompre et quand bien même il aurait souhaité le faire, il n’avait aucune idée de comment il s’y serait pris avec une femme telle que Séréna.

Elle avait toutefois semé le doute dans son esprit. Était-il certain de ce qu’il avançait ? Absolument pas. C’était son impression, rien de plus. Son interlocutrice était douée pour ne rien laisser paraître et démêler le vrai du faux en se fiant à ses expressions et d’éventuels tics s’était avéré impossible. Encore maintenant, il était incapable de dire si elle le poussait à hésiter par plaisir ou si elle essayer de l’orienter vers la bonne réponse. Après réflexion, il était évident qu’elle avait un caractère espiègle. Ses précédentes interventions laissaient supposer son humeur plutôt taquine pour ce soir et cela suffit à convaincre Auguste.

« Sûr et certain. » répondit-il sur un ton indiquant qu’il avait arrêté sa décision, « C’est mon dernier mot, Séréna. »

Il n’y avait rien à gagner ou à perdre. La seule récompense était de satisfaire sa curiosité de savoir quel genre de rumeurs arrivaient jusqu’aux oreilles de personnes comme elle. Ce n’était pas son monde et cela ne le serait probablement jamais. Il en était conscient et vivait très bien avec cette idée. Le côtoyer par moment, juste le temps d’une soirée. Passer un peu de bon temps, faire de nouvelles rencontres, … cela lui suffisait. Il ne les voyait pas comme une élite à qui il devait plaire pour espérer un jour siéger parmi eux, juste des individus différents, avec d’autres intérêts, d’autres buts. Il s’entendait très bien avec des gens scandaleusement riches comme avec certains qui bouclaient le mois grâce à des nouilles instantanées. L’argent ne faisait pas la valeur de quelqu’un, il avait trouvé des gens aux cœurs d’or ainsi que les pires pourritures ayant jamais foulé ce monde de chaque côté du seuil de pauvreté.

« Un peu des deux. » avoua-t-il.

Il avait une expression neutre sur le visage. Une plaisanterie ? Peut-être. Toujours sans avoir eu de réponse à sa question, Auguste posa les yeux sur la jeune femme avant de suivre la direction de son regard. Elle s’interrogeait sur cet étrange jeu que joue le Pulsar. Il n’en connaissait pas toutes les règles et pour elle, sa manière de faire devait ressembler à la démarche d’un homme soul. Titubante, hésitante et n’ayant aucun objectif apparent. Il se dérida et un rire discret s’échappa de ses lèvres, presque en silence.

« Ça dépend. Je n’ai rien contre ce genre d’événement. Ce n’est clairement pas là où j’ai passé les meilleures soirées de ma vie mais ça me permet de rencontrer de nouvelles têtes, d’échanger avec des gens qui ont une manière de raisonner différente de la mienne. Je ne m’amuse pas toujours, je l’admets. Je suis déjà plusieurs fois rentré chez moi avec la sensation d’avoir perdu mon temps mais cela s’applique à tous les genres de soirée. »

Son humeur entrait en ligne de compte, également. S’il avait envie de proximité avec des amis proches, il optait pour des soirées en petit comité chez quelqu’un, s’il était plutôt tenté par l’idée de danser jusqu’à ce que tous les membres de son corps demandent grâce, il y avait toujours un concert qui était joué quelque part. Plusieurs facteurs influaient sur sa décision et il ne fallait pas que Séréna pense qu’il vivait sa meilleure vie lors d’un vernissage.

« Ce n’est pas sous la contrainte que je suis ici, cette fois. Je connais l’artiste qui expose ce soir, donc c’est un peu différent. Je ne suis pas venu dans l’optique de m’amuser mais celle de lui faire plaisir. Bon… finalement elle est super occupée et on ne s’est croisé que cinq minutes mais si nos rôles avaient été inversés, j’aurais été content qu’elle soit présente. »

Faire plaisir. Quelque chose qu’Auguste savait bien faire. Fondamentalement bon, il était capable d’aller jusqu’au bout du monde pour donner le sourire à ceux qui comptaient pour lui. Accorder à Elodie une soirée pour la gratifier de sa présence et la féliciter de son travail acharné était naturel. Il n’attendait rien en retour.

« Je m’attendais tout ce même à ce que cela soit plus animé. »

Car malgré toutes les bonnes intentions qui l’animaient, il devait reconnaître une vérité : il s’ennuyait. Séréna égayait sa soirée mais lorsqu’elle s’en irait, la lassitude reprendrait sa place dans le paysage. Heureusement que la lune était belle ce soir.

« J’ai envisagé de filer mais il était encore trop tôt et le champagne était bon. Je pensais le déguster et finir mon verre avant de m’en aller. » ajouta-t-il, prenant la flute désormais vide en gratifiant la demoiselle d’un sourire entendu. « Disons que tu as repoussé l’échéance. »

Pour combien de temps ? Ça, il n’en savait rien mais cela n’avait aucune espèce d’importance. Il profitait du moment tant que cela durait en sachant très bien qu’à un moment où à un autre, Séréna aurait d’autre chose à faire que de lui tenir compagnie. Il quitterait les lieux à ce moment.

« Ça ne t’ennuie pas, toi ? Pas ce soir en particulier, je veux dire ce genre de soirée en général. Il y a encore l’excitation de la découverte pour moi mais je suppose que toi, tu y assistes depuis toute petite et que ce ne sont pas les invitations qui manquent. Ce n’est pas toujours la même chose ? »

Ils venaient de deux familles différentes et faisaient partie de groupes sociaux qui l’étaient tout autant. Aucun problème avec ça, cela n’avait jamais empêché Auguste de l’apprécier et inversement, mais cela signifiait aussi que ce qui était occasionnel pour était habituel pour elle.

Auguste avait touché une corde sensible. Du moins, c’est l’impression qu’il eu en voyant la réaction de Séréna. Si souriante jusqu’à présent, son humeur s’était faite maussade. Cela l’étonna, d’ailleurs. Elle lui avait toujours paru être dans son élément quand il était questions de ces événements, il ne s’attendait pas à une telle réponse de réponse de sa part. Il y avait de l’amertume dans ses mots mais le Pulsar comprenait son raisonnement. Si leur place avait été échangée, son avis n’aurait pas beaucoup différé. Ces soirées se ressemblaient et à la longue, cela devait être ennuyant. Il n’était pas impossible que dans quelques années, Auguste ne veuille même plus en entendre parler. C’était un monde où chacun portait un masque, jugeant tous les autres tout en se cachant derrière de faux sourires. Il fallait faire bonne figure, soigner les apparences et avancer ses pions intelligemment. L’ancien champion n’excellerait sans doute jamais à ce jeu et quand bien même il en maîtrisait certaines règles, il était trop honnête pour en sortir vainqueur.

Il ne savait pas quoi répondre. C’était un peu comme si un cuisinier lui annonçait qu’il n’aimait pas être derrière les fourneaux. Auguste était perturbé mais la jeune femme ne lui laissa pas le loisir de réfléchir trop longtemps puisqu’elle s’excusa et lui subtilisa son verre, l’invitant à prendre une autre coupe. L’air malicieux qu’elle lui offrit amena le brun à s’interroger. Était-ce une brèche qu’il avait aperçu dans son masque si parfait jusqu’à présent ?

« Une dernière alors, je dois prendre le volant après. » répondit-il, comprenant que c’était sa manière à elle de s’éclipser un moment pour revenir et faire comme si de rien n’était.

Elle s’en alla et Auguste se retrouva un instant seul avec cette désagréable sensation sur laquelle il ne parvenait pas à mettre de mot, comme s’il avait entendu quelque chose qu’il n’aurait jamais dû. Cela ne serait jamais arrivé si Séréna ne s’était pas aussitôt excusée avant de s’enfuir. Peut-être valait-il mieux qu’il fasse semblant de rien et qu’il enchaîne sur un autre sujet. L’homme rumina un moment jusqu’à ce que le claquement d’une porte dans son dos le ramène à la réalité. Une flûte dans chaque main, Séréna était de retour. Ce serait vraiment la dernière. Il habitait certes à une dizaine de minute à pied mais Auguste préférait rester raisonnable et ne pas partir du principe qu’il allait trop boire pour conduire.

« Merci. » souffla-t-il, « Et santé ! »

Il but une gorgée. Ce champagne n’était vraiment pas mauvais, Auguste avait d’ailleurs pris soin de retenir le nom inscrit sur les bouteilles. Cela pouvait toujours servir plus tard. Là était la principale qualité de cette soirée, le champagne. C’en était presque triste à dire.

« Dis, Séréna… »

Une pointe d’hésitation dans la voix, le Pulsar refusait qu’un silence gênant s’installe entre eux. Elle aurait probablement trouvé quelque chose pour relancer la conversation mais cela aurait paru forcé. Son verre à trois-quarts plein dans la main gauche, il s’appuya contre la rambarde du balcon avant de poursuivre.

« Tu t’ennuies. Je m’ennuie aussi. Partante pour qu’on bouge ailleurs ? La nuit est encore jeune et ce serait dommage qu’on la passe ici. »

L’invitation était là, elle était libre d’accepter ou non. Auguste n’insinuait en aucun cas qu’il s’embêtait avec elle. Bien au contraire, elle avait largement contribué à rendre ce vernissage supportable. Et si elle était le meilleur élément de cet endroit, autant l’emmener ailleurs où ils seraient plus susceptibles de s’amuser.

Elle hésitait. Difficile de cerner ce qu’il se passait exactement dans sa tête mais elle semblait peser le pour et le contre de cette proposition. Il est vrai que même si l’ambiance de la soirée était inexistante, Séréna avait peut-être des choses à y faire ce soir. Le Pulsar doutait déjà qu’elle soit venue juste pour admirer les peintures exposées mais après ce qu’elle lui avait dit, il en était certain. Leurs intérêts ce soit divergeaient et Auguste aurait accepté un refus sans broncher. Il n’était pas là pour lui forcer la main.

Il lui laissa le temps de réfléchir, restant à l’affût d’un signe de sa part. Cette façon qu’elle avait de jouer avec ses ongles signifiait-elle un manque d’intérêt total ? C’était dû moins son impression mais c’était sans compter sur le jeu d’acteur de la jeune femme qui devait prendre un malin plaisir à lui laisser croire cela. Elle sourit enfin et révéla qu’elle n’était pas contre l’idée mais émit deux réserves à se sujet. Premièrement, elle avait encore des gens à voir ce soir et surtout, sa réponse finale dépendait de ce qu’il lui proposerait. Il n’avait pas été très spécifique jusqu’à présent, lui proposant juste de fuir la soirée pour aller s’amuser ailleurs. Ailleurs. Voilà un mot qui sous-entendait tout et n’importe quoi. Auguste comprit que c’était son moment de briller, celui où il devait arriver à la convaincre alors il décida d’y apporter une réflexion sérieuse. Hors de question de l’inviter à boire un verre ailleurs ou d’essayer de trouver un resto qui aurait encore une table libre. Ça manquait d’originalité et s’il s’agissait de méthodes idéales et peu risquées pour briser la glace, le Pulsar avait l’intime conviction que ça n’avait pas la moindre chance de marcher sur Séréna. Eh. Tant mieux. Il préférait les activités un peu plus atypiques.

« Pas de souci pour les convives. Je ne te proposais pas de fuir comme des voleurs dans les cinq minutes qui suivent. »

Ils avaient tout leur temps, il était encore tôt. Certes, mais il était déjà trop tard pour de nombreuses occupations. Outre les bars et boîtes de nuits, beaucoup d’établissements étaient déjà fermés, alors Auguste pouvait oublier la descente d’un chenal en kayak, une session de tir à l’arc ou de lancer de hache, ou n’importe quelle autre activité nécessitant du matériel qu’Auguste ne possédait pas. Hmm… peut-être une balade nocturne ?

Le principal problème était qu’il ne connaissait pas les goûts de Séréna et qu’avec ce genre de proposition, il était plus susceptible de choisir quelque chose qui ne lui plairait pas. Il fallait se montrer assez original pour titiller son intérêt tout en faisant attention à ne pas lui soumettre une idée trop farfelue. Lui, il était toujours partant, mais elle… L’intense délibération qui avait lieu dans la tête de l’ancien champion psy se lisait sur ses traits tandis qu’il dévisageait Séréna, l’air grave, comme si la regarder avec insistance lui permettrait de deviner ses préférences.

Oh. Mais oui, bien sûr. Comment n’y avait-il pas songé plus tôt ?

À force de réfléchir avec autant d’intensité, son cerveau était entré en éruption et une idée c’était dégagées de la myriade d’idées ayant défilé jusqu’à présent. C’était un pari à prendre mais plus Auguste y pensait, plus cette idée lui plaisait. La demoiselle à la chevelure rose ne venait pas du même monde que lui et ils n’avaient par conséquent pas côtoyé les mêmes endroits alors plutôt que d’aller chercher trop loin, pourquoi ne pas lui proposer quelque chose qu’elle n’avait sans doute pas eu l’occasion de faire trop souvent ?

« Je crois me souvenir qu’il y a une petite fête foraine dans le quartier Nanab. » dit-il enfin, « Des attractions, des beignets, ça te tente ? »

L’idée était lancée. Cela demandait certes d’avoir conservé une partie de son âme d’enfant mais sérieusement, qui n’aimait pas les fêtes foraines ?

Gagné.

Ce mot résonna dans la tête du brun lorsqu’il vit cette lueur d’intérêt dans les yeux de Séréna. Il était peut-être trop tôt pour crier victoire mais il était certain que c’était un pas dans la bonne direction. Séréna était intéressée et donc ne lui offrirait pas un non catégorique. S’il y avait d’autres problèmes, il aviserait. À côté de l’étape qu’il venait de passer, ce n’étaient que des détails.

« Une fête foraine. » répéta-t-il, l’air malicieux.

Oui, il parlait bien de ce rassemblement populaire où les attractions affichaient des décorations d’un goût douteux, où les tenanciers de stand semblaient tous appartenir à la même famille où la seule nourriture disponible était aussi bonne que malsaine pour la santé. Une fête foraine. Malgré tout ce qu’il en pensait, Auguste aimait beaucoup ce genre d’endroit bien que la nostalgie joue une part importante dans son appréciation. Enfant, il ne manquait pas une occasion de quémander de l’argent de poche à ses parents pour s’y rendre avec des amis, le temps d’une après-midi. Des jours heureux…

Séréna lui précisa qu’elle n’avait jamais eu la chance d’en visiter une. Il était certain que, vu sa famille, un parc d’attraction avait dû être préféré. C’était bien aussi, juste différent. La jeune femme avait donc l’occasion de se rattraper sur une étape manquée de son enfance et à en juger par sa réaction, l’idée lui plaisait. Mieux, elle s’accrocha à son bras et lui annonça être convaincue. Jubilant à l’intérieur – et ça se voyait à l’extérieur –, Auguste se félicita de sa propre idée de génie. S’il le pouvait, il se serait mis tout seul des accolades de félicitations.

« Ai-je vraiment le choix ? »

Bien sûr que non. Si quelques invités avaient déjà quitté les lieux, indiquant qu’eux aussi pouvaient s’éclipser, Auguste reconnaissait qu’il était préférable de saluer convenablement les autres convives avant de s’en aller. Elle avait déjà une excuse toute trouvée pour justifier leur départ. Venu très naturellement, le pulsar était sûr que ce n’était pas la première fois qu’elle utilisait ce prétexte pour s’échapper d’une soirée pénible. Mais ce n’était pas important alors il se tut et se laissa guider par la fausse malade.

Son jeu d’actrice était au point. Elle semblait aller assez mal pour que personne ne la remette en question mais pas trop non plus, ce qui rendait son acte crédible. Auguste, en revanche… Plus tendu que nécessaire, on lui demanda plus d’une fois si lui aussi était malade. Il n’était pas le meilleur menteur de Lumiris, surtout quand il n’avait pas eu le temps de se préparer. Enfin, il parvint à hocher de la tête et à bafouiller quelques réponses de manière assez convaincante pour qu’on le laisse sortir d’ici avec la jeune femme au bras sans le prendre pour quelqu’un de louche. Il fit néanmoins une gaffe alors que Séréna faisait ses aurevoirs à une groupe situé près du buffet. Alors que quelqu’un demandait au brun ce qu’elle avait, il n’avait rien trouvé de mieux à dire que « Je pense que ce sont les toasts qui sont mal passés. » alors que toutes les personnes du groupe en avaient un en main. Ils s’en débarrassèrent aussitôt et vu les regards qu’ils jetèrent au buffet, Auguste comprit qu’il aurait mieux fait de se taire. Une femme lui donna même raison en disant que, depuis qu’elle en avait mangé un, son estomac était contrarié. Uh-oh. Ils étaient déjà en train de prévenir leurs compagnons de pas toucher aux toasts. Mieux valait partir vite d’ici avant qu’on ne le tienne responsable des vilaines rumeurs sur la qualité de la nourriture servie ici. Elodie allait le tuer si elle apprenait qu’il était à l’origine de ce sabotage.

« Eh bien. Tu reprends déjà des couleurs. C’est incroyable comment un peu d’air frais fait des merveilles. » lui glissa-t-il une fois sorti du musée. « Je suis garé dans la rue d’à-côté, on va prendre ma voiture. »

Ce n’était pas si loin que cela mais à pieds, il leur aurait bien fallu quarante minutes pour y aller. Autant dire qu’il n’en avait pas envie et vu ce que Séréna avait aux pieds, c’était une expédition mort-née. Puis, s’il avait fait l’effort de ne pas trop boire ce soir, ce n’était pas pour se priver de son véhicule. Il l’y guida et l’invita à prendre place sur le siège passager d’une voiture somme toute banale. Le genre de citadine que l’on voyait un peu partout en ville. Auguste n’avait pas d’utilité à posséder une grosse voiture et avait préféré s’acheter quelque chose à la hauteur de ses besoins.

Hormis sur les grosses avenues, la plupart des rues étaient désertes. Cela leur permit d’arriver à destination en une petite dizaine de minutes. En chemin, ils discutèrent de tout et de rien tandis que la radio jouait en fond des chansons qui avaient été à la mode il y a vingt ans. Faute d’avoir un tapis rouge à lui dérouler, Auguste alla tout de même ouvrir la portière à la jeune femme. Ils étaient tous les deux beaucoup trop bien habillés pour ce genre d’endroit et à n’en point douter, ils sortiraient du lot. Qu’importe. Ils n’étaient que deux amis venus terminer la soirée à la fête foraine.

« On fait le tour et tu me préviens si quelque chose attire ton attention. En revanche, arrêt obligatoire au premier stand ouvert qui vend de la nourriture. Je meurs de faim. Je ne sais pas qui a dit ça mais il parait que les toasts n’étaient pas très bons, alors je n’ai rien mangé. »

Un air goguenard sur le visage, Auguste lui offrit une nouvelle fois le bras et l’emmena dans ce monde qu’elle ne connaissait pas, peuplé de lumières et de couleurs en tout genre.

Les questions de la jeune femme ne manquèrent pas d’amuser Auguste. Elle ressemblait à une enfant qui s’interrogeait sur tout. C’était mignon, d’une certaine façon. Une grande majorité de la population aurait été capable de répondre sans la moindre hésitation quant à ce que l’on mangeait dans une fête foraine et tous savaient ce qu’était la pêche au couanetons. Sa manière d’aborder les choses n’était pas sans lui rappeler une vieille connaissance. Cette dernière parvenait toujours à lui faire comprendre ce qu’elle voulait sans jamais le formuler de manière explicite, de sorte que personne n’aille penser que c’était une demande de sa part. Eheh. À d’autres, Séréna. Auguste avait bien compris où elle voulait en venir.

« Très. La pêche aux couanetons est un incontournable. Ça fait longtemps que je n’en ai plus fait. »

Il l’entraîna à sa suite alors qu’il s’approchait du stand. Le forain les accueillit d’un air enjoué – surprenant, vu l’heure. – et leur demanda s’ils étaient intéressés par une partie. Le pulsar jeta rapidement un œil aux étagères situées derrières le tenancier, où se trouvaient la multitude de prix disponibles pour les participants. Il y en avait pour tous les goûts. Des pétards, des peluches, des chapeaux fantisistes, … C’était un véritable bric-à-brac. Auguste ne put s’empêcher de lever les yeux jusqu’à la plus haute étagère. Là, il y avait tous les gros prix, ceux que chaque enfant avait un jour rêvé d’obtenir. Une console de jeu ou encore une petite moto électrique. Il y avait de quoi mettre des étoiles dans les yeux de n’importe quel enfant. Ces prix étaient pour la plupart des babioles et quand on voyait le nombre de points nécessaires pour les décroches, d’aucuns se rendraient compte après un rapide calcul qu’il fallait débourser une petite fortune pour espérer les obtenir.

« Bonsoir. On va prendre la formule à trente couanetons. Pour nous deux. » dit-il en sortant un billet de son portefeuille pour le tendre au forain.

L’homme empocha l’argent, lui rendit la monnaie et leur donna à chacun une canne à pêche somme toute rudimentaire. Il s’agissait littéralement d’un bâton avec une corde à laquelle était attaché un hameçon triple. Un outil adapter pour remonter un couaneton en plastique. Auguste se pencha vers la jeune femme pour lui parler, de sorte qu’elle l’entende sans qu’il ait à crier à cause de la musique du stand.

« C’est facile parce que c’est un jeu où tu ne peux pas perdre. Tu joues jusqu’à ce que tu aies pêché le nombre de couanetons pour lequel tu as payé. Chacun d’entre eux t’apporte un nombre de point mais comme c’est écrit en-dessous, tu ne le sais pas avant de l’avoir pêché. Puis, avec ces points, tu choisis un prix. »

Il n’y avait rien de plus à expliquer au sujet de ce stand. Le brun fit une démonstration en lançant sa ligne – était-ce juste de décrire cela ainsi quand la cordelette faisait au maximum cinquante centimètres ? Il attrapa d’un seul coup deux couanetons et les ramena jusqu’à lui pour les décrocher et les placer dans une bassine devant lui. Il prit néanmoins la peine de vérifier la valeur de sa prise.

« Dix et vingt points. Ça m’en fait trente. » dit-il avec un air presque victorieux, « Je suis curieux de voir comment tu vas t’en sortir. Tu penses pouvoir faire mieux ? »

Auguste était capable d’être l’homme le plus sérieux du monde lorsque la situation l’exigeait mais il savait aussi quand relâcher la pression et il aurait été dommage de ne pas profiter de cette soirée pour le faire. Il était trop âgé pour jouer en vue de décrocher le gros lot mais un peu de compétition amicale n’avait jamais fait de mal à personne. Il avait déjà repéré le stand de tir à la carabiné, juste à côté. Ce serait également l’occasion de comparer le nombre de points qu’ils étaient capables d’engranger.

Le défi fut pris très au sérieux. Séréna commença par attraper deux couanetons, comme pour lui montrer qu’il n’était pas le seul à en être capable. Elle était décidée à le battre et chacun s’employa à récolter un maximum de point avec leurs quinze prises autorisées. Tous les couanetons étaient identiques et les scores dépendaient davantage de la chance que de l’adresse du pêcheur. Le pulsar eut fini un peu avant elle. Il en profita pour compter ses points et attendit patiemment qu’elle attrape son quinzième couaneton.

« On dirait que j’ai perdu. » admit-il en haussant les épaules lorsqu’elle annonça son nombre de points, visiblement pas plus abattu par la défaite que cela. « On dirait que tu as fait ça toute ta vie. »

Dix points de différence. Trois fois rien, en somme, mais que ce soit de quelques points ou de plusieurs centaines, une victoire restait une victoire. Trop forte pour lui, Auguste s’inclina face à la supériorité de l’experte de la pêche. Il était à présent temps pour eux de sélectionner un prix. Inutile de lever les yeux trop haut car vu ce qu’il avait payé, il était impossible qu’ils aient assez de points pour avoir quelque chose de décent. Les babioles du bas, voilà tout ce qu’ils étaient en mesure de s’offrir. Si Séréna était d’humeur à faire des bulles, rien de ce qui était disponible n’intéressait le brun. Il décida donc de prendre un paquet de craies et de l’offrir à un jeune enfant. Il s’était plains un peu plus tôt de n’avoir pas assez de points pour ça et d’avoir épuisé tout l’argent de poche donné par ses parents alors, Auguste préféra lui en faire cadeau. Cela lui serait plus utile.

« Existe-t-il un domaine où vous n’êtes pas naturellement douée ? » ironisa-t-il quand elle se vanta de son succès.

Il l’avait provoquée et elle avait quand même gagner. Elle n’était pas près de lui faire oublier sa victoire. Auguste la laissa savourer. Ils se promenèrent un peu, marchant sans direction particulière, pendant qu’elle soufflait ses bulles de savon. Un moment d’insouciance, où seul comptait le moment présent. Hier était un lointain souvenir et demain, un futur si distant qu’il était impossible à concevoir. Le pulsar était près à concéder son bras autant de temps que nécessaire pour allonger cette soirée.

« Je vais prendre quelque chose où je suis sûr de gagner. Quelque chose me dit que tes chevilles vont doubler de volume si tu me bats encore une fois. »

Une taquinerie sans méchanceté, rien de plus. Bien qu’elle ne connaisse rien aux fêtes foraines, toutes les activités présentées ici étaient suffisamment simples pour qu’un néophyte les comprennent et s’en sorte après quelques minutes. L’objectif était de faire rejouer le participant, pas de le dégoûter avec des jeux trop difficiles à maîtriser ou trop durs à comprendre. Restait à savoir en quoi consisterait leur prochaine bataille. Le stand de tir à la carabine était déjà derrière eux alors plutôt que de faire demi-tour, Auguste continua à avancer en quête d’un stand adéquat. Ils passèrent devant un carrousel et des auto-tamponneuses pour finalement s’arrêter.

« Voyons à quel point tu es douée. »

C’était un stand de lancer d’anneaux. Le principe était on ne peut plus simple et Séréna devait l’avoir compris dès le premier coup d’œil. Il suffisait de lancer des anneaux en bois en essayant de les faire s’accrocher à des bâtons disposés çà et là. Ces derniers, disposés verticalement, valaient tous un certain nombre de points. Plus il était éloigné, plus il rapportait gros. Ils en lanceraient cinq chacun.

« Ce sera à moi de fanfaronner, cette fois. » annonça-t-il en ouvrant les hostilités.

Il engrangea le maximum de points possible dès son premier lancer. Le regard qu’il offrit à sa jeune compagne en disait long. Il la mettait au défi de faire mieux. Jouant à tour de rôle, ils n’hésitaient pas à commenter – toujours avec humour – l’action de l’autre joueur. Viser les bâtons les plus éloignés était risqué puisque cela augmentait les chances d’échec mais cela paya car à la fin, les lauriers de la victoire revinrent à Auguste. Il bomba le torse lorsque le forain lui remit ses points, comme s’il venait d’accomplir un exploit. Il avait gagné gros car il était parvenu à envoyer trois anneaux au même endroit. Des prix corrects étaient à sa disposition et il jeta son dévolu sur une adorable peluche grandeur nature de Nounourson. L’ancien champion d’arène l’admira un instant, puis il la déposa entre les mains de Séréna.

« Comme ça tu n’oublieras pas que moi aussi j’ai du talent. » mentit-il en détournant le regard.

Un cadeau. Voilà ce que c’était. Tout simplement un cadeau. Auguste avait passé son enfance à jouer dans les fêtes foraines. Des prix sympathiques, il en avait déjà eu par le passé et il avait pensé que cela ferait plaisir à Séréna d’avoir un meilleur souvenir de cette soirée qu’un petit pot en plastique pour faire des bulles. Ils reprirent la route, la démarche tranquille, jusqu’à ce que le brun s’arrête net. À sa gauche, on vendait gaufres, beignets, pommes d’amour et autres délices sucrées tandis qu’à sa droite étaient disponibles les hamburgers si spécifiques à ces événements, si gras et pourtant si bon. Il interrogea la jeune femme du regard un moment avant de prendre la parole.

« Tu voulais savoir ce qui se mangeait ici ? Tu as ta réponse. Quelque chose te fait envie ? »

Bon sang, cela sentait beaucoup trop bon. Toutes ces bonnes odeurs attisaient sa gourmandise et la faim n’aidait pas… Les beignets lui faisaient de l’œil. Il ne manqua d’ailleurs pas de les conseiller à Séréna, prétextant qu’ils pouvaient être à la pomme, à la banane ou encore à l’ananas et que tous les goûts en valaient la peine.

Elle opta pour la barbe à papa. Auguste prit quant à lui un assortiment de beignets avec tous les goûts possibles, trouvant ceux-ci infiniment meilleurs. La barbe à papa était certes un symbole, la sucrerie typique des fêtes foraine, mais il ne trouvait pas cela si bon que ça. Pas mauvais, pas incroyable non plus. Il reconnaissait toutefois qu’en terme d’apparence, il était impossible de faire mieux. Le nuage rose semblait si doux, il était difficile de résister à l’envie d’y goûter – il parlait de la barbe à papa, hein.

Après que Séréna eut laissé un pourboire scandaleux, ils trouvèrent une table où s’asseoir pour manger en toute tranquillité. Le pulsar n’oublia pas de la remercier avant de mordre à pleines dents dans un beignet à la pomme qui, plus chaud que prévu, lui brûla le bout de la langue. Mais qu’est-ce que c’était bon. L’explosion gustative dans sa bouche lui avait déjà fait oublier la douleur. Accoudé sur la table, il soutenait son menton d’une main tandis qu’il regardait Séréna. Celle-ci goûta sa barbe à papa et parut satisfaite de sa découverte.

« Un rince-doigt ? » répéta-t-il alors qu’il venait de se lécher l’index. « Tu risques de devoir faire sans. »

Il était vrai que tout ce sucre collait au doigt mais malheureusement, il fallait se débrouiller avec une serviette en papier. Auguste lui-même, bien qu’il se serve d’une petite fourchette en plastique, arrivait à s’en mettre plein les mains mais cela faisait partie des plaisirs de la fête foraine. Elle comprendrait un jour. Le regard de Séréna croisa le sien quand elle lui demanda si c’était bon, ce à quoi il répondit avec un sourire se communiquant à ses yeux.

« Délicieux ! Ceux à la pomme sont à tomber. Tu veux goûter ? »

Sans même attendre de réponse, il piqua dans le croustillon à l’aide de sa fourchette et la tendit à la jeune femme. Ce serait dommage pour elle de ne pas goûter cela et si elle avait aimé la barbe à papa, elle risquait d’adorer les beignets. Bon, il ne fallait pas être trop regardant sur les calories ingérées car la nourriture dans ces stands n’était pas exactement saine. Il fallait quand même savoir se faire plaisir de temps à autre.

« Alors, quelles sont tes impressions jusqu’à présent ? »

Il parlait du beignet mais aussi et surtout des festivités en général. Elle n’y avait jamais participé et selon ses dires, c’était sa première fois. Auguste voyait celle à travers le filtre de la nostalgie mais il était curieux de savoir ce qu’elle en pensait, elle qui n’avait jamais pêché un couaneton avant ce soir. Le brun la regardait avec tendresse. Il avait l’impression d’avoir ce soit découvert un côté de Séréna que peu avaient vu ou ne serait-ce qu’entraperçu. Ce n’était pas pour lui déplaire, un sourire sincère la sublimait.

« Que veux-tu faire ensuite ? Je crois que les premiers stands ne vont pas tarder à fermer alors si tu souhaites faire quelque chose en particulier, c’est maintenant ou jamais – pas avant la prochaine fête foraine, du moins. »

L’air mutin, il lui subtilisa un morceau de barbe à papa qu’il laissa fondre sur sa langue. Outre l’impression que le diabète le guettait, il ne trouva pas cela particulièrement bon. Il savait à quoi s’attendre mais impossible de résister à l’envie d’y goûté à chaque fois qu’il en avait l’occasion. Ce devait être la forme ou la couleur qui donnait cette irrépressible envie d’en manger.

Cela ne valait pas un mont-blanc du café Angélique. C’étaient ses mots et ils ne manquèrent pas d’amuser le brun. Il fallait comparer ce qui était comparable. Auguste n’avait pas la moindre idée du goût qu’avait ce fameux mont-blanc mais il comprenait l’idée. Lui aussi était capable de lister plusieurs enseignes où les desserts étaient à en tomber tant ils étaient bons. Pour être honnête, c’était à peu près le seul endroit où il mangeait des beignets, tout simplement parce que l’endroit leur donnait une saveur si particulière. En quelque sorte, ce n’était pas une véritable fête foraine s’il n’avait pas mangé de beignets. C’était difficile à expliquer et pas forcément rationnel, aussi Auguste accepta sans discuter qu’elle préfère ce qui était servi au café Angélique.

Les enfants criaient et jouaient, insouciants. Tout était si simple ici et pourtant, cela leur suffisait. Il n’était pas nécessaire de leur offrir de somptueux cadeaux pour les combler. Une ambiance féerique et la présence de parents ou d’amis suffisaient. Le pulsar gardait d’excellents souvenirs de ce genre d’endroit. Beaucoup étaient devenus flous avec le temps mais il se souvenait de sa main dans celle deux fois plus grande de son papa, de la première fois où sa maman l’avait jugé assez grand pour s’essayer au tir à la carabine, des sessions sur les auto-tamponneuses en rentrant de l’école, de son premier véritable rencard avec un amour de jeunesse, … Que du bonheur. Sa mémoire avait été altérée par les années mais il ne lui semblait pas avoir un seul mauvais souvenir de ce genre d’endroit.

« Le sentiment est réciproque. » lui répondit-il en toute simplicité. « Comme tu l’as dit on ne s’est jamais vraiment connus. Tu m’étais sympathique mais les endroits où nous nous croisions ne nous incitaient pas à jouer cartes sur table, alors j’ai pensé qu’un changement de décor était de mise si je voulais apprendre à te connaître. »

Et il était content de l’avoir fait. En cas de mauvaise surprise, cela lui aurait juste fait une soirée de perdue mais vu le vernissage auquel il assistait, cela n’aurait guère fait de différence. Au contraire, Séréna s’était révélée être une compagne agréable. Il ne regrettait pas de l’avoir invitée ici. Il goba un autre beignet, se félicitant lui-même d’avoir eu le courage de lui soumettre l’idée de la fête foraine. Elle aurait pu refuser. C’était d’ailleurs ce à quoi il s’attendait le plus compte tenu des circonstances, surtout que la proposition sortait de nulle part.

Il lui avait demandé ce qu’elle souhaitait faire et la jeune femme, sans prendre de décision, l’orienta vers trois propositions. Il lui faudrait donc choisir parmi celles-ci. Auguste s’y pencherait mais avant, il réfléchit à la dernière question qu’elle lui avait posée. S’il avait plein de bons souvenirs en choisir un seul était compliqué. C’était un peu comme lui demander quel était son plus beau souvenir de sa scolarité… Difficile de choisir, tout était vague et ce dont il se rappelait clairement était très ponctuel.

« Tu me poses une colle, là. J’ai des bribes de souvenirs qui me viennent ci et là mais ça remonte à tellement loin que c’est impossible pour moi de déterminer lesquels sont les meilleurs. Je vais prendre quelque chose de plus récent : il y a quelques années – j’étais encore étudiant à l’époque – une grosse partie de la famille s’était réunie et nous nous étions retrouvés à la fête foraine de Vermilava. Je devais surveiller mes cousins et cousines plus jeunes. C’était la première fois que j’y allais en tant qu’adulte censé surveiller des enfants et finalement, je me suis amusé comme jamais. Être avec tout le monde et pour une fois m’assurer que d’autres personnes que moi passent une bonne soirée, c’était très spécial pour moi. »

Ce n’était pas très concret, il en était conscient. Il n’attendait pas de Séréna qu’elle comprenne mais elle lui avait posé la question et il entendait bien y répondre de façon honnête. Le brun avait toujours été quelqu’un très orienté famille et les moments passés avec eux étaient des souvenirs qu’il chérirait à jamais. Faute d’avoir eu des frères et des sœurs, Auguste était très proche du reste de sa famille. Il avait fait les quatre cent coups avec des cousins de son âge et pensait à ceux plus jeunes comme à des cadets qu’il n’avait jamais eus.

« Je ne sais pas si je te conseillerais la chute libre avec des escarpins. Je plains celui qui se trouve en dessous si tu en perds un. »

Mais si elle était prête à prendre ce risque, il était toujours partant pour les manèges à sensation. Le fait qu’il vienne de manger n’y changeait rien, il avait l’estomac solide. Il ne voulait juste pas que quelqu’un se fasse assommer par un escarpin sauvage.

« Et je peux me contenter d’une égalité pour ce soir. Alors pourquoi pas le palais des glaces ça fait longtemps que je n’y suis pas allé. » Son expression changea l’espace d’un instant alors qu’il se remémorait son dernier passage dans un labyrinthe rempli de miroirs. « Enfin, pas si longtemps, mais j’ai l’impression que ça date d’une autre époque. »

C’était avec Bambi. Ils avaient fait le tour de la fête foraine ce jour-là mais si elle lui revenait en tête aussi soudainement lorsqu’il pensait au palais des glaces, c’était parce qu’il s’agissait du manège où il l’avait embrassée pour la première fois. Il s’était passé tellement de choses depuis. Auguste peinait à réaliser que cela datait d’il y a à peine plus de deux ans. L’ancien champion piqua dans un nouveau beignet, l’air songeur, avant d’avancer la barquette de plastique vers Séréna. Il veillait à en laisser un de chaque goût pour elle, histoire de la convaincre que, même si ça ne valait pas un mont-blanc de chez Angélique, c’était tout de même délicieux.

« Je suis curieux, du coup. Tu as des souvenirs d’enfance qui te tiennent à cœur ? Je ne sais pas si tu avais quelque chose qui remplaçait les fêtes foraines donc je te demande ça de manière générale. Ça peut être des vacances ou n’importe quoi d’autres. »

Si Séréna était la femme qu’elle était aujourd’hui, il devait bien y avoir un moment où elle n’était encore qu’une gamine innocente, qui s’émerveillait sur le monde et tous ses mystères. Même si c’était un souvenir récent, Auguste était tout autant intéressé. La jeune femme assise près de lui était nimbée de mystère, comme un livre qu’il aurait ouvert en plein milieu et dont il souhaitait maintenant connaître le début. Puis, cela leur ferait un peu de conversation le temps qu’ils finissent de manger.

Voilà. C’était exactement cela qu’il voulait voir. Ce large sourire qu’elle gardait la plupart du temps en réserve, cette flamme qu’elle avait dans les yeux quand elle parlait de ses souvenirs d’enfance. Elle était certes une charmante femme mais Auguste ne l’avait jamais trouvé aussi jolie qu’à ce moment. Il aurait juré que son cœur avait raté un battement. Pendu à ses lèvres, il l’écouta avec attention tandis qu’il détaillait ce visage dépourvu de son habituel masque.

Sans vouloir tirer de conclusions trop hâtives, le brun en déduis que Séréna avait souffert d’un certain manque d’attention de la part de ses parents. Elle n’avait sans doute pas été négligée mais vu la manière dont elle parlait de la fois où ils étaient venus voir sa représentation de ballet, les moments passés à trois avaient dû être rares. Auguste était en ce sens content d’avoir grandi sur le lieu de travail de ses parents. Il avait toujours été auprès d’eux et l’amour parental ne lui avait jamais manqué.

« Les parents oublient souvent que parfois, leur présence est tout ce qu’il faut à leur enfant pour être heureux. »

Plus tard, le pulsar s’était promis d’être un père présent pour ses enfants. Hors de question de laisser une nounou s’en occuper tous les jours. Il souhaitait les élever de la même manière qu’il l’avait lui-même été : avec beaucoup d’amour. Enfin, pour le moment, tout cela n’était qu’un rêve car, avant d’avoir des enfants, il lui restait encore quelques étapes à franchir… et il n’avait pas toujours été chanceux de ce côté-là. Sa vie sentimentale n’était pas malheureuse, juste inexistante. Il peinait à s’attacher aux gens et en pinçait toujours pour les pires personnes possibles et à l’inverse, des femmes qui ne l’intéressaient pas s’approchaient de lui. Ah ! C’était une source d’amusement inépuisable, c’était certain, mais de la passion d’un soir ne germait jamais rien de sérieux. Les pensées d’Auguste se tournèrent vers Nora, la sœur de son ami Andrej. Malgré la façon dont les choses s’étaient passées entre eux, il éprouvait toujours de l’affection à son égard.

« Oui, allons-y avant que cela ne ferme ! »

Le garçon ne regarda même pas sa montre. Quand il s’amusait autant, l’heure lui importait peu mais il savait que la soirée avançait et que tôt ou tard, tous les stands de la fête foraine seraient fermés. Auguste se leva et frotta vigoureusement ses mains l’une contre l’autre pour tenter de se débarrasser du sucre. Heureusement qu’il avait eu un couvert en plastique, sans quoi il aurait eu les doigts collants. Puis, il offrit son bras à Séréna – elle lui avait bien fait comprendre qu’il n’avait pas son mot à dire sur la question – et ils prirent la route vers le palais des glaces. Ils pénétrèrent dans un autre monde. Outre des couleurs très particulières, tout autour d’eux était composés de miroirs tantôt convexes tantôt concaves qui exagéraient leurs proportions de manières amusantes.

« Vraiment ? Maintenant que tu le dis, c’est vrai que je vois le rapport entre les deux. J’irai me coucher moins bête. »

Il n’avait jamais visité le palais Chaydeuvre mais c’était dans ses projets. Peut-être pas tout de suite ou dans les prochains mois, mais un jour il se rendrait à Kalos pour entre autres visiter cet endroit. Séréna enchaîna passant d’une anecdote innocente à une question un peu plus personnelle. Auguste s’arrêta net, surpris par ce qu’elle venait de lui demander. Une étrange question, en effet, mais cela indiquait que la jeune femme avait du flair. Il avait sans doute dit ou fait quelque chose d’inhabituel en parlant de cet endroit. C’était tout lui, ça. Séréna semblait faire partie des personnes qui, après un peu d’entraînement, étaient capables de lire en lui comme dans un livre ouvert. C’était à la fois effrayant mais aussi attirant.

« C’était à l’occasion d’une fête foraine, comme aujourd’hui. Ça doit bien dater d’il y a deux ans, voire un peu plus. J’y étais venu avec ma colocataire de l’époque. »

Un sourire énigmatique flottait sur ses lèvres quand il parlait, alors qu’il s’était remit à marcher sans se presser et en prenant le temps d’admirer la manière dont les miroirs déformaient son physique. Si répondre à cette question l’aurait autrefois gêné, il avait depuis fait son deuil et se remémorait tout cela avec nostalgie.

« Je vais être honnête et te dire que la raison pour laquelle je me rappelle tout particulièrement de cet endroit, c’est parce qu’on s’y est embrassé pour la première fois. »

Autant lui raconter toute l’histoire, Auguste sentait venir la prochaine question de la jeune femme. Il s’était trahi tout seul un peu plus tôt alors il était inutile de cacher la vérité. Ce n’était de toute façon pas un secret.

« Ah ! Regarde celui-ci ! » lâcha-t-il joyeusement en la prenant par l’épaule pour l’amener devant un miroir qui leur donnait un corps long et fin avec une tête dix fois plus grosses que la normale. « D’une certaine façon, tu me fais un peu penser à elle. Elle venait aussi d’une famille aisée et c’était le genre de personne à demander un rince-doigt après une barbe à papa. »

Il la taquinait avec gentillesse. Auguste plaisantait avec les autres mais se moquait rarement d’eux. Le brun évita toutefois de trop pousser la comparaison entre Bambi et Séréna, cette dernière n’apprécierait peut-être pas d’être ainsi mise en parallèle avec une autre femme. Puis, en toute objectivité, si elles se ressemblaient sur certains points, elles étaient des opposés complets sur d’autres. Là où Séréna était avenante, Bambi tendait plus à être incisive dans ses répliques. Et ce n’était qu’un exemple parmi tant d’autres.

« Je suppose que c’est pour ça que j’ai tiqué en pensant au palais des glaces. »

Réaction qui ne lui avait pas échappée. Arrivé au bout de son explication, l’ancien champion d’arène sortit son téléphone de sa poche et prit une photo d’eux dans le miroir déformant. Drapés dans cette lumière rouge, cela donnait une scène aussi comique qu’étrange. Il s’empressa d’ailleurs de tourner son portable pour que Séréna puisse à son tour admirer le résultat. Ils ne ressemblaient à rien mais c’était drôle.